L'OIT est une institution spécialisée des Nations-Unies
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Chapitre 1

Le contexte: le travail des femmes, le travail de nuit
et l’industrialisation mondiale

I. La protection des travailleuses: objectifs,
problèmes et tendances

22.   Depuis 1950, la participation des femmes au marché du travail a progressivement augmenté, la proportion de femmes entre 20 et 54 ans dans la population active frôle maintenant les 70 pour cent contre un peu plus de 50 pour cent en 1950[1]. Bien que toujours inférieure au taux d’activité de la main-d’œuvre masculine, une caractéristique frappante de la participation de la main-d’œuvre féminine est son augmentation constante. Plusieurs facteurs sont généralement donnés pour expliquer ceci. L’un est la diminution des taux de fécondité découlant, d’une part, de méthodes contraceptives féminines au cours de cette période. Dans presque tous les pays, étant donné que les femmes ont moins d’enfants, leur taux d’activité au travail augmente. Un autre facteur est la transition des industries manufacturières vers les industries des services au fur et à mesure que les économies se développent. Traditionnellement, les femmes ont été employées de façon disproportionnée dans le secteur des services et, dans plusieurs pays, les possibilités d’emploi dans ce secteur ont considérablement augmenté. Un troisième facteur est la mondialisation des marchés. Etant donné que les économies de marché avancées s’éloignent des industries manufacturières, et en particulier de celles peu qualifiées, ces emplois se déplacent vers les économies travaillant à moindres coûts. Dès lors, les possibilités d’emploi tant pour les femmes que pour les hommes dans les économies moins développées peuvent augmenter. Des femmes qui auparavant n’occupaient pas d’emplois rémunérés en trouvent maintenant dans des industries de matériaux légers et dans celles faisant l’assemblage de matériaux. Un quatrième facteur est l’innovation technologique, particulièrement dans les télécommunications, ce qui fait en sorte que le transfert des données à travers les frontières s’effectue plus rapidement et à moindres coûts. Ainsi, les femmes dans des pays en développement et dans des pays éloignés des pays à économie de marché avancées peuvent maintenant trouver des possibilités de travail dans le traitement des données, dans les centres de facturation des cartes de crédit et dans les centres d’appel qui n’ont plus à être localisés dans le pays du client. On doit cependant noter que, si le pourcentage des femmes qui travaillent a considérablement augmenté, ceci ne signifie pas nécessairement qu’il y ait une amélioration de la position des femmes au travail par rapport à celle des hommes au travail ni une quelconque amélioration de leurs conditions de travail. Selon les conclusions d’une étude des Nations Unies, ce que le terme «féminisation» du travail signifie réellement, du point de vue de la «flexibilisation» croissante et de la «précarisation» de l’emploi, c’est qu’il est «toujours facile de recruter et de licencier les femmes en fonction des besoins»[2].

23.   Les modèles sociaux établis lorsque la majorité des femmes ne travaillaient pas en dehors de la maison continuent à persister malgré des circonstances rigoureusement différentes. Traditionnellement, l’homme était le soutien de famille, c’est lui qui était engagé dans un emploi rémunéré hors de la maison, et la femme était la personne occupée aux travaux ménagers non rémunérés comme le lavage, le nettoyage, la cuisine, etc. Elle était aussi traditionnellement considérée comme la personne dont la responsabilité première était de s’occuper des enfants et des autres membres de la famille. Les études montrent que, lorsque à la fois l’homme et la femme travaillent à plein temps, les tâches ménagères et les responsabilités familiales incombent encore de manière disproportionnée à la femme. L’augmentation des foyers monoparentaux fait peser sur les travailleuses concernées par cette situation toute la charge de la famille. Etant donné que le nombre de femmes qui travaillent augmente, la «double journée de travail», l’une rémunérée et l’autre à la maison, non rémunérée et à laquelle les femmes ont toujours dû faire face, a reçu plus d’attention de la part des médias.

24.   Les faits et tendances mentionnés ci-dessus peuvent être interprétés de deux manières assez différentes. Beaucoup diront que le travail de nuit n’a pas, en soi, de rapport avec la position désavantagée des femmes sur le marché du travail mais que l’interdiction du travail de nuit peut, de fait, contribuer à ce désavantage[3]. Ils réclameront l’intensification des efforts visant à éradiquer la discrimination fondée sur le sexe dans le marché du travail comme étant le moyen le plus efficace pour améliorer la condition des femmes au travail. D’autres, ayant connaissance que la charge qui pèse sur les travailleuses, particulièrement sur celles qui exercent un travail sous-qualifié ou qui ont des responsabilités familiales, est rendue plus lourde encore par les sollicitations supplémentaires induites par le travail de nuit, réclameront le maintien des mesures de protection pour ces femmes, pensant qu’il n’existe pas actuellement de moyen de réduire à une leur double journée de travail. Le défi est d’élaborer des politiques consensuelles mettant en balance les mesures qui limitent la liberté de choix des femmes quant à leurs horaires de travail et qui réduit leur capacité à concurrencer les hommes sur le marché du travail, avec les mesures visant à accorder une protection adéquate pour répondre à une nécessité avérée de protection.

II. Les réalités du travail de nuit: risques et avantages

25.   Selon des études de l’OIT, les travailleurs de nuit dans les pays industrialisés représentent 8 à 15 pour cent de la population économique active[4]. Il est généralement admis que le travail de nuit tend à augmenter parallèlement à l’industrialisation et à l’urbanisation. Il n’existe actuellement pas d’étude permettant de dire si le travail de nuit est plus courant dans les secteurs où les télécommunications sont développées et où la mondialisation des marchés rend possible à ceux qui travaillent sur des ordinateurs de le faire en dehors de bureaux et en dehors des heures de travail normales. Les données disponibles montrent que dans les entreprises industrielles le taux de participation des femmes au travail de nuit est généralement assez en dessous du taux de participation des hommes, mais, bien sûr, ceci reflète une situation où les interdictions légales du travail de nuit des femmes influent sur les données: il n’est donc pas possible d’estimer quel serait le taux si l’interdiction du travail de nuit des femmes était complètement levée.

26.   Les raisons avancées pour justifier le travail de nuit dans les établissements industriels sont techniques, économiques et sociales. Dans certaines industries, telles que les raffineries, les industries sidérurgiques ou de fabrication de papier, le processus de production exige en lui-même continuité, car il est impossible d’avoir un processus de production qui s’arrête seulement toutes les douze heures. Les motifs économiques sont donc souvent déterminants[5]. En outre, plus l’industrie fait appel à une forte intensité de capital, plus il est coûteux d’avoir un équipement cher qui reste inutilisé. Dès lors, l’augmentation de la demande se heurte au coût élevé de l’équipement. Les employeurs déclarent parfois qu’ils préféreraient accroître l’utilisation de l’équipement en augmentant le nombre d’heures de travail de leurs travailleurs. Les facteurs sociaux sont aujourd’hui d’une importance croissante étant donné que les personnes attendent une disponibilité de plus en plus grande de nombreux services, comme les magasins de vente au détail et les magasins d’alimentation. Les communautés ont toujours demandé une disponibilité, 24 heures sur 24, de certains services publics, notamment de ceux relatifs à la sécurité publique (police et incendie) et aux soins de santé. Aujourd’hui toutefois, la liste des services que l’on souhaite voir fonctionner le soir et durant toute la nuit s’étend largement au-delà des services nécessaires.

27.   Depuis le début de la révolution industrielle, l’une des raisons servant à justifier le travail de nuit a été que, si les machines fonctionnent jour et nuit, le coût de production à l’unité diminue[6]. Lorsque la concurrence entre les producteurs est intense, certains employeurs invoquent souvent le fait que de longues heures et du travail de nuit sont nécessaires. Tel est le cas même dans les industries à forte intensité de main-d’œuvre, telles que les industries du vêtement et de la chaussure, où les considérations relatives à l’équipement coûteux et aux processus de haute technologie ne s’appliquent pas. Aujourd’hui, le recours aux horaires de travail irréguliers et au travail de nuit est expliqué par certains comme étant imposés par des impératifs économiques et le souci de créer des emplois, la croissance des exportations et la nécessité d’avoir des coûts compétitifs. Les travailleurs, face à la croissance généralisée du chômage, n’ont souvent pas d’autre choix que d’accepter la réalité des «horaires incommodes» pour prix de pouvoir avoir un travail. Alors que nous entrons dans un siècle nouveau, l’un des exemples les plus saisissants de ces longues heures de travail est le cas des zones franches d’exportation, ou ZFE[7], établies dans de nombreux pays en développement pour promouvoir une stratégie de développement orientée vers l’exportation. Parmi les caractéristiques typiques des ZFE, on trouve une forte proportion de femmes au travail (majoritairement de jeunes femmes touchant de bas salaires, effectuant des travaux d’assemblage peu qualifiés)[8], l’utilisation extensive des heures supplémentaires, l’insécurité de l’emploi et un faible taux de syndicalisation. Une telle situation se prête à des conditions de travail problématiques du point de vue social. Ce qui pose problème dans de nombreuses ZFE, c’est que la fixation d’objectifs de production trop élevés et irréalistes fait que souvent le travail de nuit et de nombreuses heures de travail supplémentaires sont jugés nécessaires durant des périodes prolongées. Sachant cela, de nombreux gouvernements ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas continuer à observer certaines normes internationales incluses dans diverses conventions dont celles interdisant le travail de nuit des femmes dans l’industrie[9]. La commission, à de nombreuses occasions, a abordé la question des conditions de travail dans les ZFE et a répété, à maintes reprises, l’importance qu’elle attache à la nécessité pour les pays ayant des ZFE d’améliorer les conditions de travail et d’y assurer la conformité avec les normes internationales du travail relatives aux droits syndicaux et à la négociation collective[10]. A cet égard, la commission rappelle les conclusions de la Réunion tripartite des pays dotés de zones franches d’exportation, qui s’est tenue en octobre 1998 dans le cadre d’un Programme d’action sur les problèmes sociaux et du travail des zones franches d’exportation. A cette occasion, la réunion a demandé aux entreprises des ZFE de faire leur possible pour s’assurer notamment que les mesures existent pour aider les travailleuses à combiner leurs responsabilités professionnelles et familiales, telles que la «limitation de la durée excessive du travail et du travail de nuit, la fourniture de services de garde d’enfants et l’allocation d’heures ou de jour de congé pour s’occuper de leur enfant»[11].

28.   Les effets physiologiques, psychologiques et médicaux du travail de nuit ont fait l’objet de nombreuses études au fil des années[12]. Il est généralement admis que, même si les effets du travail de nuit peuvent varier considérablement en fonction de l’âge et de la situation économique et familiale du travailleur, le travail de nuit régulier provoque essentiellement une fatigue anormale et est susceptible d’affecter de diverses façons la santé du travailleur homme ou femme[13]. La surfatigue est due, semble-t-il, aux troubles du sommeil et au fait que les travailleurs de nuit doivent travailler en état de «désactivation nocturne» et dormir en état de «réactivation diurne», ce qui provoque une discordance de phase entre deux rythmes circadiens: le rythme biologique d’activation et de désactivation de l’organisme et le rythme artificiel de l’activité au travail et du repos[14]. La forte somnolence et la grande fatigue ressenties par des travailleurs de nuit induisent généralement un état d’hypovigilance, accroissant de ce fait le risque d’accident; dans certains cas, cette discordance peut provoquer la «paralysie d’équipe de nuit», un phénomène peu courant observé chez les aiguilleurs du ciel et les infirmières de nuit: le manque de sommeil rend une personne incapable de réagir à des stimuli qui, dans des conditions normales, provoqueraient une réaction. On dispose désormais d’abondantes données d’enquête attestant que la fatigue due au travail de nuit est un facteur d’incident et d’accident dans les exploitations industrielles et les centrales nucléaires, et qu’elle contribue à pratiquement tous les types de catastrophe dans le domaine des transports, notamment ferroviaire, maritime, aérien et automobile[15]. L’exécution du travail de nuit est également associée à des troubles digestifs (gastro-intestinaux, en particulier des ulcères) et nerveux qui peuvent s’aggraver si le travailleur d’équipe ne s’alimente pas correctement ou s’il consomme trop de café ou de tabac pendant la nuit et s’il prend des somnifères pendant la journée. Des études montrent également qu’il y a un risque accru de maladies cardiovasculaires, imputables essentiellement aux habitudes alimentaires des travailleurs en équipe/de nuit[16]. De récentes études sur le travail par équipes et la santé génésique indiquent que le travail de nuit et les horaires de travail irréguliers peuvent être aussi associés à des risques élevés: fausse couche, accouchement avant terme, faible poids à la naissance[17]. La perturbation de la vie de famille et de la vie sociale s’ajoute au stress psychologique enduré par les travailleurs de nuit, avec des conséquences plus ou moins graves et plus ou moins durables sur leurs relations familiales, leur mode de vie et leur adaptation sociale[18]. Les études montrent que seul un tiers des travailleurs tolère parfaitement le travail de nuit et la rotation des horaires de travail pendant leur vie active. Environ 20 pour cent des travailleurs en équipe sont obligés de passer à l’équipe de jour pendant leur première année d’emploi parce qu’ils en ont besoin à cause des perturbations de leur rythme circadien et de son cortège de troubles du sommeil, de difficultés sur le plan de la vie sociale et de réactions diverses liées au stress. Comme on peut le lire en conclusion d’une étude de l’OIT consacrée à ce sujet, «il semble bien établi que le travail de nuit est nocif et donc condamnable, du point de vue physiologique et du point de vue familial et social, pour une forte majorité des travailleurs»[19].

III. Interdiction du travail de nuit pour les femmes
et égalité entre les sexes: point de vue de l’OIT

29.   Le débat sur la limitation de l’accès des femmes au travail de nuit s’est toujours articulé autour de l’opposition de deux points de vue: il y a ceux qui soutiennent que l’interdiction du travail de nuit pour les femmes et la promotion de l’égalité de chances et de traitement entre les hommes et les femmes sont des objectifs contradictoires. A l’inverse, il y a ceux qui soutiennent que, loin d’être un moyen de perpétuer l’inégalité entre les hommes et les femmes, le fait de limiter l’accès des femmes au travail de nuit n’est motivé que par le souci de protéger les femmes, une telle protection étant particulièrement requise dans les pays où l’inégalité et l’exploitation des travailleuses demeurent un fait de vie.

30.   Il y a eu une réinterprétation progressive des rôles spécifiques de l’homme et de la femme dans le mariage, sur le plan des responsabilités familiales et dans la vie professionnelle. La convention nº 156 sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales reconnaît que tant les hommes que les femmes ont des responsabilités familiales et fait référence expressément au préambule de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes, 1979, qui indique que les Etats parties sont «conscients que le rôle traditionnel de l’homme dans la famille et dans la société doit évoluer autant que celui de la femme si l’on veut parvenir à une réelle égalité de l’homme et de la femme». Cette réinterprétation a appelé une transformation des règles internationales régissant l’accès des femmes à l’emploi. Alors que ces règles visaient sans doute autrefois à protéger les femmes contre des conditions de travail excessivement pénibles, elles ont actuellement besoin d’être recentrées de manière à mieux refléter les principes valables aujourd’hui de la non-discrimination au travail et de l’égalité entre les hommes et les femmes. D’aucuns tendent actuellement à considérer que, à l’exception des normes et avantages liés à la protection de la maternité, toutes les autres mesures spéciales de protection sont contraires aux objectifs d’égalité de chances et de traitement entre les hommes et les femmes. Une étude de l’OIT sur les effets du travail de nuit sur la santé des travailleurs a reconnu que «le sexe est indifférent et, médicalement parlant, il n’est pas justifié de protéger seulement la main-d’œuvre féminine, sauf dans les circonstances où sa fonction de reproduction est en cause, du fait des risques pour l’enfant»[20]. Selon les conclusions d’une récente étude sur le travail par équipes, il semblerait qu’il n’y ait pas de différences physiologiques entre les hommes et les femmes quant à leur capacité à tolérer ce type de travail et à s’adapter au travail de nuit[21]. Le fait que certaines femmes ne supportent pas le travail de nuit aussi bien que les hommes ne résulte pas de différences biologiques, ce qui n’était pas reconnu par ceux qui proposèrent l’interdiction du travail de nuit dans le but de protéger les femmes, mais résulte du double fardeau qu’elles doivent porter du fait des soins aux enfants et des responsabilités ménagères. Ceci leur laisse moins de temps de repos réel en dehors de leurs heures de travail. Ainsi, l’opinion selon laquelle ces femmes ont besoin d’une protection, qui devrait prendre la forme d’une interdiction du travail de nuit, reflète le rôle traditionnel que la société attribue encore aux femmes dans certains domaines[22].

31.   La nécessité de réaliser l’égalité entre les hommes et les femmes a gagné du terrain au cours des vingt dernières années grâce à l’action d’organismes internationaux comme l’Organisation des Nations Unies et l’Union européenne. La Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979), la Directive 76/207/CEE du Conseil relative à l’égalité de traitement ainsi que la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, fondée sur l’instrument précité, ont lancé l’idée qu’il fallait examiner les mesures de protection en fonction des connaissances scientifiques mises à jour, des modifications techniques et de l’évolution de la société en général, afin de les réviser, de les abroger, de les compléter, d’en étendre le champ d’application ou de les maintenir en l’état. Dans le même ordre d’idée, la Conférence internationale du Travail a demandé, dans sa résolution de 1985 sur l’égalité de chances et de traitement entre les travailleurs et les travailleuses en matière d’emploi, des mesures au niveau national pour «revoir toute la législation protectrice s’appliquant aux femmes compte tenu des connaissances scientifiques mises à jour et des modifications techniques et pour réviser, étendre à tous les travailleurs, compléter, maintenir ou abroger cette législation selon les besoins et les circonstances de chaque pays»[23]. A la suite de cette résolution, la Réunion d’experts de l’OIT de 1989 concernant les mesures spéciales de protection des femmes et l’égalité de chances et de traitement a considéré que des «mesures de protection spéciales pour les femmes dans le cas de travaux dangereux, pénibles et insalubres sont incompatibles avec le principe d’égalité de chances et de traitement, sauf lorsqu’elles sont rendues nécessaires par la condition biologique de la femme», et elle a recommandé, pour l’action future de l’OIT, «que les instruments de protection devraient faire l’objet d’un réexamen périodique afin de déterminer si leurs dispositions sont encore appropriées, à la lumière de l’expérience acquise depuis leur adoption, et de les mettre à jour à la lumière des connaissances scientifiques et techniques ainsi que du progrès social»[24]. Conformément à la résolution de 1985 et sur la base des conclusions de la réunion d’experts de 1989, le Bureau, dans son dernier examen complet des questions concernant les femmes, a affirmé que «la tâche de l’OIT est d’aider les groupes tripartites à mener l’examen de cette législation sur la base des principes et orientations établis»[25].

32.   Le Bureau a souligné dans un rapport de 1989 que «la question est complexe. Pour l’analyser, il faut tenir compte de valeurs opposées ainsi que de normes internationales du travail contradictoires concernant la prévention de la discrimination en matière d’emploi et la sécurité et la santé des travailleurs. L’OIT s’efforce de rationaliser tous ces intérêts et ces doctrines et de les rassembler en une politique cohérente qui assure l’égalité de chances tout en évitant la dégradation des conditions de travail»[26]. Les normes adoptées en 1990 sous la forme du Protocole relatif à la convention no 89 et à la convention no 171 concernant le travail de nuit étaient le résultat d’une tentative de résoudre cette opposition d’intérêts. Le Protocole servait à assouplir des interdictions alors qu’une certaine forme de restriction concernant uniquement les femmes était considérée comme toujours valable. La convention no 171 prévoyait des mesures de protection de tous les travailleurs de nuit, y compris sur les aspects intéressant spécifiquement les femmes. L’article 3 prévoyait que des mesures spécifiques étaient exigées par la nature du travail de nuit en vue de protéger la santé des travailleurs, de leur faciliter l’exercice de leurs responsabilités familiales et sociales, de leur assurer des chances de développement de carrière et de leur accorder les compensations appropriées. Il prévoyait aussi des mesures spéciales sur le plan de la sécurité et de la protection de la maternité.

Références supplémentaires

Asia Monitor Resource Center, We in the zone – Women workers in Asia’s export processing zones, 1998.

Carr, M.; Chen, M.; Jhabvala, R. (éds.): Speaking out – Women’s economic empowerment in South Asia, 1996.

Goonatilake, H., et Gonnesekere, S.: «Industrialization and women workers in Sri Lanka: Working conditions inside and outside the investment promotion zone», chez Heyzer, N. (éd.): Daughters in industry – Work skills and consciousness of women workers in Asia, 1988, pp. 184-208.

Helbig, R., et Rohmert, W.: «Fatigue and recovery» in Encyclopedia of Occupational Health and Safety, 4e édition, OIT 1998, vol. 1, pp. 29.38-29.41; et Monk, T.H.: «Hours of Work», ibid., vol. 2, pp. 34.18-34.19.

Hosmer Martens, M.: «Organizing women workers in export processing zones», chez Hosmer Martens, M., et Mitter, D. (éds.): Women in Trade Unions – Organizing the unorganized, 1994, pp. 173-195.

Rosa, K.: «The conditions and organisational activities of women in free trade zones – Malaisie, Philippines et Sri Lanka, 1970-1990», chez Rowbotham, S., et Mitter, S. (éds.): Dignity and daily bread, 1994, pp. 73-99.

Sites Internet


[1] Voir le document Etude mondiale de 1999 sur le rôle des femmes dans le développement: la mondialisation et ses conséquences sur les femmes et l’emploi, Nations Unies, document A/54/227 du 18 août 1999, pp. 32 et 33. Voir aussi Key Indicators of the Labour market 1999, ILO 1999, pp. 17-50.

[2] Voir le document Etude mondiale de 1999 sur le rôle des femmes dans le développement: la mondialisation et ses conséquences sur les femmes et l’emploi, Nations Unies, document A/54/227 du 18 août 1999. De plus, selon les chiffres des Nations Unies, plus de la moitié du temps total de travail des femmes est consacré à du travail non rétribué; voir The world’s women 2000 – Trends and statistics, Nations Unies, 2000, p. 126. Pour reprendre les termes d’un analyste: «the trends of flexibility and feminization combined to pose an historical challenge to social and labor market policy […] the trend is toward greater insecurity and labor flexibility. Reversing that trend, which is associated with labor flexibility, is the most important labor market and social policy challenge of all», voir G. Standing: «Global feminization throught flexible labor: A theme revisited», World Development, vol. 27, 1999, p. 600. La libéralisation du commerce mondial a également créé un nombre sans précédent de travailleurs migrants, et les femmes constituent une proportion croissante d’entre eux. Selon une étude des Nations Unies, le taux annuel de croissance des migrantes était plus élevé que celui des hommes de 1985 à 1990 dans quatre des six régions. Voir le document Etude mondiale de 1999 sur le rôle des femmes dans le développement: la mondialisation et ses conséquences sur les femmes et l’emploi, Nations Unies, document A/54/227 du 18 août 1999, p. 70. Les tendances actuelles de la migration internationale, notamment l’accroissement considérable du nombre de migrantes, sont également examinées dans l’étude d’ensemble sur les travailleurs migrants, réalisée par la commission en 1999, paragr. 5 à 23; voir aussi Women workers – Reaching for the sky, CISL, mai 2000.

[3] Par exemple, certains économistes du travail mettent en avant que, lorsque les interdictions du travail de nuit sont entrées en vigueur, de nombreuses femmes ont dû quitter leur emploi parce qu’elles n’étaient plus en mesure de travailler par équipes roulantes. Elles ont été réaffectées à des postes ne requérant pas de travail de nuit. Peu à peu, ces postes sont devenus des emplois «féminins» et, à une époque où le concept d’égalité des salaires n’avait pas cours, elles ont été rémunérées selon une échelle de salaires féminins moins élevée que celle des hommes. Dans certains cas, l’introduction des interdictions du travail de nuit a augmenté la ségrégation professionnelle fondée sur le sexe. Aujourd’hui, il est généralement admis que la ségrégation professionnelle fondée sur le sexe est l’une des causes premières expliquant l’écart de salaire entre les hommes et les femmes. De récentes données indiquent que dans la quasi-totalité des pays les femmes ne gagnent toujours que 50 à 80 pour cent du salaire des hommes; voir The world’s women 2000 – Trends and statistics, United Nations, 2000, p. 132. Voir également Worlds apart – Women and the global economy, CISL, avril 1998.

[4] Voir J. Carpentier et P. Cazamian: Le travail de nuit – Effets sur la santé et la vie sociale du travailleur, 1977, p. 1. Voir aussi CIT, 76e session, 1989, rapport V(1), p. 1. De telles statistiques relatives aux pays en développement sont rares. Néanmoins, les travailleurs sans papiers en règle travaillent souvent la nuit, et aucune étude statistique sérieuse n’existe à ce sujet.

[5] Voir, par exemple, P.J. Sloane: «Le travail par équipes et le travail de nuit dans les pays industrialisés à économie de marché – Aspects économiques», RIT (1978), vol. 117, pp. 143 à 158.

[6] Dans une étude de l’OIT, on a estimé que l’emploi régulier de femmes au travail de nuit pouvait représenter un avantage, en terme de production, pouvant atteindre jusqu’à 30 pour cent; voir Economic and social effects of multinational enterprises in export processing zones, OIT/UNCTC, 1988, p. 101.

[7] Le nombre de pays dotés de ZFE est passé de 10 en 1970 à 53 en 1986, et l’on estime à 27 millions le nombre de personnes travaillant actuellement dans les 845 zones de ce type dans le monde. Voir Economic and social effects of multinational enterprises in export processing zones, OIT/UNCTC, 1988, et Questions relatives au travail et questions sociales dans les zones franches d’exportation, OIT, 1998, p. 3. C’est en Amérique du Nord (320) et en Asie (225) que ces zones sont les plus nombreuses, mais la concentration des ZFE s’accroît dans des régions en développement telles que les Caraïbes, l’Amérique centrale et le Moyen-Orient.

[8] D’après une enquête réalisée en 1988, le taux de participation des femmes à la main-d’œuvre des ZFE est passé de 60 à 80 pour cent en République de Corée, à Maurice, au Mexique, aux Philippines ou à Singapour, à 80-90 pour cent à la Barbade, en Inde, en Indonésie, en Jamaïque, en Malaisie, à Sri Lanka et en Tunisie; voir Economic and social effects of multinational enterprises in export processing zones, OIT/UNCTC, 1988, pp. 60 et 61.

[9] Voir A.T. Romero: «Labour standards and export processing zones: Situation and pressures for change», Development Policy Review, vol. 13, 1995, p. 256.

[10] Dans son dernier rapport, la commission, examinant les rapports sur l’application de la convention (nº 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, a fait observer que les pratiques discriminatoires à l’égard des femmes telles que l’imposition des tests de grossesse comme condition d’embauche ont encore cours dans les zones franches d’exportation, et qualifié ces pratiques d’«outrageantes et contraires à la dignité humaine»; voir CIT, 88e session, 2000, rapport III (partie 1A), p. 363. En une autre occasion, la commission a fait état de la tendance de certains pays dotés de zones franches d’exportation à exclure en droit et en pratique les ZFE du champ d’application de la législation nationale du travail, et noté «un écart significatif entre l’application en droit des normes du travail dans les ZFE et leur application dans la pratique»; voir CIT, 87e session, 1999, rapport III (partie 1A), p. 30. Pour les dernières observations de la commission sur l’application des conventions nos 87 et 98 pour certains pays dotés de ZFE, voir CIT, 88e session, 2000, rapport III (partie 1A), pp. 199, 201, 204, 213, 264, 277; CIT, 87e session, 1999, rapport III (partie 1A), pp. 192, 198, 243, 249, 268, 283; CIT, 86e session, 1998, rapport III (partie 1A), pp. 226, 246, 272, 282, 306, 366, 370. Voir aussi l’étude d’ensemble de la Commission sur la liberté syndicale et la négociation collective, CIT, 81e session, 1994, rapport III (partie 4B), paragr. 60, 169, pp. 30 et 77.

[11] Voir document GB.273/STM/8/1, paragr. 29, p. 17. La réunion a également considéré que les femmes qui travaillaient tard étaient souvent exposées à des risques de harcèlement et de violence et que des mesures devraient être prises pour assurer un transport adéquat et une sécurité suffisante.

[12] Pour un tour d’horizon sur les effets sur la santé du manque de sommeil et des horaires de travail atypiques, voir K. Kogi: «Sleep deprivation» dans Encyclopaedia of Occupational Health and Safety, 4e édition, OIT, 1998, vol. 1, pp. 29.52-29.55, et P. Knauth: «Hours of work», ibid., vol. 2, pp. 43.2-43.15. Voir aussi T. Akerstedt: Wide awake at odd hours – Shift work, time zones and burning the midnight oil, Conseil suédois pour la recherche sur la vie sociale, 1996, et Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, TheEffects of Shiftwork on Health, Social and Family Life, 1981.

[13] Les travaux exécutés tôt le matin sont à l’origine des «inévitables déficiences physiologiques dues au manque de sommeil et de lumière du jour»; voir, par exemple, J. Goldmark, Fatigue and efficiency, 1912, p. 265. Selon une enquête de 1946 sur les pratiques du travail de nuit pendant la seconde guerre mondiale, «la fatigue est un facteur prédisposant à de nombreuses maladies, depuis le refroidissement classique jusqu’aux troubles nerveux, et les investigations menées dans l’industrie font apparaître que les horaires longs et le travail de nuit induisent une baisse de productivité et un plus grand nombre d’accidents du travail, de pertes de temps et de maladies»; voir Health and efficiency of workers as affected by long hours and night work – Experience of World War II, State of New York, Department of Labor, 1946, p. 21.

[14] Le système circadien humain est censé pouvoir s’adapter à un changement d’une heure ou deux par jour, pas plus. Lorsqu’une personne travaille en équipe de nuit, il en résulte un brusque changement sur une durée de huit heures de travail, qui équivaut à un vol transatlantique, et le cas d’un travailleur affecté à un système d’équipes tournantes d’une semaine de jours, de nuits, et donc de soirées, peut se comparer à un tour du monde toutes les trois semaines. A cet égard, un débat porte actuellement sur la question de savoir si les systèmes à changement d’équipe rapide sont préférables aux systèmes à changement d’équipe lent, mais aussi sur la question de savoir si les travailleurs de nuit permanents s’adaptent mieux au travail nocturne et au sommeil diurne; voir, par exemple, P. Knauth: «The design of shift systems», Ergonomics, vol. 36, 1993, pp. 15 à 28.

[15] Voir M. Härmä: «New work times are here – Are we ready?», Scandinavian Journal of Work, Environment & Health, vol. 24, 1998, suppl. 3, p. 4.

[16] Selon une enquête récente, les travailleurs de nuit risquent 30 à 50 fois plus de contracter une maladie coronarienne que les travailleurs diurnes; voir L. Tenkanen et coll.: «Shift work, occupation and coronary heart disease over 6 years of follow-up in the Helsinki Heart Study», Scandinavian Journal of Work, Environment & Health, vol. 23, 1997, p. 264.

[17] Voir T. Nurminen: «Shift work and reproductive health», Scandinavian Journal of Work, Environment & Health, vol. 24, 1998, suppl. 3, p. 33.

[18] Voir D. Bunnage: «Study on the consequences of shiftwork on social and family life», et A. Maasen: «The family life of shiftworkers and the school career of their children», à la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail et de vie, The effects of shiftwork on health, social and family life, 1981.

[19] Voir J. Carpentier et P. Cazamian: Le travail de nuit – Effets sur la santé et la vie sociale du travailleur, 1977, p. 7.

[20] Ibid., p. 43.

[21] Voir T. Hakola: «Circadian adjustment of men and women to night work», Scandinavian Journal of Work, Environment & Health, vol. 22, 1996, p. 137; M. Härmä: «Individual differences in tolerance to shiftwork: a review», Ergonomics, vol. 36, 1993, p. 105; F. Nachreiner: «Individual and social determinants of shiftwork tolerance», Scandinavian Journal of Work, Environment & Health, vol. 24, 1998, suppl. 3, p. 36.

[22] Voir H. Oginska et coll.: «Gender, ageing, and shiftwork tolerance», Ergonomics, vol. 36, 1993, p. 167.

[23] Voir CIT, 71e session, 1985, Compte rendu des travaux, p. LXXXI. Il est également à noter qu’en 1984, à la suite des craintes exprimées concernant la compatibilité de certaines conventions de l’OIT avec la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le Bureau a adopté le point de vue selon lequel «les Etats ayant ratifié la Convention des Nations Unies et une convention de l’OIT (relative au travail de nuit ou aux travaux souterrains pour les femmes) ont l’obligation de revoir périodiquement leur législation protectrice, en application du paragraphe 3 de l’article 11 de la Convention des Nations Unies. Ils n’ont pas à abroger cette législation ou à dénoncer la convention correspondante si cela n’est pas jugé nécessaire pour le moment»; voir document GB.228/24/1, paragr. 17.

[24] Voir les Mesures spéciales de protection pour les femmes et l’égalité de chances et de traitement, documents de la Réunion d’experts sur les mesures spéciales de protection pour les femmes et l’égalité de chances et de traitement, MEPMW/1989/7, pp. 89-91.

[25] Voir L’évolution du rôle des femmes dans l’économie: L’emploi et les questions sociales, document GB.261/ESP/2/2, paragr. 51.

[26] Voir les Mesures spéciales de protection pour les femmes et l’égalité de chances et de traitement, documents de la Réunion d’experts sur les mesures spéciales de protection pour les femmes et l’égalité de chances et de traitement, MEPMW/1989/7, p. 1.

Mise à jour par HK. Approuvée par RH. Dernière modification: 18 juin 2001.