89e session, juin 2001 |
Rapport III
(partie 1B) |
Informations et
rapports sur l'application |
Etude
d'ensemble des rapports |
Bureau international du Travail Genève |
ISBN 92-2-211952-5 |
Sommaire
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Paragraphes |
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1-21 |
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Le contexte: le travail des femmes, le travail de nuit et l’industrialisation mondiale |
22-32 |
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Anatomie d’une interdiction: normes de l’OIT relatives au travail de nuit des femmes occupées dans l’industrie |
33-85 |
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Recueil de lois et pratiques nationales |
86-155 |
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Les conventions concernant le travail de nuit des femmes et l’égalité de traitement |
156-169 |
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Scruter l’avenir: perspectives de ratification |
170-184 |
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185-202 |
Table des matières
1. Conformément à l’article 19 de la Constitution de l’Organisation internationale du Travail, le Conseil d’administration du Bureau international du Travail a décidé, à sa 273e session (novembre 1998), d’inviter les gouvernements qui n’ont pas ratifié la convention (nº 4) sur le travail de nuit (femmes), 1919, ou la convention (nº 41) (révisée) du travail de nuit (femmes), 1934, ou la convention (nº 89) sur le travail de nuit (femmes) (révisée), 1948, et le Protocole de 1990 relatif à la convention sur le travail de nuit (femmes) (révisée), 1948, de présenter des rapports sur l’état de leur législation et de leur pratique en la matière[1]. Ces rapports, en plus de ceux soumis en vertu des articles 22 et 35 de la Constitution de l’OIT par les Etats qui ont ratifié au moins une de ces conventions, ont permis à la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de préparer une étude d’ensemble sur les effets donnés à ces instruments aussi bien dans les Etats liés par les dispositions de ces instruments que dans ceux qui ne le sont pas. C’est la première étude d’ensemble réalisée par la commission sur les instruments précités depuis leur adoption.
Origines de l’interdiction du travail de nuit:
les femmes en tant que catégorie particulière de travailleurs
dans les usines
2. Le travail de nuit est un sous-produit de la révolution industrielle des XVIIIe et XIXe siècles. Auparavant, à la tombée du jour, la majeure partie des travaux manuels devaient cesser. Dans l’agriculture, tant le travail des hommes que des animaux s’effectuait du lever au coucher du soleil. L’industrialisation, avec des machines qui pouvaient travailler sans relâche et la lumière artificielle, a tout changé. Au début de l’industrialisation, les conditions de travail étaient dures. Les heures de travail étaient longues et le travail manuel était pénible. Il était considéré que les ouvrières étaient particulièrement touchées en quittant l’usine, retournant le plus souvent dans une habitation dépourvue de commodités, où elles devaient faire face aux fardeaux supplémentaires que constituent l’éducation des enfants, la cuisine et les travaux ménagers.
3. L’avènement du travail de nuit dans les usines a perturbé les modèles sociaux établis depuis longtemps et fondés sur des journées de travail et un jour de repos hebdomadaire. Ceux qui cherchaient à améliorer la misérable situation des travailleurs en usine, frappés par l’impact particulièrement dur du travail de nuit sur les femmes et les enfants, firent de l’adoption, à leur égard, de mesures de protection contre les effets nocifs du travail de nuit une priorité. Le travail de nuit des femmes a été interdit pour la première fois en 1844, en Angleterre. Plus de trente ans plus tard, l’approche de l’Angleterre a été suivie par la Suisse en 1877, par la Nouvelle-Zélande en 1881, par l’Autriche en 1885, par les Pays-Bas en 1889 et par la France en 1892. A l’époque où les femmes étaient considérées comme physiquement plus faibles que les hommes, comme plus susceptibles d’être exploitées et, principalement, comme mères de famille et maîtresses de maison, les motivations clairement exprimées par les législateurs en adoptant ces interdictions concernaient la sécurité des femmes, leur intégrité morale et leur santé et le bien-être de la famille. Pour ces raisons, les législateurs de cette époque considéraient que les femmes adultes et les enfants appartenaient à une catégorie spéciale de travailleurs d’usines qui nécessitaient une protection spéciale et qui, en fait, n’étaient pas considérés comme étant capables de faire, par eux-mêmes, un choix valable.
4. L’idée de protéger les femmes contre des conditions de travail pénibles a également trouvé son expression dans le Préambule de la Constitution de l’OIT, qui prévoit qu’«il est urgent d’améliorer ces conditions: par exemple, en ce qui concerne la réglementation des heures de travail, […] la protection des enfants, des adolescents et des femmes». La question du travail de nuit des femmes a été un thème récurrent de l’activité normative de l’OIT. Depuis les premiers jours de son existence, l’Organisation a marqué un intérêt particulier pour la prévention des effets nocifs du travail de nuit et pour la protection des travailleuses. La convention (nº 3) sur la protection de la maternité, 1919, la convention (nº 6) sur le travail de nuit des enfants (industrie), 1919, et la convention (nº 20) sur le travail de nuit (boulangeries), 1925, figuraient parmi les premières conventions adoptées par la Conférence internationale du Travail, attestant le souci prioritaire de l’Organisation de réglementer efficacement les horaires de travail des jeunes travailleurs et de protéger la santé et le bien-être des mères qui travaillent. La convention nº 4 est donc au point de confluence de cette double préoccupation: humaniser les conditions de travail en limitant le travail de nuit en général, tout en fixant des règles spécifiques pour les femmes, eu égard essentiellement à leur rôle unique de reproduction et à leurs lourdes responsabilités familiales traditionnelles.
5. De la Convention de Washington de 1919 à l’instrument de 1934, et de la révision de 1948 au Protocole de 1990 et à la convention no 171, les normes de l’OIT relatives au travail de nuit des femmes ont été élaborées de manière à refléter l’évolution de la nature du travail de nuit, ainsi que les conceptions sociales qui prévalaient à un moment donné quant à l’acceptabilité de tels travaux et, plus généralement, quant à la place de la femme dans la société et sur le marché du travail. Ainsi, la quête persistante de flexibilité dans l’application de l’interdiction du travail de nuit pour les femmes, qui présidait aux exercices de révision de 1934, 1948 et 1990, ne faisait que refléter, sur le plan législatif, l’évolution du rôle de la femme dans la vie économique, notamment la nécessité grandissante d’instaurer l’égalité de chances et de traitement dans l’emploi.
6. Les mesures spéciales de protection des femmes peuvent se classer grosso modo en deux catégories: celles qui visent à protéger la fonction de reproduction et de maternité de la femme et celles qui visent à protéger d’une manière générale la femme en tant que telle sur la base de conceptions stéréotypées concernant ses aptitudes et son rôle approprié dans la société. De l’avis général, les mesures protectrices visant à sauvegarder la fonction de reproduction de la femme sont nécessaires à la réalisation d’une égalité réelle. Plusieurs conventions de l’OIT adoptées entre 1919 et 2000 (par exemple les conventions nos 3, 103 et 183 relatives à la protection de la maternité) reflètent ce point de vue. Parmi ces mesures figurent celles qui traitent de la protection de la maternité au sens strict (congé de maternité, sécurité d’emploi et de revenu, prestations médicales) et de la protection de certaines conditions de travail pour les femmes enceintes ou les mères allaitantes (pauses pour l’allaitement, aménagement des horaires de travail, restriction des niveaux d’exposition à des substances et procédés particuliers, interdiction du travail de nuit et du travail considéré comme dangereux pour le fœtus, pour la femme enceinte ou pour la mère allaitante). Les mesures protectrices générales qui se présentent habituellement sous forme d’interdictions pures et simples ou de restrictions, notamment pour le travail de nuit, ont toujours été mises en cause par certains et ont fait l’objet récemment de critiques abondantes qui les qualifiaient d’exceptions dépassées et inutiles au principe fondamental de l’égalité de chances et de traitement entre les hommes et les femmes. Les instruments à l’étude entrent dans cette dernière catégorie.
7. Le récent débat sur l’adéquation des instruments interdisant et limitant le travail de nuit des femmes a donné lieu à l’expression de différentes opinions. Premièrement, d’aucuns affirment que les effets nocifs du travail de nuit des femmes ont été grandement exagérés et qu’ils ne sont, de toute façon, pas plus graves que les effets de ce travail sur les hommes, et que, en tout état de cause, dans de nombreuses parties du monde, les conditions de travail épouvantables qui ont suscité l’approche initiale se sont améliorées. Deuxièmement, d’aucuns affirment qu’il y a des situations où les femmes ont envie ou ont besoin d’avoir un revenu, en sorte que les interdictions totales sont perçues comme un obstacle empêchant les femmes d’obtenir un emploi, ce qui restreint leur accès à certains emplois, à certaines activités, aux salaires élevés et aux primes. Ainsi, les interdictions sont perçues comme étant contraires au principe d’égalité dans la mesure où elles empêchent les femmes d’exercer leurs droits à l’égalité d’accès à l’emploi. D’aucuns affirment aussi que dans la pratique, en dépit des interdictions légales, les femmes travaillent de nuit mais sans protection. Troisièmement, d’autres avancent qu’au niveau macroéconomique des considérations liées à la création d’emplois, à la productivité et à la croissance économique plaident en faveur de la levée des restrictions au travail de nuit. Ce qui nous amène au quatrième point de vue, selon lequel les interdictions et restrictions devraient être remplacées par des protections nécessaires et proportionnées comme celles concernant la maternité, la santé, des moyens de transport et des conditions de sécurité adéquates et d’autres services sociaux. D’autres affirment en revanche que dans certaines régions du monde le rôle et le statut de la femme n’ont pas beaucoup changé et que leur seul moyen de protection contre des conditions de travail nocturnes déplorables serait le maintien des restrictions figurant dans les instruments à l’examen.
Les conventions concernant le travail de nuit des femmes
et le Groupe de travail sur la politique de révision des normes
8. Le Groupe de travail sur la politique de révision des normes a été créé par le Conseil d’administration en mars 1995. Il a entre autres pour mandat d’évaluer les besoins réels en matière de révision des normes, examiner les critères susceptibles de s’appliquer à la révision et analyser les difficultés et les insuffisances du système normatif afin de proposer des mesures pratiques efficaces pour remédier à la situation[2]. A ce jour, le groupe de travail a tenu onze réunions et formulé un certain nombre de recommandations qui ont été approuvées à l’unanimité par la Commission des questions juridiques et des normes internationales du travail (LILS) et le Conseil d’administration. Le groupe de travail a procédé à l’examen cas par cas des conventions et des recommandations. Ses travaux ont conduit, à ce jour, à des décisions du Conseil d’administration pour 176 conventions et 186 recommandations invitant le Bureau ou les Etats Membres à prendre toute une série de mesures.
9. En mars 1996, le Bureau a préparé un document pour la seconde réunion du groupe de travail, passant en revue les conventions non entrées en vigueur, mises en sommeil ou peu ratifiées. Il a analysé l’état de la convention nº 41, compte tenu notamment du nombre de dénonciations dont elle avait fait l’objet, et suggéré au groupe de travail de proposer la mise en sommeil, avec effet immédiat, de la convention nº 41, cependant que les Etats parties pourraient être invités à envisager la ratification de la convention nº 89 et du Protocole de 1990, et/ou de la convention (nº 171) sur le travail de nuit, 1990, et la dénonciation à cette occasion de la convention no 41[3]. Les membres travailleurs ne voulaient pas approuver cette idée sans un examen minutieux de la convention nº 41, lue de préférence conjointement avec les conventions nos 4 et 89. Eu égard à leur objection, il a été finalement décidé de différer l’examen de la convention nº 41 et de demander au Bureau d’élaborer un nouveau document contenant un examen complet des trois conventions traitant du travail de nuit des femmes[4].
10. En novembre 1996, le groupe de travail était saisi d’un document dans lequel étaient examinés les besoins de révision des conventions nos 4, 41 et 89. Le Bureau a suggéré que le groupe de travail propose à cet égard que: a) les conventions nos 4 et 41 soient mises à l’écart avec effet immédiat; b) que les Etats parties à ces conventions soient invités à examiner la possibilité de ratifier la convention nº 89 et le Protocole de 1990 y relatif ou, le cas échéant, de ratifier la convention nº 171 et de dénoncer en même temps les conventions nos 4 et 41; c) que les Etats parties à la convention nº 89 soient invités à examiner la possibilité de ratifier le Protocole de 1990 relatif à cette convention ou, le cas échéant, de ratifier la convention nº 171. Les membres employeurs étaient favorables à une mise à l’écart immédiate des conventions nos 4 et 41 et à la promotion de la ratification de la convention nº 171, alors que les membres travailleurs s’opposaient à une telle mise à l’écart, soulignant la nécessité d’encourager la ratification de la convention nº 89. Finalement, un consensus s’est dégagé sur la proposition visant à promouvoir la ratification de la convention nº 89 et du Protocole de 1990 ou, le cas échéant, de la convention no 171, et la dénonciation, à cette occasion, des conventions nos 4 et 41. Il a été également décidé que le groupe de travail étudierait en temps utile l’opportunité de mettre à l’écart les conventions nos 4 et/ou 41, et que les Etats Membres seraient priés de soumettre des rapports en vertu de l’article 19 de la Constitution afin de permettre à la commission d’experts de réaliser une étude d’ensemble sur la question[5].
11. Le Conseil d’administration a approuvé les propositions du groupe de travail, estimant que les conventions nos 4 et 41 «demeurent d’actualité à titre intérimaire pour certains Etats parties»[6] et que, par conséquent, la mise à l’écart de ces conventions n’était pas d’actualité. En même temps, le Conseil d’administration s’est déclaré préoccupé que les conventions révisées n’ont pas toujours été largement ratifiées et ont laissé subsister des conventions initiales normalement fermées à ratification. Il a considéré que, dans ces circonstances, il serait nécessaire de promouvoir les conventions mises à jour tout en encourageant la dénonciation des conventions dépassées, de manière à éviter une accumulation d’obligations légales complexes et souvent conflictuelles du fait de la coexistence d’instruments faisant double emploi[7].
Le mandat de la commission et la spécificité
de la présente étude
12. Avant d’entreprendre l’analyse technique des quatre instruments à l’examen, la commission estime nécessaire de faire quelques remarques préliminaires concernant la spécificité de la présente étude, le rôle de la commission à cet égard et la manière dont elle entend mener à bien son mandat. Le sujet de la présente étude est controversé. Alors que la question de la réglementation de l’accès des femmes au travail de nuit a toujours prêté à controverse, elle a donné lieu au cours des vingt-cinq dernières années à un débat d’une grande intensité dans la mesure où, pour beaucoup, cette réglementation a fini par symboliser l’un des derniers obstacles législatifs à la réalisation de l’objectif de pleine égalité de traitement dans l’emploi pour les hommes et les femmes. De l’avis d’un grand nombre de gouvernements, d’institutions et de groupes de pression, il y a une contradiction fondamentale entre la volonté de prévoir un traitement différent uniquement pour des motifs de sexe pour les travailleuses et l’objectif d’égalité de chances et de traitement pour tous les travailleurs. En fait, les éléments abondent pour corroborer, aux plans national et international, une nette tendance de la part des gouvernements à préférer l’égalité à la protection.
13. Ce débat a mis l’Organisation internationale du Travail dans une situation difficile. Même si son rôle de pionnier dans le domaine de la promotion de la femme et de l’égalité de ses droits est incontestable, sa réticence à renoncer à des instruments manifestement dépassés, comme certains qualifient les conventions concernant le travail de nuit des femmes, est perçue parfois comme perpétuant des acceptions traditionnelles et stéréotypées du rôle de la femme au travail et dans la société. L’Organisation internationale du Travail apparaîtrait à beaucoup comme le seul organisme qui «résiste» au gender mainstreaming[8] si elle conservait parmi ses normes des dispositions interdisant l’accès des femmes à certains emplois.
14. Comme on peut le lire dans l’analyse détaillée ci-après, le Bureau s’est efforcé en maintes occasions au cours des quinze dernières années d’évaluer la volonté de ses mandants d’abandonner leur législation de protection des femmes contre le travail de nuit et de trouver les meilleures possibilités d’action future sur les questions touchant à la réglementation du travail de nuit. Ces efforts se sont toutefois avérés non concluants. En 1984, le Bureau a émis un avis juridique appelant les Etats Membres à examiner leur législation protectrice de manière à tenir compte de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). Il a souligné également que les Etats Membres pourraient être amenés, après cet examen, à dénoncer en temps voulu les conventions pertinentes de l’OIT[9]. En 1985, par une résolution sur l’égalité de chances et de traitement entre les travailleurs et les travailleuses en matière d’emploi, la Conférence a appelé les Etats Membres à «revoir toute la législation protectrice s’appliquant aux femmes compte tenu des connaissances scientifiques mises à jour et des modifications techniques» afin de s’assurer que les lois nationales sont conformes aux normes internationales[10]. En 1986, la commission, dans un commentaire figurant dans son rapport général sur l’application des conventions concernant le travail de nuit des femmes, disait qu’au vu des difficultés croissantes qu’elle avait pu constater dans l’application des normes existant en la matière elle appelait l’attention du Conseil d’administration sur l’importance que revêt la recherche d’une solution rapide de ces difficultés[11]. En 1989, la Réunion d’experts sur les mesures spéciales de protection pour les femmes et l’égalité de chances et de traitement a décidé que la tâche de l’Organisation était d’aider les Etats Membres à revoir leur législation protectrice[12]. En 1990, la Conférence internationale du Travail a adopté un Protocole qui représente une révision substantielle de la convention nº 89 sans toutefois abroger l’interdiction du travail de nuit pour les femmes dans l’industrie. A cette même session, elle a adopté la convention (nº 171) sur le travail de nuit, 1990, qui préconise la protection des travailleurs de nuit, hommes et femmes. Quelques années plus tard, le Conseil d’administration a décidé de promouvoir la ratification de la convention nº 89 et du Protocole y relatif tout en qualifiant de dépassées les conventions nos 4 et 41 et en invitant les Etats parties à envisager de les dénoncer. Enfin, il est à souligner que depuis son adoption, en 1990, le Protocole relatif à la convention sur le travail de nuit (femmes) (révisée) n’a recueilli que trois ratifications alors que, dans le même temps, la convention nº 89 a été dénoncée par neuf pays. Cela doit nous sensibiliser au fait que les conventions internationales du travail sur le travail de nuit des femmes figurent parmi les instruments de l’OIT les plus largement dénoncés.
15. Dans ces conditions, et compte tenu des conclusions du Groupe de travail sur la politique de révision des normes, la commission considère que la présente étude revêt une importance particulière. En examinant la législation et la pratique nationales concernant le travail de nuit des femmes dans l’industrie, la commission est appelée à donner un avis sur la question, non résolue à ce jour, de savoir si les instruments de l’OIT traitant de ce sujet sont toujours valables et répondent aux besoins actuels. La commission se félicite de l’opportunité que lui offre cette étude d’examiner et de proposer une orientation en vue de la résolution de cette question toujours en suspens, qui est à la fois pertinente et importante au regard de la mondialisation qui ne cesse de s’étendre et compte tenu de la reconnaissance et de l’acceptation de plus en plus larges du principe d’égalité des sexes.
16. La convention nº 4 est entrée en vigueur le 13 juin 1921. Au 1er septembre 2000, elle avait été ratifiée par 59 Etats Membres et dénoncée par 29 Etats Membres[13]. Parmi les Etats pour lesquels la convention nº 4 est toujours en vigueur, 22 sont également parties aux conventions portant révision nº 41 et nº 89[14]. Parmi les ratifications les plus récentes figurent celles de l’Angola, du Bangladesh et de la Guinée-Bissau, enregistrées en 1976, 1972 et 1977, respectivement. Bien qu’elle ait été révisée, cette convention n’a pas été fermée à de nouvelles ratifications. Cela tient au fait qu’elle a été adoptée avant l’incorporation des dispositions finales types prévoyant qu’une convention cessera d’être ouverte à de nouvelles ratifications à partir de l’entrée en vigueur d’une nouvelle convention portant révision de ladite convention. Parmi les Etats ayant dénoncé la convention nº 4, 21 ont ratifié par la suite les conventions nº 41 et/ou nº 89. Parmi les dénonciations les plus récentes figurent celles de l’Argentine, du Pérou et du Portugal, enregistrées en 1992, 1997 et 1993, respectivement. Quant aux raisons invoquées pour la dénonciation, le Pérou s’est appuyé sur la disposition de sa Constitution qui interdit la discrimination fondée sur l’origine, la race, le sexe, la langue, la religion, l’opinion, la situation économique ou sur tout autre motif; le Portugal a fait valoir la nécessité d’harmoniser la législation nationale avec le droit de la Communauté européenne, et l’Argentine a indiqué que la limitation des horaires de travail pour les femmes est devenue un véritable obstacle à leur intégration réelle sur le marché du travail. Enfin, trois Etats (Cuba, Espagne, Italie) sont dans une position plutôt singulière puisqu’ils ont dénoncé la convention nº 89, mais pas la convention nº 4, en sorte qu’ils sont encore liés par les dispositions de l’ancien instrument.
17. La convention nº 41 est entrée en vigueur le 22 novembre 1936. Au 8 décembre 2000, elle avait été ratifiée par 38 Etats Membres et dénoncée par 22 Etats Membres[15]. A la suite de l’entrée en vigueur de la convention nº 89 en 1951, la convention nº 41 a été fermée à toute nouvelle ratification. Il convient cependant de faire remarquer que la plupart des ratifications existantes de la convention nº 41, qui remontent à 1960, sont en fait des déclarations de maintien en application de ladite convention, faites par des Etats nouvellement indépendants vis-à-vis desquels la convention était déjà en vigueur avant leur accession à l’indépendance. La dernière ratification en date fut celle du Suriname, enregistrée en 1976. A ce jour, il y a eu 18 dénonciations «automatiques» comme suite à la ratification de la convention nº 89 (portant révision). Parmi les quatre dénonciations «pures» de la convention nº 41, le Pérou a invoqué en 1997 la disposition de sa Constitution qui reconnaît l’égalité en droit à tous les citoyens et interdit la discrimination fondée sur le sexe; la Hongrie, pour sa part, a considéré en 1977 que l’exclusion des femmes du travail de nuit était discriminatoire, notamment en ce qui concerne les niveaux de salaire et la promotion professionnelle.
18. La convention nº 89 est entrée en vigueur le 27 février 1951. Au 8 décembre 2000, elle avait été ratifiée par 65 Etats Membres et dénoncée par 15 Etats Membres[16]. Parmi les ratifications les plus récentes figurent celles de la Bosnie-Herzégovine, de la Slovaquie et de la République tchèque, toutes enregistrées en 1993. Quant aux dénonciations, neuf ont été enregistrées pendant la période 1991-92, la plupart par des Etats membres de l’Union européenne, suite à l’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire Stoeckel, qui a jugé l’interdiction du travail de nuit pour les femmes incompatible avec la Directive 76/207/CEE du Conseil relative à l’égalité de traitement. Il convient de noter que, à l’exception du gouvernement suisse, qui a invoqué la nécessité économique, et du gouvernement cubain, qui n’a fourni aucune explication pour motiver sa dénonciation, tous les autres Etats membres ont justifié leur décision en indiquant que le maintien de l’interdiction du travail de nuit pour les femmes dans l’industrie constituait une discrimination inadmissible à l’égard des travailleuses et que le souci de protection qui a inspiré à l’origine la convention était désormais dénué de fondement. En ce qui concerne le Protocole de 1990 relatif à la convention nº 89, il a recueilli à ce jour trois ratifications[17]. L’annexe I de la présente étude contient une information détaillée sur l’état de situation concernant la ratification/dénonciation des instruments à l’examen.
19. Aux fins de la présente étude, la commission s’est appuyée sur les informations communiquées en vertu de l’article 19 de la Constitution de l’OIT par 109 Etats, concernant leur situation en droit et en pratique par rapport aux questions traitées dans les conventions nos 4, 41 et 89 et dans le Protocole de 1990 relatif à la convention nº 89. La commission s’est aussi appuyée sur les rapports soumis en vertu des articles 22 et 35 de la Constitution par les Etats Membres qui ont ratifié une ou plusieurs des conventions à l’examen. Enfin, la commission a tenu compte des observations et commentaires soumis par les organisations d’employeurs et de travailleurs sur l’application, dans leurs pays, des différentes dispositions des conventions et du Protocole[18].
20. La commission se félicite du grand nombre de gouvernements qui ont communiqué des rapports sur ces instruments: sur les 173 Etats Membres concernés, 109 ont présenté des rapports. Cependant, la commission est quelque peu préoccupée par le fait que l’information contenue dans les rapports reçus est souvent sommaire et incomplète. Dans certains cas, les rapports ne contenaient que de simples références à des dispositions législatives, sans aucune information sur l’application pratique des conventions à l’examen, et dans certains autres cas les Membres qui ne sont plus liés par aucun des instruments examinés ici ont jugé inutile de faire rapport sur leur droit et leurs pratiques concernant la réglementation du travail nocturne. La commission rappelle que la présentation de rapports périodiques et complets est une obligation découlant de la qualité de Membre, indispensable au bon fonctionnement des organes de contrôle de l’Organisation. La commission déplore aussi le faible nombre d’organisations de travailleurs et d’employeurs à avoir saisi l’occasion offerte par l’article 23 de la Constitution de l’OIT pour exprimer leur point de vue sur l’application concrète des lois et réglementations nationales traitant de la question qui constitue le sujet de la présente étude. La commission rappelle qu’il ne lui sera possible d’accomplir utilement son mandat que dans la mesure où elle peut s’appuyer sur une information complète et compter sur la coopération active non seulement des gouvernements, mais aussi des partenaires sociaux.
21. L’étude d’ensemble est divisée en cinq chapitres. Le premier chapitre décrit le contexte factuel dans lequel les normes énoncées dans les conventions à l’examen sont censées fonctionner. Le chapitre 2 présente l’historique des normes et examine leur raison d’être et leur champ d’application. Le chapitre 3 contient une compilation des lois et règlements nationaux ayant trait au travail de nuit et à la main-d’œuvre féminine, et tente de déterminer si les pratiques et tendances existantes sont conformes aux normes inscrites dans les conventions à l’examen. Le chapitre 4 traite de la validité des normes relatives au travail de nuit des femmes à la lumière de la controverse concernant leur compatibilité avec le principe de la non-discrimination et de l’égalité entre hommes et femmes. Le chapitre 5 contient les observations de la commission quant aux perspectives de ratification des quatre instruments à l’examen. Dans la partie finale de l’étude, la commission livre certaines réflexions sur les forces et faiblesses et sur la valeur actuelle des instruments de l’OIT concernant le travail de nuit des femmes occupées dans l’industrie.
[1] Voir document GB.273/205, paragr. 24.
[2] Le mandat du groupe de travail est joint en annexe au document GB.267/LILS/WP/PRS/2.
[3] Voir document GB.265/LILS/WP/PRS/1, p. 15.
[4] Voir documents GB.265/LILS/5, paragr. 39, et GB.265/8/2, paragr. 24.
[5] Voir documents GB.267/LILS/4/2 (révisé), paragr. 47-49, et GB.267/9/2, paragr. 14.
[6] Voir document GB.270/LILS/WP/PRS/1/1, annexe I, paragr. 21.
[7] A la suite de la décision du Conseil d’administration d’attirer l’attention des Etats parties à la convention no 4 qui ont aussi ratifié la convention no 41 ou la convention no 89 sur la possibilité de ratifier, selon le cas, la convention no 89 et/ou le Protocole y relatif et de dénoncer à cette occasion la convention no 4, le gouvernement du Burundi a fait part de son intention de ratifier le Protocole de 1990 et de dénoncer la convention no 4; voir document GB.270/LILS/WP/PRS/1/1, paragr. 33.
[8] Selon l’ECOSOC, la définition du gender mainstreaming vise à intégrer une démarche d’équité entre les sexes, évaluer les incidences pour les femmes et pour les hommes de toute action envisagée, notamment dans la législation, les politiques ou les programmes, dans tous les secteurs et à tous les niveaux. Il s’agit d’une stratégie visant à incorporer les préoccupations et les expériences des femmes aussi bien que celles des hommes dans l’élaboration, la mise en œuvre, la surveillance et l’évaluation des politiques et des programmes dans tous les domaines – politique, économique et social – de manière que les femmes et les hommes bénéficient d’avantages égaux et que l’inégalité ne puisse se perpétuer. Le but ultime est d’atteindre l’égalité entre les sexes. Voir document des Nations Unies A/52/3 du 18 septembre 1997, chap. IV, section A, paragr. 4.
[9] Voir document GB.228/24/1, paragr. 17.
[10] Voir CIT, 71e session, 1985, Compte rendu des travaux, p. LXXXI.
[11] Voir CIT, 72e session, 1986, rapport III (partie 4A), p. 27.
[12] Voir les Mesures spéciales de protection pour les femmes et l’égalité de chances et de traitement, documents de la Réunion d’experts sur les mesures spéciales de protection pour les femmes et l’égalité de chances et de traitement, MEPMW/1989/7, p. 91.
[13] Les trente Etats Membres suivants sont toujours liés par la convention no 4: Afghanistan, Angola, Autriche, Bangladesh, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, République centrafricaine, Colombie, Côte d’Ivoire, Cuba, Espagne, Gabon, Guinée-Bissau, Inde, Italie, République démocratique populaire lao, Lituanie, Madagascar, Mali, Maroc, Nicaragua, Niger, Pakistan, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal, Tchad et Togo. A ce jour, la convention a été dénoncée par les Etats suivants: Afrique du Sud, Albanie, Argentine, Belgique, Brésil, Bulgarie, Cameroun, Chili, Congo, France, Grèce, Guinée, Hongrie, Irlande, Luxembourg, Malte, Mauritanie, Myanmar, Pays-Bas, Pérou, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Sri Lanka, Suisse, Tunisie, Uruguay, Venezuela et Yougoslavie (ceci se réfère à l’Ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie. Le gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie, devenu Membre de l’OIT le 24 novembre 2000, n’a pas encore communiqué sa décision à l’égard des conventions précédemment ratifiées par l’Ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie. Depuis que la République fédérale de Yougoslavie est Membre de l’OIT, l’Ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie a été enlevée de la liste des Etats Membres de l’OIT).
[14] A ce jour, les douze Etats Membres suivants sont liés par les conventions nos 4 et 41: Afghanistan, Bénin, Burkina Faso, République centrafricaine, Côte d’Ivoire, Gabon, Madagascar, Mali, Maroc, Niger, Tchad et Togo. Par ailleurs, les dix Etats Membres suivants sont encore liés par les conventions nos 4 et 89: Angola, Autriche, Bangladesh, Burundi, Guinée-Bissau, Inde, Pakistan, République démocratique du Congo, Rwanda et Sénégal. Les huit Etats Membres suivants ne sont liés que par la convention no 4: Cambodge, Colombie, Cuba, Espagne, Italie, République démocratique populaire lao, Lituanie et Nicaragua.
[15] Les seize Etats Membres suivants sont encore liés par la convention no 41: Afghanistan, Argentine, Bénin, Burkina Faso, République centrafricaine, Côte d’Ivoire, Estonie, Gabon, Madagascar, Mali, Maroc, Niger, Suriname, Tchad, Togo et Venezuela. A ce jour, la convention a été dénoncée par les Etats suivants: Afrique du Sud, Belgique, Brésil, Congo, Egypte, France, Grèce, Guinée, Hongrie, Inde, Iraq, Irlande, Mauritanie, Myanmar, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Pays-Bas, Pérou, Royaume-Uni, Sénégal, Sri Lanka et Suisse.
[16] Les cinquante Etats Membres suivants sont encore liés par la convention no 89: Afrique du Sud, Algérie, Angola, Arabie saoudite, Autriche, Bahreïn, Bangladesh, Belize, Bolivie, Bosnie-Herzégovine, Brésil, Burundi, Cameroun, Chypre, Comores, Congo, Costa Rica, Djibouti, République dominicaine, Egypte, Emirats arabes unis, Espagne, Ex-République yougoslave de Macédoine, Ghana, Guatemala, Guinée-Bissau, Inde, Iraq, Jamahiriya arabe libyenne, Kenya, Koweït, Liban, Malawi, Mauritanie, Pakistan, Panama, Paraguay, Philippines, République démocratique du Congo, Roumanie, Rwanda, Sénégal, Slovaquie, Slovénie, Sri Lanka, Swaziland, République arabe syrienne, République tchèque, Tunisie, Yougoslavie (voir note de bas de page no 12)et Zambie. A ce jour, la convention a été dénoncée par les Etats suivants: Belgique, Cuba, Espagne, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Malte, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Portugal, Sri Lanka, Suisse et Uruguay.
[17] Chypre, République tchèque et Tunisie. Aux termes de l’article 4 du Protocole, un Membre peut ratifier le Protocole en même temps qu’il ratifie la convention ou à tout moment après la ratification de la convention. Cependant, un Membre ne peut pas uniquement ratifier le Protocole sans avoir ratifié la convention no 89. Cette ratification prendra effet douze mois après la date où elle aura été enregistrée.
[18] Autriche: Chambre fédérale du travail; Barbade: Syndicat des travailleurs de la Barbade (BWU); Brésil: Confédération nationale du transport (CNT), Confédération générale des travailleurs; Canada: Conseil canadien des employeurs; République de Corée: Confédération coréenne des syndicats (KCTU), Fédération des syndicats, Fédération des employeurs de Corée (KEF); Finlande: Organisation centrale des syndicats finlandais (SAK); Maurice: Fédération des employeurs de Maurice (MEF); Mexique: Confédération des travailleurs du Mexique (CTM); Namibie: Fédération des employeurs de Namibie (NEF); Nouvelle-Zélande: Conseil des syndicats de Nouvelle-Zélande (CTU), Fédération des employeurs de Nouvelle-Zélande; Portugal: Confédération générale des travailleurs portugais; Sri Lanka: Fédération des employeurs de Ceylan, Syndicat des travailleurs de Lanka Jathika (LJEWU); Turquie: Confédération des associations d’employeurs de Turquie (TISK), Confédération des syndicats d’ouvriers de Turquie (TÜRK-ÍS).
Mise à jour par HK. Approuvée par RH. Dernière modification: 18 juin 2001.