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Chapitre 5

Scruter l’avenir: perspectives de ratification

170.   Il est clair que la réticence marquée par la plupart des Etats qui ne ratifient pas vient de leur conviction que les conventions interdisant le travail de nuit des femmes ont vécu et qu’une restriction de l’accès des femmes au travail de nuit n’est pas souhaitable aujourd’hui pour deux raisons principales: premièrement, une telle démarche va à l’encontre du principe fondamental de l’égalité des sexes dans la mesure où elle réduit la liberté de choix individuelle du travailleur quant à son temps de travail uniquement sur la base du sexe. Deuxièmement, elle empêche l’utilisation optimale de la main-d’œuvre disponible au détriment de la productivité. L’incompatibilité entre la restriction de l’accès des femmes au travail de nuit dans l’industrie et le principe de la non-discrimination et de l’égalité de traitement a aussi été invoquée par l’ensemble des quinze Etats qui ont dénoncé à ce jour la convention nº 89.

171.   Il convient également de noter que le Bureau a reconnu en diverses occasions l’obligation des Etats Membres d’engager un processus de révision de leur législation protectrice afin d’éliminer progressivement toutes les dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement, à l’exception de celles ayant trait à la protection de la maternité et compte dûment tenu de la situation nationale. Cela découle, d’une part, de l’engagement, toujours valable, à appliquer les mêmes règles de protection aux hommes et aux femmes, sans distinction, conformément à la convention (nº 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, mais aussi de la large ratification de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

172.   S’agissant des perspectives de ratification des quatre instruments à l’examen, la commission se réfère à la seule convention nº 89 étant donné que la convention nº 41 est fermée à la ratification, que le Protocole de 1990 ne peut être ratifié seul et qu’il est très peu probable que la convention nº 4 recueille de nouvelles ratifications 81 ans après son adoption. Il est significatif, à cet égard, que la dernière ratification reçue pour la convention nº 4 remonte à vingt-trois ans, et que le Groupe de travail sur la politique de révision des normes, dans l’étude qu’il a consacrée en 1996 aux conventions concernant le travail de nuit des femmes, a jugé faibles les perspectives de ratification de la convention[1].

173.   La commission se doit de souligner que, à en juger par les réponses des Etats Membres, les perspectives de ratification de la convention n89 et du Protocole y relatif sont faibles. En fait, seuls deux Etats parties à la convention nº 89 (Bangladesh, Slovénie) ont fait savoir qu’ils envisageaient la possibilité de ratifier le Protocole de 1990 relatif à la convention nº 89, sans indiquer toutefois si le processus de ratification était déjà officiellement engagé. Dans le cas de la Slovénie, on estime que le nouveau projet de loi sur les relations du travail tient dûment compte des dispositions du Protocole et qu’elle permettra la ratification de cet instrument; au Bangladesh, le Conseil consultatif tripartite a recommandé la ratification du Protocole, et sa recommandation est actuellement soumise au Cabinet et à une commission parlementaire. Il est à noter que deux des trois Etats parties au Protocole, à savoir Chypre et la République tchèque, ont annoncé leur intention de procéder prochainement à la dénonciation de la convention nº 89. Parmi les Etats qui ne sont parties à aucune des conventions à l’examen, seul le gouvernement de la Papouasie-Nouvelle-Guinée a jugé bonnes les perspectives de ratification par son pays de la convention nº 89 et du Protocole y relatif au terme d’une révision majeure de la loi sur le travail de 1978.

174.   Plusieurs Etats (Australie, Botswana, Canada, Etats-Unis d’Amérique, Finlande, Japon, Hongrie, Namibie, Singapour, Suède, Viet Nam) ont exclu toute possibilité de ratifier une quelconque convention parmi celles à l’examen. A leur avis, le fait d’empêcher les femmes d’accéder au travail de nuit, à l’exception des femmes enceintes ou allaitantes, constituerait une discrimination directe et priverait de manière déraisonnable les femmes de possibilités d’emploi. Par ailleurs, le gouvernement de la Bulgarie a indiqué qu’il n’envisageait pas de ratification du fait qu’il avait engagé des négociations avec l’Union européenne en vue de son adhésion et que la convention nº 89 a été reconnue contraire au droit communautaire.

175.   De nombreux pays se sont déclarés profondément préoccupés par les conséquences sur l’emploi des interdictions ou restrictions concernant le travail de nuit des femmes. Les gouvernements du Bélarus et de l’Ukraine ont déclaré que l’un des principaux obstacles à la ratification était la forte hausse du chômage, qui touche particulièrement les femmes, ainsi que le nombre croissant de familles monoparentales, qui a accentué l’expansion du travail de nuit. Selon le rapport du gouvernement de l’Ethiopie, le sous-développement socio-économique et plus particulièrement les scénarios de sous-emploi qui prédominent largement dans le pays constituent un obstacle majeur à la ratification de la convention nº 89 et du Protocole y relatif. Le gouvernement du Mexique a rappelé que la participation des femmes à la main-d’œuvre du pays avait doublé depuis 1970, passant de 17,6 pour cent à 36,8 pour cent en 1997, et qu’une politique d’interdiction ou de restriction du travail de nuit pour les femmes réduirait inévitablement leurs possibilités de travail. Il semble que cette préoccupation de l’emploi soit également déterminante dans le cas de l’Argentine. Le gouvernement de Maurice a indiqué que la disposition de la loi sur l’expansion industrielle, en vertu de laquelle les femmes travaillant dans des zones franches d’exportation sont exclues du champ d’application de l’interdiction du travail de nuit, a contribué au succès du régime des ZFE et que l’on ne pourrait guère modifier la situation sans risque de répercussions sur l’embauche des femmes et sur les niveaux de l’emploi. Enfin, le gouvernement de la Dominique a indiqué que, même si sa législation est pour l’essentiel en conformité avec les dispositions de la convention nº 89, la ratification officielle de la convention aurait pour effet une réduction de l’emploi des femmes dans des secteurs tels que les activités manufacturières, l’hôtellerie/restauration ou les commerces de gros et de détail et imposerait des charges financières supplémentaires aux petites entreprises familiales.

176.   Quelques pays (Antigua-et-Barbuda, Equateur et Zimbabwe) n’ont pas estimé nécessaire de ratifier dans un avenir proche l’un quelconque des instruments à l’examen, estimant que la législation en place ne présentait aucune difficulté et que les intérêts et le bien-être des travailleuses étaient suffisamment protégés. D’autres pays, comme la Chine, n’envisagent pas de ratification pour le moment, estimant que les lois et règlements nationaux ne sont pas encore conformes aux normes de ces conventions.

177.   Parmi les Etats parties à la convention nº 89, deux Membres (République dominicaine, Zambie) ont annoncé leur décision de dénoncer la convention à l’expiration de l’actuelle période de dix ans, lorsque ladite convention sera à nouveau ouverte à la dénonciation, et deux autres Membres (Afrique du Sud, Autriche) ont indiqué qu’ils envisageaient de dénoncer la convention nº 89. Trois autres (Brésil, Ghana, Malawi) ont fait savoir qu’à la suite de la promulgation récente d’une nouvelle législation la convention nº 89 avait cessé de s’appliquer et que, par conséquent, il ne serait pas possible de ratifier le Protocole y relatif. Deux autres pays (Roumanie, Rwanda) ont indiqué que la ratification du Protocole était peu probable du fait que la pratique moderne va dans le sens d’une abolition du travail de nuit pour les femmes et que les conditions socio-économiques, notamment l’accroissement du chômage, appellent des initiatives et des politiques de nature à promouvoir l’égalité de chances entre les hommes et les femmes. Parmi les Etats qui ont ratifié la convention nº 41, l’Estonie a déclaré qu’elle estimait dépassés les quatre instruments concernant le travail de nuit des femmes et qu’elle dénoncerait la convention nº 41 à la première occasion; le Suriname a indiqué que la possibilité d’une dénonciation de la convention nº 41 était toujours à l’examen.

178.   Quant aux observations reçues de la part d’organisations d’employeurs et de travailleurs, la Fédération des employeurs de Corée (KEF) a exprimé l’avis que l’interdiction du travail de nuit pour les femmes a beaucoup perdu de sa raison d’être au cours de ces dernières décennies, en sorte que la ratification des instruments pertinents ne paraissait pas souhaitable. C’est dans un sens similaire que vont les commentaires de la Fédération des employeurs de Maurice (MEF), pour laquelle rien ne semble justifier la ratification d’une des conventions à l’examen ou du Protocole, compte tenu des lois et des pratiques qui prévalent actuellement dans le pays.

179.   En conclusion, les perspectives d’une éventuelle acceptation du Protocole dans les années à venir paraissent incertaines. En effet, le fait que deux des trois Etats Membres qui sont parties au Protocole (Chypre, République tchèque) ont annoncé leur intention de retirer leur acceptation est loin d’être encourageant[2]. Pour un certain nombre de pays, le problème semble tenir au fait que le Protocole ne peut être ratifié séparément de la convention «mère», en sorte que, même s’ils étaient prêts à accepter les dispositions novatrices du Protocole, ils auraient d’importantes objections au principe de l’interdiction du travail de nuit pour les femmes tel qu’il est énoncé dans la convention nº 89. Cependant, la commission considère que la convention nº 89, telle que modifiée par le Protocole de 1990, reste l’instrument juridique le plus pertinent pour ceux des Etats Membres qui ne sont pas encore prêts à démanteler tous les régimes de protection des femmes au nom de l’égalité entre les sexes, tout en s’efforçant d’assouplir l’application de cette législation protectrice et en donnant pleine considération à la ratification de la convention (nº 171) sur le travail de nuit, 1990.

180.   La commission note que les gouvernements ont également été priés de fournir des informations au sujet d’une éventuelle ratification de cette convention[3]. Les réponses n’ont pas toujours été explicites ou détaillées sur ce point, mais elles ont quand même permis à la commission de discerner quelques tendances nouvelles à l’égard de cet instrument et d’en mesurer le niveau d’acceptation.

181.   Dans un pays (Brésil), le projet de loi portant ratification de la convention nº 171 est actuellement en instance au sein des commissions du Congrès national et le processus de ratification devrait toucher prochainement à sa fin. Dans un autre pays (Costa Rica), la convention nº 171 est désormais soumise à l’Assemblée législative pour examen et, en Slovénie, la législation est en passe d’être modifiée de manière à tenir dûment compte des principes définis dans la convention, après quoi la procédure de ratification pourra être engagée. Deux pays (Allemagne, Burundi) ont réaffirmé leur intention de ratifier la convention, sans fournir plus de détails. Les gouvernements de quatre pays (El Salvador, Grèce, Roumanie, Yémen) ont fait savoir que des consultations avaient été engagées avec les partenaires sociaux, et l’Egypte a indiqué que la question de la ratification était à l’examen. Enfin, deux pays (Maroc, Rwanda) ont indiqué qu’ils étaient sur le point de promulguer des règlements spécifiques inspirés par la convention nº 171, sans toutefois spécifier leurs intentions concernant la ratification.

182.   D’autre part, un certain nombre de pays (Angola, Canada, Colombie, Cuba, Equateur, Espagne, Japon, Malaisie, Malawi, Maurice, Nicaragua, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Paraguay, Thaïlande, Uruguay) ont indiqué qu’ils n’envisageaient pas de ratification pour l’instant. Concrètement, le gouvernement du Canada a exprimé des doutes quant à la compatibilité des dispositions de la convention avec la législation nationale qui est d’application générale et n’établit aucune distinction entre le travail de nuit et le travail de jour. De l’avis du gouvernement de l’Espagne, la convention nº 171 inscrit le travail de nuit dans une perspective nettement négative et restrictive et est trop dirigiste dans sa conception. Le gouvernement du Japon a estimé que, bien que sa législation du travail soit conforme à la plupart des normes définies par la convention nº 171, des problèmes demeurent qui font obstacle à sa ratification. Dans le cas de Maurice, les hésitations tiennent aux préoccupations pour l’emploi dans sa zone franche d’exportation. Enfin, il est à noter que, pour le gouvernement de l’Afrique du Sud, même les dispositions de la convention no 171 restent discriminatoires du fait qu’elles sont rigides et fixent encore des limites au travail de nuit des femmes.

183.   La commission a également noté les commentaires de quatre organisations de travailleurs qui, toutes, appellent leurs gouvernements respectifs à ratifier rapidement la convention nº 171. Le Conseil des syndicats de Nouvelle-Zélande (CTU) a exprimé son soutien à la ratification de la convention nº 171, expliquant que l’économie nationale avait subi une importante déréglementation depuis 1984, que la négociation collective au niveau national avait été réduite à presque rien et qu’une partie importante de la protection des travailleurs de nuit qui existait dans des conventions collectives au moment de la dénonciation de la convention nº 89 n’existait plus. De même, la Chambre fédérale du travail (BAK) de l’Autriche s’est déclarée favorable à la ratification de la convention nº 171, considérant que des mesures de protection s’appliquant indifféremment aux hommes et aux femmes étaient nécessaires compte tenu de la dénonciation prévue de la convention no 89 et des modifications législatives envisagées sur la question du travail de nuit des femmes. Pour sa part, l’Organisation centrale des syndicats finlandais (SAK) a estimé qu’il était très important que la Finlande entame les préparatifs en vue de la ratification de la convention nº 171. Enfin, la Confédération des travailleurs du Mexique (CTM) a indiqué que la ratification de la convention nº 171 pourrait être utile aux travailleurs dans la mesure où elle améliorerait la protection des femmes et des jeunes qui travaillent de nuit.

184.   En conclusion, il semblerait que les Etats Membres tendent, de manière générale, à adopter une attitude plus positive à l’égard de la convention nº 171 qui s’applique aux travailleurs de nuit, qu’ils soient hommes ou femmes, qu’à l’égard de la convention nº 89 et du Protocole de 1990 y relatif, qui s’appliquent exclusivement aux travailleuses. Cependant, la commission note que la convention nº 171 a été ratifiée, ou va l’être, à en juger par les informations contenues dans les rapports, par les Etats qui ont déjà dénoncé ou qui envisagent de dénoncer la convention nº 89. Bien que les deux instruments soient souvent perçus comme étant incompatibles, les Etats Membres peuvent toujours, techniquement parlant, ratifier les deux conventions à la fois. L’une et l’autre résultent d’approches très différentes du problème du travail de nuit: alors que le Protocole s’inscrit dans la même perspective d’intégration de la spécificité des femmes qui sous-tend la convention nº 89, la convention nº 171 aborde la question du travail de nuit à la fois pour les hommes et pour les femmes sous l’angle de la sécurité et de la santé au travail. Alors que l’un des principes de base des conventions concernant le travail de nuit des femmes est la vulnérabilité des travailleuses et la protection spéciale dont elles ont besoin, la convention nº 171 se concentre sur la nature du travail de nuit en tant que tel, à savoir un travail préjudiciable à la santé, posant aux travailleurs des difficultés dans leur vie familiale et sociale, justifiant une compensation spéciale. La commission estime donc nécessaire de souligner que les normes contenues dans le Protocole de 1990 et dans la convention (nº 171) sur le travail de nuit, 1990, peuvent parfaitement fonctionner en parallèle dans les pays qui décident d’assouplir certaines limitations, mais pas toutes, concernant le travail de nuit des femmes, et souhaitent offrir un maximum de protection aux travailleuses qui auraient le droit de travailler la nuit.


[1] Document GB.267/LILS/WP/PRS/2, p. 28.

[2] Il n’est pas courant de voir des conventions internationales du travail dénoncées quelques années après qu’elles furent ratifiées. Le tableau ci-après montre les cas très rares où des Etats Membres ont procédé à la dénonciation d’une convention moins de cinq ans après l’avoir ratifiée (à l’exclusion des dénonciations résultant d’une ratification d’instruments portant révision):

Pays

Convention

Date de ratification

Date de dénonciation

Brésil

C. 4

1934

1937

 

C. 110

1965

1970

 

C. 158

1995

1996

Malte

C. 4

1988

1991

Mauritanie

C. 4

1961

1965

Sri Lanka

C. 4

1951

1954

Venezuela

C. 103

1982

1985

 [3] La convention no 171 est entrée en vigueur le 4 janvier 1995 et, au 8 décembre 2000, elle avait été ratifiée par les six Etats Membres suivants: Belgique, Chypre, République dominicaine, Lituanie, Portugal et République tchèque.

Mise à jour par HK. Approuvée par RH. Dernière modification: 18 juin 2001.