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Rapport de la Commission de l'application des normes

Discussion en plénière
Rapport général


 

Visite de M. Muchtar Pakpahan, Président de la Confédération Serikat Duruh Sejahtera Indonesia (SBSI)

Le président de la Commission de l'application des normes a souhaité la bienvenue à M. Pakpahan et a salué ses activités syndicales, exercées dans un contexte particulièrement difficile en Indonésie, et dans lequel on a craint pour sa vie. Le président a rappelé que la présente commission était, depuis de nombreuses années, particulièrement attentive à la situation de M. Pakpahan et de son organisation.

M. Pakpahan a fait la déclaration suivante:

Monsieur le Président, honorables délégués, chers frères et sœurs,

Avant tout, je voudrais vous remercier, Monsieur le Président, ainsi que le porte-parole du groupe des employeurs et mon cher ami et frère, Willy Peirens, de me faire l'honneur et de me procurer la joie de m'adresser à vous ce soir.

C'est un grand honneur pour moi de pouvoir participer à la Commission de l'application des normes de l'OIT. Cela me fait d'autant plus plaisir, car je suis enfin en mesure de vous remercier officiellement au nom du Serikat Buruh Sejahtera Indonesia [SBSI] pour tout ce que la présente commission a fait pour les travailleurs indonésiens.

Je remercie le groupe des travailleurs, car il s'est montré fidèle à la mission et aux valeurs syndicales. Je remercie le groupe des employeurs, car il a soutenu, avec honneur, la liberté syndicale. Je remercie également les nombreux gouvernements qui sont intervenus pour soutenir le SBSI. A tous, je vous dis merci, «Trimakasih».

Vous, honorables membres de cette commission, avez suivi avec plus d'attention que tous les autres l'évolution du SBSI en Indonésie. Vous savez mieux que quiconque ce que nous avons dû affronter depuis 1992.

Le SBSI a essayé d'exercer son droit à la liberté syndicale dans le contexte difficile de la dictature et de l'unicité syndicale officielle. Nous avons tenté de nous constituer pour véritablement défendre les droits des travailleurs. Pour cette raison, nous avons été emprisonnés, quelques-uns parmi nous ont été torturés, nos réunions ont été interrompues, nos membres ont perdu leur emploi, nos locaux ont été saccagés, nos documents saisis... Honorables membres de cette commission, je m'arrêterai ici car vous connaissez bien cette histoire.

Le 21 mai dernier, après trente-deux ans, le régime dictatorial de Suharto a pris fin. Tout d'un coup, après six années de harcèlement incessant de la part du gouvernement contre le SBSI, nous sommes en train de vivre des changements qui nous permettent de reprendre notre souffle. J'ai été libéré de prison, il y a maintenant deux semaines, et la politique de l'unicité syndicale a été stoppée. Le gouvernement s'est engagé officiellement à procéder à l'enregistrement du SBSI et à ratifier quelques-unes des conventions fondamentales de l'OIT.

En dépit de ces rapides évolutions, le mouvement des réformateurs en Indonésie réclame des changements profonds dans la société. Il demande des réformes de la déclaration politique, une transition rapide vers la démocratie par le biais d'élections libres et équitables et la mise en place d'un gouvernement aux mains propres. En outre, le SBSI réclame, en premier lieu, la libération de tous les prisonniers de conscience. En second lieu, il demande la révision complète de la législation et l'adoption d'une nouvelle législation du travail en conformité avec les conventions de l'OIT. Mais, par-dessus tout, nous demandons l'application effective de toutes les conventions ratifiées par le gouvernement indonésien.

Ainsi, même si, Monsieur le Président, il y a eu des progrès, nous devons rester vigilants. C'est pourquoi, au nom du SBSI, je demande à cette honorable commission de suivre de très près le respect par le gouvernement indonésien de ses engagements présents et à venir. Nous vous demandons d'agir pour la libération de tous les prisonniers d'opinion, de nous aider à assurer la pleine conformité de la nouvelle législation du travail avec les conventions de l'OIT, afin qu'elle permette de protéger les travailleurs de la répression, des ingérences du gouvernement, de la discrimination antisyndicale, et de promouvoir la négociation collective. A cet égard, nous vous demandons de nous fournir l'assistance technique nécessaire, dès que possible, pour nous aider à élaborer une nouvelle législation du travail pour une Indonésie démocratique et pour nous permettre d'instaurer un climat démocratique dans lequel ces droits seront appliqués en pratique.

Monsieur le Président, je suis très ému d'être présent au sein de cette commission. Je souhaiterais terminer cette déclaration en rendant hommage à la présente commission et au système de contrôle de l'OIT, en particulier en cette année de commémoration du cinquantième anniversaire de la convention no 87. Cette commission est la conscience du monde du travail. Lorsque vous êtes en prison, vous n'avez ni voix, ni visage. Mais, Monsieur le Président, cette commission m'a donné une voix et m'a rendu visible. Mais, par-dessus tout, les travaux de cette commission m'ont donné la force. La force de continuer et de lutter pour le droit et la justice. De lutter pour la liberté syndicale en Indonésie. Je vous remercie.

Maroc (ratification:1957). Le gouvernement a communiqué les informations suivantes:

Aux termes de l'article 9 de la Constitution du Royaume «La Constitution garantit à tous les citoyens ... la liberté d'association et la liberté d'adhérer à toute organisation syndicale et politique de leur choix. Il ne peut être apporté de limitation à l'exercice de ces libertés que par la loi».

Textes législatifs et réglementaires donnant effet à la convention

Le droit syndical est considéré comme un droit fondamental, conformément à la Constitution qui garantit la liberté d'association et la liberté d'adhérer à toute organisation syndicale et politique.

Ce droit est concrétisé également par la législation en vigueur garantissant:

La reconnaissance de ces droits tant par la Constitution que par la législation implique, ipso jure, l'interdiction de tout acte discriminatoire tendant à en limiter l'exercice car il est inconcevable juridiquement de reconnaître la légalité des mesures qui auraient pour effet d'éluder le bénéfice des droits reconnus par la loi.

Le principe de non-discrimination découle également des dispositions de l'article 3 du dahir du 23 octobre 1948 relatif au statut type qui prévoit que l'employeur recrute le personnel dont il a besoin en prenant en considération uniquement les aptitudes professionnelles des demandeurs d'emploi.

Ainsi, en l'état actuel de la législation nationale, tout acte discriminatoire visant les travailleurs, en raison de leurs activités syndicales ou de leur appartenance syndicale, est considéré comme étant non conforme à la Constitution et à la réglementation en vigueur, et de ce fait susceptible de recours en annulation devant les juridictions compétentes.

C'est sur la base des principes précités que la jurisprudence considère le droit syndical (droit de grève, notamment) comme un droit fondamental dont l'exercice ne peut constituer un motif valable de licenciement.

Pour lever toute équivoque pouvant résulter de l'absence de dispositions légales interdisant expressément la discrimination fondée sur l'activité syndicale, le projet de Code du travail dispose, dans son article 8, que toute mesure discriminatoire fondée sur l'appartenance ou l'activité syndicale des salariés est interdite.

Les contrevenants à cette disposition sont passibles d'une amende de 3.000 à 5.000 dirhams.

Protection contre les actes d'ingérence des organisations professionnelles les unes à l'égard des autres

A la faveur de la protection offerte par la législation en vigueur, on n'a enregistré aucune mesure tendant à provoquer la création d'organisations de travailleurs dominées par un employeur ou par une organisation d'employeurs, ou à soutenir des organisations de travailleurs par les moyens financiers ou autrement, dans le dessein de placer ces organisations sous le contrôle d'un employeur ou d'une organisation d'employeurs.

L'absence de dispositions légales énonçant, de façon expresse, le principe de non-ingérence des organisations professionnelles les unes à l'égard des autres ne constitue pas un obstacle réel à l'application effective de ce principe dans la pratique.

Deux facteurs essentiels sont à l'origine de l'application en fait de ce principe:

Il reste à souligner que, compte tenu de la demande formulée récemment par la commission d'experts, une disposition allant dans le sens de l'article 2 de la convention sera introduite dans le projet de Code du travail.

Mesures prises ou envisagées pour assurer l'harmonisation de la législation nationale avec la convention

Comme indiqué dans les précédents rapports et à l'occasion des discussions qui ont eu lieu à la 85e session de la Conférence, un projet de Code du travail, tenant compte des dispositions de la convention, a été élaboré et soumis au parlement qui devait l'examiner lors de la session extraordinaire convoquée au mois de juillet 1997.

Bien qu'il ait fait l'objet d'un examen approfondi devant la commission parlementaire compétente qui lui a consacré plus de
23 séances de travail durant une année, l'adoption de ce projet n'a pu aboutir en raison de la controverse suscitée par certaines questions qui y sont évoquées, et ayant trait notamment à la flexibilité en matière d'emploi et au maintien de certains droits garantis par la législation actuelle.

Il a donc été décidé de surseoir à l'adoption de ce projet et d'en approfondir l'examen au sein d'une commission tripartite créée à cet effet dans le cadre du dialogue social engagé avec les partenaires sociaux. Cette commission n'a pu tenir qu'une seule réunion en raison des différentes échéances auxquelles notre pays devait faire face depuis le mois de septembre dernier et qui ont abouti:

Ce dernier se penche déjà sur l'examen des moyens à mettre en œuvre pour activer l'adoption de mesures législatives de nature à donner pleinement effet aux dispositions de la convention. Si l'adoption du projet de code continue d'achopper sur la résistance de l'une quelconque des parties concernées, il sera procédé à l'adoption d'un texte à part renforçant les dispositions des textes déjà en vigueur en matière de liberté syndicale.

Mesures prises pour promouvoir la négociation collective

La commission d'experts a insisté sur la nécessité d'adopter les mesures appropriées pour encourager et promouvoir le développement et l'utilisation des procédures de négociation volontaire des conventions collectives entre les employeurs et les organisations de travailleurs pour régler par ce moyen les conditions d'emploi.

Il convient de se référer à cet égard aux dispositions du dahir de 1957 relatif aux conventions collectives du travail qui offre un cadre juridique favorable à la promotion de la convention collective. En reconnaissant le droit de conclure les conventions collectives du travail aux employeurs et aux organisations de travailleurs, ce dahir élimine en effet l'une des grandes difficultés pouvant entraver l'exercice de ce droit, à savoir le problème de la reconnaissance des interlocuteurs qualifiés en matière de négociation collective. Bien plus, ce texte ne prévoit aucune limitation au droit de négocier librement les conditions de travail et n'exclut du champ de la négociation aucun des aspects de la régulation des relations entre employeurs et travailleurs.

Parmi les mesures récentes adoptées pour promouvoir la négociation collective, on peut citer en particulier:

En outre, un représentant gouvernemental a rappelé qu'un nouveau gouvernement d'alternance avait été formé à la suite des élections législatives d'octobre 1997. Le processus de démocratisation de la vie politique marocaine favorisera sans nul doute le plein respect des droits fondamentaux des travailleurs et des libertés individuelles. Dans sa déclaration devant le parlement du mois d'avril 1998, le gouvernement a confirmé sa détermination à œuvrer pour le renforcement des droits de l'homme, de la femme et de l'enfant en application des dispositions de la Constitution et des conventions internationales. Le gouvernement est fermement décidé à promouvoir les droits fondamentaux des travailleurs; à veiller au respect de la liberté syndicale; à soutenir le droit d'organisation et de négociation collective et à assurer la conformité de la législation nationale avec les conventions fondamentales du travail. La consultation des partenaires sociaux, organisations patronales et syndicales figure également parmi les principales orientations du gouvernement, comme le proclame le discours du 1er mai du ministre du Développement social, de la Solidarité, de l'Emploi et de la Formation professionnelle. Le gouvernement est par ailleurs décidé à engager un dialogue sincère, constructif et fructueux avec l'OIT. Parmi les actions déjà engagées dans ce cadre, figurent: le lancement de la procédure de ratification de la convention no 138 sur l'âge minimum; l'organisation d'une campagne d'information, de sensibilisation et de contrôle concernant le travail des enfants; l'organisation au courant du mois d'août 1998 d'un séminaire tripartite sur le dialogue social en collaboration avec le BIT, ainsi que de séminaires régionaux de promotion de la négociation collective et des conventions collectives, et de mise en œuvre des objectifs de la Déclaration tripartite du mois d'août 1996; la tenue avec les organisations patronales et syndicales d'une rencontre au courant du mois de mai 1998 concernant la santé et la sécurité des travailleurs qui a arrêté le projet d'une stratégie nationale par voie de négociation tripartite. Le gouvernement, en collaboration avec le BIT, organisera en septembre 1998 une rencontre tripartite en vue de la promotion de la ratification de la convention no 87. Ces initiatives illustrent la volonté du gouvernement de faire du droit international l'un de ses principaux outils de travail. S'agissant plus spécialement des mesures prises afin d'assurer une protection adéquate aux travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale, le projet de Code du travail qui prévoit les dispositions en la matière n'a pas encore été adopté. Pour harmoniser la législation avec les dispositions de la convention, le ministère a préparé et transmis au secrétariat général du gouvernement un projet de texte modifiant les dispositions du dahir du 16 juillet 1957 sur les syndicats professionnels. Ce département entamera dans les plus brefs délais le processus d'adoption de ce texte par les autorités compétentes. Ce projet de texte interdit expressément l'ingérence des organisations professionnelles d'employeurs et de travailleurs les unes à l'égard des autres. Il interdit également toute discrimination à l'égard des travailleurs fondée sur leur action syndicale. Ces interdictions sont assorties de sanctions applicables aussi en cas d'entrave à la liberté syndicale. Ce projet de loi a déjà été transmis aux organisations professionnelles d'employeurs et de travailleurs et au BIT. En ce qui concerne la promotion de la négociation collective, les dispositions du dahir du 17 avril 1957 relatif à la convention collective de travail offrent un cadre approprié au développement des relations professionnelles. Ce texte reconnaît le droit des employeurs et des travailleurs à conclure des conventions collectives sans aucune restriction et n'exclut du champ de la négociation aucun aspect de la relation de travail. Pour encourager les partenaires sociaux à faire usage des procédures de négociation que leur offre ce texte, un service du ministère de l'Emploi a été chargé d'animer le dialogue social et de favoriser la concertation entre les organisations professionnelles d'employeurs et de travailleurs. Des circulaires ont été adressées aux chefs de services régionaux du ministère, les invitant à encourager les négociations entre les partenaires sociaux et à leur fournir toute l'assistance et l'appui nécessaires. Le développement de la culture du dialogue social à travers des campagnes de sensibilisation et l'organisation de séminaires tripartites constitue aussi l'un des moyens d'action privilégié pour encourager la pratique de la négociation collective. Le gouvernement tiendra régulièrement l'OIT informée des différentes démarches entreprises aussi bien pour la ratification de nouvelles conventions fondamentales que pour la mise en conformité de la législation avec les conventions déjà ratifiées. Il sollicitera en cas de difficultés l'assistance technique du BIT pour l'aboutissement rapide de ces objectifs, qui est nécessaire à la démocratisation des relations professionnelles. Un délai devrait toutefois être accordé au gouvernement pour la réalisation de ces objectifs.

Les membres travailleurs ont remercié le représentant gouvernemental pour les informations qu'il a fournies en ce qui concerne notamment l'attitude plus positive de son gouvernement à l'égard du dialogue social et des normes internationales du travail. Ce cas a déjà été discuté en 1997 par la présente commission et mentionné dans un paragraphe spécial de son rapport. Il avait également fait l'objet d'une discussion au cours des sessions de 1987, 1988 et 1994. Depuis plusieurs années, la commission d'experts formule des observations sur trois lacunes graves de la législation au regard des articles 1, 2 et 4 de la convention. Il s'agit notamment: de l'absence de dispositions légales garantissant la protection des travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale qui a permis que, dans la pratique, de nombreux délégués syndicaux soient discriminés et licenciés -- compte tenu du grand nombre de syndicalistes concernés, le Comité de la liberté syndicale a été saisi de plusieurs plaintes; de l'absence de dispositions légales protégeant les organisations de travailleurs contre les ingérences des employeurs, absence qui est, par ailleurs, admise par le gouvernement dans sa réponse à la commission; et de l'absence de dispositions légales promouvant la libre négociation de conventions collectives. Malgré le paragraphe spécial de l'année passée, le gouvernement n'a pas envoyé son rapport dans les délais prescrits. La réponse écrite du gouvernement ne contient pas de grande nouveauté, si ce n'est la référence à la mise en place d'un nouveau parlement et à la désignation d'une nouveau gouvernement. On manque donc encore d'éléments concrets sur la nouvelle politique annoncée par le gouvernement: il faudra attendre que des textes soient fournis et examinés par la commission d'experts. Car, pour le reste, le gouvernement se réfère dans la réponse écrite à plusieurs textes législatifs qui existent déjà depuis longtemps, et dont les dispositions n'ont jamais satisfait la commission d'experts. En 1997, le gouvernement déclarait devant la présente commission qu'un projet de loi était en cours d'élaboration afin de répondre aux commentaires de la commission d'experts. Il avait déjà fait en 1994 une déclaration similaire devant la présente commission. Le représentant gouvernemental vient encore de fournir des assurances en ce sens. Jusqu'à présent, les membres travailleurs n'ont constaté que très peu de progrès, et la commission d'experts n'a toujours pas reçu de texte lui permettant d'évaluer si les projets annoncés sont conformes à la convention. Apparemment, après les dernières élections, la composition du nouveau gouvernement et du parlement a changé, et les projets de loi auraient une chance d'aboutir. Il ressort à nouveau de la réponse écrite que des discussions sont en cours en la matière. Entre-temps, le texte du projet du nouveau Code du travail n'a toujours pas été transmis. Bien que le gouvernement prétende que le droit syndical est considéré comme un droit fondamental conformément à la Constitution, ce droit ne se traduit pas dans les faits et reste de la pure théorie. Le Comité de la liberté syndicale a examiné plusieurs plaintes concernant des pratiques antisyndicales et, à plusieurs reprises, a fait état de sa préoccupation la plus vive sur une série d'allégations graves. Il convient de se référer aux cas nos 1687, 1691, 1712, 1825 et 1877. Le Maroc n'a toujours pas ratifié les conventions nos 87, 135 et 144, qui sont étroitement liées à la convention. Cette attitude est l'indice d'un manque de volonté réelle du gouvernement pour créer un vrai climat de concertation sociale dans son pays et garantir la liberté syndicale et le droit à la négociation collective. Compte tenu de cette situation, les membres travailleurs réitèrent leur appel au gouvernement de demander une mission de contacts directs. Ce serait le signal le plus clair de sa ferme volonté de prendre les mesures nécessaires. La commission devrait insister auprès du gouvernement pour qu'il prenne toutes les mesures nécessaires en vue d'assurer le plein respect de la convention. En outre, le gouvernement doit indiquer clairement le calendrier qu'il s'est fixé pour l'adoption des projets de loi annoncés. Les membres employeurs ont souscrit à la plupart des remarques formulées par les membres travailleurs. Le représentant gouvernemental a déclaré à différentes reprises dans le passé, notamment en 1994, qu'une nouvelle législation serait rapidement élaborée et qu'une commission tripartite avait été constituée à cette fin. Le rapport de la commission d'experts indique cependant que la situation demeure inchangée et reprend les trois points qu'elle avait soulevés auparavant. Pour sa part, le représentant gouvernemental se contente de tenir un discours politique. Certes, des informations sur la législation nationale ont bien été communiquées à la présente commission, mais celles-ci n'apportent aucun élément nouveau. La Constitution prévoit bien l'adoption d'une réglementation mais cette dernière ne peut être mise en œuvre que par le biais de lois. La commission a examiné la législation à plusieurs reprises et a indiqué qu'elle n'était pas conforme aux dispositions de la convention. Les conclusions de la présente commission sont sévères dans la mesure où le représentant gouvernemental ne semble pas être disposé à coopérer avec les organes de contrôle de l'OIT. L'envoi des projets de lois aux organisations d'employeurs et de travailleurs pour observation peut être le signe d'une meilleure disposition du gouvernement de coopérer avec les partenaires sociaux. Celui-ci devrait fournir un rapport détaillé sur les mesures envisagées et non sur les anciens projets de loi, déjà examinés, qui ont été considérés comme insuffisants pour mettre en œuvre les dispositions de la convention. Une mission de contacts directs devrait être envisagée à ce stade.

Le membre travailleur du Maroc a souligné qu'après plusieurs décennies de négation et violation des droits des syndicats dans son pays il y a des raisons d'être raisonnablement optimiste. Il existe un climat plus favorable à la démocratie et à la créativité. Cette nouvelle ère a commencé il y a quatre ans, en 1994, avec l'appel à la grève générale. Plus tard, en 1996, une grève générale ayant paralysé le pays s'est déroulée pacifiquement. Ces grèves ont ouvert la voie à l'engagement de négociations collectives, ceci pour la première fois dans l'histoire moderne du pays. Ce processus de négociation collective a abouti à l'adoption d'une déclaration conjointe couvrant la liberté de constituer des organisations, la négociation collective, la protection des membres des syndicats, l'augmentation des salaires dans les secteurs public, semi-public et privé, la formation et le règlement des conflits du travail par la voie de la négociation. La déclaration reflète ainsi une plus grande conscience et maturité de la part des partenaires sociaux. Toutefois, l'échec de l'application de ces dispositions a abouti en 1997 à un autre appel à la grève générale qui a également été pacifique. Avec l'élection du nouveau gouvernement, les travailleurs sont désormais représentés au parlement. Le mouvement syndical, renforcé et plus confiant, a présenté plusieurs propositions au gouvernement. En 1994, le Roi a accordé une amnistie à tous les syndicalistes et les détenus politiques qui a entraîné la libération d'environ 400 membres syndicaux. En référence à la déclaration du représentant du gouvernement qui a évoqué la préparation de plusieurs projets de lois, il convient de préciser que les principes de la consultation et du partenariat requièrent qu'il y ait dialogue sur ces questions avant que les textes ne soient soumis au parlement. Bien que le gouvernement ait fait état de sa volonté de s'engager dans des consultations, il a ajourné un certain nombre de réunions avec les partenaires sociaux sur la question de l'application de la déclaration. Tout en notant avec intérêt que le gouvernement actuel attache une priorité aux questions sociales, l'orateur le prie instamment d'entreprendre dans un proche avenir toutes les actions nécessaires et il espère qu'avec l'assistance technique du BIT il sera possible d'améliorer l'application de la convention dans son pays.

Le membre employeur du Maroc a relevé que les propos du représentant gouvernemental témoignaient du changement d'attitude du gouvernement dans le contexte de l'alternance démocratique. La commission d'experts a longtemps relevé l'absence de coopération de la part du gouvernement. La priorité qu'il donne désormais aux questions sociales permet d'envisager les problèmes d'application de la convention sous un jour nouveau. Toutes les parties en présence ont maintenant intérêt à changer la situation et à instaurer un nouveau climat de relations sociales. La commission devrait prendre en considération cette évolution positive et laisser au gouvernement le temps de mettre en application les conventions ratifiées et d'en ratifier de nouvelles.

Le membre travailleur de la France a estimé qu'eu égard à l'ancienneté des pratiques d'ingérence et de discrimination antisyndicale dans ce pays il était permis de douter de la capacité du gouvernement à y porter remède. Le gouvernement n'a guère fait d'effort jusqu'à présent, et le fait que des pratiques de discrimination antisyndicale à grande échelle ne rencontrent aucun obstacle ni sanction suppose sa complicité active ou passive. Dans l'un ou l'autre cas, le gouvernement est responsable de la violation de la convention. Une telle situation engage la responsabilité du gouvernement, mais elle met également en cause la crédibilité et l'efficacité de l'OIT. Le gouvernement doit être solennellement invité à confirmer les engagements qu'il a pris au cours de ces derniers mois par des mesures concrètes. Il doit publiquement signifier aux entreprises qu'elles doivent cesser toute entrave au droit d'organisation des travailleurs en sanctionnant toute ingérence et tout licenciement abusif de syndicalistes. Seules des mesures effectives assorties d'un calendrier pour leur mise en œuvre convaincront la commission de la sincérité de la nouvelle attitude du gouvernement. L'accueil d'une mission de contacts directs témoignerait de cette sincérité.

Le représentant gouvernemental a précisé que tout était fait pour activer la procédure d'adoption du projet de Code du travail. Copie en a été adressée aux organisations patronales et syndicales afin de recueillir leur avis. Le scepticisme de certains des intervenants peut se comprendre après tant de promesses déçues. Toutefois, ils devraient reconnaître la fermeté de l'engagement du gouvernement, qui se trouve devant une tâche ardue avec des moyens réduits. En outre, dans le nouveau climat social qui s'est instauré, c'est l'ensemble des intéressés qui devra faire preuve de volonté et de patience dans la poursuite d'objectifs communs.

La commission a noté la déclaration orale et les informations écrites communiquées par le gouvernement ainsi que la discussion qui a eu lieu en son sein. Elle a rappelé que ce cas a été discuté par la Commission de la Conférence à plusieurs occasions. Elle a pris bonne note de la déclaration du représentant gouvernemental selon laquelle un projet de législation a été préparé et des mesures ont été prises à cet effet. La commission a insisté sur la nécessité de renforcer la protection des travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale et la protection des organisations de travailleurs contre les ingérences des employeurs, assortie de l'existence de sanctions efficaces et suffisamment dissuasives. Elle a aussi insisté sur la nécessité de promouvoir la négociation volontaire entre les organisations de travailleurs et les employeurs en vue de régler par ce moyen les conditions d'emploi par la voie de la négociation de conventions collectives. Elle a exprimé le ferme espoir que, dans un avenir très proche, elle pourrait enregistrer des progrès réels et substantiels, tant dans la législation que dans la pratique, dans l'application de cette convention fondamentale, ratifiée en 1957. La commission a suggéré au gouvernement, comme elle l'avait fait il y a quatre ans, de solliciter une mission de contacts directs en vue de parvenir à la pleine application de la convention. Elle a prié instamment le gouvernement de fournir à la commission d'experts un rapport détaillé sur les mesures concrètes effectivement prises afin de mettre la loi et la pratique en conformité avec la convention, selon un calendrier déterminé.

Turquie (ratification: 1952). Le gouvernement a communiqué les informations suivantes:

Le gouvernement souhaite informer la commission qu'un projet de loi modifiant la loi no 1657 sur les fonctionnaires a été voté par le parlement le 12 juin 1997 (loi no 4275) et est entré vigueur le 17 juin 1997. Cette loi introduit un nouvel article 22 dans la loi no 657, comme suit: «les fonctionnaires peuvent constituer et s'affilier à des syndicats et à des organisations d'un niveau plus élevé, conformément aux dispositions de la Constitution et ses lois spécifiques».

L'adoption de la loi no 4275 doit être interprétée comme un facteur décisif visant à mettre la législation nationale en harmonie avec la Constitution turque, telle qu'amendée par la loi no 4121 du 23 juillet 1995. La législation spécifique concernant les syndicats de fonctionnaires auxquels fait référence le nouvel article 22 de la loi no 657 figure depuis quelque temps dans les projets en chantier. Pour des impératifs de procédure, après la formation d'un nouveau gouvernement au début du mois de juillet 1997, un projet de loi concernant les syndicats de fonctionnaires a été élaboré par le ministère du Travail et de la Sécurité sociale et communiqué aussi bien aux ministères qu'aux partenaires sociaux et autres parties concernées pour commentaires et avis, avant d'être à nouveau soumis au parlement. Le projet de loi pourrait, le cas échéant, faire l'objet de discussions supplémentaires au sein du gouvernement et entre le gouvernement, les partenaires sociaux et autres parties intéressées, avant la soumission du projet de loi au parlement.

Une autre mesure prise en la matière a été la publication, par le Bureau du Premier ministre, d'une circulaire, en date du 20 novembre 1997, à l'intention de toutes les organisations et agences gouvernementales, laquelle se réfère aux obligations contractuelles de la Turquie en vertu des conventions nos 87, 98 et 151 de l'OIT, ainsi qu'à la législation en cours d'élaboration, en même temps qu'elle prescrit:

Comme indication de sa détermination à améliorer la législation concernant les relations professionnelles, le gouvernement souhaite informer la commission que la loi no 4277 en date du 26 juin 1997: i) a levé l'interdiction d'activités politiques des syndicats et de leurs confédérations (art. 37 de la loi no 2821); ii) a abrogé le premier paragraphe de l'article 39 de la loi no 2821 qui interdisait la désignation de candidats par les syndicats et les confédérations aux organes d'organisations publiques professionnelles ou à leurs organes supérieurs, ainsi que toute activité ou propagande en faveur ou contre un des candidats; et iii) a aboli l'audit des syndicats et des confédérations par le gouvernement (art. 47), de même qu'elle a abrogé l'obligation de déposer les revenus, dans un délai de trente jours à compter de leur réception, auprès d'une banque où l'Etat détient plus de la moitié du capital, conformément à l'article 43.

S'agissant de la protection contre les actes de discrimination antisyndicale, le gouvernement renvoie la commission aux arti-
cles 29, 30 et 31 de la loi no 2821 et aux sanctions prévues dans ces dispositions.

(Les textes de la loi no 4277 de 1997 et de la circulaire du
20 novembre 1997 ont été communiqués au BIT.)

En outre, un représentant gouvernemental a rappelé que le rapport de la commission d'experts sur l'application de la convention par son pays concernait quatre points: la prétendue insuffisance de protection des travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale, l'existence de restrictions à la négociation collective, le prétendu déni du droit des fonctionnaires à la négociation collective, et le droit à la négociation collective dans les zones franches d'exportation.

S'agissant des allégations selon lesquelles la protection contre les actes de discrimination antisyndicale au moment de l'embauche est insuffisante et la charge de la preuve incombe au travailleur, il convient de préciser que le montant de l'amende prévue dans de tels cas n'est pas inférieur à la moitié du salaire minimum mensuel actuellement en vigueur. Bien que la charge de la preuve repose sur le plaignant, en vertu des principes généraux du droit, un amendement à la loi no 2822, adoptée en 1998, prévoit que le syndicat ne peut informer l'employeur de l'acquisition par un travailleur de la qualité de membre que lorsque cette information ne peut plus porter aucun préjudice au droit d'organisation et à la négociation collective. En cas de licenciement d'un travailleur en raison de ses activités syndicales, l'employeur est tenu de lui verser une indemnité, dont le montant ne peut être inférieur au salaire annuel du travailleur concerné, et qui s'ajoute à l'indemnité de licenciement et à l'indemnité tenant lieu de préavis. Cette indemnité est versée non seulement si le travailleur est licencié mais aussi lorsqu'il est victime d'autres actes de discrimination antisyndicale, par exemple dans la répartition du travail ou en matière de promotion. Plusieurs jugements rendus par les tribunaux montrent que ce type d'indemnité est octroyée plus fréquemment que le rapport de la commission d'experts ne le mentionne. Des copies de ces jugements seront transmises au Bureau. La protection particulière dont bénéficient les responsables syndicaux comprend leur réintégration à leur poste ou dans un emploi similaire dans le mois qui suit leur demande de réintégration, à la condition qu'ils aient introduit un recours auprès de leur précédent employeur dans les trois mois suivant la perte de leur poste au sein du syndicat. Les dispositions légales pertinentes et les nombreux jugements rendus par les tribunaux turcs du travail confirment l'existence en droit de cette protection. Néanmoins, jusqu'à l'adoption d'une législation conforme à la convention no 158, seuls les délégués syndicaux bénéficiaient d'une complète sécurité de l'emploi, y compris du droit d'être réintégrés. Le processus d'élaboration de la législation qui prévoit de placer la charge de la preuve sur l'employeur est actuellement en cours.

En ce qui concerne les allégations relatives aux restrictions à la négociation collective dans le pays, et en particulier l'affirmation selon laquelle il est fait obstacle à la négociation collective des confédérations, il faut dire que, comme les centrales syndicales nationales de nombreux autres pays, les confédérations sont des structures horizontales dont l'objectif principal est de représenter les mouvements syndicaux aux niveaux national et international. Leur structure hétérogène ne se prête pas à la négociation collective dans les professions ou les industries. Elles peuvent, cependant, coordonner les activités de négociation des organisations qui leur sont affiliées ou même jouer un véritable rôle dans la conclusion des conventions collectives. En réponse à l'affirmation selon laquelle les négociations à tous les niveaux de l'industrie sont interdites, il convient de souligner que, bien qu'ils ne soient pas mentionnés dans la législation comme étant un niveau distinct de négociation, les accords concernant plusieurs employeurs couvrent souvent de larges segments de la même industrie et assurent ainsi la même fonction qu'une négociation à tous les niveaux de l'industrie. D'autre part, les accords d'entreprises, en particulier dans le secteur public, peuvent couvrir toute une industrie, comme par exemple les chemins de fer. Il est toutefois vrai que seule une convention collective par niveau est permise. Le double système de négociation au niveau de l'industrie et de l'entreprise qui existait avant 1983 a créé diverses difficultés et a entraîné des pratiques abusives conduisant à la conclusion d'accords locaux successifs. Par ailleurs, la loi no 2822 permet au gouvernement d'étendre les conventions collectives à d'autres lieux de travail situés dans une même industrie, moyennant le respect de certaines conditions.

En ce qui concerne le prétendu plafonnement des indemnités, seules les indemnités de licenciement sont plafonnées. En raison de l'absence de protection contre le licenciement par le passé, l'octroi aux travailleurs d'une sécurité de revenus a conduit à des montants d'indemnité de licenciement sans précédent dans les conventions collectives. Par conséquent, un plafonnement a été établi par la loi. Ce plafond est relevé tous les six mois selon des modalités spécifiques. Les droits dont jouissent les travailleurs en la matière sont plus étendus que dans de nombreux autres pays. En outre, aucun plafond n'est applicable à l'indemnité tenant lieu de préavis, et cette indemnité atteint des niveaux très élevés dans certaines des plus importantes conventions collectives.

S'agissant du délai dans lequel la négociation collective doit avoir lieu, c'est-à-dire soixante jours, il faut savoir que, passé ce délai, les parties sont libres de continuer les négociations pendant le processus de médiation, ainsi que pendant le déroulement d'une grève, sans limitation dans le temps.

Concernant la question de la suppression du double critère requis pour obtenir l'autorisation de négocier collectivement, le gouvernement continue à s'en occuper mais il doit rechercher le consentement des partenaires sociaux pour procéder à cette abrogation. Les membres employeurs se sont déclarés en faveur de cette mesure, mais les confédérations de travailleurs ne sont pas encore parvenues à un accord sur le sujet.

S'agissant du droit d'organisation et de négociation collective des fonctionnaires, le projet de loi élaboré conformément à la convention no 151 et à la Constitution turque, telle que modifiée en 1995, a été soumis à l'Assemblée nationale. En plus de garantir la liberté syndicale des fonctionnaires, le projet de loi prévoit des procédures d'appel judiciaire et la mise en place d'une commission de conciliation impartiale. Les dispositions de ce projet ont fait l'objet de longs débats au parlement et presque la moitié d'entre elles ont été approuvées. Il est prévu de débattre et d'adopter les dispositions restantes. Entre-temps, un amendement à la loi no 657 sur les fonctionnaires a levé l'interdiction qui pesait sur eux de constituer des syndicats et de s'y affilier. A cet égard, il convient de relever que les employés contractuels du secteur public jouissent des mêmes droits que les travailleurs du secteur privé depuis la mise en place du système de libre négociation collective. Le personnel contractuel des entreprises publiques à caractère commercial sera couvert par la future législation sur les syndicats de fonctionnaires, dans la mesure où ils sont assimilés à des fonctionnaires employés dans des services essentiels et continus de l'Etat. Il convient également de rappeler que leur nombre est en baisse, en raison du dynamisme du processus de privatisation. Dans le même temps, de nombreux fonctionnaires ont déjà constitué leurs propres syndicats. A l'heure actuelle, trois confédérations de fonctionnaires ainsi que nombreux syndicats et syndicats de branche fonctionnent. Par ailleurs, d'autres progrès ont été accomplis. En effet, une circulaire se référant aux obligations souscrites par la Turquie au titre des conventions nos 87, 98 et 151 et ordonnant aux autorités administratives de procéder aux déductions des cotisations syndicales a été publiée par le cabinet du Premier ministre en novembre 1997 en vue d'éviter les obstacles à la constitution de nouveaux syndicats de fonctionnaires et les entraves à leurs activités, et de faciliter le dialogue et la coopération avec ces syndicats.

En ce qui concerne le problème des zones franches d'exportation, le droit d'organisation et de négociation collective est garanti par la loi no 3218 de 1985 qui autorise la création de ces zones de libre-échange. Toutefois, les négociations collectives doivent se dérouler dans les dix ans suivant la création de la zone franche et tout blocage doit être soumis à l'arbitrage obligatoire. Dans la zone franche égéenne, où travaillent la grande majorité des travailleurs concernés, ce délai expire en l'an 2000.

En conclusion, ainsi que l'orateur l'avait annoncé au sein de la présente commission l'année passée, la loi no 4277 de 1997 a supprimé l'interdiction pour les syndicats et leurs dirigeants d'exercer des activités politiques. Elle a également abrogé les dispositions relatives aux contrôles financiers exercés sur les syndicats et les confédérations, conformément aux dispositions de la convention. De plus, le parlement a approuvé la ratification des conventions nos 29 et 138 et examine actuellement la ratification de la convention no 159. Par conséquent, la Turquie aura bientôt ratifié les sept conventions fondamentales. Pour bien montrer qu'il est déterminé à améliorer la législation du travail, le gouvernement a constitué, en mai dernier, un comité tripartite, qui vient s'ajouter au Conseil économique et social, pour encourager le dialogue entre les partenaires sociaux, conformément à la convention no 144 que la Turquie a déjà ratifiée. Malgré les difficultés auxquelles la minorité gouvernementale de coalition est confrontée, la Turquie a toujours apporté la preuve de sa détermination à mettre le système des relations professionnelles en conformité avec les normes de l'OIT. En cette année qui marque le soixante-quinzième anniversaire de la création de la République laïque de Turquie, l'orateur tient à réaffirmer l'engagement du gouvernement envers le progrès social.

Les membres travailleurs ont remercié le représentant gouvernemental pour les informations écrites et orales. La commission discute de l'application de la convention dans ce pays pour la sixième fois depuis 1991; elle a discuté de l'application de la convention no 87 en 1997. Le gouvernement fait preuve depuis quelques années d'une attitude plus constructive à l'égard des normes et du système de contrôle, comme en témoigne la ratification de la convention no 87 en 1993. Mais la ratification en tant que telle ne suffit pas. D'importantes divergences de la législation et de la pratique par rapport à la convention ont été identifiées de longue date par la commission d'experts. Certaines des dispositions législatives en cause ont été modifiées, mais différentes lois règlent encore de manière détaillée l'exercice des droits syndicaux. Elles tendent à contrôler la négociation collective plutôt qu'à la promouvoir. Le projet de loi sur les syndicats de fonctionnaires destiné à couvrir l'ensemble des travailleurs publics, y compris ceux qui ne sont pas commis à l'administration de l'Etat, semble procéder de la même approche, comme la Confédération européenne des syndicats l'a constaté lors d'une mission en février 1998. Le gouvernement indique cependant que ce projet pourrait faire l'objet de nouvelles discussions avec les organisations syndicales. Il faut insister auprès du gouvernement pour qu'il amende ce projet et témoigne ainsi concrètement de son attitude plus positive à l'égard des normes, et qu'il communique au BIT les avis recueillis au cours des consultations avec les organisations de travailleurs. Une simple circulaire telle que celle du 20 novembre 1997 ne peut suffire à assurer la protection requise par la convention. La commission d'experts soulève d'autres points importants alors que le gouvernement n'a pas envoyé de rapport. Elle souligne l'insuffisance de la protection contre la discrimination antisyndicale en termes de procédures, de charge de la preuve, d'absence d'obligation de réintégration ou de niveau des indemnités. Par ailleurs, la loi prévoit de nombreuses restrictions à la négociation collective par l'instauration de plafonds ou l'exclusion de certains thèmes. Les procédures sont très strictes, avec le recours à l'arbitrage obligatoire après soixante jours. La double exigence numérique, de 10 pour cent au niveau de la branche et de 50 pour cent au niveau de l'entreprise, est un frein considérable à la négociation collective. En outre, la négociation est limitée au niveau de l'entreprise, ce qui exclut beaucoup de travailleurs des PME de la protection des conventions collectives. Enfin, se pose le problème des zones franches d'exportation établies entre 1987 et 1995 et dans lesquelles l'arbitrage obligatoire est imposé pendant dix ans. Le gouvernement a donc encore beaucoup à faire pour mettre la législation et la pratique en conformité avec la convention. Il faut insister pour qu'il modifie la législation sans retard, en consultation avec les organisations de travailleurs et d'employeurs. Il devrait faire appel à l'assistance technique du BIT à cette fin, comme l'ont suggéré la commission d'experts et la présente commission dans ses conclusions précédentes. Un rapport détaillé doit être fourni pour que les organes de contrôle soient à même de suivre de près l'évolution de la situation.

Les membres employeurs ont noté que le rapport de la commission d'experts concerne quatre points essentiels. Le premier a trait à la protection contre les actes de discrimination antisyndicale. La commission d'experts a noté qu'une organisation de travailleurs alléguait que, en cas de discrimination au moment de l'embauche, l'amende imposée était trop faible et la charge de la preuve incombait au travailleur. Or, selon les principes du droit civil et dans une société démocratique fondée sur ces principes, le fardeau de la preuve ne peut être renversé car il repose toujours sur le plaignant. En ce qui concerne les restrictions à la libre négociation collective, les restrictions imposées aux confédérations constituent un point mineur car elles n'existent pas en pratique. S'agissant de l'existence d'un double critère de représentativité, le gouvernement a indiqué qu'il était prêt à modifier cette exigence mais qu'il n'existait aucun consensus sur ce point entre les partenaires sociaux. Par ailleurs, en ce qui a trait au déni du droit des fonctionnaires à la négociation collective, il convient de souligner qu'il s'agit simplement d'une question de modification de la législation puisque ce droit est déjà inscrit dans la Constitution. Le gouvernement a montré sa volonté d'adopter des dispositions légales supplémentaires qui permettraient aux fonctionnaires de négocier collectivement. Par conséquent, la présente commission devrait attendre les commentaires de la commission d'experts sur les informations qui lui seront fournies par le gouvernement. Enfin, s'agissant de l'arbitrage obligatoire, il apparaît que cette question ne pourra faire l'objet d'un examen que lorsque la commission d'experts aura obtenu des informations sur le nombre des zones franches, leur taille, etc. Par conséquent, il conviendrait de prier le gouvernement de fournir les informations pertinentes en la matière.

Le membre employeur de la Turquie a fait des observations qui complètent l'intervention des membres employeurs. Il a pris bonne note des observations de la commission d'experts ainsi que des déclarations du représentant gouvernemental. D'autres faits importants ont eu lieu en Turquie. La Confédération des employeurs turcs (TISK) a souligné dans des déclarations précédentes que les dispositions de la convention no 98 sont appliquées dans les faits. Si l'on compare la législation nationale du travail aux dispositions de la convention, il apparaît que le droit d'organisation est suffisamment garanti. Toutefois, certains problèmes subsistent en ce qui concerne l'application dans les faits de la législation. A ce sujet, l'orateur souligne trois points: à propos des allégations de discrimination antisyndicale, il dit que l'article 10 de la Constitution consacre l'égalité entre toutes les personnes, quelles que soient leur race, leur langue ou leur religion, et que l'article 51 de la Constitution protège les personnes qui se verraient refuser un emploi au motif de leur appartenance à un syndicat; de plus, l'article 31 de la loi sur la négociation collective garantit le même degré de protection que la Constitution. Les travailleurs ne devraient donc pas être licenciés ou faire l'objet de discriminations en raison de leur appartenance à un syndicat. A propos des cas de licenciement au motif de l'appartenance à un syndicat, l'alinéa 6 de l'article 31 de la loi susmentionnée indique que l'employeur est passible dans ce cas d'une amende équivalant à au moins une année de salaire du travailleur licencié. En conclusion, il estime que la législation turque est plutôt ample sur ce point. Toutefois, dans la pratique, ces dispositions ne sont pas efficaces car la législation relative à la protection contre les licenciements (injustifiés) présente quelques lacunes. Revenant sur la question des restrictions à la négociation collective, il indique que la proportion de travailleurs syndiqués s'est accrue considérablement et est passée de 53 pour cent à 63 pour cent, et que le nombre de syndicats est tombé de 750 à 75 en raison du double critère de représentativité qui est prévu par la loi. La Confédération des employeurs turcs est donc favorable à ces critères. A propos des droits des fonctionnaires publics en matière de négociation collective, il y a eu une évolution dans ce domaine. Le parlement turc a récemment annulé l'interdiction qui empêchait les fonctionnaires publics de jouir du droit d'organisation. Conformément à l'article 22 de la loi sur les fonctionnaires publics, telle qu'elle a été amendée, les fonctionnaires ont le droit de créer des syndicats et d'y adhérer. De plus, le parlement a récemment adopté 25 des dispositions d'un projet de loi qui vise à garantir le droit d'organisation des fonctionnaires publics. On devrait inciter le gouvernement à adopter également la deuxième partie du projet de loi en question.

Le membre travailleur de la Turquie a remercié le Département des normes, la commission d'experts et les membres travailleurs pour le soutien qu'ils ont apporté à la lutte pour la démocratie en Turquie, qui est parvenue à son point culminant l'année dernière avec les changements et les progrès de la législation sur un certain nombre des points qui avaient fait l'objet de critiques de la part de la Commission de la Conférence. La modification de loi sur les syndicats a permis la réalisation de progrès considérables et a mis la législation en conformité avec les dispositions de la convention no 87 concernant, entre autres, l'exercice d'activités politiques. Le rapport du Comité de la liberté syndicale sur le cas no 1810, sur une réclamation présentée par l'organisation de l'orateur, ainsi que les délibérations de la Commission de la Conférence en juin 1997 ont énormément contribué à ce résultat. Il subsiste toutefois de nombreux domaines dans lesquels la législation en vigueur ne respecte pas la convention no 87, en particulier en ce qui concerne le droit de grève. Bien que les critiques portées par l'organisation de l'orateur sur l'inexécution de la convention no 87 soient graves, il convient de souligner que la Turquie est le pays le plus démocratique et le seul pays laïc de la région et qu'elle est dotée de moyens démocratiques de revendication pour parvenir à mettre la législation nationale en conformité avec la convention.

S'agissant de la première question soulevée par la commission d'experts, les problèmes persistent. La protection contre les actes de discrimination antisyndicale accordée par la législation est loin d'être suffisante. En cas de discrimination au moment de l'embauche, l'amende imposée ne doit pas être inférieure à 70 dollars et la charge de la preuve incombe à la victime. Bien que la convention
no 158 ait été ratifiée le 4 janvier 1995, il n'existe aucune protection contre les licenciements. Le Comité de la liberté syndicale, dans son rapport de 1996 sur la réclamation présentée par l'organisation de l'orateur, a prié instamment «le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour garantir aux travailleurs une protection effective contre les actes de discrimination antisyndicale, conformément aux engagements internationaux souscrits en ratifiant la convention no 98» et a noté «avec intérêt que, d'après le gouvernement, la loi du travail sera amendée pour permettre la réintégration des travailleurs dans leur emploi et assurer la protection des travailleurs contre tout acte de discrimination antisyndicale (y compris le licenciement), conformément aux exigences de la convention no 98».

Bien que les commentaires du gouvernement mentionnés dans le rapport datent du 15 septembre 1995, au jour d'aujourd'hui, soit près de trois ans plus tard, cette législation n'a toujours pas été adoptée. En ce qui concerne l'interdiction de licenciement pour des raisons liées à l'exercice d'activités syndicales prévue par la loi sur les syndicats, il convient de demander au représentant gouvernemental de fournir des informations sur le nombre de poursuites judiciaires engagées. Selon l'orateur, l'expérience de tous les jours montre que les dispositions de cette loi sont complètement impuissantes à prévenir les actes de discrimination antisyndicale. Il n'existe aucun projet de loi en attente au parlement pour assurer une protection contre le licenciement aux dirigeants syndicaux autres que les délégués syndicaux sur les lieux de travail. Quant au second point, aucun progrès n'a été accompli ni envisagé, ni discuté, même au parlement, sur les restrictions à la libre négociation collective. Il convient de rappeler l'existence de plafonds imposés par la loi dans les conventions collectives relatives aux primes. Le gouvernement n'a pas rempli ses obligations et n'a pas tenu ses promesses d'encourager et de promouvoir la libre négociation. S'agissant du troisième point, il est regrettable qu'une seule amélioration ait été apportée à la loi sur les fonctionnaires en 1997, à savoir les amendements prévoyant que les fonctionnaires peuvent constituer des syndicats et des organisations de niveau supérieur et s'y affilier. Par ailleurs, le projet de loi actuellement en discussion au parlement restreint le droit de négociation collective du personnel civil des forces armées et de l'administration pénitentiaire, en leur interdisant de constituer des syndicats et de s'y affilier. Ce projet prévoit seulement la négociation collective sans effet contraignant. Ainsi que le représentant gouvernemental l'a reconnu, c'est la convention no 151 et non la convention no 98 qui a été utilisée comme référence pour élaborer le projet. Il faut rappeler au gouvernement l'article 1 de la convention no 151 et l'obligation qui lui incombe d'élaborer le projet de loi conformément aux dispositions de la présente convention.

Les fonctionnaires ne disposent pas du droit de négociation collective car tout accord entre les parties doit être présenté devant le Conseil des ministres pour être approuvé. Quant au quatrième point, il est encore une fois regrettable de constater qu'il n'y a eu aucun progrès. Compte tenu de l'étendue des restrictions au droit de grève dans les domaines qui ne sont pas des services essentiels, tels qu'ils sont définis par l'OIT, l'arbitrage obligatoire a toujours cours et entrave sévèrement le droit à la négociation collective.

Ce manquement concerne aussi les zones franches, dont le nombre est en augmentation. Des neuf zones franches existant actuellement, sept sont soumises à l'arbitrage obligatoire dans les conflits d'intérêts au cours des négociations collectives. Ce n'est donc pas seulement le cas dans la zone franche égéenne, comme l'a déclaré le représentant gouvernemental. En 1998, il y a 1.685 entreprises implantées dans les zones franches. Regrettant que le gouvernement n'ait pas pris les mesures nécessaires pour mettre la législation en conformité avec la convention, l'orateur le prie instamment de le faire afin de mettre fin aux divergences entre les dispositions de la convention et celles de la législation.

Le membre travailleur de la Norvège, s'adressant également au nom du groupe des travailleurs nordiques (Danemark, Norvège, Finlande, Suède et Islande) a rappelé que ces gouvernements avaient été très actifs depuis plusieurs années dans leur soutien pour une législation du travail démocratique en Turquie, à travers l'OIT et à travers la coopération de ces pays avec le mouvement syndical turc. Elle note avec grand intérêt les points soulevés par la commission d'experts, particulièrement la demande pour plus d'informations sur les mesures prises afin de promouvoir la négociation collective en accord avec l'article 4 de la convention no 98. Elle exprime sa préoccupation concernant les violations graves de la convention no 98 dans les nombreuses zones libres où le gouvernement a accepté l'arbitrage obligatoire dans les cas de conflits durant la négociation collective pour une période de dix ans suivant l'établissement d'une zone libre. Elle insiste sur le fait que les restrictions imposées à de telles négociations sont totalement incompatibles avec la convention no 98. Le gouvernement a déclaré durant cette réunion que ces restrictions prendraient fin en l'an 2000. Elle se demande alors: est-ce que ceci s'appliquera à toutes les zones de libre-échange établies récemment? Elle demande aux gouvernements de fournir des informations détaillées à cet égard.

Le membre travailleur de l'Allemagne s'est référé au droit des fonctionnaires de s'organiser. Il fait mention d'une réunion publique initiée par quatre syndicats majeurs de Turquie en collaboration avec l'Union des syndicats européens. A cette occasion, des limitations injustifiées à la négociation collective ont été dénoncées. De plus, le gouvernement a été prié instamment de revoir sa législation dans ce domaine. Les consultations qui ont eu lieu à cet effet ont mené à des résultats positifs. Toutefois, le problème demeure le même quant à sa substance. Le projet de loi élaboré prévoit toujours des limitations à la négociation collective puisque seuls les salaires peuvent faire l'objet de négociations collectives, et que les articles 30 et 31 stipulent que seules les organisations d'employeurs et de travailleurs du plus haut niveau peuvent se prévaloir de ce droit. Lorsqu'un accord est conclu, il doit être soumis au Conseil des ministres pour approbation. En conclusion, il estime que ces exemples démontrent que le gouvernement doit prendre davantage de mesures afin de respecter pleinement les dispositions de la convention no 98.

Le membre travailleur de la France a estimé que les choses progressaient trop lentement en Turquie au niveau du droit à la négociation collective et que la protection contre la discrimination antisyndicale demeurait insuffisante. Il a estimé que le droit du travail devait être un droit protecteur pour les travailleurs et qu'à cet égard le renversement de la preuve dans les cas de discrimination antisyndicale n'était qu'un principe de justice équitable. De même, le droit à la liberté syndicale et la négociation collective des fonctionnaires devrait être reconnu. Il a considéré également que les Confédérations devraient avoir droit de négocier collectivement sur les questions d'intérêt commun pour tous les travailleurs. Enfin, il a appuyé les conclusions de son porte-parole et salué la promesse du gouvernement de ratifier toutes les conventions fondamentales tout en soulignant que la ratification devait être accompagnée d'une volonté de mise en œuvre.

Le membre travailleur des Pays-Bas, se référant au double critère numérique actuellement exigé par la législation nationale, a indiqué que le gouvernement n'avait pas précisé la vraie raison qui se cache derrière ce double critère. Le gouvernement a développé une étrange argumentation selon laquelle il ne pouvait le supprimer en raison de l'opposition des syndicats et des organisations d'employeurs. Il faut souligner que le vrai problème est que ce double critère constitue une violation de la convention no 98 et que, par conséquent, le gouvernement devrait prendre des mesures pour y mettre fin. Dans la mesure où le gouvernement a déclaré qu'il hésitait à le faire à cause de l'opposition des partenaires sociaux, il convient de se demander si la politique généralement menée par le gouvernement consiste à rechercher le consentement des partenaires sociaux avant de modifier sa législation. Si tel n'est pas le cas, alors on ne voit pas pourquoi le gouvernement considère l'opposition des partenaires comme étant un obstacle dans ce domaine.

Le membre travailleur de l'Italie a souligné les progrès accomplis en Turquie concernant le droit à la négociation collective et a indiqué que l'Organisation des syndicats européens avait également noté certains pas en avant dans ce domaine. Il mentionne toutefois le problème des zones franches et rappelle qu'il existe 10 de ces zones en Turquie, couvrant un grand territoire, et il se demande combien de travailleurs sont touchés par ce problème. Il a espéré que l'OIT pourra se pencher sur cette question. Concernant le droit de grève, il estime qu'il y a encore trop de restrictions sur les modalités d'exercice de ce droit dans les secteurs où un tel droit existe et les secteurs où l'on doit faire recours à l'arbitrage obligatoire. Enfin, il encourage le gouvernement à appliquer la pratique de la concertation en matière de relations professionnelles, surtout que la Turquie a ratifié la convention no 144.

Le représentant gouvernemental de la Turquie a nié, comme cela a été affirmé, qu'il y a des disparités entre la législation nationale et la pratique. La législation existante est appliquée dans son ensemble. Bien sûr, des divergences mineures existent entre la législation nationale et les conventions nos 87 et 98. Toutefois, son gouvernement s'efforce de les éliminer et la situation s'améliore d'année en année. Quant aux observations selon lesquelles la législation est détaillée à l'excès, il indique que cela tient à la procédure législative en Turquie et au fait que le syndicalisme y est relativement récent. Enfin, la législation remonte à soixante-dix ans et se fonde sur des modèles étrangers. Les allégations selon lesquelles la protection contre les actes de discrimination antisyndicale serait insuffisante sont infondées. Outre les dispositions prévues par la loi, un nombre significatif de décisions judiciaires ont été prises pour indemniser les travailleurs licenciés en raison de leurs activités syndicales. A propos des plafonds imposés pour certaines indemnisations, le représentant gouvernemental précise que les primes ne sont pas considérées comme des indemnisations. L'octroi de prestations accessoires compense en partie ces plafonds. S'agissant de la critique selon laquelle les travailleurs des petites et moyennes entreprises seraient exclus de la négociation collective, il a indiqué qu'il n'y avait pas d'exigence numérique à cet égard en droit turc, que les «accords d'entreprises» étaient en fait l'exception et que la règle en Turquie était de négocier au niveau de l'établissement. Il a également indiqué que l'allégation selon laquelle après 60 jours de négociation il était fait recours à l'arbitrage obligatoire n'était pas exacte; au contraire, le droit de grève est la règle après cette période, et l'arbitrage obligatoire est l'exception dans les services essentiels uniquement, où les grèves peuvent être interdites. A propos des zones franches d'exportation, notamment la zone franche d'exportation de la mer Egée, qui occupe la plupart des travailleurs, elles cesseront d'exister en tant que telles en 2000. Les autres zones franches d'exportation n'occupent qu'une minorité de ces travailleurs. Le gouvernement turc communiquera dans un rapport à l'OIT le nombre actuel de travailleurs dans ces zones. L'orateur a affirmé que l'on avait recours à la négociation collective mais que, en cas d'impasse, un arbitrage obligatoire était imposé à seulement un cinquième de l'ensemble des travailleurs syndiqués. Les autres travailleurs jouissent du droit de grève. A propos des fonctionnaires publics, il est important de faire une distinction entre, d'une part, le million de travailleurs du secteur public qui sont visés par la même législation que les travailleurs du secteur privé et, d'autre part, les fonctionnaires publics qui ne jouissent pas des mêmes droits, conformément à l'article 6 de la convention no 98. Toutefois, son gouvernement s'efforce d'instaurer une loi sur la réforme du personnel afin de clarifier leur statut. En réponse au membre travailleur des Pays-Bas, il indique que le gouvernement n'est pas tenu d'obtenir l'accord des partenaires sociaux pour modifier la législation. Néanmoins, son gouvernement a consulté à ce sujet les partenaires sociaux, étant donné que la condition acquise d'une représentativité de 10 pour cent vise à garantir la paix dans les relations de travail en Turquie. Cette question, qui a de nombreuses incidences politiques, doit être traitée avec prudence, sans quoi, les tensions sociales s'accroissent.

La commission a pris note des informations écrites fournies par le gouvernement, de la déclaration du représentant gouvernemental et de la discussion qui a suivi. Elle a rappelé avec préoccupation que la Commission de la Conférence a examiné ce cas à plusieurs reprises et elle a signalé de nouveau que, depuis de nombreuses années, la commission d'experts insiste sur la nécessité de renforcer la protection des travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale, et d'éliminer les restrictions à la négociation collective entre les syndicats et les employeurs qui découlent du double critère de représentativité imposée aux syndicats. La commission a aussi souligné la nécessité d'accorder aux fonctionnaires publics le droit de négocier collectivement et de supprimer l'imposition de l'arbitrage obligatoire pour le règlement des différends collectifs du travail dans les zones franches d'exportation. La commission s'est félicitée de l'adoption de la loi no 4275 de juin 1997 qui consacre le droit des fonctionnaires publics de jouir de la liberté syndicale. La commission a exprimé le ferme espoir que le projet de législation qui est en préparation visera à promouvoir et à encourager la liberté de négociation collective entre les organisations de fonctionnaires publics et l'Etat en tant qu'employeur en vue de régler par ce moyen les conditions d'emploi de cette catégorie de travailleurs, à la seule exception éventuelle des fonctionnaires publics commis à l'administration de l'Etat. En outre, la commission a insisté sur l'importance que revêt la pleine application de tous les articles de cette convention fondamentale et elle a prié instamment le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer les disparités qui subsistent dans la législation et dans la pratique, de façon à satisfaire pleinement aux exigences de la convention. La commission a insisté pour que le gouvernement présente un rapport détaillé sur les mesures concrètes qui sont actuellement prises pour aligner pleinement la législation et la pratique sur les dispositions de la convention relatives à toutes les questions soulevées par la commission d'experts. Elle a rappelé au gouvernement, comme l'année passée, que l'assistance technique du Bureau était à sa disposition.

Convention no 102: Sécurité sociale (norme minimum), 1952

Croatie (ratification: 1991). Une représentante gouvernementale a fait observer que la République de Croatie avait, depuis qu'elle est devenue Membre de l'OIT en 1992, ratifié 56 conventions, parmi lesquelles toutes les conventions concernant les droits fondamentaux des travailleurs. Les rapports sur l'application des conventions ratifiées ont été régulièrement communiqués et, même pendant la guerre, le gouvernement n'a jamais manqué aux obligations découlant de la ratification des conventions de l'OIT. Ces obligations sont prises en compte dans le processus de réforme législative entrepris par la Croatie destiné à mettre sa législation en conformité avec la Constitution nationale qui proclame que la Croatie est un Etat basé sur la justice sociale. En outre, même en temps de guerre, la Croatie a pu assurer le bon fonctionnement du système de sécurité sociale, conformément aux obligations de la convention. Toutes les parties de la convention ont été acceptées, mis à part celle relative aux allocations familiales. Toutefois, une législation a été adoptée dans ce domaine et des prestations familiales sont garanties. Dans ce contexte, il est surprenant que la Croatie se trouve parmi la liste des cas à examiner dans la mesure où elle garantit une protection d'un niveau plus élevé que celle prescrite par la convention. De plus, les commentaires de la commission d'experts portent sur le premier rapport détaillé fourni sur l'application de la convention et ladite commission n'a pas encore examiné certains commentaires du gouvernement en réponse aux commentaires des organisations syndicales. Cependant, vu l'importance des travaux de la Commission de la Conférence, l'oratrice est prête à répondre aux commentaires de la commission d'experts sur l'application de la convention par son gouvernement.

Il convient en premier lieu de signaler que le pays a entrepris, au début de cette année, une vaste réforme de la législation sociale. Plusieurs facteurs rendent difficile sa mise en œuvre, notamment la guerre; l'importance du nombre de réfugiés; la transition d'une économie planifiée à une économie de marché; un ratio employés/pensionnés défavorable résultant de la hausse rapide du taux de chômage et les problèmes considérables de perception des cotisations auxquels doivent faire face les fonds de l'assurance santé et de l'assurance pension. En ce qui concerne les observations de la commission d'experts faisant suite aux commentaires de l'Union des syndicats autonomes de Croatie (SSSH) sur l'article 59, paragraphe 2, de la loi sur l'assurance santé de 1993, il convient de fournir à cette commission des informations complémentaires sur le système d'assurance santé. L'article 58 de la Constitution nationale garantit à chaque citoyen le droit à la protection de la santé. En application de cette disposition, la loi sur la protection de la santé et la loi sur l'assurance santé garantissent que tous les citoyens sont couverts par le régime public d'assurance santé obligatoire. Toutes les personnes ont ainsi droit à la protection de la santé, aux prestations pécuniaires et en nature, incluant les soins primaires, les soins de spécialistes et l'hospitalisation. Les dépenses de santé s'élèvent à 7,6 pour cent du PIB croate. L'assurance santé obligatoire est gérée par l'Institut croate de l'assurance santé chargé de collecter les cotisations qui peuvent être payées sous différentes formes. Pour les employés, les cotisations sont versées par les employeurs et les employés eux-mêmes. Les cotisations des employeurs sont assises sur le salaire de l'ensemble de leurs employés et celles des salariés sont prélevées directement sur leur salaire. L'obligation de payer les cotisations revient donc à l'employeur qui est défini comme le «payeur des cotisations». Les travailleurs indépendants et assimilés doivent payer eux-mêmes leurs contributions. Le coût de la protection de la santé des chômeurs, des groupes de personnes vulnérables ou protégées est directement financé sur le budget de l'Etat.

Afin d'assurer le recouvrement des cotisations, l'Institut croate de l'assurance santé est autorisé et tenu de vérifier les livres comptables des employeurs pour s'assurer que les calculs et les paiements sont correctement faits. L'institut contrôle le recouvrement régulier des contributions pour l'assurance santé. L'article 59, paragraphe 2, de la loi précise que les personnes qui omettent de s'acquitter de leurs cotisations verront leurs droits à la protection de la santé, financée par l'institut, limités à l'aide médicale d'urgence. Cette disposition signifie que le droit à la protection de la santé ne peut être limité que pour les personnes obligées de verser les cotisations elles-mêmes. Cette disposition ne permet pas, en conséquence, de restreindre le droit des employés à la protection de la santé. L'institut dresse une liste des personnes qui doivent payer elles-mêmes leurs cotisations et celles dont le droit à la santé est restreint en raison du non-paiement de leurs cotisations. Une liste est également dressée des personnes physiques et morales qui n'ont pas versé les cotisations pour leurs employés pendant plus de trois mois. L'existence de ces deux listes a induit en erreur et il serait erroné de considérer que l'article 59, paragraphe 2, peut également concerner la seconde liste.

Le problème du recouvrement des cotisations s'est aggravé entre 1995 et 1996, notamment à cause de la situation économique et sociale générale qui a été affectée par la guerre et la transition à l'économie de marché. Tous les mois, des employeurs occupant quelque 100.000 travailleurs sont confrontés au problème du paiement des salaires et des cotisations de santé et de vieillesse. L'institut s'efforce de résoudre ces problèmes et conclut des accords spéciaux avec les employeurs pour l'ajournement de leurs cotisations. Bien que l'institut dispose de larges pouvoirs pour procéder au recouvrement forcé des cotisations, comme l'initiation d'une procédure de faillite, il ne fait pas usage de ces possibilités qui pourraient aboutir à des licenciements. En 1996, le gouvernement a réagi en demandant à l'institut d'inscrire sur des registres les arriérés de cotisations et de ne pas réclamer des intérêts pour les arriérés différés. Dans le cadre d'un programme de réhabilitation et restructuration des entreprises en difficulté ayant des perspectives de reprise, le gouvernement a transféré sur le budget national le paiement dû des cotisations de santé. Le gouvernement a donc alloué des ressources à l'assurance santé et vieillesse des travailleurs de ces entreprises. Ainsi, entre juin 1996 et septembre 1997, l'Etat a versé quelque
35 millions de DM à l'assurance santé.

Il résulte de ces informations que les allégations de la SSSH, selon lesquelles un grand nombre de travailleurs se seraient vu refuser le droit à la protection de la santé, ne sont pas correctes. Le gouvernement est conscient que les problèmes de financement de la protection de la santé ne peuvent être résolus que par la reprise de l'économie, la réduction du chômage et la réforme des systèmes de protection de la santé et de l'assurance santé. Il a été créé une commission chargée de mettre en œuvre la réforme de ces systèmes dans laquelle sont présents les représentants des travailleurs et des employeurs. Le gouvernement acceptera l'assistance du BIT à ce sujet et la Cour constitutionnelle n'a pas encore rendu sa décision sur ce problème. En outre, il sera répondu à la lettre adressée par un membre de l'opposition du parlement à laquelle fait référence la commission d'experts dans le rapport détaillé qui sera fourni en 1998 sur l'application de la convention.

Le gouvernement avait fourni une réponse écrite au sujet des communications de l'Association des clubs de retraités militaires affiliée à l'Union des retraités de Croatie. Il convient à cet égard de noter que le gouvernement a pris en charge les retraités militaires et les assurés de l'ex-armée fédérale et leur verse des pensions, conformément à la législation existante. La plainte déposée à ce sujet devant la Cour constitutionnelle concerne la détermination du taux de pension en décembre 1991. L'assurance vieillesse et invalidité des membres de l'armée nationale de l'ex-Yougoslavie était précédemment gérée par un fonds spécial dont le siège se trouve à Belgrade. L'ancienne législation relative à l'assurance de ces personnes a été appliquée en République de Croatie jusqu'en 1991. En conséquence, les pensions de vieillesse de ces personnes qui résident en Croatie et qui ne dépendent plus du fonds de Belgrade sont payées à hauteur de 63,22 pour cent du montant des pensions de décembre 1991. Le droit à pension reconnu ultérieurement est maintenu et ajusté aux variations du niveau des salaires des travailleurs. Depuis 1997, ces ajustements ont été réalisés en fonction de l'augmentation du coût de la vie de la même façon que pour les autres retraités. Grâce à ces différentes mesures, le montant réel de ces pensions correspond à 73 pour cent de la valeur des pensions en décembre 1991. Pour conclure, l'oratrice espère que les membres de la commission voudront bien considérer que le gouvernement fait tous les efforts nécessaires pour respecter les dispositions de la convention.

Les membres employeurs ont relevé que l'observation de la commission d'experts concernait deux points distincts. Le deuxième point a trait à des allégations auxquelles le gouvernement n'a pas eu l'occasion de répondre dans un rapport écrit et, conformément à sa tradition de ne pas se prononcer sur des informations seulement orales, la commission ne devrait pas en discuter avant que la commission d'experts ait examiné la question sur la base du prochain rapport du gouvernement. Le premier point n'est pas très clair. Il trouve son origine dans le commentaire d'un syndicat indiquant que, dans l'hypothèse où son employeur aurait omis de verser en son nom sa cotisation, le salarié verrait ses droits réduits à la seule aide médicale d'urgence en vertu de l'article 59 de la loi sur l'assurance santé. Le gouvernement indique que, dans cette hypothèse, l'Institut d'assurance santé est habilité par un amendement à la loi sur l'assurance santé à recouvrer les arriérés de cotisations. Comme il n'indique toutefois pas si l'institut procède ainsi dans la pratique, la commission d'experts demande au gouvernement de lui communiquer le texte de l'amendement, ainsi que des informations sur l'application pratique qui lui est donnée. Selon le syndicat, l'article 59 reste appliqué sans changement, avec pour conséquence que la restriction des soins de santé à la seule aide médicale d'urgence tend à devenir un phénomène massif. Le gouvernement précise pour sa part que les prestations sont réduites au traitement médical d'urgence, et non à l'aide d'urgence, la réduction ne s'appliquant pas à certaines catégories telles que les personnes de moins de
18 ans ou les femmes enceintes. Cette distinction reste peu claire et le gouvernement devrait répondre à la demande antérieure de la commission que lui soient communiqués les textes pertinents. En tout état de cause, la convention exige que la garantie aux personnes protégées s'étende aux soins médicaux de caractère préventif ou curatif, soit bien plus qu'une simple aide d'urgence. Le domaine de la protection de la santé connaît actuellement dans de nombreux pays une évolution caractérisée par la recherche d'un nouveau partage entre les prestations qui doivent relever d'un régime obligatoire ou volontaire. Mais, dans le cas présent, le problème tiendrait à ce que les personnes protégées seraient responsables de leurs propres cotisations et non leur employeur. Comment ce principe s'applique dans la pratique, combien de personnes ne bénéficient que de prestations réduites en raison du défaut de paiement de l'employeur, le gouvernement ne l'indique pas. Pour qu'un dialogue puisse s'engager avec les organes de contrôle, il faut que le gouvernement fournisse des réponses à ces questions, qu'il expose quelle est la pratique réelle, qu'il communique les textes, les jugements ou les décisions. C'est seulement sur cette base que la commission d'experts pourra évaluer la situation au regard des obligations de la convention et que la présente commission pourra, le cas échéant, se saisir à nouveau de la question.

Les membres travailleurs ont remercié la représentante gouvernementale pour ses explications. C'est la première fois que la commission discute de l'application de la convention par son pays, mais la commission d'experts a déjà formulé des observations en 1995, 1996 et 1997. La représentante gouvernementale doit d'ailleurs être rassurée quant à l'application des méthodes de travail de la commission au cas de son pays: la commission a toujours tenu à discuter aussi des évolutions récentes dans l'application des conventions dites «techniques» sur la base des analyses de la commission d'experts. Les membres travailleurs sont particulièrement attachés aux normes sur la sécurité sociale, en raison de leur contribution à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et pour la traduction concrète qu'elles donnent au principe d'égalité de traitement. La protection contre les risques en matière de santé est particulièrement significative à cet égard. L'Union des syndicats autonomes de Croatie indique que de nombreux travailleurs se voient refuser leur droit aux prestations du régime général de protection de la santé en vertu de l'article 59 de la loi de 1993 sur l'assurance santé. Ces travailleurs n'ont droit qu'à une protection limitée aux traitements médicaux d'urgence lorsque l'employeur omet de s'acquitter du paiement des cotisations en leur nom: c'est donc le travailleur qui doit subir les graves conséquences d'un manquement de son employeur à ses obligations. Il semble que de tels manquements se multiplient, bien que les cotisations soient déduites du salaire et donc à la charge du salarié. La commission d'experts constate que le gouvernement ne conteste pas que le régime de prestations réduites est largement appliqué dans la pratique, et les modifications réglementaires et législatives de 1996 ne semblent pas avoir résolu le problème. Elle confirme qu'il est contraire à l'article 69 de la convention d'exclure un travailleur du régime normal des soins de santé du fait que l'employeur ne verse pas les cotisations pour le compte du travailleur. En outre, la réduction des soins de santé à l'aide médicale d'urgence est contraire aux articles 7, 8, 9 et 10 de la convention. Le gouvernement a précisé le champ d'application personnel de cette réduction, qui ne comprend pas les personnes âgées de moins de 18 ans ou les femmes enceintes. Ce régime minimal n'en est pas moins incompatible avec la convention. Le gouvernement devrait donc fournir les informations complémentaires demandées par la commission d'experts car, comme l'ont souligné les membres employeurs, les informations dont on dispose restent très insuffisantes. Le gouvernement pourrait aussi envisager de recourir à l'assistance technique du BIT pour mettre le système en conformité avec la convention.

Le membre travailleur de la Croatie a déclaré à la commission que, mis à part le nombre important de personnes sans emploi, le problème socio-économique le plus important dans le pays était celui des 100.000 personnes ou plus, représentant environ 8 pour cent des travailleurs, qui ne percevaient pas leurs salaires depuis plusieurs mois. Ceci avait des conséquences sur l'application de la convention dans la mesure où les employeurs incapables ou ne désirant pas payer les salaires ne payaient pas les contributions relatives à la protection de la santé des travailleurs. Selon des sources syndicales, de nombreux travailleurs se sont vu refuser le droit à la protection médicale. Bien que l'impact réel de cette situation soit difficile à évaluer, il semble que, pour le moment, elle n'ait pas atteint de proportions dramatiques, en partie grâce à l'attitude souple adoptée par les docteurs et le personnel médical dans leur interprétation des notions d'aide médicale et de traitements médicaux d'urgence. Toutefois, l'insécurité législative concernant la protection de la santé de milliers de travailleurs dans le pays est absolument inacceptable et compromet l'application du principe constitutionnel garantissant la protection de la santé de tous les citoyens. Tout en se félicitant de la ratification par la Croatie des sept conventions fondamentales et de l'importance des droits garantis par la législation nationale, il est regrettable de constater la crise que connaissent les juridictions en Croatie. La Cour constitutionnelle a notamment mis des années avant de statuer sur un cas concernant le droit fondamental à la protection de la santé. La crise du système d'assurance santé est apparue en raison des hésitations du gouvernement à imposer aux entreprises concernées le paiement de leurs contributions par peur de provoquer la faillite de ces dernières. Ces mesures qui protègent les entreprises ayant des difficultés économiques ne peuvent se justifier que si le coût de l'assurance santé est dans ces cas supporté par l'Etat. Dans le cas contraire, les personnes qui en pâtiraient seraient les travailleurs. Etant donné que l'article 59 de la loi sur l'assurance santé donne lieu à des interprétations très différentes, il faut que le gouvernement modifie la loi et adopte des mesures claires et sans ambiguïté. En conclusion, il convient de remercier le BIT pour l'assistance qu'il a fournie aux syndicats croates, en particulier dans le développement de la législation du travail.

Le membre travailleur de la Roumanie s'est associé aux propos des membres travailleurs pour souligner qu'une violation très grave du droit des travailleurs à la protection sociale était en cause dans ce cas. Les dispositions de l'article 59 de la loi sur l'assurance santé étant contraires aux dispositions de la convention, elles doivent être modifiées, car la convention est un traité international qui l'emporte sur le droit interne. La situation où c'est le travailleur qui pâtit du manquement de son employeur à son obligation de versement des cotisations n'est pas acceptable. Le gouvernement doit donc assumer ses obligations aux termes de la convention en modifiant la loi et fournir un rapport détaillé sur les progrès accomplis à cet égard.

La représentante gouvernementale a exprimé sa crainte que les membres de la commission ne fassent une mauvaise évaluation de la situation dans le pays et n'arrivent à une conclusion erronée quant au grand nombre de travailleurs démunis privés de soins de santé. Si tel est le cas, il serait aisé de fournir des exemples tirés de cas individuels. Au contraire, il n'y a aucun exemple de cas dans lequel la vie d'un travailleur n'ait été mise en danger lorsque l'employeur ne s'est pas acquitté de la cotisation de santé. En réalité, le terme «contribuable» inclut bien les travailleurs indépendants, mais il ne s'applique pas aux salariés. Une attention particulière doit être portée sur les mesures que le gouvernement a prises en faveur des entreprises qui ont rencontré des difficultés pour cotiser à l'assurance santé, ainsi que sur l'ensemble du système qui doit être prochainement modifié. Dans tous les cas, le gouvernement fera son possible pour s'assurer que la nouvelle législation prenne en compte les obligations qui découlent de la convention.

La commission a pris note de la déclaration de la représentante gouvernementale et de la discussion qui a eu lieu. Tout en notant les informations détaillées communiquées par la représentante gouvernementale, la commission a constaté que la situation en droit et en pratique, qui avait été considérée par la commission d'experts comme n'étant pas compatible avec les dispositions de la convention, n'avait pas été modifiée dans l'intervalle et qu'un grand nombre de travailleurs assurés continuaient à se voir refuser la gamme complète des soins médicaux garantis par la convention. La commission a exprimé l'espoir que le gouvernement indiquera dans son prochain rapport détaillé, qui doit être soumis cette année, des informations complètes sur les mesures prises ou envisagées pour mettre la législation et la pratique nationales en conformité avec la convention, en particulier en ce qui concerne l'article 59 de la loi sur l'assurance santé. La commission veut croire que le gouvernement communiquera pour examen par la commission d'experts copie de tous les textes que celle-ci avait demandés. Elle a rappelé qu'une assistance technique pourrait être assurée par le BIT.

En réponse aux conclusions de la commission, la représentante gouvernementale a tenu à souligner une fois encore qu'aucune preuve ne permet de dire que le problème soulevé est un phénomène de masse, ni qu'un grand nombre de travailleurs ont été privés de leurs droits à la protection en matière de santé. En réalité, depuis le début de l'année, aucun des travailleurs n'a été privé de ces droits. Les modifications apportées à la législation concernée ont été communiquées à la commission d'experts dans un document en version croate.

Convention no 122: Politique de l'emploi, 1964

Pérou (ratification: 1967). Un représentant gouvernemental a déclaré que, comme l'indique l'article 2 de la convention, les méthodes destinées à promouvoir l'emploi productif et librement choisi doivent être adaptées aux conditions du pays. A cet égard, les études menées à bien au Pérou par le ministère du Travail indiquent que la situation actuelle en matière d'emploi peut s'expliquer par trois facteurs fondamentaux: premier facteur, l'explosion démographique intervenue dans le pays dans les années soixante-dix et au début des années quatre-vingt qui a récemment commencé à diminuer en raison des politiques démographiques mises en œuvre par le gouvernement péruvien; deuxième facteur, les politiques erronées qui ont conduit le pays à une faible croissance économique et à une augmentation dramatique de la pauvreté; et troisième facteur, un cadre de réglementation salariale inadapté qui n'a pas stimulé la croissance de l'emploi structuré dans le pays pendant près de vingt ans. Face à ce panorama, le gouvernement a adopté un ensemble considérable de mesures de politique économique pour promouvoir l'investissement privé dans les secteurs utilisant une main-d'œuvre importante et augmenter le taux de croissance économique du pays de façon soutenue. Ainsi, le ministère du Travail a mis en œuvre des programmes de promotion de l'emploi, surtout pour les groupes les plus affectés par le chômage et le sous-emploi, notamment les jeunes et les femmes ayant de faibles ressources. En outre, en raison des effets dévastateurs résultant du passage du «Niño», le pays est engagé dans un processus de reconstruction destiné à réactiver l'économie afin de permettre de générer de nouveaux postes de travail. Tous ces éléments montrent clairement la grande importance que le gouvernement péruvien accorde au thème du plein emploi dans le cadre de sa politique générale. De plus, il est tout à fait significatif que le nouveau ministre de l'Economie du Pérou, nommé il y a moins d'une semaine, ait indiqué lors de ses premières déclarations à la presse que «son administration a pour priorité de résoudre le problème fondamental du chômage qui, grâce au processus de reconstruction de l'infrastructure nationale endommagée par le phénomène du Niño, pourra être réduit».

Dans les jours précédents, au sein de cette commission, un représentant des membres travailleurs a rappelé que l'objectif du plein emploi s'inscrit dans le cadre de politiques économiques et sociales et pas uniquement dans celui de la politique du marché de l'emploi. L'application effective de ce principe n'est pas évidente pour les pays qui sont confrontés aux obstacles de l'ajustement structurel, de la dette ou de la transition. Ceci confirme la nécessité d'une coopération internationale accrue et de la prise en considération par les organisations financières internationales de la dimension sociale. Le gouvernement partage cette réflexion et souligne l'importance de la mondialisation de l'économie dont tous les pays, riches ou pauvres, font également partie.

S'agissant de l'insertion professionnelle des jeunes, il convient de souligner que les accords relatifs à la formation professionnelle visent à améliorer l'accès des jeunes ayant de faibles ressources au marché du travail structuré par le biais d'un processus conjoint de formation et d'expérience professionnelle. Ce processus doit, d'une part, répondre aux exigences de l'appareil productif national et contribuer, d'autre part, à élever le niveau de compétence et d'efficacité du marché de la formation professionnelle grâce à une meilleure interaction entre les institutions de formation et les nécessités du secteur productif demandeur de main-d'œuvre. Il n'est pas question de découvrir ou d'inventer quelque chose de nouveau. Il s'agit d'agir conformément aux nécessités en ayant recours à des éléments utilisés actuellement par des pays à haut niveau de développement technologique et connaissant des problèmes bien moins graves en matière de chômage. Les programmes d'emploi pour les jeunes mis en œuvre au Pérou sont fondamentalement différents de ceux des autres pays, puisqu'il y a une adaptation aux nécessités spécifiques de chaque pays.

Le syndicat des travailleurs de la construction civile de Lima et Balnearios prétend que la flexibilisation du droit de travail menée par le Pérou depuis 1991 a eu pour effet d'accroître la précarité et de porter atteinte aux droits des travailleurs sans permettre de créer de nouveaux emplois. A cet égard, l'orateur dément de façon claire et directe ces affirmations. En effet, au Pérou, comme dans d'autres pays, face au sérieux problème du chômage et du sous-emploi, la législation en matière d'emploi et, en général, toute la politique économique et sociale gouvernementale, s'est donné comme objectif fondamental la création des conditions nécessaires pour la promotion de l'investissement privé. Par cette voie et sous la direction du secteur privé, de nouveaux postes de travail devraient être créés. Entre 1991 et 1996, la modernisation de l'appareil de l'Etat a réduit le nombre de travailleurs dans le secteur public de 865.000 à 645.000, alors que de façon générale l'emploi a connu une augmentation de plus de 900.000 postes. Dans cette logique, la modernisation des relations professionnelles implique l'adoption d'un cadre normatif suffisamment flexible pour favoriser un réel développement du marché du travail. Ceci permettra aux entreprises d'avoir de meilleurs taux de productivité et ainsi attirer les investissements privés et la création de nouveaux postes de travail. Cette politique consiste en partie à développer les différents types de contrats et les différentes formes de médiation prévus par la législation. Ce mécanisme favorise l'incorporation des travailleurs dans l'entreprise, ainsi que la mobilité interne nécessaire dans le nouveau contexte économique. Toutefois, la mise en place de ce nouveau cadre du travail ne signifie en aucun cas la méconnaissance des droits des travailleurs. Il convient d'informer les travailleurs de leurs droits. A cette fin, au Pérou, des services de conseils gratuits ont été mis en place pour les travailleurs. En outre, dans la mesure où il est impératif de renforcer les services contrôlant le respect de l'application des normes du travail, le ministère du Travail, conscient de l'importance de ces services, les a dotés d'un nouveau cadre législatif privilégiant la prévention et le conseil. S'agissant de la réduction des taux de chômage et de sous-emploi, il convient de signaler que les réformes structurelles mises en œuvre à partir de 1990, parmi lesquelles la modernisation de la législation du travail, ont permis d'obtenir des avancées significatives. Le taux de chômage est passé de 9,6 pour cent en 1992 à 8,4 pour cent en 1997. Même si ce taux n'est pas très bon, il se situe dans la moyenne établie pour notre région. A ce sujet, les études réalisées par l'OIT montrent qu'en Amérique latine, au cours du premier trimestre de 1987, le taux moyen du chômage était de 10 pour cent, alors que la moyenne pondérée était de 7,6 pour cent. Ceci s'explique par le fait que le Pérou génère de l'emploi à un taux annuel de 3,4 pour cent. Ainsi entre 1991 et 1996, près d'un million de postes de travail dans le secteur urbain ont été créés, profitant particulièrement aux femmes dans la mesure où près de 60 pour cent de ces nouveaux postes de travail ont été occupés par des femmes. Dans la capitale, où se trouve concentré un pourcentage important de la population économiquement active, les personnes ayant véritablement un emploi sont passées de 2.300.000 en 1990 à 2.800.000 en 1996.

Dans son rapport, la commission d'experts se déclare particulièrement préoccupée par «l'absence de consultations des partenaires sociaux au sujet des politiques de l'emploi». L'opinion du gouvernement à cet égard est distincte. Dans les années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, le Pérou a connu une crise économique et sociale sévère qui a engendré la situation de l'emploi et le niveau de pauvreté déjà décrits. En 1990, le gouvernement a pris une série de mesures politiques, économiques et sociales afin de surmonter cette situation difficile. En 1993, pour consolider les progrès obtenus il a fallu procéder à des réformes constitutionnelles. La population a été consultée à ce sujet par le biais d'un référendum auquel ont participé plus de 90 pour cent des citoyens qui, en grande majorité, ont soutenu les réformes. En 1995, les Péruviens ont massivement voté pour la réélection de l'actuel Président et pour la reconduction du même modèle économique et social qui a, sans aucun doute, porté ses fruits et sorti le pays de la grave crise qu'il traversait. Dans cette mesure, le gouvernement estime qu'il existe un consensus social sur le programme économique en vigueur. Le représentant gouvernemental souligne que le pays a subi les conséquences de la crise économique et sociale et ses répercussions négatives dans le domaine social et de l'emploi.

Les membres travailleurs ont remercié le représentant gouvernemental et rappelé que la commission avait déjà discuté de l'application de la convention par ce pays en 1994. La commission d'experts a formulé cette année des observations importantes, sur la base d'informations fournies dans le cadre du suivi des conclusions et recommandations de 1996 du comité tripartite chargé par le Conseil d'administration d'examiner une réclamation introduite par la Confédération unitaire des travailleurs du Pérou (CUT) et la Centrale latino-américaine des travailleurs (CLAT) en vertu de l'article 24 de la Constitution. Si la commission a souhaité discuter à nouveau de ce cas, c'est parce qu'il semble que le gouvernement n'a pas encore pris les mesures demandées par la commission dans ses conclusions de 1994 pour mettre la législation et la pratique en conformité avec la convention, ainsi que pour contribuer au suivi des recommandations du Conseil d'administration. La situation de l'emploi et l'état du dialogue social sont inquiétants et ne tendent pas à s'améliorer, si l'on en croit l'observation de la commission d'experts et d'autres sources de l'OIT. Dans son rapport, le gouvernement fait état de quelques signes d'amélioration de l'emploi, mais ils sont limités à la seule métropole de Lima. La commission d'experts note d'ailleurs que le gouvernement n'a pas communiqué les résultats des enquêtes nationales sur l'emploi qui ont été entreprises en 1996. Les statistiques rassemblées par l'OIT montrent qu'une grande partie de la population active continue de se porter vers les activités du secteur informel, dont la part dans l'emploi total non agricole a augmenté de 6 pour cent entre 1990 et 1996, pour atteindre 57,9 pour cent en 1996. Cette augmentation est le résultat de la multiplication de micro-entreprises peu productives et aux conditions d'emploi extrêmement précaires.

S'agissant des programmes de politique du marché du travail, une attention particulière doit être prêtée à ceux qui concernent les jeunes. Le comité tripartite du Conseil d'administration a fait part de sa profonde inquiétude quant aux conséquences des programmes qui leur sont destinés, y compris à l'égard des travailleurs d'autres tranches d'âge. Selon les chiffres de l'OIT, le taux de chômage ouvert des jeunes est passé de 4,9 pour cent en 1991 à 19,1 pour cent en 1996. Le programme de formation des jeunes prévu par la loi de promotion de l'emploi ne semble donc pas avoir les effets escomptés. En réalité, cette loi vise surtout à baisser le coût de la main-d'œuvre, en étendant le salaire des apprentis aux jeunes âgés de 18 à 25 ans, contre 21 ans auparavant. Le pourcentage maximum d'apprentis par entreprise a été porté à 30 pour cent, ce qui rend impossible une véritable formation de chacun des jeunes. Alors même, comme l'a relevé le comité tripartite, qu'une formation pouvant durer jusqu'à trente-six mois à un âge aussi avancé ne saurait se justifier qu'en vue de l'acquisition de compétences hautement spécialisées. On doit donc insister, à la suite du comité tripartite et de la commission d'experts, pour que le gouvernement veille bien à ce que les contrats de formation ne soient pas détournés de leur objectif d'insertion effective et durable des intéressés dans un emploi convenable, et pour qu'il décrive les mesures prises à cet effet. En ce qui concerne les contrats de travail soumis à modalités et les entreprises spéciales, également prévus par la législation de promotion de l'emploi, le gouvernement doit être instamment prié de décrire les mesures prises afin de s'assurer qu'elles permettent bien de créer de nouveaux emplois, plutôt que de redistribuer l'emploi existant. Des informations avaient déjà été demandées sur ce point et il faut que le gouvernement fasse le nécessaire. En faisant de la flexibilisation du droit du travail l'instrument essentiel de sa politique de l'emploi, alors même que plus du tiers des travailleurs du secteur formel travaillent sans contrat dans des conditions d'extrême précarité, le gouvernement menace la cohésion sociale indispensable à l'efficacité de l'économie. Il ignore gravement les dispositions de l'article 1, paragraphe 3, de la convention, qui dispose qu'il doit tenir compte «des rapports existant entre les objectifs de l'emploi et les autres objectifs économiques et sociaux», ainsi que de l'article 2 qui prévoit que la politique de l'emploi doit s'inscrire dans le cadre d'une politique économique et sociale coordonnée.

Le plus grave manquement du gouvernement à ses obligations aux termes de la convention tient à l'absence totale de dialogue social, alors que l'article 3 prévoit la consultation des partenaires sociaux au sujet des politiques de l'emploi. La commission d'experts constate que le gouvernement n'a fait aucun progrès dans la mise en place des commissions consultatives auprès du service de l'emploi. La présente commission avait déjà relevé cette absence de dialogue social dans ses conclusions de 1994; elle ne peut que constater l'absence de tout signe d'amélioration, ce qui est particulièrement alarmant au moment même où une profonde réforme du droit du travail est entreprise dans le but affiché de promouvoir l'emploi. Le gouvernement doit sans délai adopter les réformes nécessaires pour assurer d'authentiques consultations, comme le prévoit la convention. La commission ne peut que réitérer la préoccupation qu'elle avait exprimée à cet égard dans ses précédentes conclusions. Le gouvernement devra fournir toutes les informations qui ont été demandées par la commission d'experts sur chacun de ces points.

Les membres employeurs ont relevé que la commission d'experts faisait état dans sa dernière observation d'une certaine amélioration de la situation de l'emploi. Le marché du travail reste toutefois affecté par de graves problèmes structurels, et notamment par la part très importante du secteur informel qui, par nature, est difficile à appréhender. L'emploi dans le secteur informel peut d'ailleurs avoir des aspects positifs lorsqu'il est une étape vers l'indépendance économique des intéressés. La commission d'experts rappelle à juste titre que la politique de l'emploi au sens de la convention ne doit pas être menée isolément mais s'intégrer dans une politique d'ensemble. La convention laisse le choix des moyens de cette politique à l'Etat partie et c'est pourquoi la commission d'experts ne se prononce pas en termes de conformité à la convention mais plutôt pour demander des informations supplémentaires ou des précisions sur différents aspects de cette politique. Elle demande ainsi des informations sur la mise en œuvre d'un programme de promotion des petites entreprises, qui vise apparemment le secteur informel, et elle demande quels résultats en ont été obtenus. Elle s'intéresse aussi aux effets des différentes mesures de formation et d'emploi des jeunes pour demander que le gouvernement s'assure qu'elles contribuent bien à augmenter les possibilités d'insertion durable dans l'emploi. Cette question doit être abordée avec réalisme dans le contexte d'une situation de sous-emploi structurel: les jeunes qui bénéficient de ces contrats sont sans doute dans une situation relativement plus favorable que ceux qui n'ont pas cette possibilité de formation et d'emploi. La commission relève que l'adaptation du droit du travail est un élément important de la politique de l'emploi; elle évoque à cet égard la «flexibilité» qui pourrait se traduire par un affaiblissement des droits des travailleurs sans création de nouveaux emplois. L'article 2 de la convention dispose à cet égard que les mesures de politique de l'emploi relèvent de «méthodes adaptées aux conditions du pays et dans la mesure où celles-ci le permettent». C'est seulement sur l'application de l'article 3 qu'il apparaît clairement que le gouvernement ne s'acquitte pas de son obligation de consultation des représentants des employeurs et des travailleurs sur les mesures de politique de l'emploi; il n'a d'ailleurs pas non plus mis en place les commissions consultatives auprès du service de l'emploi qui sont requises par la convention no 88. Il convient donc de rappeler une fois de plus au gouvernement son obligation de procéder à la consultation des partenaires sociaux.

Le membre travailleur du Pérou, au sujet de la réclamation présentée contre le gouvernement péruvien à propos de la convention sur la politique de l'emploi, que le Pérou a ratifiée en 1967, ne peut que souligner que la réponse du gouvernement ne correspond pas à la réalité. Il n'est pas vrai qu'on enregistre un accroissement significatif de la proportion d'emplois appropriés dans le nombre total d'emplois, une diminution du taux de chômage et de sous-emploi et une augmentation du montant des salaires réels. Au contraire, la politique en matière d'emploi du gouvernement péruvien a accru le chômage et a précarisé le peu d'emplois qui existent dans le pays. La loi D.L.728 relative à la promotion de l'emploi a conduit à une réduction massive des effectifs et a légalisé le licenciement arbitraire, pratique qui est contraire à la Constitution. Grâce à cet instrument, les employeurs brandissent la menace du licenciement et font en sorte que les travailleurs abandonnent leur emploi avant d'être licenciés, ce qui les prive du droit d'être réintégrés. De nombreux cas le confirment. Le cas de la Empresa Telefónica del Perú est pathétique. Sept mille travailleurs ont été obligés de démissionner et ceux qui s'y refusaient ont été licenciés. Il en va de même dans les secteurs de l'électricité, dans le secteur municipal et dans le secteur du bâtiment. Après s'être débarrassés de ces travailleurs, les employeurs engagent en sous-traitance des travailleurs pour les mêmes tâches, cela pour un salaire trois à quatre fois moins élevé. Ces travailleurs n'ont le droit ni d'adhérer à un syndicat, ni de bénéficier de la sécurité sociale, ni de jouir de l'un quelconque des droits du travail qui sont reconnus au Pérou ou par les parties au contrat de travail. Ils sont engagés par l'intermédiaire de coopératives de travailleurs, d'entreprises de travail temporaire, dans le cadre de contrats d'apprentissage des jeunes et de stages professionnels. Les entreprises peuvent même engager jusqu'à 90 pour cent de l'ensemble de leur main-d'œuvre en recourant à toutes les formes de sous-traitance qui existent. L'orateur peut donc affirmer que le gouvernement ne contribue pas à la création de nouveaux emplois et qu'il accroît la précarité de l'emploi. De même, le gouvernement ne semble pas faire preuve d'une attitude démocratique, en autorisant par exemple la création de commissions consultatives qui contribueraient à élaborer une politique appropriée en matière d'emploi. Qui plus est, les travailleurs ne sont nullement consultés par le gouvernement. Il n'y a pas de dialogue avec les travailleurs ni de pratique du tripartisme. Aussi les travailleurs appuient-ils les plaintes susmentionnées. Ils demandent que le gouvernement péruvien bénéficie de l'aide nécessaire pour modifier sa politique de l'emploi. Afin de vérifier ces plaintes, les travailleurs demandent que, dès que possible, une commission d'enquête se rende au Pérou afin de constater les graves violations des droits syndicaux, violations qui découlent de la politique de l'emploi et de l'extrême flexibilité du travail que le gouvernement a mises en œuvre.

Le représentant gouvernemental a pris note des commentaires et réflexions qui ont été exprimés pendant le débat et il a assuré qu'il transmettrait à son gouvernement la demande d'information qui lui a été soumise.

La commission a pris note des informations orales fournies par le représentant gouvernemental ainsi que de la discussion qui a suivi. Elle a rappelé que la commission d'experts formulait depuis plusieurs années des commentaires relatifs à l'incidence des dispositions de la législation de promotion de l'emploi sur la quantité et la qualité des emplois offerts aux différentes catégories de la population active, ainsi qu'aux mesures qui devraient être prises pour assurer les consultations au sujet des politiques de l'emploi qui sont requises par la convention. Tout en étant pleinement consciente des contraintes particulières qui pèsent sur la mise en œuvre de la politique de l'emploi dans le pays, et notamment de la part significative de l'emploi informel, la commission a rappelé qu'aux termes de la convention les mesures à prendre en vue de promouvoir le plein emploi, productif et librement choisi, doivent tenir compte des autres objectifs économiques et sociaux et être régulièrement revues dans le cadre d'une politique économique et sociale coordonnée. La commission a estimé que les effets de l'application de la législation de promotion de l'emploi devraient être soigneusement évalués afin de procéder aux adaptations nécessaires. La commission a notamment souligné qu'il était de la responsabilité du gouvernement de veiller à ce que les mesures favorisant l'emploi des jeunes ne soient pas détournées de leur objectif d'insertion effective et durable des intéressés dans un emploi convenable. Se référant à ses précédentes conclusions où elle avait insisté sur l'importance cruciale qui s'attache à ce que les organisations d'employeurs et de travailleurs soient pleinement associées à la formulation et à l'application de la politique de l'emploi, la commission n'a pu que constater avec préoccupation l'absence de nouvelles initiatives tendant à satisfaire cette exigence essentielle de la convention. Elle a exprimé le ferme espoir que le gouvernement prendrait sans attendre les dispositions appropriées en droit et en pratique pour que les partenaires sociaux soient consultés sur les mesures à prendre pour promouvoir l'emploi. Enfin, la commission a prié instamment le gouvernement de fournir dans son prochain rapport des informations détaillées sur chacun des points soulevés par la commission d'experts. La commission a exprimé le ferme espoir de pouvoir constater de réels progrès dans un proche avenir.

Convention no 131: Fixation des salaires minima, 1970

Uruguay (ratification: 1977). Un représentant gouvernemental de l'Uruguay a indiqué que, après avoir lu toutes les observations contenues dans le rapport de la Commission d'experts, il avait estimé peu probable que son pays figure dans la liste des cas individuels. Cependant la présence de son pays devant la Commission de l'application des normes, pour fournir des informations sur l'application de la convention no 131 relative à la fixation des salaires minima en Uruguay, devrait constituer un ferme soutien en faveur de la mission normative de l'OIT, du système de contrôle et des fonctionnaires du Bureau. L'adhésion de l'Uruguay au système normatif de l'OIT n'est pas une formule purement rhétorique ni une promesse pour un avenir indéfini. Elle rappelle les éléments qui illustrent l'engagement de l'Uruguay à l'égard de l'Organisation.

Il est indispensable de connaître la réalité politique, institutionnelle et sociale du pays avant d'aborder la question de la convention. Le taux d'alphabétisation, l'espérance de vie et la mortalité infantile sont comparables à ceux des pays les plus développés de la planète. L'Uruguay ne connaît pas de problèmes ethniques, raciaux ou religieux, et le rapport annuel de la Banque mondiale pour 1997 crédite ce pays de l'investissement social le plus élevé d'Amérique latine. Selon le rapport de la CEPAL, c'est aussi celui dans lequel les revenus sont le mieux répartis.

Ceci ne veut pas dire qu'il n'existe pas de problème dans le pays mais que, depuis l'aube de l'indépendance, il est d'usage de rechercher démocratiquement des solutions aux problèmes économiques et sociaux, comme en attestent quelques chiffres: en 1991, l'inflation annuelle avait dépassé 130 pour cent; en 1997, elle a été ramenée à moins de 20 pour cent et l'on espère qu'elle se fixera pour cette année à 12 pour cent; le produit intérieur brut, qui atteignait 13,8 milliards de dollars en 1993, a atteint pratiquement les 20 milliards de dollars en 1997, soit une progression de pratiquement
40 pour cent en cinq ans; le taux de chômage avait atteint presque 12 pour cent en 1996 en conséquence des ajustements inhérents à

tout processus d'intégration régionale tel que le MERCOSUR, dont l'Uruguay fait partie. Ce taux de chômage est cependant redescendu à 10 pour cent en mars 1998, ce qui incite à approfondir les mesures prises et la politique tripartite suivie en la matière; le pouvoir d'achat des salaires a progressé de 3,64 pour cent de 1993 à 1997.

Les articles 54 et 57 de la Constitution de la République proclament le droit à une juste rémunération de même que la promotion des organisations syndicales, en leur reconnaissant leurs privilèges de même que leur personnalité juridique et en proclamant la grève comme un droit syndical.

Se référant aux commentaires de la commission d'experts, le noyau central des observations porte sur le fait que, en accord avec la Centrale des travailleurs (PIT-CNT), le salaire minimum national, le salaire des travailleurs ruraux et celui des employés de maison restent fixés par le pouvoir exécutif. Il convient d'analyser les trois aspects que comporte l'observation: c'est-à-dire le salaire minimum national, le salaire minimum des employés de maison et le salaire minimum des travailleurs ruraux.

S'agissant du salaire minimum national, fixé et réajusté tous les trimestres par le pouvoir exécutif, il convient de considérer que ce salaire n'a pas d'application pratique puisque sa fonction n'est pas de déterminer le paiement minimal de la prestation de services mais de constituer en réalité un étalon de référence pour le calcul de certaines prestations de sécurité sociale. Cet aspect se trouve confirmé par les déclarations de la centrale syndicale, telles qu'elles sont reproduites dans le rapport: «... ce salaire constitue une notion de caractère politique, vide de tout contenu, servant essentiellement à réguler toute une série de dispositions de sécurité sociale (montant des allocations familiales, prime de retraite, etc.)». Cette caractéristique du salaire minimum national en Uruguay fait que ce salaire ne doit pas être analysé dans l'optique de la convention. Malheureusement, la commission d'experts n'a pas reproduit intégralement, dans son observation, les déclarations de la Centrale des travailleurs.

S'agissant du salaire minimum concernant les travailleurs ruraux et les employés de maison, il convient de noter que ce salaire ne concerne pas plus de 15 pour cent de la population économiquement active. La pratique en vigueur depuis plus de cinquante ans, sanctionnée entre-temps par la ratification de la convention no 98, institue la négociation collective sans restriction aucune: par entreprise ou branche d'activité. De même, les entités syndicales ont, de fait, la personnalité pour mener de telles négociations puisqu'il ne leur est pas prescrit d'obtenir préalablement la personnalité juridique. Ce nonobstant, en accomplissant les démarches nécessaires à l'obtention de cette personnalité, les organisations syndicales accèdent à des privilèges puisqu'elles sont par exemple exemptées de certains impôts. Il n'existe donc pas de limite à la négociation collective et, bien au contraire, cette pratique admet des formes très diverses, la seule condition formelle étant de consigner l'accord par écrit et de l'enregistrer auprès du ministère du Travail et de la Sécurité sociale. Cette politique de même que ce cadre juridique très ouvert constituent la procédure habituelle de fixation des salaires dans le pays, procédure qui satisfait aux conditions fixées par l'article 2, paragraphe 2, de la convention, lequel dispose que: «Sous réserve des dispositions du paragraphe 1 ci-dessus, la liberté de négociation collective devra être pleinement respectée».

C'est dans cette perspective qu'il convient d'apprécier le fait que le gouvernement fixe et réajuste lui-même tous les trimestres le salaire minimum des travailleurs ruraux et des employés de maison. Ce système découle de la quasi-inexistence d'organisations représentatives des employeurs et des travailleurs dans ces secteurs. Le rôle du gouvernement est subsidiaire puisqu'il consiste à fixer un salaire minimum qui ne puisse être ignoré des employeurs et que ce salaire minimum prévoit des prestations de sécurité sociale, dont l'assurance maladie et accident dans le cadre du travail, ainsi que d'autres prestations plus fréquentes pour ces catégories de travailleurs, comme l'hébergement et la nourriture. Ce système rentre dans les conditions prévues par l'article 3 de la convention.

Sans préjudice de ce qui précède, dans la mesure où les organisations syndicales des secteurs précités viendraient à se développer, il ne fait pas de doute que la négociation collective serait alors privilégiée. C'est ainsi que le secrétariat a été saisi de non moins de cinq conventions collectives souscrites par les travailleurs ruraux entre 1996 et 1997, illustrant ainsi la possibilité d'une négociation effective des salaires et autres conditions de travail.

La commission d'experts a demandé au gouvernement de la tenir informée des mesures prises afin que les salaires de ces catégories de travailleurs soient fixés en consultation avec les représentants des parties concernées, conformément à l'article 4, paragraphe 2, de la convention. Il convient de rappeler à cet égard que le système habituel de fixation des salaires est la négociation collective et que l'action du gouvernement est subsidiaire, c'est-à-dire qu'il n'intervient qu'en accord avec les organisations représentatives d'employeurs et de travailleurs. Il y a donc lieu de signaler que la convention prévoit qu'en l'absence d'organisations représentatives les représentants des employeurs et des travailleurs intéressés doivent être consultés. Il y a lieu de se demander si la commission d'experts, tenant compte d'éléments de droit comparé ou de la pratique d'autres pays, aurait pu formuler des suggestions quant à la définition de la représentativité des employeurs et des travailleurs domestiques et ruraux.

Les membres employeurs ont rappelé que les questions soulevées par ce cas concernaient la fixation des salaires minima à un niveau approprié et l'adoption de procédures elles-mêmes appropriées pour cette fixation. Les syndicats du pays se plaignent du trop faible niveau des salaires minima. C'est avec respect que les membres employeurs relèvent le changement de politique du gouvernement depuis la formulation des précédents commentaires de la commission d'experts, suite à la modification de la politique économique axée sur le contrôle de l'inflation. D'après le gouvernement, le système de fixation des salaires avait des conséquences directes sur l'inflation puisque celle-ci était déjà indexée sur une échelle mobile tous les quatre mois. Toujours selon le gouvernement, la politique économique doit par ailleurs tenir compte des engagements nationaux en vertu du MERCOSUR. Les syndicats nationaux soutiennent pour leur part que ce dernier argument n'est qu'une excuse. Dans son observation, la commission fait état de l'obligation faite par la convention de prendre en considération les besoins des travailleurs et de leurs familles dans la détermination des salaires minima. C'est pourquoi la commission a prié le gouvernement d'indiquer dans quelle mesure et par quels moyens ce critère a bien été pris en compte ou de faire savoir si seuls les critères macroéconomiques ont été retenus dans la fixation des salaires minima. Il va sans dire que l'inflation et d'autres facteurs macroéconomiques ont une influence considérable sur le pouvoir d'achat et les salaires, de même que sur l'emploi. La convention ne manque d'ailleurs pas de retenir les facteurs économiques et la productivité parmi les éléments à prendre en considération dans la fixation du taux des salaires minima et de reconnaître qu'il est souhaitable d'atteindre et de maintenir un niveau élevé d'emploi. En ce qui concerne la seconde question, à savoir la procédure à suivre pour fixer les salaires minima, la situation dans le pays diffère selon le secteur économique. Dans des secteurs tels que le transport, la santé et la construction, les salaires minima sont déterminés par voie de négociation. Pour les employés de maison et ceux du secteur agricole, les taux demeurent fixés par le pouvoir exécutif. Alors que, d'après le gouvernement, il est possible de négocier les taux de salaires dans tous les secteurs, celui-ci semble exercer son influence partout, notamment en indexant le salaire minimum sur l'inflation. Pour les syndicats nationaux, en revanche, ce sont tous les salaires minima qui, contrairement à la convention, sont en pratique déterminés par le gouvernement ou de manière unilatérale par les employeurs. De la déclaration du représentant gouvernemental on peut conclure qu'il reste des domaines dans lesquels la consultation exigée par la convention n'est pas pleinement assurée. C'est donc sur les deux questions soulevées que le gouvernement devrait être appelé à indiquer dans un rapport écrit comment les critères établis par la convention, et tout particulièrement celui des besoins des travailleurs et de leurs familles, sont pris en considération dans la détermination des salaires minima. Le gouvernement devrait également se voir demander d'appliquer les dispositions de la convention en ce qui concerne la consultation des représentants des employeurs et des travailleurs.

Les membres travailleurs ont remercié le représentant gouvernemental pour les quelques informations complémentaires qu'apporte sa déclaration. Dans ses commentaires antérieurs, la commission d'experts avait pu constater certains progrès dans l'application de la convention, en ce qui concerne notamment la fixation du salaire minimum des employés de maison. Les problèmes qui demeurent ont trait au respect de l'obligation, que la commission d'experts qualifie de «cardinale», de consultation des partenaires sociaux, ainsi qu'au niveau des salaires minima. Selon le Congrès national des travailleurs (PIT-CNT), le salaire minimum s'élève à 840 pesos, soit environ 85 dollars des Etats-Unis, ce qui paraît très insuffisant pour faire face aux besoins des travailleurs et de leurs familles. La précédente discussion de l'application de la convention dans ce pays portait déjà, en 1991, sur des problèmes similaires. Dans sa réponse aux commentaires antérieurs de la commission d'experts, le gouvernement a insisté sur les facteurs économiques, et le représentant gouvernemental a confirmé que la priorité était donnée à la lutte contre l'inflation et au respect des engagements souscrits dans le cadre du MERCOSUR. Des arguments purement économiques, au demeurant fort vagues, avaient déjà été invoqués par le gouvernement lors de la discussion de 1991. La préoccupation principale reste la réduction du déficit budgétaire et la maîtrise de l'inflation. Quant à la référence aux accords conclus dans le cadre du MERCOSUR, elle pourrait laisser entendre que ce marché commun aurait pour objectif de réduire les salaires et les niveaux de vie. La convention stipule pourtant, à son article 3, alinéa a), l'obligation de prendre en considération les besoins des travailleurs et de leurs familles pour déterminer le niveau des salaires minima. Certes, elle prévoit aussi, à l'alinéa b) de ce même article, qu'il doit être tenu compte de facteurs d'ordre économique. Comme la commission d'experts le relève, le gouvernement ne s'en tient qu'à la seule considération de critères macroéconomiques. Il devrait pleinement prendre en considération les besoins des travailleurs et de leurs familles. Il devrait également s'expliquer sur les critères retenus, ainsi que sur les statistiques ou études sur lesquelles il se fonde pour la fixation des salaires minima, car on ne dispose pas d'information à ce sujet, mais seulement de vagues indications sur des orientations générales de politique économique. L'autre problème soulevé par la commission d'experts a trait à l'absence de consultations. En premier lieu, les salaires minima des travailleurs ruraux et des employés de maison sont fixés par le gouvernement et non par les conventions collectives. En outre, le gouvernement ne semble pas consulter les organisations de travailleurs et d'employeurs. En conséquence de cette absence de négociation collective ou de consultation, les salaires dans ces secteurs, qui couvrent quelque 15 pour cent de la population active, sont en baisse. Le gouvernement intervient également dans la fixation des salaires minima des secteurs des transports et des services, en invoquant la nécessité de limiter l'impact des salaires sur les prix de ces services. La commission d'experts souligne la persistance du problème de la fixation unilatérale du salaire minimum national et des salaires minima des travailleurs ruraux et des employés de maison. Le gouvernement méconnaît ainsi ses obligations aux termes de l'article 4, paragraphes 2 et 3, de la convention, qui dispose que la consultation sur la fixation des salaires minima doit être effective et associer, sur un pied d'égalité, les représentants des organisations d'employeurs et de travailleurs. Le gouvernement doit donc prendre les mesures nécessaires pour respecter cette obligation et assurer la pleine consultation des organisations de travailleurs, notamment pour la fixation du salaire minimum national et des salaires minima des travailleurs ruraux et des employés de maison.

Un membre travailleur de l'Uruguay a déclaré que les organisations de travailleurs de son pays souhaitent ne pas rester en dehors des processus de négociations quels qu'ils soient, y compris celui de la négociation du salaire minimum au niveau national. Il ressort nettement des déclarations du représentant gouvernemental et des observations de la commission d'experts que le gouvernement ne satisfait pas aux obligations souscrites en ratifiant la convention no 131. L'ampleur des violations de cette convention doit être appréciée à la lumière de l'article 3 de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, lequel prescrit au gouvernement que des organismes appropriés aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être institués pour assurer le respect du droit d'organisation. L'ampleur de ces violations doit également être appréciée à la lumière des violations constatées par le Comité de la liberté syndicale à propos du licenciement de travailleurs exerçant leurs droits syndicaux. Dans ces conditions, affirmer que les salaires minima sont fixés par voie de négociation collective constitue un mensonge. Seules peuvent négocier collectivement des organisations de travailleurs fortes et capables d'exercer le droit de grève. Les fonctionnaires, les enseignants, les travailleurs ruraux ou les gens de maison, ainsi que les personnes travaillant dans les petites et moyennes entreprises, n'ont pas la possibilité de négocier collectivement. Les autres travailleurs sont soumis à l'engagement individuel et au salaire minimum interprofessionnel fixé unilatéralement par le pouvoir exécutif par voie de décret, ce qui constitue un manquement évident par rapport à la convention. Les violations de cet instrument sont de deux natures: de type administratif et de type matériel. Dans le premier cas, les organisations d'employeurs et de travailleurs ne sont pas consultées pour la fixation du salaire minimum. Dans le deuxième, les critères définis à l'article 3 quant à la fixation du salaire minimum ne sont pas observés.

L'intervenant a rappelé que les mécanismes légaux de fixation du salaire minimum pour toutes les catégories professionnelles résultent des modalités définies par la loi no 10449 de 1943, dont l'application a été suspendue de 1968 à 1985. Avec le rétablissement de la démocratie et jusqu'en 1994, les conseils des salaires ont à nouveau fonctionné. Mais, depuis 1995, les salaires minima sont fixés par voie de décret par le pouvoir exécutif, conformément à une règle édictée sous la dictature et depuis lors abrogée.

Le salaire minimum actuel est de 95 dollars par mois de travail. Les services de statistiques gouvernementaux reconnaissent que le coût du «panier de la ménagère» s'élève à 1.789 dollars tandis que, pour la Commission économique pour l'Amérique latine (CEPAL), le seuil de pauvreté se situe en deçà des 280 dollars par mois.

Pour conclure, l'intervenant a réaffirmé sa foi dans le tripartisme et dans l'OIT, appelant l'instamment le gouvernement de l'Uruguay à procéder sans retard à la fixation des salaires minima par des consultations tripartites prenant en considération les besoins des travailleurs et de leurs familles, comme le prescrit la convention, de manière à instaurer la justice sociale dans ce pays.

Le membre travailleur de l'Argentine a indiqué qu'il partageait l'avis exprimé par le membre travailleur de l'Uruguay et fait part de son opposition totale aux politiques macroéconomiques qui ne respectent pas les salaires minima. L'exemple des Etats-Unis montre qu'il est possible d'augmenter le salaire minimum sans pour autant affecter le niveau de l'inflation ou celui de l'emploi. Tout régime démocratique se doit de respecter les dispositions de la convention no 131 adoptée voici maintenant trente ans. La fixation unilatérale des salaires pour les secteurs ruraux et le service domestique revient à rejeter la consultation tripartite et la participation des organisations de travailleurs. Il ne faut pas davantage évoquer le processus d'intégration de l'Amérique du Sud dans le Marché commun du Sud, le MERCOSUR. L'expérience de l'Union européenne et celle de la Conférence elle-même démontrent qu'aucun processus d'intégration durable ne peut se fonder sur l'injustice sociale, l'exclusion des travailleurs et le non-respect des conventions de l'OIT.

Le membre travailleur du Brésil a souligné que les salaires minima établis ne répondent pas aux exigences de l'article 3 de la convention. L'absence de consultations tripartites, telles que prévues à l'article 4, paragraphe 2, semble néanmoins plus grave.

Cette question intéresse particulièrement les travailleurs brésiliens dans la mesure où se tiennent actuellement des négociations avec les autres travailleurs du MERCOSUR au sujet de «la dimension sociale du MERCOSUR». Par décision de l'organe exécutif du MERCOSUR, le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay négocient de façon tripartite en vue d'aboutir à un protocole socioprofessionnel. Ces négociations s'inspirent directement des conventions de l'OIT, et c'est la raison pour laquelle les travailleurs sont préoccupés par le fait que le gouvernement de l'Uruguay ne respecte pas les exigences des consultations tripartites, telles que prévues par la convention.

Pour l'orateur, le plus dangereux réside dans le fait que le gouvernement indique que les négociations salariales ont été dans le passé responsables de l'inflation, ce qui revient à dire que le tripartisme est inflationniste. Cette commission doit prier instamment le gouvernement de reprendre les négociations tripartites qui ont toujours fait partie de l'histoire démocratique de l'Uruguay.

Le membre travailleur de Colombie a déclaré qu'il était inconcevable pour les travailleurs et pour le mouvement syndical qu'à l'aube du XXIe siècle un gouvernement refuse d'établir sa politique salariale par la voie de la concertation, tant pour le salaire minimum légal que pour la politique générale des salaires. Les travailleurs ne peuvent accepter la politique erronée qui consiste à prétendre contrôler l'inflation par le biais de la réduction des maigres revenus des travailleurs ou à prétexter l'existence d'engagements dans un processus d'intégration tel que le MERCOSUR. En Amérique latine ainsi que dans d'autres pays en développement, l'implantation de l'absurde modèle néolibéral se fait suivant des formes similaires. Ce modèle, en imposant des politiques salariales qui ne prennent pas en considération les besoins de base des travailleurs, génère chaque fois de plus grandes inégalités sociales.

Il est indéniable que le gouvernement refuse de fixer les salaires minima par la voie de la négociation, notamment dans les secteurs qui concernent un nombre significatif de travailleurs comme les secteurs des petites et moyennes entreprises, les secteurs ruraux, les secteurs du commerce et des services domestiques. Ceux-ci n'ont pas accès à la négociation collective et souffrent des conséquences d'une politique salariale injuste.

Il convient de demander au gouvernement d'appliquer les dispositions de la convention puisque, dans le cas contraire, la société ne croirait plus aux instruments si précieux pour la paix sociale que le sont les conventions de l'OIT.

Le représentant gouvernemental a déclaré apprécier les contributions des divers orateurs, y compris et en particulier celles de ses contradicteurs, notamment du délégué travailleur de l'Uruguay. Ces remerciements ne doivent pas être considérés comme purement rhétoriques, à titre de conclusion, mais sont l'expression de l'esprit de dialogue constructif qui anime l'Uruguay. Le gouvernement sera dûment informé avec précision des échanges d'idées qui ont été suscités, dans un esprit démocratique, pluraliste et tripartite, en vue de dégager des réponses adéquates aux questions qui peuvent encore se poser à propos de l'application de la convention dans ce pays.

La commission a pris note des informations communiquées par le représentant gouvernemental ainsi que de la discussion détaillée qui a fait suite. Elle a rappelé que ce cas a été examiné en 1991 et qu'à cette occasion elle avait exprimé l'espoir que le gouvernement prendrait les mesures nécessaires pour assurer la pleine application de la convention dans la pratique. Elle a toutefois constaté que, malgré le temps écoulé, il subsiste des problèmes quant à la pleine application dans la pratique de la convention en ce qui concerne la fixation du salaire minimum, tant pour ce qui est des critères de fixation de ce salaire que de la consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs à cette fin. La commission a exprimé à nouveau le ferme espoir que le gouvernement communiquera, dans son prochain rapport, des informations complètes quant aux modalités selon lesquelles il prend en considération, entre autres critères, les besoins des travailleurs et de leurs familles pour déterminer le niveau des salaires minima, conformément à l'article 3 de la convention, de même qu'en ce qui concerne les mesures prises pour garantir pleinement la consultation -- sur un pied d'égalité -- des représentants des employeurs et des représentants des travailleurs pour la fixation du salaire minimum, y compris pour les travailleurs ruraux et les employés de maison.

Convention no 135: Représentants des travailleurs, 1971

Côte d'Ivoire (ratification: 1973). Un représentant gouvernemental a souhaité préciser que les quatorze rapports demandés à son gouvernement, parmi lesquels celui portant sur la convention
no 135, ont été remis au BIT. S'ils n'ont pu être expédiés à temps, c'est seulement pour des problèmes techniques que le gouvernement s'attache à surmonter. La commission d'experts se réfère à la préoccupation exprimée par l'Union générale des travailleurs (UGTCI) de Côte d'Ivoire et le syndicat «Dignité» au cours de la mission de contacts directs à propos de la loi no 92-573 du 4 septembre 1992 et de la circulaire no 07585/EFP/CAB du 20 juillet 1993. Cette législation n'est plus en vigueur depuis la réforme du Code du travail et l'adoption de la loi no 95-15 du 12 janvier 1995 qui renforce la protection des représentants du personnel. Cette loi prévoit une amende de 10.000 à 100.000 francs et une peine de deux mois à un an d'emprisonnement pour quiconque porte atteinte à la libre désignation des délégués du personnel, des délégués syndicaux ou des membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (art. 100-5). Elle subordonne le licenciement d'un délégué du personnel ou d'un délégué syndical à l'autorisation préalable de l'inspecteur du travail (art. 61-7 et 62-3), ces dispositions étant également applicables aux anciens délégués pendant six mois et aux candidats pendant trois mois. Une innovation importante tient à ce que l'employeur ne peut poursuivre la rupture du contrat par d'autres moyens (art. 61-7). Quant à la suppression de l'autorisation administrative des licenciements économiques, qui préoccupe également ces organisations, elle n'affecte en rien la protection des représentants des travailleurs puisque l'employeur reste tenu d'observer la procédure de licenciement des délégués. En outre, la loi fait obligation à l'employeur qui envisage un licenciement pour motif économique d'organiser, en présence de l'inspecteur du travail, une réunion d'information et d'explication avec les délégués du personnel, qui peuvent s'y faire assister par des représentants de leurs syndicats (art. 16-7). Il doit informer huit jours avant cette réunion les délégués du personnel et l'inspecteur du travail des causes du licenciement envisagé, des critères retenus, de la liste du personnel concerné et de la date du licenciement (art. 16-8). La loi fait également obligation à l'employeur d'informer chaque année les délégués du personnel de la situation de l'entreprise (art. 61-9). Le décret 96-207 du 7mars 1996 relatif aux délégués du personnel et délégués syndicaux précise que cette information doit porter sur les résultats de l'exercice clos, les projets, et notamment toute décision susceptible d'influencer la vie de l'entreprise ou d'avoir une incidence sur la carrière des travailleurs. Toutes les dispositions sont donc prises pour assurer le respect de la convention.

Les membres travailleurs ont rappelé que la commission avait déjà discuté de ce cas en 1995. Malgré les conclusions de la commission d'alors, le gouvernement n'a pas envoyé de rapport en temps utile et la commission d'experts s'est donc vue obligée de répéter son observation précédente. La présente commission avait demandé au gouvernement de modifier les dispositions de la loi no 92-573 pour les rendre conformes à la convention. Elle avait exprimé l'espoir de constater un progrès sensible, et les propos du représentant gouvernemental comportent des indications qui tendent à montrer que de nouvelles mesures auraient été prises pour assurer la protection des représentants des travailleurs contre des discriminations dans le cadre des licenciements économiques. C'est toutefois à la commission d'experts qu'il revient de procéder à un examen précis des textes mentionnés, ce qu'elle aurait déjà eu l'occasion de faire si le gouvernement avait pleinement respecté son obligation de faire rapport. Les problèmes d'application de la convention doivent être replacés dans le contexte plus large des relations professionnelles dans le pays, tel qu'il ressort notamment de la mission de contacts directs de 1994 ou des conclusions et recommandations du Comité de la liberté syndicale dans les cas nos 1594 et 1647. Le gouvernement avait pris des mesures pour mettre, au moins en partie, la législation et la pratique nationales en conformité avec la convention. Sous la pression de l'OIT et des travailleurs, le gouvernement avait adopté une attitude plus positive à l'égard des normes internationales du travail. Il semble toutefois que, depuis lors, l'engagement du gouvernement sur cette voie ait faibli. Les réformes entreprises restent inachevées tandis que les pratiques antisyndicales persistent. Le système de relations individuelles et collectives de travail ne semble pas en mesure de garantir une protection efficace contre les actions antisyndicales. Des interventions politiques directes dans les questions syndicales, dans les relations professionnelles ou dans les dossiers des entreprises ajoutent à la confusion. Des circulaires ministérielles telles que la circulaire no 07585/EFP/CAB du
20 juillet 1993 vont à l'encontre de la loi: la loi du 11 septembre 1992 a affaibli la protection des représentants des travailleurs, mais elle n'a pas supprimé l'autorisation préalable en cas de licenciement d'un représentant du personnel, comme la circulaire tend à le faire croire. Il semble que des circulaires analogues soient adressées aux entreprises qui en font la demande au ministre du Travail, qui méconnaît ainsi la loi, désinforme les travailleurs et les entreprises et porte atteinte à l'indépendance des inspecteurs du travail dans le but d'attirer les investisseurs internationaux. En conséquence de la confusion ainsi entretenue, des représentants du personnel sont discriminés lors des licenciements économiques, et des entreprises invoquent des motifs économiques pour s'en débarrasser. De surcroît, la loi dispose explicitement que les conventions collectives qui visent à compléter la protection légale contre le licenciement sont nulles. Il est donc indispensable de clarifier les relations entre la loi, les dispositions réglementaires, les circulaires ministérielles et les clauses conventionnelles, et de mettre fin aux pratiques discriminatoires dont sont victimes les représentants des travailleurs ou les membres des syndicats, notamment du syndicat «Dignité». Le gouvernement doit modifier sa législation et sa pratique pour mettre en place un système efficace qui assure une réelle protection des représentants des travailleurs contre les actions directes ou indirectes de discrimination antisyndicale, conformément à l'article 1 de la convention. A cet effet, il devrait coopérer réellement avec les organes de contrôle de l'OIT et avec les organisations syndicales et avoir recours à la coopération technique du BIT.

Les membres employeurs ont noté que la question de l'application de la convention avait été discutée par la présente commission en 1995, mais que, une fois de plus, la situation n'était apparemment pas tout à fait claire, en partie parce que le gouvernement n'a pas soumis de rapport et que la commission d'experts avait donc été obligée de travailler sur la base d'anciennes informations. Bien que de nouvelles informations aient été fournies par le représentant gouvernemental, il est nécessaire qu'elles soient évaluées par la commission d'experts. Le gouvernement a déjà reçu une mission de contacts directs de l'OIT sur les questions liées à la convention, et le Comité de la liberté syndicale a procédé à l'examen d'un cas. Dans les deux instances, les résultats ont été apparemment positifs et un certain nombre de problèmes ont été résolus suite à la mission de contacts directs. La question soulevée concerne toujours le point de savoir si les représentants du personnel bénéficient d'une protection suffisante. La situation est, à cet égard, assez confuse dans la mesure où les dispositions pertinentes sont disséminées dans une série de circulaires et de lois. Il est difficile de déterminer la hiérarchie entre ces différentes dispositions, l'étendue exacte des compétences de l'inspection du travail dans les différents cas, et les situations dans lesquelles la direction peut prendre seule des décisions ou si elle doit en informer l'inspection du travail. En ce qui concerne le licenciement de travailleurs, il est reconnu qu'il est, dans de nombreux cas, difficile de déterminer précisément si le licenciement a lieu pour des raisons économiques ou pour des motifs liés à l'exercice d'activités syndicales. La protection accordée par la convention est clairement centrée sur les activités syndicales et l'appartenance à un syndicat. Néanmoins, si des abus peuvent se produire, il appartient au gouvernement de s'assurer que la situation est claire et que les obligations découlant de la convention sont respectées. Par conséquent, le gouvernement devrait envoyer un rapport détaillé sur toutes les questions soulevées par la commission d'experts et, si une nouvelle législation a été adoptée, transmettre les textes en question ainsi que des informations sur leur application pratique afin de donner une image précise de la situation prévalant dans le pays. Ce faisant, le gouvernement devrait clarifier très rapidement la situation et permettre ainsi à la commission d'experts d'examiner la situation nouvelle au cours de sa prochaine session.

Le membre travailleur de la Côte d'Ivoire a déclaré que les propos du représentant gouvernemental le laissaient songeur tant ils sont éloignés d'une réalité où c'est le ministre du Travail lui-même qui organise le licenciement de travailleurs se mettant en grève après avoir donné régulièrement un préavis et parmi lesquels figurent des délégués syndicaux. Depuis que la mission de contacts directs a quitté le pays, les cas de licenciements de délégués syndicaux se sont multipliés dans les entreprises qui invoquent le motif économique pour s'en débarrasser sans respecter l'obligation d'une autorisation préalable de l'inspection du travail. On ignore encore si la loi no 92-573 est ou non toujours applicable. L'opération de police de la nuit du 4 avril 1998, où les forces de l'ordre ont saccagé le local de l'organisation syndicale «Dignité» au prétexte que les travailleurs n'avaient pas à s'y trouver à une heure aussi tardive illustre bien l'atmosphère antisyndicale qui prévaut dans le pays.

Le membre travailleur du Sénégal a déploré que le retard mis par le gouvernement à fournir le rapport demandé empêche la commission d'évaluer objectivement la situation. Les propos du membre travailleur de la Côte d'Ivoire relativisent les assurances fournies par le représentant gouvernemental. On ne peut donc qu'insister pour que les organes de contrôle continuent de veiller à ce que la législation soit mise en conformité avec les exigences d'une convention ratifiée en 1973. Car il ne suffit pas de ratifier une convention pour soigner son image internationale, si c'est pour retarder ensuite les modifications législatives nécessaires à son respect.

Le représentant gouvernemental a souligné que les modifications législatives requises avaient déjà été effectuées, comme chacun peut le constater à l'examen de l'exemplaire commenté de la loi no 95-15 (Code du travail) qui est disponible au BIT. Le raisonnement du membre travailleur de la Côte d'Ivoire procède par amalgames. La réalité est bien que tout licenciement d'un représentant des travailleurs requiert l'autorisation préalable de l'inspection du travail. Le gouvernement a consacré tous ses efforts à exécuter pleinement les recommandations de la mission de contacts directs. Il a d'ores et déjà pris des dispositions afin de fournir les rapports demandés dans les délais prescrits.

La commission a pris note de la déclaration orale du représentant gouvernemental ainsi que de la discussion qui a suivi. La commission a noté avec regret que le rapport du gouvernement n'avait pas été reçu en temps voulu par la commission d'experts. Rappelant qu'au cours de la mission de contacts directs effectuée en 1994 les organisations de travailleurs les plus représentatives de Côte d'Ivoire avaient exprimé leur préoccupation au sujet de la loi no 92-573 de septembre 1992 relative au licenciement pour motif économique et d'une circulaire de 1993 permettant l'annulation des effets d'une convention collective prévoyant une protection spéciale des représentants syndicaux en cas de réduction des effectifs, la commission d'experts avait demandé au gouvernement de prendre des mesures pour assurer le respect de l'article 1 de la convention en droit comme en pratique. La commission a pris bonne note de la déclaration du gouvernement selon laquelle le Code du travail a été modifié en 1995 pour renforcer la protection des délégués syndicaux et des représentants du personnel contre les actes de discrimination antisyndicale. La commission a toutefois insisté sur l'importance qu'elle attache à la protection des représentants des travailleurs dans l'entreprise et demandé au gouvernement de prendre, en consultation avec les organisations de travailleurs et d'employeurs, les mesures nécessaires pour garantir la pleine application de la convention en droit et en pratique. La commission a instamment prié le gouvernement de fournir un rapport détaillé à la commission d'experts sur les mesures prises à cet égard et d'apporter des éclaircissements complets sur les points soulevés. Elle a rappelé au gouvernement la possibilité de faire appel à l'assistance technique du BIT.

DEUXIEME PARTIE (cont.)


Mise à jour par VC. Approuvée par NdW. Dernière modification: 26 January 2000.