Anatomie d’une interdiction: normes de l’OIT relatives
au travail de nuit des femmes occupées dans l’industrie
33. Les instruments les plus modernes traitant spécifiquement du travail de nuit des femmes dans l’industrie sont la convention (nº 89) sur le travail de nuit (femmes) (révisée), 1948, et le Protocole de 1990 y relatif; cette convention a révisé la convention nº 41 de 1934, qui est elle-même une version révisée de la convention nº 4 de 1919. Les trois révisions ont eu pour objet d’assouplir les normes relatives au travail de nuit des femmes. Comme relevé précédemment, la convention no 171 fixe les normes de protection pour tous les travailleurs de nuit mais elle sort du cadre de la présente étude.
1. Les origines: la Convention de Berne de 1906
34. La réglementation internationale du travail de nuit trouve son origine dans des initiatives privées, notamment celle de Robert Owen (1818) ou de Daniel Le Grand (1840). L’un et l’autre préconisaient une réglementation internationale de la journée de travail et une protection internationale de la main-d’œuvre. La première Internationale socialiste, qui s’est tenue au Congrès de Genève en 1866, a adopté une résolution contre le travail de nuit des femmes, et la réunion tenue à Vienne en 1887 par le Congrès international de l’hygiène et de la démographie a approuvé une résolution à l’effet que «la limitation des horaires de travail et surtout l’interdiction du travail de nuit doivent être exigées dans l’intérêt de la santé et au nom de la morale»[1]. Les protestations grandissantes de la classe ouvrière et de son mouvement, qui réclamaient une action internationale sur les questions sociales, ont finalement abouti à la Conférence internationale du travail de Berlin, convoquée en 1890 à l’initiative de l’empereur allemand Guillaume II. Malgré son ambitieux programme, la Conférence n’a adopté qu’une série de résolutions, dont une contre le travail de nuit des femmes.
35. Cependant, les travaux préparatoires pour l’élaboration du premier instrument international ayant force obligatoire, interdisant le travail de nuit des femmes occupées dans l’industrie, ont été réalisés par l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs, fondée à Paris en 1900. A son assemblée constituante, réunie à Bâle en 1901, l’association a chargé le Bureau international du Travail[2] d’entreprendre une étude sur l’état et les effets actuels du travail de nuit des femmes dans les divers pays et sur les résultats obtenus dans les branches où il avait été supprimé[3]. Deux années plus tard, en 1903, l’association a demandé au gouvernement suisse de prendre des mesures en vue de convoquer une conférence internationale visant à parvenir à un accord et à adopter des règles uniformes sur les deux premiers sujets que l’on jugeait se prêter le mieux à une réglementation internationale, à savoir l’interdiction du travail de nuit dans l’industrie et de l’utilisation de phosphore blanc dans la fabrication d’allumettes. Ces deux sujets ont été retenus, semble-t-il, pour des raisons à la fois pratiques et politiques. Le principe de l’interdiction du travail de nuit pour les femmes a été consacré dans la législation nationale de la plupart des pays européens, en sorte que l’acceptation d’une convention internationale sur la question n’allait guère poser de difficultés[4]. Comme l’a précisé Raoul Jay, cette question a été choisie comme «l’un des problèmes du travail les plus urgents, les plus importants et les plus faciles à résoudre», suffisamment mûrs pour être réglés[5]. Cependant, le vrai motif derrière l’interdiction du travail de nuit des femmes était le désir de niveler les coûts de production et d’uniformiser les conditions de la concurrence industrielle entre les Etats en amenant ceux qui n’avaient pas encore interdit le travail de nuit des femmes à promulguer une législation à cet effet. On sait, par exemple, que sur les questions touchant au travail de nuit des femmes, la Belgique était en retard sur les pays voisins, la France et l’Allemagne, et que ces deux pays avaient un intérêt bien compris à égaliser les conditions entre les usines belges et leurs propres usines[6]. Selon un mémorandum élaboré par l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs, une convention internationale interdisant le travail de nuit des femmes, sans considération de l’âge, devait assurer une protection à 350 000 travailleuses dans les pays où une interdiction du travail de nuit existait déjà mais n’était appliquée qu’aux jeunes (par exemple, l’Espagne a interdit le travail de nuit des femmes uniquement pour les moins de 14 ans; le Luxembourg et la Hongrie pour les moins de 16 ans; le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède pour les moins de 18 ans; le Portugal et la Belgique pour les moins de 21 ans). Par ailleurs, on a estimé que pas moins d’un million de travailleuses seraient concernées si l’on tenait compte des pays n’appliquant aucune limitation au travail de nuit, tels le Japon, et, dans une certaine mesure, les Etats-Unis[7].
36. L’interdiction du travail de nuit pour les femmes a été justifiée en tant que mesure de santé publique visant à réduire le taux de mortalité féminine et infantile et à améliorer le bien-être physique et moral des femmes grâce à une nuit de repos plus longue, lui permettant de s’acquitter plus aisément de ses tâches ménagères[8]. Des considérations humanitaires ont été invoquées pour appuyer la nécessité de protéger les femmes contre l’exploitation et des conditions de travail intolérables[9]. Sur la base d’études médicales et de données statistiques, une corrélation a été établie entre le travail de nuit des femmes occupées dans l’industrie et différentes pathologies, d’une part, et une prédisposition générale à l’anémie et à la tuberculose, d’autre part, ayant pour causes le fait d’être privé de la lumière du jour, la malnutrition, l’inhalation de gaz, une mauvaise ventilation ou l’exposition à des températures extrêmes, à l’humidité, etc.[10]. Le travail de nuit était considéré comme immoral et antisocial parce qu’il perturbait la vie de famille et poussait souvent les travailleurs à l’alcoolisme. La nécessité économique de la production industrielle pendant la nuit a également été remise en cause; dans la plupart des cas, le travail de nuit a été introduit par crainte de la concurrence, conduisant inévitablement à la surproduction et donc au chômage[11].
37. Les travaux de la Conférence de Berne ont été menés en deux étapes. A la suite d’une réunion technique d’experts, tenue en 1905, une série de projets de dispositions a été adoptée qui allait servir de base au texte des deux conventions internationales, finalisées et officiellement adoptées une année plus tard lors d’une conférence diplomatique[12]. Dans son article premier, le projet d’accord sur le travail de nuit des femmes a introduit une interdiction de grande portée du travail de nuit dans l’industrie, pour toutes les femmes, sans exception. L’interdiction prévue dans ce projet d’article visait toutes les entreprises industrielles comptant plus de dix employés, l’utilisation de machines commandées par moteur n’étant plus considérée comme un critère valable pour distinguer les petites entreprises et les entreprises familiales des grandes entreprises. Aux termes du projet de texte, devaient être considérés comme «établissements industriels» les mines, les carrières et les fabriques, à l’exclusion des exploitations strictement agricoles ou commerciales. Cependant, la délimitation plus spécifique de ces catégories était laissée aux soins du législateur de chaque Etat. Le deuxième article fixait la notion légale de repos nocturne pour les femmes, dont la durée devait être de onze heures, comprenant en tout cas l’intervalle entre 10 heures du soir et 5 heures du matin. Cette définition souple du terme «nuit» était véritablement innovante et visait à rendre l’accord acceptable pour tous les pays, indépendamment de leurs conditions climatiques. Dans les autres articles, le projet d’accord prévoyait plusieurs dérogations à l’interdiction du travail de nuit des femmes. Quant aux signataires qui ne disposaient pas d’une législation nationale régissant le travail de nuit des femmes adultes, le repos nocturne pouvait être limité à dix heures pendant une période de transition de trois ans. En outre, l’interdiction ne devait pas être applicable dans les cas d’extrême nécessité, lorsqu’il s’agissait d’empêcher la perte de denrées périssables et, pour certaines industries soumises à l’influence des saisons, la durée de la période de repos nocturne pouvait être réduite à dix heures pendant 60 jours par an. En outre, un délai de grâce de dix ans a été accordé aux industries susceptibles d’être particulièrement touchées par l’application de cette interdiction, notamment les usines belges de peignage de la laine et de tissage de Verviers, qui employaient à l’époque 1 300 femmes. A la Conférence diplomatique de 1906, il a été décidé que la Convention sur l’interdiction du travail de nuit des femmes serait applicable pendant une première période de dix ans et que, à l’expiration de ce délai, elle pourrait être dénoncée d’année en année. Enfin, la convention se voulait «traité ouvert», permettant à des pays non signataires d’y adhérer en déposant un instrument à cet effet auprès du gouvernement suisse.
38. La signature de la première convention internationale du travail a été saluée comme un événement historique et comme l’«une des pages les plus glorieuses de l’histoire sociale des nations»[13]. Son importance tient essentiellement au fait que, pour la première fois, le droit international et la diplomatie ne cherchaient pas à régler des questions liées à la guerre et au commerce mais portaient principalement sur les conditions de travail et le bien-être humain. Toutefois, il est intéressant de noter que déjà, lors de la Conférence de Berne, des voix s’élevaient pour remettre en question, en invoquant la discrimination sexuelle, l’acceptabilité d’un accord international limitant l’accès des femmes au travail de nuit; par exemple, la ratification de la Convention de Berne de 1906 a été rejetée la première fois qu’elle a été soumise au Parlement suédois; le Danemark, qui avait assorti sa signature de réserves, n’a jamais ratifié la convention en raison de l’opposition des mouvements de femmes[14].
39. Cette convention, appelée «article premier du Code international du travail», est entrée en vigueur en janvier 1912, et au moment de la Conférence de Washington 11 Etats étaient liés par ses dispositions (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas, Portugal, Suède et Suisse). Suite à la ratification, même des pays qui avaient aboli auparavant le travail de nuit des femmes ont introduit des changements de manière à aligner pleinement leur législation sur les dispositions de la convention. Les Pays-Bas et l’Allemagne, par exemple, ont allongé d’une heure la période de repos nocturne et demandé pour la première fois onze heures de repos ininterrompu. La France a limité la pratique habituelle des «veillées», ou des heures supplémentaires tardives, à un seul métier et fixé l’heure limite pour les heures supplémentaires à 10 heures du soir au lieu de 11 heures du soir. Même dans les pays qui ont réglementé pour la première fois le travail de nuit des femmes après l’adoption de la Convention de Berne, il y avait une tendance marquée à promulguer une législation progressive. La Belgique, par exemple, a modifié son ancienne législation à l’effet d’appliquer l’interdiction à toutes les entreprises industrielles, indépendamment de leur taille. La convention a aussi été rendue applicable dans de nombreuses colonies, possessions ou protectorats des Etats signataires, notamment l’Algérie, Ceylan, Madagascar, le Nigéria, la Nouvelle-Zélande etla Tunisie. Même si l’interdiction du travail de nuit pour les femmes ne semblait guère présenter d’intérêt pour ces territoires non industrialisés, l’extension de la protection était considérée comme étant de nature à prévenir des abus dans le monde du travail[15].
2. La
Conférence de Washington de 1919
et la convention
nº 4 de l’OIT
40. Aux termes de l’article 424 du Traité de Versailles du 28 juin 1919, la première réunion de la Conférence internationale du Travail devait avoir lieu en octobre 1919, et, selon une annexe à la Partie XIII de ce Traité, la Conférence devait se tenir à Washington et son ordre du jour inclure les points suivants: «4. 3) Emploi des femmes: […] 3) b) Pendant la nuit; […] 5) Extension et application des conventions internationales adoptées à Berne en 1906 sur l’interdiction du travail de nuit des femmes employées dans l’industrie et l’interdiction de l’emploi du phosphore blanc dans l’industrie des allumettes». Bien que l’intention initiale fût de procéder à une révision officielle de la Convention de 1906, on a vite réalisé que, pour des raisons constitutionnelles et pratiques, un nouvel instrument concernant le travail de nuit des femmes devait être proposé en remplacement de la Convention de Berne[16]. Les principales dispositions de l’ancien texte sont restées inchangées; même si dans la plupart des pays les règlements interdisant le travail de nuit pour les femmes ont été assouplis pendant la première guerre mondiale pour permettre à la main-d’œuvre féminine de travailler, principalement dans les fabriques de munitions, on estimait que le principe de la restriction légale des horaires de nuit pour les femmes dans l’industrie était encore largement admis et devait être réaffirmé. Comme l’a fait remarquer à la Conférence le rapporteur de la Commission du travail des femmes sur la question du travail de nuit et sur l’extension et l’application de la Convention de Berne de 1906, «le point de vue que le travail de nuit des femmes n’est pas à désirer, et que son interdiction devrait être universelle, n’a pas été affaibli par l’expérience de la guerre, et il n’y a pas eu d’opposition, dans notre commission, à la demande d’adoption du principe affirmé dans la Convention de Berne»[17]. Ainsi, seules des modifications limitées y ont été apportées de manière à refléter l’évolution de l’industrie depuis l’adoption de la Convention de Berne et les conditions sociales des travailleurs résultant de la première guerre mondiale. La disposition contenue à l’article premier, en vertu de laquelle la convention ne s’appliquait qu’aux établissements industriels de plus de dix travailleurs a été jugée injustifiée et supprimée. Les dispositions spéciales de l’article 8, qui visaient exclusivement à protéger les intérêts de certains pays et à assurer la ratification, ont également été supprimées. La définition du terme «établissement industriel» a été remaniée et affinée par souci de cohérence avec d’autres projets de convention qui avaient été présentés à la Conférence. Enfin, de nouvelles dispositions relatives à la ratification, à la notification et à la dénonciation ont été insérées afin qu’elles servent de dispositions types pour les conventions futures.
41. En soumettant le projet de texte à la Conférence, la Commission du travail des femmes sur la question du travail de nuit a exprimé l’avis que la nouvelle convention «constituerait, en interdisant d’une manière plus complète et plus efficace le travail de nuit des femmes dans l’industrie, un progrès marqué de la protection de la santé des ouvrières, et, par cela même, de la santé de leurs enfants et de celle de l’ensemble de la population de chaque pays»[18]. Suivant en cela le Danemark et la Suède, qui s’étaient opposés à l’adoption de la Convention de Berne qu’ils jugeaient contraire au principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, la Norvège a formulé, à la Conférence de Washington, des réserves similaires à l’égard de la convention nº 4, son représentant indiquant: «je suis contre les lois protectrices spéciales pour les femmes, sauf pour les femmes enceintes et les femmes ayant des enfants de moins d’un an, car je crois que nous servons la cause d’une bonne législation du travail en préconisant l’interdiction pour tous du travail de nuit qui n’est pas strictement nécessaire»[19].
42. Le principe majeur de la convention nº 4 a été étendu aux femmes travaillant dans l’agriculture par une recommandation adoptée à la troisième session de la Conférence en 1921. Cette recommandation prévoit pour les femmes une période de repos d’au moins neuf heures par nuit. Elle prévoit aussi que la période de repos doit être compatible avec les besoins physiques des femmes et que les heures de repos doivent être autant que possible consécutives. Cette recommandation est nettement moins stricte que la convention de 1919, qui prévoit un repos nocturne de onze heures consécutives. Cette grande souplesse de cette recommandation s’explique essentiellement par la prise en compte du fait que le travail agricole est tributaire des conditions météorologiques et que, dans certains pays, il est impossible de travailler au milieu de la journée.
43. Moins de dix ans après son adoption, le principe codifié dans la Convention de Washington de 1919 avait été approuvé par 36 pays et son application était pratiquement universelle. Les nations qui avaient aboli le travail de nuit pour les femmes dans l’industrie couvraient l’ensemble du continent européen, à l’exception de l’Albanie et de la Turquie; l’Inde et le Japon en Asie; et en Afrique, l’Afrique du Sud ou des territoires comme l’Algérie, Tunis, l’Ouganda et le Nigéria du Nord. L’interdiction s’appliquait aussi aux dominions britanniques, à la Nouvelle-Zélande, à tous les Etats d’Australie et à toutes les provinces du Canada, sauf deux. En outre, elle s’est étendue à l’Argentine, à la Bolivie, au Brésil, au Chili et au Mexique; en Amérique centrale, le Costa Rica, El Salvador, le Guatemala, le Honduras et le Nicaragua avaient adopté un instrument régional comprenant l’interdiction du travail de nuit pour les femmes.
3. La révision partielle de 1934: la convention nº 41 de l’OIT
44. Dans son rapport de 1928 sur l’application de la convention nº 4, le gouvernement du Royaume-Uni, se référant à l’article 3 de la convention, a estimé que cette disposition devait avoir pour effet d’interdire à toutes les femmes l’accès à certains emplois nécessitant un travail en continu. A cet égard, le cas des femmes ingénieurs auxquelles il n’était pas permis d’occuper certains postes dans des entreprises d’énergie électrique au motif qu’il leur était interdit de travailler de nuit a été cité. Sur la base des observations du gouvernement britannique, le Conseil d’administration a décidé, en juin 1930, de mener des consultations avec d’autres gouvernements sur l’opportunité d’une révision de l’article 3 de la convention nº 4. Au terme de ces consultations, et malgré d’importantes divergences de vues exprimées sur le sens et la portée de l’interdiction prévue à l’article 3, le Conseil d’administration a décidé, en janvier 1931, d’inscrire à l’ordre du jour de la Conférence la révision de la convention par l’insertion d’une clause à l’effet que ses dispositions «ne sont pas applicables aux personnes occupant un poste de surveillance ou de direction». Un texte révisé de la convention a été examiné à la quinzième session de la Conférence en mai 1931, sans toutefois recueillir la majorité des deux tiers, nécessaire à son adoption.
45. A un niveau plus général, le principe même d’une protection spéciale accordée aux travailleuses a été critiqué par des organisations de femmes, qui le considéraient incompatible avec le principe de l’absolue égalité entre les hommes et les femmes. A son Congrès de Paris de 1926, par exemple, l’International Alliance of Women for Suffrage and Equal Citizenship a adopté une résolution à l’effet d’empêcher qu’une réglementation différente de celle applicable aux hommes soit imposée aux femmes[20]. Plusieurs spécialistes de droit international ont exprimé des positions dans ce sens. Blainey n’écrivait-il pas en 1928: «même si la travailleuse moyenne est jeune et que, de ce fait et eu égard à sa vulnérabilité et à l’absence d’organisation, elle a eu besoin dans le passé d’une protection particulière, il ne semble pas, dans les conditions actuelles, qu’une telle protection particulière soit encore nécessaire dans les mêmes proportions. Les enquêtes ne cessent de montrer que ce sont les enfants et les adolescents qui ont besoin de protection, alors que la femme adulte veut avoir la possibilité de montrer ce qu’elle sait faire, et surtout percevoir des salaires suffisants pour qu’elle puisse se maintenir en état de montrer ses compétences. Cette tendance à classer les femmes et les jeunes dans une même catégorie est donc une erreur. Si tant est qu’elle ait été justifiée par le passé, elle tend trop à ignorer des faits réels pour être encore valable aujourd’hui[21]». Cependant, le mouvement des femmes comptait dans ses rangs des femmes qui reconnaissaient l’utilité d’une législation protectrice spéciale pour les travailleuses. Réfutant les arguments avancés par une association appelée Open Door International, un auteur a estimé que sa «lutte contre les lois protectrices de la femme équivaut à torpiller un bateau de sauvetage. Les résultats acquis ont exigé de nombreuses années de luttes difficiles; les lois de protection en vigueur ne doivent pas être affaiblies, mais au contraire développées encore jusqu’à ce que l’ouvrière soit entièrement protégée, en tant que femme et en tant que mère[22]».
46. Au vu de la situation, le gouvernement britannique a proposé au Conseil d’administration qu’un avis consultatif soit demandé à la Cour permanente de justice internationale sur la question de savoir si la convention no 4 s’applique aux femmes employées dans les entreprises industrielles visées par la convention, qui occupent un poste de surveillance ou de direction et n’exécutent normalement aucun travail manuel. En l’occurrence, le Conseil d’administration a décidé de suivre cette voie et prié le Conseil de la Société des Nations, en avril 1932, de demander à la Cour un avis consultatif. La question à laquelle la Cour devait répondre était libellée comme suit: «la convention concernant le travail de nuit des femmes, adoptée en 1919 par la Conférence internationale du Travail, s’applique-t-elle, dans les établissements industriels visés par ladite convention, aux femmes qui occupent des postes de surveillance ou de direction et n’effectuent pas normalement un travail manuel?».
47. La Cour a répondu à cette question par l’affirmative en fondant son raisonnement essentiellement sur la signification naturelle et ordinaire des termes de la convention. Concrètement, la Cour a jugé que «le texte de l’article 3, considéré isolément, ne soulève par lui-même aucune difficulté; il est rédigé en termes généraux, exempts d’ambiguïté ou d’obscurité. Il interdit l’emploi des femmes, pendant la nuit, dans les établissements industriels, sans distinction d’âge. Par lui-même, il s’applique donc nécessairement aux femmes visées dans la question soumise à la Cour[23]». La Cour a également fait observer que si l’intention était d’exclure du champ d’application de la convention les femmes occupant un poste de surveillance ou de direction, une clause spécifique aurait dû être insérée à cet effet, comme dans le cas similaire de la convention (nº 1) sur la durée du travail (industrie), 1919, qui prévoit expressément à l’article 2 a) que «les dispositions de la présente convention ne sont pas applicables aux personnes occupant un poste de surveillance ou de direction ou un poste de confiance».
48. Par ailleurs, la Cour a examiné l’argument selon lequel la convention nº 4, en tant que convention du travail adoptée dans le cadre de la Partie XIII du Traité de Versailles, ne devait s’appliquer qu’aux travailleurs manuels, l’objectif principal de la dite Partie XIII (Travail) étant l’amélioration de la condition des travailleurs manuels. A cet égard, la Cour a noté qu’elle n’était pas «disposée à considérer le domaine d’activité de l’Organisation internationale du Travail comme si étroitement circonscrit, au point de vue des personnes dont elle avait à s’occuper, qu’il faille supposer qu’une convention du travail soit à interpréter comme se limitant, dans son application, aux travailleurs manuels, à moins que n’apparaisse une intention opposée»[24]. Répondant à un autre argument selon lequel au moment de l’adoption de la convention très peu de femmes occupaient en fait un poste de surveillance ou de direction dans des entreprises industrielles et que l’application de cet instrument aux femmes occupant un tel poste n’avait par conséquent jamais été envisagée, la Cour a fait remarquer que «le seul fait qu’au moment de la signature où la convention concernant le travail de nuit des femmes avait été conclue on n’aurait pas pensé à certains faits ou situations que les termes de la convention, selon leur sens normal, sont assez larges pour inclure, ne permet pas d’interpréter autrement que d’une manière conforme à leurs termes, les dispositions de cette convention qui ont une portée générale»[25].
49. A la suite de l’avis consultatif émis par la Cour permanente de justice internationale, confirmant le caractère global de l’interdiction du travail de nuit pour les femmes, telle qu’elle est énoncée à l’article 3 de la convention nº 4, le Conseil d’administration, après consultation des gouvernements, a inscrit à l’ordre du jour de la dix-huitième session la question de la révision de la convention sur deux points: premièrement, la non-applicabilité de cette interdiction du travail de nuit aux «personnes occupant un poste de direction impliquant une responsabilité et qui n’effectuent pas normalement un travail manuel», et, deuxièmement, la substitution, dans certains cas spécifiés, de la période comprise entre 10 heures du soir et 5 heures du matin par la période comprise entre 11 heures du soir et 6 heures du matin dans la définition du terme «nuit» utilisé dans la convention.
50. En ce qui concerne le premier point, la plupart des représentants gouvernementaux et les membres employeurs ont soutenu le projet du Bureau en faisant valoir que, à la suite de l’avis consultatif émis par la Cour permanente, mais aussi au vu du nombre croissant de femmes obtenant des diplômes universitaires ou recevant une formation professionnelle les qualifiant pour occuper des postes de direction, la révision de la convention était devenue encore plus nécessaire qu’avant. De l’avis du représentant du gouvernement danois, s’il était souhaitable d’interdire le travail de nuit, cette interdiction devait s’appliquer sans discrimination aux deux sexes. Un point de vue similaire a été exprimé par les membres travailleurs, selon lesquels les progrès de la législation sociale devraient aller dans le sens d’une interdiction complète du travail de nuit dans l’industrie pour les deux sexes[26].
51. Le second point concernait la définition de la période devant être considérée comme la nuit. Aux termes de l’article 2 de la convention nº 4, le terme «nuit» signifie «une période d’au moins onze heures consécutives, comprenant l’intervalle écoulé entre 10 heures du soir et 5 heures du matin». Le projet de révision inscrit à l’ordre du jour du Conseil d’administration proposait d’ajouter une disposition «prévoyant que l’autorité compétente pourra, en raison de circonstances exceptionnelles affectant les travailleurs d’une industrie ou d’une région déterminée et après consultation des organisations patronales et ouvrières intéressées, décider que pour ces ouvriers l’intervalle compris entre 11 heures du soir et 6 heures du matin sera substitué à l’intervalle entre 10 heures du soir et 5 heures du matin»[27]. Cette proposition, qui émanait du gouvernement belge, se référait aux travailleuses de l’industrie textile à Verviers, ces dernières préférant travailler tard le soir plutôt que de commencer tôt, à une heure où il n’y a pas de moyens de transport. La proposition arguait, en outre, du fait que plus de souplesse était requise pour faciliter l’application de la convention dans différents pays, sans toutefois toucher au principe de l’interdiction du travail de nuit en tant que tel ou à la durée globale de la période de nuit. Le problème des travailleurs vivant à une certaine distance de leur lieu de travail et pour lesquels il serait, de manière générale, impossible en raison des conditions de transport de commencer avant 6 heures dans l’équipe du matin d’une entreprise à deux équipes a aussi été soulevé par les gouvernements autrichien et finlandais en des termes presque identiques[28]. Plusieurs autres représentants gouvernementaux (Italie, Japon, Pologne) et les membres employeurs étaient également en faveur de l’amendement proposé. Seuls les membres travailleurs se sont opposés au projet du Bureau, considérant que les circonstances invoquées par le gouvernement belge ne présentaient qu’un caractère local et ne constituaient pas une raison suffisante pour modifier la convention internationale.
52. La Conférence a donc adopté la convention nº 41, qui révise la convention nº 4 sous les deux aspects suivants: premièrement, conformément à son article 2, paragraphe 2, «en cas de circonstances exceptionnelles affectant les travailleurs employés dans une industrie ou dans une région déterminée, l’autorité compétente pourra, après consultation des organisations patronales et ouvrières intéressées, décider que, pour les femmes occupées dans cette industrie ou dans cette région, l’intervalle entre 11 heures du soir et 6 heures du matin pourra être substitué à l’intervalle entre 10 heures du soir et 5 heures du matin». Deuxièmement, aux termes de l’article 8, «La présente convention ne s’applique pas aux femmes qui occupent des postes de direction impliquant une responsabilité et qui n’effectuent pas normalement un travail manuel.»
4. En quête de souplesse: la convention nº 89 de l’OIT
53. La question de la révision partielle des conventions nos 4 et 41 concernant le travail de nuit des femmes a été inscrite par le Conseil d’administration à l’ordre du jour de la 31e session de la Conférence sur la base d’un rapport décennal sur le fonctionnement de ces conventions, établi par le Bureau conformément à une décision prise par le Conseil d’administration en mars 1947. La révision proposée par le gouvernement britannique visait essentiellement à assouplir le terme «nuit» de manière à faciliter le fonctionnement du système de double journée par équipes en tant que caractéristique importante de l’économie de l’après-guerre de nombreux pays. L’amendement pouvait éventuellement consister également à élargir l’exception prévue pour les femmes occupant un poste de direction et à ajouter une disposition permettant de suspendre l’interdiction du travail de nuit pour les femmes lorsque, en raison de circonstances particulièrement graves, l’intérêt national l’exige.
54. Dans leurs observations sur la question de savoir s’il y avait lieu d’inscrire la révision des conventions nos 4 et 41 à l’ordre du jour de la Conférence, plusieurs gouvernements, dont le Canada, les Etats-Unis et la France, avaient fait remarquer que la tendance consistait alors à commencer le travail plus tard le matin (à 7 ou 8 heures) et à finir plus tard le soir (à 11 heures ou minuit)[29]. Les discussions à la Commission de la Conférence ont confirmé l’accord général de principe, à savoir que, dans la perspective d’éventuelles exceptions, il convenait d’assouplir davantage la convention et de sauvegarder le principe de consultation des organisations patronales et ouvrières. Le membre travailleur des Etats-Unis a indiqué que l’expérience avait montré dans certains pays comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis que, lorsqu’une travailleuse avait le choix entre commencer son travail tôt le matin ou finir tard le soir, elle préférait en général la seconde option pour des raisons liées au transport et aux possibilités de repas[30]. Cependant, quelques gouvernements, dont l’Argentine, l’Inde et l’Uruguay, ont exprimé leur mécontentement avec la révision proposée, estimant qu’elle abaissait le niveau de protection des femmes et ne tenait pas suffisamment compte des conditions sociales et économiques prévalant dans le monde non industrialisé[31]. La nouvelle convention, telle qu’elle a été finalement adoptée par la Conférence, prévoit une période de repos nocturne d’au moins onze heures consécutives comprises entre 10 heures du soir et 7 heures du matin. L’autorité compétente peut prescrire des intervalles différents pour différentes régions, industries, entreprises ou branches d’industrie ou d’entreprise, mais elle doit consulter les organisations d’employeurs et de travailleurs intéressées avant de déterminer un intervalle commençant après 11 heures du soir. Ainsi, tout en maintenant la durée du repos nocturne (onze heures) ainsi que celle de la période d’interdiction (sept heures), la convention offre plus de souplesse pour l’aménagement de la période d’interdiction.
55. Dans son nouvel article 5, la convention prévoit, en outre, la possibilité de suspendre l’interdiction du travail de nuit pour les femmes «lorsque, en raison de circonstances particulièrement graves, l’intérêt national l’exigera, […] après consultation des organisations d’employeurs et de travailleurs intéressées», étant bien entendu que des circonstances particulièrement graves ne peuvent être invoquées que dans des situations exceptionnelles, comme en temps de guerre, et qu’elles ne sauraient en aucun cas constituer une manœuvre pour doper les exportations. On a considéré que la clause de suspension avait son origine dans l’expérience de la seconde guerre mondiale, lorsque les interdictions concernant le travail de nuit des femmes avaient été assouplies dans plusieurs pays, aussi bien neutres que belligérants. La convention révisée prévoit que «cette suspension devra être notifiée au Directeur général du Bureau international du Travail par le gouvernement intéressé dans son rapport annuel sur l’application de la convention». Le champ d’application de la convention a aussi été révisé, l’article 8 disposant désormais que la convention ne s’applique pas aux femmes qui occupent des postes de direction ou de caractère technique et impliquant une responsabilité ni «aux femmes occupées dans les services de l’hygiène et du bien-être et qui n’effectuent pas normalement un travail manuel». Enfin, l’une des questions que la Conférence n’a pas réglées est celle qui consistait à réviser la définition des «entreprises industrielles» de manière à inclure l’industrie des transports dans la convention. Après de longues discussions, il a été décidé qu’on ne disposait pas d’informations suffisantes sur l’ampleur et la nature de l’emploi des femmes dans le secteur des transports, en sorte que la Conférence a adopté une résolution qui renvoyait la question au Conseil d’administration «pour examen et action appropriée»[32].
5. Concilier
une protection spéciale et l’égalité de traitement:
le Protocole de 1990 relatif à la convention
nº 89
56. La question d’une éventuelle révision de la convention nº 89, qui permettrait d’adapter la protection des travailleuses aux nouvelles conditions, a été soulevée pour la première fois en 1971. En fait, une proposition à cet effet à été présentée par le gouvernement suisse, qui a fait valoir que la convention no 89 «est dépassée aujourd’hui, ne serait-ce que parce qu’elle s’applique uniquement aux entreprises industrielles – comme toutes les précédentes –, alors qu’il n’existe aucun instrument parallèle prohibant le travail de nuit des femmes dans les industries non industrielles, exception faite de l’agriculture»[33]. Le gouvernement suisse a aussi fait remarquer qu’il existait aujourd’hui des travaux industriels pour lesquels «les femmes sont douées de meilleures aptitudes que les hommes, par exemple dans les industries textiles, électroniques et horlogères» et que, «sur le plan pratique, l’interdiction du travail de nuit peut conduire à des discriminations au désavantage des femmes». A la suite de la proposition suisse, le Conseil d’administration a demandé au Directeur général d’établir un rapport sur l’application de la convention en vue d’examiner en temps utile s’il convenait d’inscrire la question de la révision totale ou partielle de cette convention à l’ordre du jour d’une des prochaines sessions de la Conférence. Ce rapport, qui contenait une analyse comparative internationale passant en revue l’ampleur de l’application des dispositions des conventions nos 4, 41 et 89, concluait en ces termes: «la question de l’opportunité d’un réexamen des normes nationales et internationales concernant le travail des femmes pendant la nuit a donné lieu à des discussions très nourries, […] mais […] l’on n’a pas vu se dégager de conclusions ayant recueilli un accord général en ce qui concerne la solution à retenir. On trouve, d’un côté, les partisans d’une suppression générale de toutes les restrictions concernant l’emploi des femmes, y compris l’interdiction du travail de nuit, suppression considérée comme un moyen de faire disparaître les éléments qui font obstacle à l’égalité de chances en matière d’emploi. Dans d’autres milieux, une atténuation plus limitée des restrictions en vigueur semble considérée comme suffisante. Un autre système, déjà adopté dans plusieurs pays, consisterait à appliquer une réglementation générale du travail de nuit, qui soit applicable indifféremment aux travailleurs et aux travailleuses. Ce sont les syndicats qui se sont révélés les plus préoccupés des effets fâcheux sur le plan social que pourrait entraîner la modification des normes actuellement en vigueur[34]».
57. Le rapport a été communiqué par la suite à tous les membres pour commentaires, et les réponses reçues ont été soumises au Conseil d’administration à sa 191e session (novembre 1973)[35]. A la même session, le Conseil d’administration a demandé au Directeur général «d’explorer d’une manière plus exhaustive les diverses questions soulevées par les réponses reçues» de manière à permettre de formuler des propositions concernant des actions futures[36]. Le nouveau rapport, présenté au Conseil d’administration à sa 198e session (novembre 1975), a confirmé la grande diversité de points de vue des gouvernements et des organisations patronales et ouvrières quant aux mesures à prendre à l’égard de la convention nº 89, indiquant en conclusion que même «s’il y a un courant d’opinion en faveur d’une révision des normes existantes, on ne voit pas se dégager d’accord suffisamment large ni quant au sens, ni quant à la portée de cette révision, ni quant au champ d’application de nouvelles normes éventuelles, les avis exprimés se situant entre différents pôles»[37]. Au vu de la complexité de la question, il a été décidé de convoquer une Réunion consultative tripartite pour: a) examiner tous les aspects de la question du travail de nuit à la lumière des travaux déjà accomplis et des autres informations disponibles, et b) formuler des propositions concernant les mesures que l’OIT devrait prendre à l’avenir à cet égard.
58. La Réunion consultative tripartite sur le travail de nuit, qui s’est tenue en octobre 1978, n’a guère accompli de progrès, les points de vue exprimés par les participants, aussi bien employeurs que travailleurs, étant restés inconciliables, sans aucune possibilité de parvenir à l’unanimité sur l’adoption de nouvelles normes relatives au travail de nuit. Pour les participants travailleurs, il s’agissait moins de lever les restrictions existantes au nom de l’égalité entre les hommes et les femmes que d’étendre aux hommes cette protection dont bénéficiaient les femmes, et il fallait mener une politique active pour humaniser le travail de nuit lorsqu’il était indispensable. De leur côté, les participants employeurs se sont fermement opposés à l’idée d’une nouvelle action normative, insistant sur le fait que le travail de nuit demeurait, dans les pays industrialisés et dans les pays en développement, un instrument efficace pour promouvoir l’emploi, accroître la productivité des investissements en capitaux et accélérer la croissance économique. En ce qui concerne les participants gouvernementaux, leur majorité a exprimé sa préférence en faveur de l’adoption de nouvelles normes internationales sur le travail de nuit, bien qu’il y ait eu des divergences de vues sur leur forme et leur champ d’application[38].
59. En 1986, dans son rapport général sur l’application des conventions concernant le travail de nuit des femmes, la commission «a noté, chez un certain nombre de gouvernements, une tendance d’opinion selon laquelle l’interdiction du travail de nuit pour les femmes serait contraire à la doctrine actuelle concernant le rôle des femmes dans la société, et estimé que l’application des conventions en question mettait en difficulté un certain nombre de pays»[39]. Notant également que les conventions sur le travail de nuit des femmes font partie de celles ayant fait l’objet du plus grand nombre de dénonciations non suivies d’une ratification de l’instrument portant révision, la commission a attiré l’attention du Conseil d’administration sur la nécessité de trouver rapidement une solution. Le Conseil d’administration a décidé par la suite, en novembre 1987, d’inscrire à l’ordre du jour de la 76e session (1989) de la Conférence la question du travail de nuit en vue, d’une part, de réviser partiellement la convention nº 89 et, d’autre part, d’adopter de nouvelles normes pour le travail de nuit en général. L’interdiction du travail de nuit pour les femmes dans l’industrie est de plus en plus controversée en raison, notamment, de la prise de conscience de la difficulté de concilier une telle interdiction et le principe de l’égalité de traitement et de non-discrimination entre les hommes et les femmes en matière d’emploi.
60. De fait, depuis 1975, il y a eu un net revirement de tendance dans les activités normatives de l’OIT concernant les femmes, de la protection spéciale à la promotion de l’égalité. Les normes prévoyant des mesures protectrices spéciales pour des raisons non liées à la maternité ni à la fonction de reproduction des femmes ont fait l’objet d’un examen critique du fait qu’elles étaient de plus en plus considérées comme un obstacle à la pleine intégration des femmes dans la vie économique et comme un moyen de perpétuer les visions traditionnelles concernant le rôle et les aptitudes de la femme. La Déclaration sur l’égalité de chances et de traitement pour les travailleuses, par exemple, qui a été adoptée en 1975 par la Conférence internationale du Travail à l’occasion de l’Année internationale de la femme, demandait un tel examen. L’article 9 de la Déclaration, après avoir rappelé que la protection de la femme doit s’inscrire dans les efforts visant à assurer la promotion et l’amélioration continues des conditions de vie et de travail de tous les travailleurs, disposait que les femmes devaient être protégées «sur la même base et selon les mêmes normes de protection que les hommes»[40]. De même, la Résolution sur l’égalité de chances et de traitement entre les travailleurs et les travailleuses en matière d’emploi, adoptée par la Conférence de 1985, recommandait que toute la législation protectrice applicable aux femmes soit examinée à la lumière des nouvelles connaissances scientifiques et de l’évolution technique, et qu’elle soit révisée, complétée, élargie, maintenue ou abrogée en fonction des circonstances nationales. S’agissant des normes de l’OIT, elle demandait que les instruments protecteurs tels que la convention nº 89 soient examinés périodiquement de manière à déterminer si leurs dispositions étaient encore adéquates et appropriées au vu de l’expérience acquise depuis leur adoption, des informations scientifiques et techniques et du progrès social[41].
61. Après l’adoption de la résolution sur l’égalité de chances et de traitement entre les travailleurs et les travailleuses en matière d’emploi, le Conseil d’administration, à sa 242e session (mars 1989), a décidé de convoquer une Réunion d’experts sur les mesures spéciales de protection pour les femmes et l’égalité de chances et de traitement, d’examiner la situation et les tendances au niveau national en ce qui concerne les mesures de protection des travailleuses, d’évaluer ces mesures par rapport à l’objectif de promotion de l’égalité de chances et de traitement en matière d’emploi entre les travailleurs et les travailleuses, d’examiner les activités de l’OIT dans ce domaine et de faire des propositions sur les mesures à prendre à l’avenir. La réunion d’experts, qui s’est tenue en octobre 1989, a examiné toutes les normes de l’OIT visant soit à protéger les fonctions de reproduction et de maternité de la femme soit, de manière générale, à protéger la femme en tant que telle, sauf en ce qui concerne l’interdiction du travail de nuit pour les femmes, compte tenu des débats de la Conférence de juin 1989 sur la question d’une éventuelle révision de la convention nº 89. Le document technique soumis à la réunion d’experts pour servir de base à sa discussion définissait les mesures de protection de telle manière qu’elles englobaient «les lois et règlements relatifs aux conditions de travail, à la sécurité et à la santé au travail qui excluent les femmes de certaines professions ou activités sous prétexte de les protéger, ou prévoient qu’elles doivent bénéficier de conditions ou de services spéciaux non exigés pour les hommes», et spécifiait que «la politique de l’OIT en la matière consiste à rechercher un équilibre cohérent entre, d’une part, sa volonté d’instaurer l’égalité de chances et de traitement, comme en témoignent la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, ainsi que la résolution et la déclaration de 1975 et la résolution de 1985 et, d’autre part, son mandat de veiller à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, en tenant compte de la fonction de reproduction des hommes comme des femmes»[42].
62. En adoptant ses conclusions et ses recommandations, la réunion d’experts a insisté pour que chaque pays prenne des mesures aux fins de la révision de toute législation protectrice applicable aux femmes et que «l’OIT se doit de tenter d’établir une politique cohérente afin d’assurer aux femmes des chances égales en matière d’emploi sans que leurs conditions de travail en soient affectées de manière négative». Cependant, les experts ont averti que «l’examen des mesures de protection des femmes n’était qu’un moyen d’assurer l’égalité de chances et de traitement entre les travailleurs et les travailleuses en matière d’emploi». Ils ont également souligné que, en décidant soit d’abroger soit de réviser les mesures de protection, il fallait tenir compte des conditions de travail existantes, de l’existence d’une autorité efficace d’application, de la possibilité d’assurer une formation appropriée et de prendre des mesures de réglementation, ainsi que l’importance des modèles culturels et religieux. S’agissant de l’action future de l’OIT, la réunion a recommandé que «les instruments de protection de l’OIT devraient être réexaminés périodiquement afin de déterminer si leurs dispositions sont encore adéquates et appropriées au vu de l’expérience acquise, de l’information scientifique et technologique et des progrès sociaux réalisés depuis leur adoption»[43].
63. L’approche du Bureau consistait à proposer l’adoption d’un Protocole portant révision de la convention nº 89 en autorisant des dérogations à l’interdiction du travail de nuit et des modifications de la durée de la période de nuit par le biais d’accords entre employeurs et travailleurs. On espérait ainsi satisfaire les pays qui souhaitaient plus de flexibilité tout en permettant que la convention nº 89 recueille de nouvelles ratifications. Cependant, les discussions de la Conférence ont confirmé que la question de l’interdiction du travail de nuit pour les femmes divisait de plus en plus et était si controversée que l’idée d’une révision partielle de la convention nº 89 pouvait difficilement répondre aux attentes inconciliables des gouvernements et des organisations d’employeurs et de travailleurs. De nombreux membres gouvernementaux ont exprimé l’avis que la convention nº 89 était contraire au principe d’égalité entre les hommes et les femmes, que l’interdiction du travail de nuit ne pouvait que réduire les perspectives professionnelles et de carrière des femmes et que, par conséquent, elle constituait une violation de la convention nº 111 concernant la discrimination (emploi et profession). Annonçant leur intention de ne pas participer à la discussion de la Commission de la Conférence ni au vote pour l’adoption d’un Protocole, certains autres membres gouvernementaux ont déclaré que, à l’exception de la protection de la maternité, il n’y avait aucune raison d’appliquer un traitement différencié aux hommes et aux femmes. De l’avis des membres employeurs, la convention nº 89 ne se justifiait plus et devait donc être abrogée ou connaître un sort similaire; quant à l’interdiction du travail de nuit, ils estimaient qu’elle était intrinsèquement discriminatoire et constituait un obstacle au progrès économique et social. De l’autre côté, les membres travailleurs considéraient que les femmes avaient toujours besoin d’une protection dans la mesure où elles continuaient de souffrir de la discrimination et que, par conséquent, la convention nº 89 devait encore jouer un rôle important puisque les problèmes qui avaient motivé son adoption persistaient. A cet égard, il était nécessaire de rédiger le Protocole de manière à donner une nouvelle vigueur à la convention plutôt que d’en affaiblir la fonction protectrice. En ce qui concerne l’apparente contradiction entre la convention nº 89 et la convention nº 111, les membres travailleurs ont fait valoir que l’interdiction du travail de nuit contribuait à empêcher l’exploitation des femmes en tant que main-d’œuvre bon marché et à alléger le double fardeau que représentent leurs responsabilités professionnelles et familiales. Elle ne devrait donc être considérée comme discriminatoire que dans les quelques pays où le principe d’égalité de chances et de traitement était pleinement appliqué[44].
64. Après le Protocole relatif à la convention no 89, la Conférence est allée plus loin en adoptant une nouvelle convention no 171 concernant le travail de nuit et la recommandation no 178 tendant à élargir le champ d’application des mesures réglementaires aux deux sexes et à presque toutes les activités. Contrairement aux définitions traditionnelles du travail de nuit, liées à une durée minimum de l’horaire spécifique du travail de nuit, les nouvelles normes portent essentiellement sur les travailleurs de nuit dont le travail nocturne dépasse largement une limite spécifiée. Selon la convention no 171, la palette de mesures requises pour améliorer la qualité de la vie professionnelle des travailleurs de nuit porte notamment sur l’horaire de nuit réduit, les périodes de repos suffisantes, la sécurité et la santé au travail, y compris l’évaluation de la santé, les installations de premiers secours et un encadrement médical approprié, des services sociaux appropriés, le transfert au travail de nuit, la protection de la maternité et l’établissement concerté du plan des équipes. La nouvelle convention sur le travail de nuit s’applique à tous les travailleurs, hommes et femmes, à l’exception de ceux qui travaillent dans l’agriculture, l’élevage, la pêche, le transport maritime et la navigation intérieure. En déplaçant les centres d’intérêt d’une catégorie spécifique de travailleurs et d’un secteur donné d’activité économique pour intégrer la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs de nuit, indépendamment du sexe, dans toutes les branches et occupations, la convention no 171 visait à refléter l’évolution des opinions concernant les dangers du travail et une nouvelle approche souple des problèmes d’organisation du travail par équipes[45].
6. Les
normes de l’OIT relatives au travail de nuit
sous le feu de la critique: le rôle des Nations Unies
et de l’Union européenne
65. A cet égard, il convient de mentionner les actions d’organismes internationaux tels que les Nations Unies et l’Union européenne à l’appui de l’égalité de chances et de traitement entre les hommes et les femmes dans la mesure où cette action a influé de manière déterminante sur la loi et la pratique des Etats parties à la convention nº 89. Par sa résolution 2263 (XXII) en date du 7 novembre 1967, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Déclaration sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui énonce le principe selon lequel «la discrimination à l’égard des femmes, du fait qu’elle nie ou limite l’égalité des droits de la femme avec l’homme, est fondamentalement injuste et constitue une atteinte à la dignité humaine» (art. 1) et prie instamment les Etats d’«abolir les lois, coutumes, règlements et pratiques en vigueur qui constituent une discrimination à l’égard des femmes» (art. 2). La Déclaration réaffirmait également l’obligation d’assurer aux femmes le droit «à l’accès à la formation professionnelle, au travail, au libre choix de la profession et de l’emploi, et à la promotion dans l’emploi et la profession» (art. 10, paragr. 1 a)), tout en spécifiant que les «mesures qui seront prises pour protéger les femmes, dans le cas de certains types de travaux, pour des raisons inhérentes à leur constitution physique ne seront pas considérées comme discriminatoires» (art. 10, paragr, 3)[46].
66. La Charte sociale européenne, ouverte à la signature en octobre 1961 et entrée en vigueur en février 1965, définit les normes régissant les principaux droits de l’homme dans la vie du travail ainsi que la protection sociale et la protection de groupes particuliers comme les travailleuses. Faisant pendant à la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit les droits civils et politiques, la Charte garantit les droits économiques et sociaux. Elle prévoit 19 droits fondamentaux auxquels le Protocole additionnel de 1988, entré en vigueur en septembre 1992, en a ajouté quatre. L’article 8 de la Charte porte sur le droit des travailleuses à être protégées et se lit en partie comme suit: «En vue d’assurer l’exercice effectif du droit des travailleuses à la protection, les parties contractantes s’engagent: […] 4. a) à réglementer l’emploi de la main-d’œuvre féminine pour le travail de nuit des emplois industriels; b) à interdire tout emploi de la main-d’œuvre féminine à des travaux de sous-sol dans les mines et, s’il y a lieu, à tous travaux ne convenant pas à cette main-d’œuvre en raison de leur caractère dangereux, insalubre ou pénible[47]». Même si l’article 8, paragraphe 4 a), n’interdit pas officiellement le travail de nuit des femmes mais demande seulement aux Etats de le réglementer, il a été critiqué par certains qui le jugeaient discriminatoire compte tenu de la tendance de plus en plus marquée à ne faire aucune distinction entre les femmes et les hommes et à offrir aux femmes une protection spéciale uniquement si elles sont enceintes ou mères allaitantes.
67. De ce fait, dans la version révisée de la Charte sociale européenne, ouverte à la signature en mai 1996 et entrée en vigueur en juillet 1999, l’article 8 a été remanié et se lit désormais comme suit: «En vue d’assurer l’exercice effectif du droit des travailleuses à la protection de la maternité, les parties s’engagent: […] 4. à réglementer le travail de nuit des femmes enceintes, ayant récemment accouché ou allaitant leurs enfants; 5. à interdire l’emploi des femmes enceintes, ayant récemment accouché ou allaitant leurs enfants à des travaux souterrains dans les mines et à tous autres travaux de caractère dangereux, insalubre ou pénible, et à prendre des mesures appropriées pour protéger les droits de ces femmes en matière d’emploi.» Cette nouvelle disposition, reprise de la convention nº 171 et de la Directive du Conseil européen 92/85/CEE concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, ayant récemment accouché ou allaitant leur enfant, repose sur l’idée qu’une réglementation du travail de nuit des femmes n’est nécessaire qu’en cas de maternité[48]. Il est également à noter que le Comité d’experts indépendants chargé d’évaluer dans quelle mesure les lois nationales sont conformes aux obligations découlant de la Charte a largement commenté l’allégation d’incompatibilité entre les deux principes (égalité hommes-femmes et protection spéciale pour les femmes au travail) et «redéfini» sur la base de sa jurisprudence la disposition de l’article 8 de manière à mieux refléter la jurisprudence de la Cour européenne de justice et la Directive 92/85/CEE du Conseil de la Communauté européenne.
68. Par sa résolution 34/180 du 18 décembre 1979, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Cette convention énonce sous une forme ayant force légale des principes reconnus sur le plan international concernant les droits des femmes et porte essentiellement sur l’interdiction de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes[49]. A l’article premier, l’expression discrimination à l’égard des femmes vise «toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine». Aux termes de l’article 2, «les Etats parties […] conviennent de poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes et, à cette fin, s’engagent à: […] f) prendre toutes les mesures appropriées, y compris les dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes». Plus important encore, l’article 11 a trait à la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine de l’emploi et définit l’obligation pour les Etats parties de prendre toutes les mesures appropriées «afin d’assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, les mêmes droits, et en particulier: a) le droit au travail en tant que droit inaliénable de tous les êtres humains; b) le droit aux mêmes possibilités d’emploi, y compris l’application des mêmes critères de sélection en matière d’emploi; c) le droit au libre choix de la profession et de l’emploi». Il convient cependant de noter que la convention prévoit expressément l’adoption de mesures pour assurer «une protection spéciale aux femmes enceintes dont il est prouvé que le travail est nocif» (art, 11, paragr. 2 d)) et spécifie par ailleurs que «l’adoption par les Etats parties de mesures spéciales, y compris de mesures prévues dans la présente convention, qui visent à protéger la maternité n’est pas considérée comme un acte discriminatoire» (art. 4, paragr. 2)[50].
69. A la suite de l’adoption de la Convention des Nations Unies, l’OIT a reçu plusieurs demandes de clarification de la relation entre la Convention des Nations Unies et les conventions de l’OIT concernant la protection des femmes. La préoccupation de la plupart des gouvernements concernait une éventuelle incompatibilité entre la Convention des Nations Unies et les instruments de l’OIT, susceptible d’induire l’impossibilité de ratifier la Convention des Nations Unies sans que soient préalablement dénoncés les instruments contradictoires de l’OIT, notamment la convention (nº 89) sur le travail de nuit (femmes) (révisée), 1948, et la convention (nº 45) des travaux souterrains (femmes), 1935. La Note préparée sur la question par le Bureau et portée à l’attention du Conseil d’administration en novembre 1984 concluait qu’il ne devait pas y avoir nécessairement contradiction entre les obligations découlant de la Convention des Nations Unies et celles assumées par un Etat ayant ratifié les conventions de l’OIT prévoyant une protection spéciale pour les femmes pour des raisons sans rapport avec la maternité, notamment la convention nº 45 et les conventions nos 4, 41 et 89. Pour reprendre les termes employés: «s’il est clair que la législation protectrice non liée à la maternité a été considérée avec une sévérité croissante, la position la plus radicale, qui consistait à exiger que ce type de législation soit abrogé immédiatement, n’a pas prévalu dans le texte final. La Convention des Nations Unies ne demande pas expressément qu’une telle mesure soit prise. Si le paragraphe 1 de l’article 11 est nettement en faveur de l’adoption de normes identiques de protection pour les hommes et les femmes, le paragraphe 3 laisse aux Etats qui ratifient cette convention et qui ont déjà des normes différentes la possibilité de les maintenir en vigueur pendant un certain temps à condition qu’ils les revoient périodiquement en tenant compte des facteurs mentionnés[51]».
70. En février 1976, le Conseil de la CEE a adopté la Directive 76/207/CEE sur la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, la formation et l’avancement professionnels et les conditions de travail. En vertu de l’article 2 de la Directive du Conseil, le principe de l’égalité de traitement a été défini comme impliquant «l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement ou indirectement, par référence notamment à l’état matrimonial ou familial», tandis que, aux termes de l’article 3, paragraphe 2 c), et de l’article 5, paragraphe 2 c), les Etats membres sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que «soient révisées celles des dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement pour lesquelles le souci de protection qui les a inspirées à l’origine n’est plus fondé; [et] que, pour les dispositions conventionnelles de même nature, les partenaires sociaux soient invités à procéder aux révisions souhaitables». Cependant, l’obligation de révision ne devra pas porter atteinte aux «dispositions concernant la protection des femmes, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité» qui, selon l’article 2, paragraphe 3, n’entraient pas dans le champ d’application de la Directive[52]. A la suite de l’adoption de la Directive 76/207/CEE du Conseil, deux Etats membres de la CEE (Irlande et Luxembourg) ont procédé en 1982 à la dénonciation de la convention nº 89 au motif qu’elle était de nature discriminatoire plutôt que protectrice.
71. En juillet 1991, la Cour de justice des Communautés européennes a rendu son arrêt dans l’affaire Stoeckel, par lequel elle a affirmé que la Directive du Conseil 76/207/CEE relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles ainsi que les conditions de travail était suffisamment précise «pour créer à la charge des Etats membres l’obligation de ne pas poser en principe législatif l’interdiction du travail de nuit des femmes, même si cette obligation comporte des dérogations, alors qu’il n’existe aucune interdiction du travail de nuit pour les hommes». Selon les termes de la décision de la Cour, «le souci de protection qui a inspiré à l’origine l’interdiction de principe du travail de nuit féminin n’apparaît plus fondé, et le maintien de cette interdiction, en raison de risques qui ne sont pas propres aux femmes ou de préoccupations étrangères à l’objet de la Directive 76/207/CEE du Conseil, ne peut pas trouver sa justification dans les dispositions de l’article 2, paragraphe 3, de cette directive»[53]. En jugeant que les lois françaises relatives à l’interdiction du travail de nuit pour les femmes, qui reflètent largement les dispositions de la convention nº 89, constituaient une violation de la législation communautaire, la Cour a soulevé des questions délicates pour les Etats membres de l’Union européenne, concernant la hiérarchie des principes communautaires par opposition aux obligations légales internationales découlant de l’acceptation d’autres accords internationaux, et contesté directement l’utilité des normes de l’OIT relatives au travail de nuit des femmes[54]. Il est intéressant de noter que deux années plus tard, en août 1993, la Cour européenne, dans son arrêt dans l’affaire Levy, tout en réaffirmant que l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes constitue un droit fondamental reconnu par l’ordre juridique communautaire, a considéré que «le juge national a l’obligation d’assurer le plein respect de l’article 5 de la Directive 76/207/CEE du 9 février 1976, en laissant inappliquée toute disposition contraire de la législation nationale, sauf si l’application d’une telle disposition est nécessaire pour assurer l’exécution par l’Etat membre concerné d’obligations résultant d’une convention conclue antérieurement à l’entrée en vigueur du Traité CEE avec des Etats tiers[55]».
72. En décembre 1991, à la suite de l’arrêt rendu dans l’affaire Stoeckel, la Commission européenne a invité par écrit les six Etats membres de la CEE encore parties à la convention nº 89 (Belgique, Espagne, France, Grèce, Italie, Portugal) à dénoncer la convention tout en leur recommandant de ratifier la convention (nº 171) concernant le travail de nuit, 1990. En février 1992, lorsque la convention nº 89 a été de nouveau ouverte à la dénonciation, tous ces Etats avaient déposé leurs instruments de dénonciation en faisant valoir que leur décision découlait de la nécessité de mettre les lois et réglementations nationales en conformité avec la législation communautaire[56].
73. Au début des années quatre-vingt-dix, trois autres Etats Membres de l’OIT (Cuba, Malte et Suisse) avaient décidé de dénoncer la convention nº 89 en affirmant qu’elle n’était plus compatible avec le principe de non-discrimination et d’égalité en droit des hommes et des femmes, tel qu’il est consacré dans leurs Constitutions. Dans un cas (Malte), il a également été fait référence à la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit la discrimination fondée sur le sexe.
74. Certains commentaires succincts apparaissent appropriés en l’occurrence. La commission est d’avis que la politique de l’Union européenne sur la question du travail de nuit des femmes et son apparente antinomie avec les normes internationales du travail doivent être considérées dans leur contexte propre. L’Union européenne, en tant qu’organisation d’intégration régionale réunissant certaines des nations économiquement et socialement les plus avancées du monde, cherche à établir des normes élevées du travail pour les travailleurs européens dans un environnement politique et socio-économique fondamentalement uniforme[57]. A l’inverse, l’OIT est une organisation universelle mandatée pour élaborer des normes minimales de manière à ce qu’elles soient adaptables à des situations très dissemblables dans tous les Etats Membres. Elle doit reconnaître les besoins particuliers de certains pays, tout en reconnaissant que les normes et principes relatifs aux droits de l’homme sont d’application universelle. Le mandat, la composition et les moyens d’action des deux organisations étant radicalement différents, il n’est que normal que leurs dispositifs normatifs apparaissent parfois divergents, voire contradictoires. Comme on peut le lire dans un document du Bureau consacré à cette question: «il est naturel en effet que le besoin de normes se fasse sentir dans les mêmes domaines au niveau international et au niveau communautaire. Mais il ne devrait pas résulter de ce chevauchement inévitable que les normes de l’OIT soient calquées sur les normes communautaires. Cette tendance aboutit à des normes très détaillées, ce qui, de manière paradoxale, ne garantit pas leur ratification par les Etats de l’Union européenne, mais peut, en revanche, représenter un sérieux handicap pour leur ratification à l’extérieur de celle-ci[58]».
75. La commission estime que la législation internationale du travail ne devrait pas être privée de toutes les dispositions sur le travail de nuit des femmes, à condition et dans la mesure où cette réglementation garde encore une signification utile pour protéger les travailleuses contre les abus. Dans les situations particulières où les travailleuses de nuit sont soumises à une exploitation et à une discrimination importantes, la nécessité d’une législation protectrice peut toujours prévaloir, notamment lorsque les femmes elles-mêmes réclament le maintien de telles mesures de protection. La commission doit dès lors déterminer si les interdictions concernant le travail de nuit des femmes dans certaines situations contribuent à les protéger contre les violations de leurs droits, en particulier pour ce qui concerne les questions de sécurité et de transport, et ceci en plus des risques encourus par les femmes enceintes ou les mères qui allaitent lorsqu’elles travaillent de nuit. En pareille situation, la fonction protectrice des normes relatives au travail de nuit peut pour le moment, de manière limitée, et sous réserve d’un examen périodique, être considérée à bon droit par certains mandants comme étant justifiée.
1. Champ d’application matériel
76. Les trois conventions à l’examen ne s’appliquent qu’à l’industrie. A ce jour, à l’exception de deux recommandations internationales du travail, il n’existe pas d’instrument international du travail traitant spécifiquement du travail de nuit des femmes dans les secteurs autres qu’industriels. En fait, la recommandation (no 13) sur le travail de nuit des femmes (agriculture), 1921, recommande «que chaque Membre de l’Organisation internationale du Travail prenne des mesures en vue de réglementer le travail de nuit des femmes salariées employées dans les entreprises agricoles, de manière à leur assurer une période de repos conforme aux exigences de leur constitution physique et ne comprenant pas moins de neuf heures, si possible consécutives», et la recommandation (no 95) sur la protection de la maternité, 1952, prévoit au paragraphe 5 1) que «le travail de nuit et les heures supplémentaires devraient être interdits aux femmes enceintes ou allaitant un enfant, et leurs heures de travail devraient être réparties de telle sorte que des périodes de repos adéquates leur soient assurées».
77. Plus précisément, le champ d’application des conventions nos 4, 41 et 89 couvre toute «entreprise industrielle, publique ou privée, […] [ou toute] dépendance d’une de ces entreprises, à l’exception des entreprises où sont seuls employés les membres d’une même famille». L’article 1 des trois conventions est libellé en des termes pratiquement identiques et dispose que seront considérées comme «entreprises industrielles»: «a) les mines, carrières et industries extractives de toute nature; b) les entreprises dans lesquelles des produits sont manufacturés, modifiés, nettoyés, réparés, décorés, achevés, préparés pour la vente, détruits ou démolis, ou dans lesquelles les matières subissent une transformation, y compris les entreprises de construction de navires, de production, de transformation et de transmission de l’électricité et de la force motrice en général; c) les entreprises du bâtiment et du génie civil, y compris les travaux de construction, de réparation, d’entretien, de transformation et de démolition»[59]. Cependant, étant donné la difficulté de fixer avec précision les limites exactes de l’activité industrielle, les trois conventions disposent à l’article 1, paragraphe 2, que «dans chaque pays l’autorité déterminera la ligne de démarcation entre l’industrie, d’une part, le commerce et l’agriculture, d’autre part[60].
78. Les trois conventions à l’examen excluent expressément de leur champ d’application certaines situations exceptionnelles. L’article 4 commun aux conventions nos 4, 41 et 89 dispose que l’interdiction du travail de nuit pour les femmes ne sera pas appliquée «a) en cas de force majeure, lorsque dans une entreprise se produit une interruption d’exploitation impossible à prévoir et n’ayant pas un caractère périodique; b) dans le cas où le travail s’applique soit à des matières premières, soit à des matières en élaboration, qui seraient susceptibles d’altération très rapide, lorsque cela est nécessaire pour sauver ces matières d’une perte inévitable».
79. L’article 5 de la convention nº 89 prévoit par ailleurs la possibilité de suspendre temporairement l’interdiction du travail de nuit pour les femmes «lorsque, en raison de circonstances particulièrement graves, l’intérêt de la nation l’exigera, […] après consultation des organisations d’employeurs et de travailleurs intéressées». Après l’expérience des deux guerres mondiales[61], l’expression «circonstances particulièrement graves» est censée se référer à une situation de guerre. Cependant, par la suite, il y a eu une nette tendance, dans la pratique, à donner de cette clause restrictive une interprétation beaucoup plus large.
80. Sous la pression croissante en faveur d’un nouvel assouplissement de l’interdiction du travail de nuit pour les femmes, des dérogations d’une portée considérable ont été introduites par le Protocole de 1990 relatif à la convention nº 89. Aux termes de l’article premier, paragraphe 1 1), du Protocole, «des modifications de la durée de la période de nuit définie à l’article 2 de la convention et des dérogations à l’interdiction du travail de nuit prévue à son article 3 pourront être introduites par décision de l’autorité compétente». Ces modifications et dérogations peuvent être introduites pour des branches entières d’activité ou des établissements spécifiques conformément aux conditions suivantes:
«a) dans une branche d’activité ou une profession déterminée, à condition que les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs intéressées aient conclu un accord ou aient donné leur accord;
b) dans un ou plusieurs établissements déterminés qui ne sont pas couverts par une décision prise conformément à l’alinéa a), à condition:
i) qu’un accord ait été conclu entre l’employeur et les représentants des travailleurs dans l’établissement ou l’entreprise dont il s’agit;
ii) que les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs de la branche d’activité ou de la profession concernée ou les organisations les plus représentatives des employeurs et des travailleurs aient été consultées;
c) dans un établissement déterminé qui n’est pas couvert par une décision prise conformément à l’alinéa a) et dans lequel un accord n’a pu être conclu conformément à l’alinéa b) i), à condition que:
i) les représentants des travailleurs de l’établissement ou de l’entreprise ainsi que les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs de la branche d’activité ou de la profession concernée ou les organisations les plus représentatives des employeurs et des travailleurs aient été consultés;
ii) l’autorité compétente se soit assurée que des garanties adéquates existent dans l’établissement sur le plan de la sécurité et de la santé au travail, des services sociaux et de l’égalité de chances et de traitement pour les travailleuses; et
iii) la décision de l’autorité compétente s’applique pour une période déterminée qui pourra être renouvelée en suivant la procédure prévue aux sous-alinéas i) et ii) ci-dessus.»
81. Le Protocole dispose en outre à l’article premier, paragraphe 2, que «les circonstances dans lesquelles ces modifications et dérogations peuvent être permises et les conditions auxquelles elles doivent être soumises» seront déterminées par la législation nationale qui seront adoptées après consultation des organisations d’employeurs et de travailleurs les plus représentatives.
2. Champ d’application temporel
82. Les instruments qui font l’objet de la présente étude visent à limiter le travail de nuit des femmes dans les entreprises industrielles. Même si la définition du terme «nuit» est pratiquement la même dans les trois instruments, la série de dérogations dont cette définition est assortie varie considérablement. Les trois conventions prescrivent une période de repos nocturne d’au moins onze heures consécutives, qui doit inclure un intervalle plus court pendant lequel le travail des femmes est strictement interdit. Aux termes de l’article 2 de la convention nº 4, «le terme «nuit» signifie une période d’au moins onze heures consécutives, comprenant l’intervalle écoulé entre 10 heures du soir et 5 heures du matin». Pour sa part, la convention nº 41, qui a la même définition du terme «nuit», autorise à l’article 2, paragraphe 2, l’autorité compétente, en cas de circonstances exceptionnelles affectant les travailleurs employés dans une industrie ou dans une région déterminée, après consultation des organisations patronales et ouvrières intéressées, à «décider que, pour les femmes occupées dans cette industrie ou dans cette région, l’intervalle entre 11 heures du soir et 6 heures du matin pourra être substitué à l’intervalle entre 10 heures du soir et 5 heures du matin». Quant à la convention nº 89, elle redéfinit le terme «nuit» de manière plus souple comme «une période d’au moins onze heures consécutives, comprenant un intervalle déterminé par l’autorité compétente d’au moins sept heures consécutives et s’insérant entre 10 heures du soir et 7 heures du matin». Elle prévoit également que l’«autorité compétente pourra prescrire des intervalles différents pour différentes régions, industries, entreprises ou branches d’industries ou d’entreprises, mais consultera les organisations d’employeurs et de travailleurs intéressées avant de déterminer un intervalle commençant après 11 heures du soir». Enfin, ainsi qu’indiqué plus haut, le Protocole de 1990 permet que des «modifications de la durée de la période de nuit» soient introduites par décision de l’autorité compétente en fonction des lois et réglementations nationales.
83. Aux termes de l’article 6 commun aux trois conventions, la durée de la période de nuit pourra être réduite à dix heures pendant 60 jours par an «dans les entreprises industrielles soumises à l’influence des saisons, et dans tous les cas où des circonstances exceptionnelles l’exigent». Elles disposent également à l’article 7 qui leur est commun que la période de nuit peut être d’une durée inférieure à 11 heures consécutives «dans les pays où le climat rend le travail de jour particulièrement pénible […], à la condition qu’un repos compensateur soit accordé pendant le jour».
3. Champ d’application personnel
84. Selon l’article 3 commun aux conventions nos 4, 41 et 89, l’interdiction du travail de nuit dans l’industrie sera appliquée à toutes «les femmes, sans distinction d’âge». Une dérogation à cette règle a été introduite pour la première fois par la convention nº 41, dont l’article 8 dispose que l’interdiction ne s’applique pas «aux femmes qui occupent des postes de direction impliquant une responsabilité et qui n’effectuent pas normalement un travail manuel». Aux termes de l’article 8 de la convention nº 89, l’interdiction du travail de nuit ne s’applique pas «a) aux femmes qui occupent des postes de direction ou de caractère technique et impliquant une responsabilité; b) aux femmes occupées dans les services de l’hygiène et du bien-être et qui n’effectuent pas normalement un travail manuel».
* * *
85. Rarement les normes de l’OIT ont donné lieu à une controverse aussi longue que les instruments concernant le travail de nuit des femmes. La question de l’interdiction ou de la restriction du travail de nuit dans les entreprises industrielles représente un siècle de débats sur des questions profondément sensibles et extrêmement délicates qui ont engendré des divisions entre les responsables politiques, entre les syndicalistes et même entre les organisations de femmes. Concilier les différences entre les deux tendances opposées, l’une affirmant la nécessité d’assurer une protection spéciale pour les travailleuses et l’autre militant en faveur du principe d’égalité entre les hommes et les femmes, est un défi que l’appareil normatif de l’OIT n’a cessé de relever.
Références supplémentaires
Wikander, U.; Kessler-Harris, A.; Lewis, J. (éd.): Protecting women – Labor legislation in Europe, the United States, and Australia, 1880-1920, 1995.
Site Internet
[1] Cité par M.D. Hopkins dans The employment of women at night, US Department of Labor, Bulletin of the Women’s Bureau, no 64, 1928, p. 20.
[2] Selon ses statuts, l’association avait, entre autres, pour objectif l’organisation d’un bureau international du travail ayant pour mission de publier en français, en allemand et en anglais un recueil périodique de la législation du travail de tous les pays, ou de prêter sa coopération à une telle publication.
[3] Les résultats de cette enquête ont été présentés à la seconde réunion générale de l’association, tenue à Cologne en 1902, lors de l’adoption de la résolution suivante: «l’état de la législation sur le travail de nuit des femmes dans la plupart des Etats dotés d’industries importantes et, ainsi qu’attestée par les rapports publiés par les différentes sections, l’influence de cette législation sur la situation de l’industrie, sur les diverses entreprises particulières et sur les travailleurs justifient l’abolition totale, dans son principe, du travail de nuit des femmes. Aussi la Commission internationale charge-t-elle un comité d’étudier les moyens d’introduire cette interdiction générale et la manière de supprimer progressivement les dérogations qui sont encore en application»; cité dans le Mémoire explicatif sur les bases d’une interdiction internationale du travail de nuit des femmes, publié par le Bureau de l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs, 1904, p. 1.
[4] L’Angleterre fut le premier Etat à réglementer l’emploi de nuit des femmes dans l’industrie en 1847, suivie de la Suisse en 1877, de l’Autriche en 1885, de l’Allemagne en 1891 et de la France en 1892. Pour un tour d’horizon de la législation nationale de certains pays européens, voir M. Ansiaux: Travail de nuit des ouvrières de l’industrie dans les pays étrangers (France, Suisse, Grande-Bretagne, Autriche, Allemagne), 1898.
[5] Voir R. Jay: La protection légale des travailleurs, 1909; cité par M.D. Hopkins dans The employment of women at night, US Department of Labor, Bulletin of the Women’s Bureau, no 64, 1928, p. 16.
[6] Cité par M. Delevingne dans «The pre-war history of international labor legislation», chez J.T. Shotwell (éd.): The origins of the International Labor Organization, 1934, vol. I, p. 34.
[7] Voir Mémoire explicatif d’une interdiction internationale du travail de nuit des femmes, publié par le Bureau de l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs, 1904, p. 7.
[8] Ibid., pp. 9-10.
[9] Dans son discours d’ouverture de la Conférence, le Conseiller fédéral suisse Deucher s’est référé à la «codification des règles humanitaires destinées à adoucir le sort d’une partie des victimes des combats économiques» et a invité les participants à «modifier par un arrangement entre pays la situation sanitaire et sociale de ceux-là que la guerre industrielle, souvent aussi impitoyable que la guerre armée, a blessés et affaiblis par l’excès des fatigues et l’insalubrité du travail, car ils ont besoin de ménagements et d’un traitement qui, grâce au repos et aux précautions hygiéniques, raffermissent leur santé physique et morale et par-là celle de leurs proches»; voir Procès-verbal de la séance d’ouverture, 17 sept. 1906, p. 7.
[10] Pour des comptes rendus intéressants sur les conditions de travail des femmes employées dans l’industrie au tournant du siècle, voir A.M. Anderson: Women in the factory – An administrative adventure 1893 to 1921, 1922, pp. 22 à 57; J. Mazel: L’interdiction du travail de nuit des femmes dans la législation française, 1899, pp. 1 à 32; A. Chazal: L’interdiction du travail de nuit des femmes dans l’industrie française, 1902, pp. 7 à 27; M. Hirsch: L’interdiction du travail de nuit, 1901, pp. 1 à 16; L. Bonneff: La vie tragique des travailleurs, 1907, pp. 3 à 33.
[11] Voir G. Alfassa: Le travail de nuit des femmes, 1904, p. 7.
[12] Les travaux de la Conférence de Berne sont résumés par B.E. Lowe: The international protection of labor – International Labor Organization, history and law, 1935, pp. 112 à 131, et L.-E. Troclet: Législation sociale internationale, 1952, pp. 218 à 244.
[13] Voir M. Caté: La Convention de Berne de 1906, 1911, p. 96, cité par M.D. Hopkins dans The employment of women at night, US Department of Labor, Bulletin of the Women’s Bureau, no 64, 1928, p. 17.
[14] Cité par E. Mahaim dans «The historical and social importance of international labor legislation», chez J.T. Shotwell (éd.): The origins of the International Labor Organization, 1934, vol. I, p. 10. Pour une approche historique du débat sur les avantages ou les effets négatifs d’une législation spéciale de protection des travailleurs à l’effet d’interdire aux femmes de travailler de nuit, voir U. Wikander: «Some kept the flag of feminist demands waving – Debates at international congresses on protecting women workers», chez Wikander et coll. (éd.): Protecting women – Labor legislation in Europe, the United States, and Australia, 1880-1920, 1995, pp. 29-62.
[15] Au 8 décembre 2000, la Convention de Berne de 1906 était toujours en vigueur dans les Etats suivants: Algérie, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Hongrie, Italie, Luxembourg, Maroc, Pologne, Portugal et Tunisie. Elle a été dénoncée par la Suisse en 1972, par les Pays-Bas en 1973 et par l’Allemagne en 1992.
[16] Il est à noter que, comme l’avait initialement proposé le Comité d’organisation, «la Conférence devrait recommander à tous les Etats membres de la Société des Nations d’adhérer à la convention»; voir CIT, 1re session, 1919, Compte rendu des travaux, p. 244.
[17] Ibid., p. 98.
[18] Ibid., p. 243.
[19] Ibid., p. 100.
[20] Voir International regulation of women’s work – History of the work for women accomplished by the International Labour Organisation, 1930, pp. 12 et 13.
[21] Voir J. Blainey: The woman worker and restrictive legislation, 1928, p. 83.
[22] Voir E. Lüders: «La protection légale des travailleuses en Allemagne et son influence sur les possibilités d’emploi des femmes», RIT (1929) vol. 20, p. 417.
[23] Voir Interprétation de la convention de 1919 concernant le travail de nuit des femmes, avis consultatif, CPJI, série A/B, fascicule no 50, 15 nov. 1932, p. 373.
[24] Ibid., p. 374.
[25] Ibid., p. 377.
[26] On trouve un résumé des débats de la commission dans CIT, 18e session, 1934, Compte rendu des travaux, pp. 654 à 658. Voir aussi «La dix-huitième session de la Conférence internationale du Travail», RIT (1934), vol. 30, p. 335.
[27] Voir la Révision partielle de la convention concernant le travail de nuit des femmes, CIT, 18e session, 1934, rapport VII, p. 3.
[28] Ibid., pp. 8 et 13.
[29] Voir la Révision partielle de la convention (no 4) sur le travail de nuit (femmes), 1919, et de la convention (no 41) (révisée) du travail de nuit (femmes), 1934, CIT, 31e session, 1948, rapport IX, pp. 9 à 15.
[30] On trouve un résumé des débats de la commission dans CIT, 31e session, 1948, Compte rendu des travaux, pp. 494 à 499. Voir aussi «La trente et unième session de la Conférence internationale du Travail», RIT (1948), vol. 51, p. 504.
[31] Voir CIT, 31e session, 1948, Compte rendu des travaux, pp. 228 et 229.
[32] Ibid., p. 572.
[33] Voir document GB.185/SC/3/2, p. 3.
[34] Voir Projet de rapport du Conseil d’administration du Bureau international du Travail au sujet de l’application de la convention (no 89) sur le travail de nuit des femmes occupées dans l’industrie (révisée en 1948), et des conventions correspondantes de 1934 et 1919 (nos 41 et 4), D.5. 1973, p. 30.
[35] Voir document GB.191/SC/1/1.
[36] Voir document GB.191/16/25, paragr. 10.
[37] Voir document GB.198/SC/1/1, p. 9. Le rapport a résumé les conclusions de deux études menées sur les aspects économiques, sociaux, physiques, psychologiques et médicaux du travail de nuit et énuméré les critiques les plus courantes formulées concernant les normes existantes relatives au travail de nuit des femmes en raison de leur caractère discriminatoire et de leur incompatibilité avec le principe de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes; la non-applicabilité de la distinction du travail industriel par branche d’activité économique a cessé, dans de nombreux cas, de poser problème et s’avère éventuellement moins difficile que dans d’autres branches; le fait que les normes actuelles ne reflètent pas les conditions modernes et leur tendance à entraver l’industrialisation; et l’absence de preuves démontrant que le travail de nuit est plus nocif pour les femmes que pour les hommes.
[38] Les débats sont résumés dans le rapport de la Réunion consultative tripartite au Conseil d’administration, document GB.208/8/4. La même divergence de vues apparaît dans une série d’articles consacrés à la législation spéciale de protection des femmes dans certains pays; voir, par exemple, R. Nielsen: «La législation protectrice des femmes et les pays nordiques», RIT (1980), vol. 119, pp. 41-52; A.P. Birzukova: «La législation protectrice spéciale et l’égalité de chances pour les travailleuses en URSS», ibid., pp. 53-68; E. Gömöri: «La législation protectrice et l’égalité des femmes devant l’emploi en Hongrie», ibid., pp. 69-79; R.S. Ratner: «Le paradoxe de la protection: la législation sur la durée maximale du travail aux Etats-Unis», ibid., pp. 195-211; H.B. Connell: «La législation protectrice et l’égalité de chances des femmes devant l’emploi en Australie», ibid., pp. 213-232; M. Jiménez Butragueno: «La législation protectrice des femmes et l’égalité devant l’emploi en Espagne», RIT (1982), vol. 121, pp. 201-213; T. Nakanishi: «Egalité ou protection? La réglementation du travail des femmes au Japon», RIT (1983), vol. 122, pp. 659-672.
[39] Voir CIT, 72e session, 1986, rapport III (partie 4A), p. 26.
[40] Voir CIT, 60e session, 1975, Compte rendu des travaux, p. 1046.
[41] Voir CIT, 71e session, 1985, Compte rendu des travaux, pp. LXXXI, LXXXIV.
[42] Voir les Mesures spéciales de protection pour les femmes et l’égalité de chances et de traitement, documents de la Réunion d’experts sur les mesures spéciales de protection pour les femmes et l’égalité de chances et de traitement, MEPMW/1989/7, pp. 1 et 62-63.
[43] Ibid., pp. 89-91.
[44] Les débats de la Conférence sont résumés dans CIT, 76e session, 1989, Compte rendu des travaux, pp. 30/1-30/5, 30/33-30/39, et CIT, 77e session, 1990, Compte rendu des travaux, pp. 26/23-26/29, 31/1-31/10.
[45] Pour plus de précisions, voir K. Kogi et J.E. Thurman: «Trends in approaches to night and shiftwork and new international standards», Ergonomics, vol. 36, 1993, pp. 3-13, et K. Kogi: «International regulations on the organization of shift work», Scandinavian Journal of Work, Environment & Health, vol. 24, 1998, pp. 7-12.
[46] Pour un compte rendu historique et documentaire de la campagne des Nations Unies pour la promotion des droits de la femme, voir Les Nations Unies et les femmes 1945-1995, Série Livres bleus des Nations Unies, vol. VI, 1995.
[47] Le paragraphe 4 de l’article 8 a été approuvé par 10 des 21 parties contractantes, L’Espagne a dénoncé le paragraphe 4 b) en 1991, et le Royaume-Uni a dénoncé successivement les paragraphes 4 a) et 4 b) en 1988 et 1990, respectivement.
[48] Il convient de mentionner également le paragraphe 7 de l’article 2 de la Charte (révisée) relatif aux mesures concernant le travail de nuit pour les travailleurs des deux sexes et définissant l’obligation pour les parties contractantes de «faire en sorte que les travailleurs effectuant un travail de nuit bénéficient de mesures qui tiennent compte de la nature spéciale de ce travail». Pour plus de détails, voir L’égalité entre les femmes et les hommes dans la Charte sociale européenne – Etude établie sur la base de la jurisprudence du Comité d’experts indépendants, Conseil de l’Europe, 1999, et Les femmes dans le monde du travail – Etude établie sur la base de la jurisprudence du Comité d’experts indépendants, 1995.
[49] La convention a été ouverte à la signature, à la ratification et à l’adhésion en mars 1980. Elle est entrée en vigueur en septembre 1981, et au 16 novembre 2000 elle avait été ratifiée par 166 Etats.
[50] Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) a été créé en application de la convention. Composé de 23 experts, il surveille l’application de la convention à travers les rapports soumis par les Etats parties et formule des propositions et des recommandations générales sur les questions couvertes par la convention. Par sa résolution A/Res/54/4 d’octobre 1999, l’Assemblée générale a adopté le Protocole facultatif relatif à la convention, lequel prévoit la possibilité, après épuisement préalable de toutes les voies de recours internes, de déposer une plainte individuelle directement auprès du comité.
[51] Voir document GB.228/24/1.
[52] La disposition du paragraphe 3 de l’article 2 de la Directive a été interprétée de manière restrictive par la Cour de justice des Communautés européennes, qui y inclut les mesures de protection se référant exclusivement à la grossesse, à l’accouchement et à la période postnatale. Pour reprendre le raisonnement de la Cour dans l’affaire Hoffman, la «Directive 76/207 reconnaît la légitimité, par rapport au principe de l’égalité, de la protection de deux ordres de besoins de la femme. Il s’agit d’assurer, d’une part, la protection, compte tenu de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse et à la suite de celle-ci, jusqu’à un moment où ses fonctions physiologiques et psychiques sont normalisées à la suite de l’accouchement, et, d’autre part, la protection des rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à la grossesse et à l’accouchement, en évitant que ces rapports soient troublés par le cumul des charges résultant de l’exercice simultané d’une activité professionnelle»; voir l’affaire 184/1983, arrêt du 12 juillet 1984.
[53] Voir l’affaire C-345/1989, arrêt du 25 juillet 1991. Au sujet des implications légales de la Directive du Conseil 76/207/CEE, lue conjointement avec l’arrêt Stoeckel, voir Ch. Pettiti: «Le travail de nuit des femmes – Aspects nationaux et internationaux», Droit social (avril 1988), pp. 302 à 310; J. Savatier: «Travail de nuit des femmes et droit communautaire», Droit social (mai 1990), pp. 466 à 470; M.-A. Moreau: «Travail de nuit des femmes, observations sur l’arrêt de la CJCE du 25 juillet 1991», Droit social (avril 1992), pp. 174-185; A. Supiot: «Principe d’égalité et limites du droit du travail (en marge de l’arrêt Stoeckel)», Droit social (avril 1992), pp. 382-385; C. Kilpatrick: «Production and Circulation of EC Night Work Jurisprudence», Industrial Law Journal (sept. 1996), vol. 25, pp. 169 à 190; J.-Ph Lhernould.: «Un employeur peut-il s’opposer à la demande d’une de ses salariées de travailler la nuit?», Droit social (fév. 1999), pp. 129-133; H. Masse-Dessen: «A propos du travail de nuit des femmes: nouvelle contribution sur l’application des directives européennes», Droit social (avril 1999), pp. 391 à 394.
[54] En novembre 2000, face à la menace de sanction pour violation, la France a finalement décidé de supprimer la disposition litigieuse de son Code du travail, à savoir l’article L-213-1 interdisant le travail de nuit des femmes occupées dans l’industrie (voir les affaires C-197/1996, arrêt du 13 mars 1997, et C-207/1996, arrêt du 4 décembre 1997). En fait, en avril 1999, la Commission européenne a demandé à la Cour de justice d’infliger à la France une amende journalière de 142 425 euros pour non-exécution de son précédent jugement. Une action similaire a été intentée avec succès à l’encontre de l’Italie. La Cour a également été saisie de cas de violation concernant la transposition de la Directive 76/207/CEE contre la Belgique et le Royaume-Uni. En ce qui concerne l’application et la mise en œuvre de la loi européenne sur l’égalité, voir Heide, I.: La lutte contre la discrimination selon le sexe au niveau supranational: l’égalité de rémunération et de traitement dans l’Union européenne; RIT (1999), vol. 138, pp. 421 à 454.
[55] Voir l’affaire C-158/1991, arrêt du 2 août 1993. La Cour devait déterminer si une juridiction nationale pouvait laisser de côté son obligation de manière à assurer le plein respect de l’article 5 de la Directive sur l’égalité de traitement lorsque les dispositions nationales qui étaient incompatibles avec la législation communautaire visaient à la mise en œuvre de la convention no 89 de l’OIT, c’est-à-dire d’une convention internationale à laquelle l’Etat membre concerné était devenu partie avant l’entrée en vigueur du Traité CEE. La Cour a également indiqué que la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement «même sur le plan communautaire a été progressive, nécessitant l’intervention du Conseil par voie de directives, et que ces directives admettent, à titre temporaire, certaines dérogations au principe de l’égalité de traitement».
[56] Voir «Women’s night work Convention denounced across the EC», European Industrial Relations Review (avril 1992), pp. 16 et 17. Les Pays-Bas ont dénoncé la convention en 1972 pour incompatibilité avec le principe d’égalité de traitement dans l’emploi, l’Irlande et le Luxembourg en 1982. Trois autres Etats membres de la CE, à savoir l’Allemagne, le Danemark et le Royaume-Uni, ne l’ont jamais ratifiée.
[57] Pour un tour d’horizon des principaux faits nouveaux en matière d’égalité entre les hommes et les femmes au niveau européen en 1999, voir Egalité des chances pour les femmes et les hommes dans l’Union européenne 1999 (COS/1999/2109). Rapport de la Commission au Conseil, au Parlement européen, à la Commission économique et sociale et à la Commission des régions, mars 2000.
[58] Voir document GB.262/LILS/2/2, paragr. 9. Ce commentaire a été fait par référence à la convention de l’OIT no 170 sur les produits chimiques, qui couvre un sujet déjà traité dans plusieurs directives communautaires. La question a donc été soulevée au sujet de la compétence exclusive de la communauté pour conclure cette convention, c’est-à-dire pour décider de sa ratification; voir aussi documents GB.256/SC/1/3 et GB.259/LILS/4/7.
[59] Afin d’accorder les définitions les plus récentes des entreprises industrielles telles qu’elles figurent à la convention (no 77) sur l’examen médical des adolescents, 1946, le paragraphe 1 c) de l’article 1 de la convention no 89 été modifié pour se lire comme suit: «les entreprises du bâtiment et du génie civil, y compris les travaux de construction, de réparation, d’entretien, de transformation et de démolition».
[60] Afin de mieux refléter la distinction entre travaux «industriels» et travaux «non industriels» à la lumière des débats de la Conférence qui ont précédé l’adoption de la convention (no 77) sur l’examen médical des adolescents, 1946, et de la convention (no 78) sur l’examen médical des adolescents (travaux non industriels), 1946, le paragraphe 2 de l’article 1 de la convention no 89 a été légèrement révisé et se lit désormais comme suit: «l’autorité compétente déterminera la ligne de démarcation entre l’industrie, d’une part, l’agriculture, le commerce et les autres travaux non industriels, d’autre part».
[61] Pour une information approfondie sur la question, voir Thom, D.: «A revolution in the workplace? Women’s work in munitions factories and technological change 1914-1918», chez G. de Groot et M. Schrover (éd.): Women workers and technological change in Europe in the nineteenth and twentieth centuries, 1995, pp. 97 à 118.
Mise à jour par HK. Approuvée par RH. Dernière modification: 18 juin 2001.