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GB.275/4/1
275e session
Genève, juin 1999


316e rapport du Comité de la liberté syndicale (...suite)

Cas no 1934

Rapport où le comité demande à être tenu informé
de l'évolution de la situation

Plainte contre le gouvernement du Cambodge
présentée par
la Confédération mondiale du travail (CMT)

Allégations: violations du droit de constituer des syndicats,
du droit de grève et de négociation collective, licenciements
de syndicalistes, pressions et menaces exercées à leur encontre

196. Le comité a examiné ce cas à sa session de novembre 1997, au cours de laquelle il a formulé des conclusions intérimaires. [Voir 308e rapport, paragr. 85 à 138, approuvé par le Conseil d'administration à sa 270e session (novembre 1997).] A sa session de novembre 1998 [voir 311e rapport, paragr. 111 à 132, approuvé par le Conseil d'administration à sa 273e session], le comité a de nouveau formulé un certain nombre de conclusions intérimaires.

197. Le gouvernement a envoyé de nouvelles observations dans une communication du 21 janvier 1999.

198. Le Cambodge n'a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Examen antérieur du cas

199. La Confédération mondiale du travail (CMT) a présenté des allégations selon lesquelles de nombreuses violations du droit d'organisation et du droit de grève ainsi que d'autres droits syndicaux et des libertés civiles auraient eu lieu depuis les élections démocratiques au Cambodge. La CMT a affirmé que la première organisation syndicale du pays, le Syndicat libre des ouvriers du Royaume du Cambodge (SLORC), créé en décembre 1996, a été réprimé par de nombreuses entreprises qui lui ont refusé l'existence légale et a fait l'objet de mesures répressives de la part de l'Etat. De plus, la CMT a allégué que, lors des grèves qui ont eu lieu dans trois entreprises (Cambodia Garment Ltd., Gennon Manufacturing et Tack Fat Garment), le gouvernement et les employeurs auraient eu massivement recours à l'intervention des forces de sécurité pour réprimer les grèves dans les usines et lors de manifestations pacifiques des grévistes et que des personnes auraient été blessées au cours d'actes de répression violente. Il est également allégué que plusieurs travailleurs auraient été licenciés à la suite de grèves en raison de leurs activités syndicales.

200. Le gouvernement, de son côté, a indiqué qu'un nouveau Code du travail avait été promulgué officiellement en mars 1997 et que le ministère compétent avait pour tâche pressante de le mettre en application. Concernant la création du SLORC, le gouvernement a affirmé que, depuis la promulgation du Code du travail, ce syndicat n'a pas appliqué les dispositions concernant l'enregistrement des statuts syndicaux. En ce qui concerne les grèves dans les trois entreprises, le gouvernement a avancé que l'organisation de ces grèves et manifestations par le SLORC n'avait pas respecté la légalité et que des actes de violence avaient été commis à l'instigation du syndicat. Finalement, le gouvernement a déclaré que, suite aux recommandations du comité, le Département de l'inspection du travail a écrit en date du 18 mars 1998 au SLORC pour lui demander de déposer ses statuts en vue de l'enregistrement. Pour ce qui est du licenciement de 13 travailleurs de l'entreprise Tack Fat Garment, le gouvernement a déclaré que les enquêtes n'avaient donné aucune preuve pouvant attester que ces licenciements avaient eu lieu pour des motifs antisyndicaux. Le gouvernement a déclaré que, à défaut de preuves suffisantes démontrant le caractère antisyndical de ces licenciements, il a réglé ces conflits par voie de conciliation. A l'issue de cette conciliation, l'employeur a refusé de réengager les travailleurs en question mais a accepté de verser des dommages-intérêts à deux des salariés concernés.

201. A sa session de novembre 1998, au vu des conclusions intérimaires du comité, le Conseil d'administration a approuvé les recommandations suivantes:

B. Nouvelle réponse du gouvernement

202. Dans sa communication du 21 janvier 1999, le gouvernement indique, à propos de l'enregistrement du Syndicat libre des ouvriers du Royaume du Cambodge (SLORC), qu'en réponse aux recommandations du comité le ministère des Affaires sociales, du Travail, de la Formation professionnelle et de la Réinsertion des jeunes a enregistré le SLORC le 25 décembre 1998, bien que celui-ci ait refusé de corriger sa structure. Le gouvernement demande en outre à l'OIT de fournir une assistance technique en conseillant directement le SLORC quant à la modification de sa structure.

203. En ce qui concerne la négociation collective, le gouvernement indique que le SLORC a négocié collectivement avec un certain nombre d'employeurs d'usines de confection, notamment avec les employeurs de Cambodia Garment Ltd. et Integrity Apparels Pte. Ltd. en décembre 1996 et en janvier 1997, et qu'il est parvenu à conclure des conventions collectives avec ces entreprises. Le gouvernement explique aussi que les travailleurs peuvent déposer des plaintes auprès du ministère par l'intermédiaire du SLORC et que le ministère a toujours réglé tous les conflits qui lui étaient soumis par l'entremise de ce syndicat.

204. A propos du droit de grève, le gouvernement réitère sa position selon laquelle il a toujours reconnu aux travailleurs le droit de grève mais qu'il ne peut accepter les grèves illégales, notamment les grèves non pacifiques ou les grèves engagées à des fins autres que celles de servir les intérêts des travailleurs. Sur ce point, le gouvernement, par l'intermédiaire du ministère des Affaires sociales, demande à l'OIT de faire part de sa position face aux grèves illégales et d'indiquer les mesures que devrait prendre le gouvernement cambodgien dans ce cas.

205. Au sujet du licenciement de travailleurs, le gouvernement indique d'abord qu'afin d'assurer une protection plus efficace des travailleurs le ministère a publié différents décrets ministériels et autres documents normatifs sur la question. Il a également organisé des cours d'information, des cours et séminaires de formation à l'intention des travailleurs, dirigeants et délégués syndicaux, employeurs et fonctionnaires concernés du ministère, y compris des cours parrainés par le BIT. Pour ce qui est du licenciement de travailleurs et de dirigeants syndicaux de l'usine Tack Fat Garment et de l'usine SAMHAN Fabrics Co. Ltd., le gouvernement indique que le ministère a déjà procédé à des enquêtes approfondies et que la question a été réglée ainsi qu'il l'a signalé au comité lors des deux examens précédents du cas. Aucun élément nouveau n'est à noter depuis.

206. Concernant le licenciement des deux travailleuses des usines Golden Time et Winner Garment, le gouvernement explique que la première plaignante a été invitée à fournir des informations relatives au conflit le 12 mars 1997 à 14 h 30, mais qu'elle ne s'est pas rendue au rendez-vous. D'après le gouvernement, la plaignante n'a pas pris la plainte au sérieux ni agi de manière responsable. De plus, le gouvernement explique que, conformément au décret ministériel no 145 du 21 avril 1997, si le plaignant ne fournit pas d'information sans motif valable, la plainte est considérée comme nulle et non avenue. En outre, d'après l'article 300 du Code du travail, le plaignant peut déposer une plainte auprès du tribunal du travail si le règlement du conflit par procédure de conciliation échoue, ce que la première plaignante n'a pas fait. A propos de la deuxième plaignante, le gouvernement indique qu'elle a déposé sa plainte auprès du Département de l'inspection du travail le 3 mars 1997 en accusant le directeur de l'usine de l'avoir licenciée à l'issue d'un conflit concernant le montant de son salaire. Le directeur de l'usine indique quant à lui qu'il a licencié cette employée car elle n'était pas compétente. Le gouvernement ajoute que le Département de l'inspection du travail est parvenu à une conciliation le 19 mars 1997 et que la plaignante a accepté une indemnité de licenciement de 50 dollars E.-U. Enfin, le gouvernement déclare qu'en essayant de régler les deux différends évoqués ci-dessus le ministère s'est efforcé de suivre les avis donnés par les experts du BIT lors des cours de formation à l'intention des médiateurs des conflits du travail qui ont eu lieu en février 1997 à Phnom Penh. A cet égard, le gouvernement ajoute que, si l'OIT estime que les règlements ci-dessus sont injustes, il est prêt à recevoir une mission de l'OIT qui fournirait des conseils sur le règlement de ces différends au cas par cas.

C. Conclusions du comité

207. Le comité rappelle que ce cas, qu'il a déjà examiné à deux occasions, concerne des allégations portant sur la violation du droit de constituer librement des syndicats et du droit de grève et de négociation collective, des licenciements de syndicalistes ainsi que des pressions et menaces exercées à leur encontre. Le comité rappelle également que les faits allégués se sont produits au cours d'une période transitoire où la nouvelle législation du travail était sur le point d'être adoptée mais n'est entrée en vigueur que plusieurs mois après les événements ayant donné lieu à la plainte.

208. En ce qui concerne la reconnaissance du Syndicat libre des ouvriers du Royaume du Cambodge (SLORC), le comité note avec intérêt que le SLORC a été enregistré le 25 décembre 1998.

209. En ce qui concerne la négociation collective, le comité prend note de la déclaration du gouvernement selon lequel le SLORC a négocié collectivement avec un certain nombre d'employeurs d'usines de confection et qu'il est parvenu à conclure des conventions collectives avec ces usines.

210. En ce qui a trait au droit de grève, le comité prend note de la déclaration du gouvernement ainsi que de la demande que celui-ci formule à l'OIT pour qu'elle clarifie sa position vis-à-vis des grèves illégales. A cet égard, le comité rappelle que, si le droit de grève peut être restreint, voire interdit, dans des circonstances limitées, la décision de déclarer la grève illégale ne devrait pas appartenir au gouvernement mais à un organe indépendant des parties et jouissant de leur confiance. Le droit de grève peut être limité, voire interdit, dans la fonction publique uniquement pour les fonctionnaires qui exercent des fonctions d'autorité au nom de l'Etat ou dans les services essentiels au sens strict du terme, c'est-à-dire les services dont l'interruption risquerait de mettre en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. Les décisions en dernier ressort d'illégalité des grèves ne devraient pas être prononcées par le gouvernement, notamment dans le cas où ce dernier est partie au conflit. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 522, 523 et 526.] Le comité demande donc au gouvernement de tenir compte de ces principes à l'avenir en ce qui concerne l'exercice du droit de grève.

211. Au sujet du licenciement de travailleurs, le comité prend note de l'explication du gouvernement concernant son examen de la situation des travailleuses licenciées ainsi que des tentatives de conciliation et des résultats obtenus. Le comité ne peut que réitérer ce qu'il a déjà indiqué dans ses examens précédents du cas, à savoir que nul ne devrait faire l'objet de sanctions pour avoir déclenché ou tenté de déclencher une grève légitime et qu'il peut être souvent difficile, sinon impossible, à un travailleur d'apporter la preuve qu'il a été victime d'une mesure de discrimination antisyndicale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 590 et 740.] A cet égard, le comité prie à nouveau le gouvernement de revoir la situation des dirigeants syndicaux et travailleurs licenciés des usines Tack Fat Garment et SAMHAN Fabrics Co. Ltd. dans le cadre de procédures impartiales et dans le cas où il serait avéré qu'il y a eu licenciement pour activités syndicales légitimes d'obtenir la réintégration dans leurs postes des travailleurs en question ainsi que de le tenir informé à cet effet. De plus, le comité a indiqué dans le passé qu'il n'apparaît pas qu'une protection suffisante contre les actes de discrimination antisyndicale soit accordée par une législation permettant en pratique aux employeurs, à condition de verser l'indemnité prévue par la loi pour tous les cas de licenciement injustifié, de licencier un travailleur si le motif réel en est son affiliation ou son activité syndicale. La législation devrait établir expressément des recours et des sanctions suffisamment dissuasives contre les actes de discrimination antisyndicale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 707 et 743.] Le comité demande donc au gouvernement d'introduire dans sa législation des mesures accordant une protection efficace contre les actes de discrimination antisyndicale et de le tenir informé à cet égard.

212. Enfin, le comité note que le gouvernement a indiqué qu'il souhaite recevoir l'assistance technique du Bureau. Le comité encourage le gouvernement à demander l'assistance des unités compétentes du Bureau pour régler les différents problèmes auxquels il est confronté.

Recommandations du comité

213. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:

Cas no 1951

Rapport intérimaire

Plainte contre le gouvernement du Canada (Ontario)
présentée par
- le Congrès du travail du Canada (CTC) et
- la Fédération des enseignants des écoles secondaires
de l'Ontario (OSSTF)

Allégations: entrave à la négociation collective;
non-respect du droit des directeurs d'école
et des directeurs adjoints de s'organiser,
de négocier collectivement et de faire grève;
absence de protection contre la discrimination antisyndicale
et l'ingérence de l'employeur

214. Le comité a examiné le présent cas à sa session de novembre 1998 et a présenté un rapport intérimaire au Conseil d'administration. [Voir 311e rapport, paragr. 170 à 234, approuvé par le Conseil d'administration à sa 273e session (juin 1998).]

215. Le gouvernement a envoyé des observations complémentaires dans une communication du 16 mars 1999.

216. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Il n'a ratifié ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ni la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ni la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Examen précédent du cas

217. L'examen antérieur du comité portait sur les conséquences de la loi de 1997 sur l'amélioration de la qualité de l'éducation (ci-après projet de loi 160) qui a été adoptée le 1er décembre 1997 et qui modifiait en profondeur la loi régissant les relations professionnelles dans le secteur de l'éducation. Plus précisément, l'examen du comité a porté sur le champ couvert par la négociation collective dans le secteur de l'éducation au regard du projet de loi 160, l'exclusion des directeurs d'école et des directeurs adjoints des unités de négociation collective et l'absence d'une consultation suffisante des parties intéressées qui aurait dû précéder l'adoption du projet de loi 160.

218. Le comité a formulé les recommandations suivantes [voir 311e rapport, paragr. 234]:

B. Réponse du gouvernement

219. Dans sa communication en date du 16 mars 1999, le gouvernement indique que la Cour d'appel de l'Ontario est toujours saisie de l'affaire qui concerne l'impossibilité pour les directeurs d'école et les directeurs adjoints de s'affilier à des syndicats d'enseignants en application de la loi organique sur les relations de travail (loi de 1995 sur les relations de travail); le gouvernement s'engage toutefois à informer le comité de la décision qui sera rendue par cette instance.

220. Pour ce qui est de rendre accessibles aux directeurs d'école et directeurs adjoints les mécanismes et procédures facilitant la négociation collective, le gouvernement indique que trois associations provinciales regroupant les directeurs d'école et directeurs adjoints ont été créées depuis le 1er janvier 1998. Ces associations sont reconnues par le ministère de l'Education et de la Formation comme composantes essentielles du système d'éducation. Depuis septembre 1998, le ministre adjoint de l'Education et de la Formation a tenu deux rencontres avec les représentants de ces associations. En outre, ces associations siègent au sein de comités provinciaux qui traitent de questions d'éducation. Bien que ces associations ne soient pas des syndicats au sens strict du terme, leurs membres ont la possibilité de conclure des ententes volontaires et sont impliqués activement dans les discussions menées avec les employeurs en ce qui concerne leurs conditions d'emploi.

C. Conclusions du comité

221. Le comité note que ce cas concerne des allégations de violation des principes de la liberté syndicale, conséquence directe de l'adoption, en décembre 1997, de la loi de 1997 sur l'amélioration de la qualité de l'éducation (projet de loi 160) venant modifier la loi régissant les relations professionnelles dans le secteur de l'éducation. Les questions soulevées concernent notamment le champ couvert par la négociation collective au regard du projet de loi 160, l'exclusion des directeurs d'école et des directeurs adjoints des mécanismes légaux de négociation collective et l'impossibilité pour ces derniers de constituer les organisations de leur choix ou de s'y affilier ainsi que l'insuffisance de la consultation préalable des parties intéressées qui aurait dû précéder l'adoption du projet de loi 160.

222. Pour ce qui est du champ de la négociation collective dans le secteur de l'enseignement, le comité a reconnu la dichotomie qui peut exister entre, d'une part, les questions qui relèvent au premier chef ou essentiellement de la gestion des affaires et qui peuvent être considérées comme étrangères au champ de la négociation collective et, d'autre part, celles qui se rapportent au premier chef aux conditions d'emploi et qui doivent relever du champ de la libre négociation collective. A cet égard, le comité a déjà observé, dans le cas d'espèce, le pouvoir conféré au ministre de l'Education et de la Formation d'agir unilatéralement, et notamment celui d'adopter des arrêtés afin de prescrire et régir congés et calendriers scolaires (art. 7 (4) du projet de loi 160); en outre, le projet de loi 160 fixe de façon péremptoire les limites maximales à l'effectif moyen des classes et le temps d'enseignement assuré par les enseignants, calculé selon une moyenne minimale par période de cinq journées d'enseignement pendant l'année scolaire (art. 81-82 du projet de loi 160).

223. Le comité a déjà reconnu que l'effectif des classes, bien qu'il soit susceptible d'influer sur les conditions d'emploi, peut être considéré comme un sujet davantage lié à la politique générale de l'enseignement et, dès lors, peut être exclu du champ d'application de la négociation collective. [Voir 310e rapport, cas no 1928 (Canada/Manitoba), paragr. 175.] D'autres questions soulevées dans le cas sous examen présentent aussi un aspect de politique générale. Toutefois, si le gouvernement considère que de telles questions doivent être réglées sans avoir recours aux mécanismes de négociation collective, le comité insiste à nouveau sur le fait que le gouvernement doit assurer que les syndicats concernés soient pleinement consultés lors de l'élaboration de la politique générale pertinente. De plus, dans tous les cas, les conséquences sur les conditions d'emploi des décisions prises au regard de ces politiques générales devraient pouvoir faire l'objet de libre négociation collective; le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.

224. Pour ce qui est des directeurs d'école et des directeurs adjoints, le comité rappelle que le projet de loi 160 a eu pour effet de les exclure des mécanismes prévus en vue de la négociation collective ainsi que du champ d'application de la loi organique du travail - loi de 1995 sur les relations de travail. De ce fait, les conseils scolaires ne sont pas obligés légalement de négocier avec les directeurs d'école et les directeurs adjoints sur leurs conditions d'emploi.

225. Le comité prend note des informations du gouvernement aux termes desquelles il indique que trois associations provinciales regroupant les directeurs d'école et directeurs adjoints ont été créées depuis le 1er janvier 1998; bien que ces associations ne soient pas des syndicats au sens strict du terme, leurs membres ont conclu des ententes volontaires et sont impliqués activement dans les discussions concernant leurs conditions d'emploi. En outre, le comité note que la question de l'exclusion des directeurs d'école et des directeurs adjoints des unités de négociation d'enseignants et de l'impossibilité de s'affilier à un syndicat d'enseignants est toujours en instance devant la Cour d'appel de l'Ontario. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de cet appel et de lui fournir une copie de la décision de justice lorsqu'elle sera rendue.

226. En outre, le comité relève que, les directeurs d'école et directeurs adjoints étant exclus du champ d'application de la loi de 1995 sur les relations de travail, aucune disposition en vue de les protéger contre les mesures antisyndicales ne leur est applicable. Le comité se doit donc de rappeler l'importance qu'il attache à la nécessité d'assurer la protection des travailleurs contre la discrimination antisyndicale et l'ingérence de l'employeur, et prie dès lors le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les directeurs d'école et directeurs adjoints puissent constituer les organisations de leur choix ou s'y affilier et qu'ils jouissent effectivement d'une protection efficace contre la discrimination antisyndicale et l'ingérence de l'employeur. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard.

227. Enfin, en ce qui concerne la consultation préalable qui aurait fait défaut avant l'adoption du projet de loi 160, le comité ne peut que réitérer son souhait selon lequel, lorsqu'un gouvernement veut modifier les structures de négociation dans lesquelles il agit directement ou indirectement à titre d'employeur, ces changements devraient être précédés d'une consultation appropriée dans laquelle tous les objectifs peuvent être examinés par toutes les parties intéressées; le comité prie dès lors instamment le gouvernement de mener de telles consultations à l'avenir.

Recommandations du comité

228. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:

Cas no 1975

Rapport intérimaire

Plainte contre le gouvernement du Canada (Ontario)
présentée par
le Congrès du travail du Canada (CTC)

Allégations: déni du droit d'organisation

229. Dans une communication en date du 21 juillet 1998, le Congrès du travail du Canada (CTC) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement du Canada (Ontario). L'Internationale des services publics (ISP) et la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) se sont associées à cette plainte dans des communications en date des 23 et 27 juillet 1998.

230. Le gouvernement a transmis ses observations sur le cas dans des communications en date des 25 janvier et 19 avril 1999.

231. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Toutefois, il n'a ratifié ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ni la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ni la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations de l'organisation plaignante

232. La plainte porte sur le projet de loi 22 - la loi visant à empêcher la syndicalisation en ce qui concerne la participation communautaire visée par la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail, 1997 (ci-après projet de loi 22) adopté le 18 décembre 1998.

233. L'organisation plaignante allègue que le projet de loi 22 prive les travailleurs concernés des droits fondamentaux de s'affilier aux organisations de leur choix, de négocier collectivement ou de faire grève dans le cadre de leur participation communautaire prévue au regard de la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail. En outre, l'organisation plaignante ajoute que le projet de loi 22 rend inapplicables les dispositions de la loi de 1995 sur les relations de travail pour ce qui est des travailleurs qui prennent part aux activités communautaires prévues à la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail. De façon générale, l'organisation plaignante considère que le projet de loi 22 viole certains des droits et principes les plus fondamentaux prévus aux conventions (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

234. Plus précisément, l'organisation plaignante observe que l'adoption du projet de loi 22 suit de très près celle du projet de loi 142 - loi révisant la loi relative à l'aide sociale en édictant la loi sur le Programme Ontario au travail et la loi sur le programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, en abrogeant la loi sur les prestations familiales, la loi sur les services de réadaptation professionnelle et la loi sur l'aide sociale générale, et en modifiant plusieurs autres lois (ci-après projet de loi 142). L'organisation plaignante indique que le projet de loi 142 est entré en vigueur le 1er janvier 1998 et a eu pour principal effet de modifier les règles relatives au paiement de l'aide sociale, et ce au détriment des bénéficiaires. En effet, l'organisation plaignante allègue que le projet de loi 142 porte préjudice aux bénéficiaires de l'aide sociale (personnes en fin de droits) à différents égards: participation obligatoire dans des activités communautaires pour certains bénéficiaires, mesures plus sévères en vue de combattre la fraude incluant la possibilité d'utiliser des informations personnelles et confidentielles ainsi qu'une nouvelle définition de la notion d'incapacité. L'organisation plaignante considère que le projet de loi 142 vise à obliger désormais les bénéficiaires à travailler pour être éligibles à l'aide sociale et porte ainsi atteinte au principe universel du droit à l'indemnisation.

235. L'organisation plaignante insiste sur le fait que le principe de l'aide sociale vise à aider les moins fortunés de la communauté à pourvoir à leurs besoins essentiels. Selon l'organisation plaignante, les activités communautaires imposées au regard du projet de loi 22 ne sont absolument pas efficaces compte tenu du nombre croissant de bénéficiaires, de l'insuffisance des fonds publics pour financer leur réinsertion dans le monde du travail et du manque d'intérêt des employeurs privés par rapport aux emplois qui ne seraient pas subventionnés - à tout le moins en partie - par quelques niveaux de gouvernement. Obliger ces bénéficiaires à accepter tout emploi sans prendre en considération les conditions d'exécution aura pour résultat d'accentuer la disparité déjà existante: d'un côté, une minorité d'emplois bien rémunérés et, de l'autre, un nombre toujours croissant d'emplois précaires.

236. L'organisation plaignante soutient que, en adoptant le projet de loi 22, qui vient modifier le projet de loi 142 en interdisant aux bénéficiaires de s'affilier aux organisations de leur choix, de négocier collectivement ou de faire grève, le gouvernement fait marche arrière et revient aux conditions qui prévalaient avant la révolution industrielle, époque au cours de laquelle l'établissement de syndicats était considéré au Canada comme une activité criminelle et où les employeurs pouvaient de façon tout à fait discrétionnaire reconnaître ou nier l'existence des syndicats dûment constitués.

237. Pour l'organisation plaignante, l'effet combiné de l'application des projets de loi 22 et 142 entraîne des violations importantes des principes de la liberté syndicale. Plus précisément, pour ce qui est de la convention no 87, le simple titre du projet de loi 22 établit très précisément ce à quoi aspire le législateur: de façon non équivoque, il nie aux bénéficiaires de l'aide sociale des droits fondamentaux, tel celui de pouvoir constituer ou de s'affilier aux organisations de leur choix. Dans ce même esprit, les bénéficiaires ne peuvent pas élaborer ou formuler leur programme d'action collective, et ce en violation avec les dispositions de l'article 3 de la convention no 87. Pour ce qui est de la convention no 98, l'organisation plaignante - bien que reconnaissant que le Canada n'ait pas ratifié cet instrument international - souligne que le projet de loi 22 constitue un acte de discrimination manifeste contre les bénéficiaires devant participer aux activités communautaires en leur interdisant, dans ce contexte, de s'affilier aux syndicats de leur choix, contrairement à l'article 1 de la convention no 98.

238. En outre, l'organisation plaignante estime que le fait de forcer les bénéficiaires à renoncer à leur droit de faire partie d'un syndicat porte préjudice au mouvement syndical et pourrait contribuer à diminuer le niveau de syndicalisation dans la province, privant ainsi les travailleurs de la possibilité de défendre collectivement leurs droits et intérêts.

239. Enfin, l'organisation plaignante se réfère au projet de loi 31 - loi visant à promouvoir le développement économique et à créer des emplois dans l'industrie de la construction, favorisant la démocratie en milieu de travail et apportant d'autres modifications aux lois ayant trait au travail et à l'emploi (ci-après projet de loi 31). L'organisation plaignante considère que le projet de loi 31 rend plus difficile la mise en œuvre effective du droit de s'organiser, notamment dans le domaine de la construction. En effet, le projet de loi 31 exige que la majorité des employés appuient, par un vote secret, un syndicat avant que ce dernier ne puisse être accrédité, éliminant ainsi la possibilité pour la Commission des relations de travail de l'Ontario d'accréditer automatiquement un syndicat dans le cas où l'intimidation des travailleurs par l'employeur peut être présumée. En outre, le projet de loi 31 permet la conclusion d'accords concernant des projets de construction spécifiques; ces accords modifient les conventions conclues au niveau provincial en cette matière; ni grève ni lock-out ne sont autorisés dans ce contexte.

240. Enfin, l'organisation plaignante considère que le projet de loi 31 permet à certaines personnes morales extérieures au domaine de la construction de favoriser l'emploi de travailleurs non syndiqués en vue de la réalisation de travaux de construction ponctuels.

241. A titre de conclusion, l'organisation plaignante dénonce le fait que le gouvernement de la province de l'Ontario utilise des lois répressives en vue d'empêcher la syndicalisation de certaines catégories de travailleurs. L'organisation plaignante estime que le projet de loi 22 viole les principes de la liberté syndicale et prie dès lors le comité d'insister auprès des autorités concernées en vue d'obtenir son abrogation.

B. Réponse du gouvernement

Description du Programme Ontario au travail

242. Dans sa réponse, le gouvernement explique que le Programme Ontario au travail qui a été annoncé en juin 1996 vise à favoriser l'autonomie par l'emploi en permettant aux bénéficiaires de l'aide sociale (personnes en fin de droits) de développer leur habileté et d'acquérir une certaine expérience professionnelle dans le cadre d'activités communautaires. Le gouvernement espère ainsi encourager le chemin le plus court vers un emploi véritablement rémunéré. Dans ce contexte, le Programme Ontario au travail cherche à établir l'équilibre entre, d'une part, la contribution offerte par les bénéficiaires à leur communauté et, d'autre part, le fait qu'ils puissent bénéficier de ce programme en vue de renforcer leur estime de soi et leur indépendance et ainsi briser le cycle qui les rend dépendants de l'aide gouvernementale (aide sociale).

243. La loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail, qui est entrée en vigueur le 1er mai 1998, constitue la première réforme significative du système d'aide sociale ontarien depuis les trente dernières années. L'aide, qui s'octroie désormais au niveau municipal, comprend deux facettes soit une aide financière provisoire à ceux qui sont le plus dans le besoin et une aide à l'emploi incluant un service de placement et des opportunités en vue d'une formation. Le gouvernement estime que ce programme permettra aux bénéficiaires de réintégrer le milieu de travail dans leurs communautés respectives; dans cet esprit, la participation communautaire est une composante essentielle du système élaboré. Le gouvernement précise que la participation communautaire s'entend de toute activité communautaire non rémunérée réalisée au bénéfice de la communauté ou d'organisations publiques, sans but lucratif.

244. Le gouvernement précise que les participants au programme doivent obligatoirement être reconnus bénéficiaires aux termes de la loi sur l'aide sociale pendant toute la durée de l'activité communautaire.

Présentation du projet de loi 22
(loi visant à empêcher la syndicalisation
en ce qui concerne la participation communautaire)

245. Le gouvernement rappelle que le projet de loi 22 est entré en vigueur le 18 décembre 1998 et avait notamment pour but de modifier la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail en prévoyant expressément que la loi de 1995 sur les relations de travail ne s'applique pas à l'égard de la participation à une activité communautaire et que les personnes qui participent à une telle activité ne peuvent ni adhérer à un syndicat ni faire fixer, par voie de négociation collective, les conditions de leur participation et ni se mettre en grève.

246. Le gouvernement insiste sur le fait que le projet de loi 22 poursuit un but limité et spécifique en ce qu'il exclut du champ d'application de la loi de 1995 sur les relations de travail les bénéficiaires de l'aide sociale dans le cadre restreint de leur participation et activité communautaire au regard de la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail. Le projet de loi 22 n'empêche aucunement un bénéficiaire de l'aide sociale d'exercer ses droits syndicaux dans un autre contexte. Deux raisons justifient la mise en œuvre du projet de loi 22 soit, d'une part, la protection de l'intégrité des réformes de l'aide sociale entreprises par le gouvernement et, d'autre part, la protection des chances créées par le programme ontarien en vue de rendre les bénéficiaires de l'aide sociale plus indépendants.

247. Par la suite, le gouvernement insiste sur le fait que les participants aux activités communautaires ne sont pas des employés. Toutefois, bien que le projet de loi 22 spécifie expressément que la loi de 1995 sur les relations de travail ne s'applique pas dans le contexte d'une participation communautaire, les personnes visées se voient octroyer une protection certaine, incluant l'obligation pour l'organisation participante de respecter les lois fédérales et provinciales relatives à la protection des droits de l'homme et à la santé et à la sécurité au travail. En outre, l'activité communautaire ne doit pas excéder huit heures par jour ou quarante-quatre heures par semaine; dans ce contexte, le montant de l'aide versé divisé par le nombre mensuel d'heures de travail doit être au moins équivalent au salaire minimum. Enfin, le bénéficiaire doit avoir droit à certains congés et à une couverture d'assurance appropriée pour les accidents.

Non-violation des conventions nos 87 et 98

248. Le gouvernement considère que le projet de loi 22 ne viole aucunement la convention no 87. D'abord, il estime que les participants aux activités communautaires ne sont pas des employés et ne sont d'ailleurs pas couverts par la loi de 1995 sur les relations de travail; le projet de loi 22 ne fait que clarifier et spécifier expressément cet état de fait. Dans le cas où les tribunaux viendraient à une conclusion contraire, les participants aux activités communautaires pourraient toujours s'associer, négocier collectivement et faire grève à l'extérieur du cadre de la loi de 1995 sur les relations de travail. Le projet de loi 22 n'empêche aucunement les participants aux activités communautaires de s'organiser, de négocier collectivement et de faire grève dans le cadre de la loi de 1995 sur les relations de travail si ces activités se réfèrent à un emploi qui n'est pas lié à leur participation aux activités communautaires.

249. Le gouvernement se réfère au cas no 1958 concernant le Danemark et dans lequel le Comité de la liberté syndicale a conclu qu'il n'y a pas de violation des conventions nos 87 et 98 dans le cadre des emplois subventionnés par un gouvernement et pour lesquels les travailleurs se voient privés du droit de négocier collectivement leurs salaires dans la mesure où certaines conditions sont respectées, à savoir: il s'agit d'un programme en vue de renforcer les mesures de politique active visant à promouvoir l'emploi et à développer l'éducation et la formation professionnelle des jeunes et des adultes. De plus, ce programme a une durée déterminée évitant de priver de façon permanente les travailleurs concernés de leur droit de négocier collectivement. Enfin, ce programme n'implique pas des emplois ordinaires puisqu'il tend à combattre le chômage par la mise en place d'offres d'emplois subventionnées de durée limitée sans mettre en danger les postes des emplois réguliers.

250. Le gouvernement estime que le Programme Ontario au travail répond parfaitement aux critères établis par le Comité de la liberté syndicale puisque le Programme Ontario au travail vise à fournir une possibilité de formation et d'éducation et constitue une mesure de lutte contre le chômage; il est également d'une durée limitée et ne peut en aucun temps être utilisé en vue de remplacer des travailleurs dûment rémunérés.

251. Dans ce contexte, le gouvernement estime que ni les dispositions de la convention no 87 ni celles de la convention no 98 ne sont violées. Le Programme Ontario au travail permet au système d'assistance sociale de revenir à sa véritable vocation, c'est-à-dire un programme transitoire de dernier recours en vue de fournir aux assistés sociaux (personnes en fin de droits) une chance de réintégration dans le marché du travail.

Projet de loi 31 (loi visant à promouvoir
le développement économique et à créer des emplois
dans l'industrie de la construction, favorisant
la démocratie en milieu de travail et apportant
d'autres modifications aux lois ayant trait
au travail et à l'emploi)

252. Pour ce qui est du projet de loi 31, le gouvernement indique que ce texte a été adopté en vue de promouvoir la création d'emplois par le biais d'accords conclus entre les employeurs et les syndicats, et ce pour des projets spécifiques de construction. Le projet de loi 31 permet également de soustraire de l'application des dispositions de la loi de 1995 sur les relations de travail propres à la construction les employeurs qui n'œuvrent pas dans ce domaine. Ils demeurent toutefois soumis aux autres dispositions de la loi organique du travail. Enfin, il vise à assurer que l'accréditation en vue de la négociation collective est octroyée au syndicat souhaité par la majorité des travailleurs concernés.

C. Conclusions du comité

253. Le comité note que ce cas se réfère principalement à des dispositions législatives adoptées dans le cadre de la réforme de l'aide sociale en Ontario qui violeraient les principes de la liberté syndicale en interdisant aux personnes visées d'adhérer à un syndicat, de faire fixer, par voie de négociation collective, les conditions de leurs activités et de faire grève. Aucun cas concret lié à la mise en œuvre de ces textes législatifs n'a été toutefois mentionné.

Cadre législatif contesté

254. Le gouvernement de l'Ontario a adopté le 18 décembre 1998 le projet de loi 22 - la loi visant à empêcher la syndicalisation en ce qui concerne la participation communautaire visée par la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail, 1997 (ci-après projet de loi 22). Cette loi, tel que son titre l'indique, vient modifier la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail, 1997 (ci-après loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail) qui, pour sa part, vise la réforme de l'aide sociale dans cette province du Canada.

a) Loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail

255. La note explicative de la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail, jointe au texte adopté par l'autorité législative, précise que cette loi a pour objet de créer un programme qui reconnaît la responsabilité individuelle et favorise l'autonomie par l'emploi, fournit une aide financière provisoire à ceux qui sont le plus dans le besoin pendant qu'ils satisfont à des obligations en vue de se faire employer et de le rester, sert efficacement ceux qui ont besoin d'aide et comprend l'obligation de rendre compte aux contribuables de l'Ontario. Ces observations sont reprises dans l'article premier de la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail qui précise son objet.

256. La loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail prévoit deux types d'aide: une aide au revenu, fournie au titre des besoins essentiels et du logement, et une aide à l'emploi qui est définie comme une aide fournie pour aider une personne à se faire employer et à le rester (art. 4). Cette dernière comprend pour sa part deux composantes. La première inclut les mesures d'emploi qui s'entendent notamment de «la recherche d'emploi, des services de soutien à la recherche d'emploi, de l'orientation vers l'éducation de base et vers la formation professionnelle liée à un emploi particulier et du placement dans un emploi» (art. 2). La seconde couvre la participation communautaire qui vise la «participation aux activités communautaires qui contribuent au bien de la collectivité» (ibid.).

257. Aux termes de l'article 7 de la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail, nul n'est admissible à l'aide au revenu, à moins de satisfaire à certaines conditions dont notamment celles de «participer à des mesures d'emploi» et de «satisfaire aux exigences en matière de participation communautaire» (désignées «activités d'aide à l'emploi»).

258. Au regard de la réglementation applicable, une personne peut se voir requise de participer à une ou plusieurs activités d'aide à l'emploi pour lesquelles elle présente les aptitudes physiques et pour une période déterminée par l'autorité compétente (art. 25 et 29 (1) du Règlement d'application); toutefois, nul ne peut être requis de participer à une activité communautaire pour une durée excédant 70 heures mensuelles. Dans tous les cas, le montant de l'aide alors reçue divisé par le nombre d'heures travaillées doit être au moins équivalent au salaire minimum majoré de 4 pour cent (congés).

259. La directive 4-10 vient préciser plus avant les conditions de mise en œuvre de la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail. Elle précise notamment que les activités communautaires doivent être bénéfiques tant pour la communauté qui reçoit le service que pour le prestataire qui doit pouvoir s'enrichir d'une expérience valable en vue de sa réinsertion dans le monde du travail. Les activités doivent être non rémunérées, réalisées sous la supervision d'un représentant de la communauté visée ou d'une organisation sans but lucratif (caritative). Les organisations privées ne peuvent qu'octroyer un soutien financier ou matériel et ne peuvent en aucun temps offrir, administrer ou superviser le placement aux fins d'activités communautaires. La durée d'un placement communautaire ne doit pas excéder six mois. Toutes les organisations participantes doivent respecter les lois et règlements visant la protection des droits de l'homme ainsi que la santé et la sécurité au travail en termes notamment de nombre maximal d'heures travaillées par jour et par semaine, de pauses obligatoires, de jours fériés, de congés de maternité et parentaux.

260. Il ne peut y avoir de placement communautaire au sein d'une entreprise dont les travailleurs exercent légalement leur droit de grève. De plus, les personnes participant aux activités communautaires ne doivent en aucun temps remplacer des employés réguliers de l'organisation ou être requis de participer à des activités communautaires qui violeraient leurs conditions d'affiliation à une association professionnelle ou à un syndicat.

b) Projet de loi 22 - loi visant à empêcher la syndicalisatio
en ce qui concerne la participation communautaire visé
par la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail, 199
(ci-après projet de loi 22)

261. Le projet de loi 22 dispose en son article premier que la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail est modifiée par l'adjonction de l'article suivant:

Programme Ontario au travail (programme d'aide à l'emploi)

262. Le comité note que, selon le gouvernement, le Programme Ontario au travail annoncé en juin 1996 et concrétisé par la loi de 1997 sur le Programme Ontario au travail vise à favoriser l'autonomie par l'emploi en permettant aux bénéficiaires de l'aide sociale (personnes en fin de droits) de développer leur habileté et d'acquérir une certaine expérience professionnelle dans le cadre d'activités communautaires. Le gouvernement souhaite ainsi rapprocher les bénéficiaires d'un emploi véritablement rémunéré. Il s'agit en fait d'une réforme du programme d'aide sociale provinciale.

263. Le comité observe que le Programme Ontario au travail s'inscrit dans le cadre de mesures de politique active mises en œuvre par différents gouvernements à travers le monde au cours des dernières décennies, et visant notamment à promouvoir l'emploi et à développer l'éducation et la formation professionnelles. En réponse à la crise de l'emploi, ces programmes ont donné naissance à différentes formes de travail gratuit en vue d'inciter à la création ou au maintien de l'emploi en subventionnant le travail sous de multiples formes. Dans ce contexte, certaines mesures vont jusqu'à obliger les individus dans le besoin et sans emploi régulier à accepter une forme de travail en échange de transferts de revenus de l'Etat; ces programmes sont aussi connus sous le nom de «workfare».

264. D'emblée, le comité considère qu'il ne relève pas de sa compétence de juger du bien-fondé du Programme Ontario au travail ni de se prononcer sur le fait de savoir si un tel programme viole ou restreint de quelque manière que ce soit le droit universel au soutien du revenu. En l'espèce, le comité doit plutôt déterminer si le fait d'exclure du champ d'application de la loi de 1995 sur les relations de travail - loi organique établissant le cadre des relations professionnelles dans la province - les personnes participant à une activité communautaire et de leur interdire, sous le régime de la loi de 1995 sur les relations de travail, d'adhérer à un syndicat, d'avoir recours à la négociation collective ou de faire grève est contraire aux principes de la liberté syndicale.

265. Le gouvernement se réfère aux critères que le comité aurait établis dans une affaire similaire [voir 312e rapport, cas no 1958 (Danemark), paragr. 4-77]; selon le gouvernement, le Programme Ontario au travail répond aux conditions fixées par le comité puisqu'il vise à fournir une possibilité de formation et d'éducation et constitue une mesure de lutte contre le chômage. De plus, il est d'une durée limitée et ne peut en aucun temps être utilisé en vue de remplacer des travailleurs dûment rémunérés.

266. Le comité souligne que le cas mentionné par le gouvernement soulevait des allégations relatives à l'ingérence du gouvernement dans l'application des conventions collectives en imposant un plafond de rémunération horaire aux employés engagés sur la base d'offres d'emplois subventionnées par l'Etat. Il ne s'agissait donc pas de dénier totalement à ces travailleurs le droit de s'organiser, mais plutôt de restreindre leur droit à la négociation collective en imposant un plafond salarial pendant la durée de leur travail subventionné qui ne pouvait en aucun cas excéder trois ans. Dans cette affaire, le comité avait constaté que ces programmes visaient à combattre le chômage par la mise en place d'offres d'emplois subventionnées de durée limitée sans mettre en danger les postes des emplois réguliers et avait dès lors conclu que les postes ainsi créés n'étaient pas des emplois ordinaires. Le comité avait toutefois insisté sur le fait que ces programmes devaient demeurer limités dans le temps et ne pas devenir l'occasion d'offrir des postes permanents à des chômeurs dont le droit de négocier collectivement leurs conditions salariales était limité.

267. Toutefois, l'approche adoptée par les autorités dans le présent cas diffère de celle suivie dans le cas mentionné par le gouvernement: plutôt que de fixer par voie législative certaines des conditions de travail - incluant le salaire -, l'article premier du projet de loi 22 exclut complètement du champ d'application de la loi organique du travail (loi de 1995 sur les relations de travail) les personnes couvertes par le Programme Ontario au travail. Celles-ci, n'étant pas considérées comme travailleurs au regard de la loi, ne peuvent dès lors bénéficier des droits et garanties qui y sont prévus: elles ne peuvent notamment faire partie d'une unité d'accréditation, être représentées par le syndicat accrédité et exercer les droits afférents, incluant le droit à la négociation collective et le droit de faire grève. A cet égard, le comité souligne que le paragraphe 2 de l'article premier du projet de loi 22 ne fait que reprendre des interdictions déjà comprises dans le paragraphe premier en insistant sur le fait que les personnes participant à des activités communautaires ne peuvent, sous le régime de la loi de 1995 sur les relations de travail, adhérer à un syndicat, faire fixer, par voie de négociation collective, les conditions de leur participation et se mettre en grève.

268. Dans le cas d'espèce, tout comme dans l'affaire mentionnée par le gouvernement, le comité observe qu'il ne s'agit pas d'emplois ordinaires mais plutôt d'activités qui, selon le gouvernement, visent à favoriser l'autonomie par l'emploi; ces activités sont d'une durée limitée de six mois et ne peuvent en aucun temps remplacer le travail réalisé par des employés réguliers. De plus, les personnes participant aux activités communautaires ne peuvent se substituer aux travailleurs qui exercent légalement leur droit de grève.

269. En outre, il ne peut être contesté, selon le comité, que les personnes participant aux activités communautaires ne sont pas de véritables salariés de l'organisation qui bénéficie de leur travail; dans ce contexte, elles peuvent se voir légitimement exclues du champ d'application des conventions collectives en vigueur tout au moins en ce qui concerne leurs conditions salariales.

270. D'autre part, il est indéniable que les personnes participant aux activités communautaires accomplissent un travail, exécutent une prestation dont une organisation est bénéficiaire. A ce titre, elles doivent pouvoir jouir d'une certaine protection en ce qui concerne les conditions dans lesquelles elles exécutent leur travail; le comité comprend que cette couverture leur est octroyée puisque lois et réglementations relatives aux droits de l'homme ainsi qu'à la santé et à la sécurité au travail sont applicables à de telles activités et couvrent notamment la durée du travail, les pauses obligatoires, les jours fériés ainsi que les congés de maternité et parentaux. Néanmoins, l'approche suivie par les autorités législatives en ce qui a trait à la liberté syndicale est différente, voire opposée; en effet, tel que le met bien en exergue le titre du projet de loi 22 (loi visant à empêcher la syndicalisation en ce qui concerne la participation communautaire), les personnes participant aux activités communautaires n'ont pas le droit d'adhérer à un syndicat, de faire fixer, par voie de négociation collective, les conditions de leur participation et de se mettre en grève dans le cadre du régime fixé par la loi de 1995 sur les relations de travail. Or le comité insiste sur la portée universelle du principe de la liberté syndicale et rappelle que le droit syndical, tel que protégé par les dispositions de la convention no 87, doit être garanti à tous les travailleurs sans distinction d'aucune sorte; la non-discrimination doit être considérée comme le principe général dont la seule exception est prévue à l'article 9 de la convention no 87 qui permet aux Etats de déterminer dans quelle mesure les garanties prévues par cette convention s'appliquent aux forces armées et à la police. Les personnes accomplissant un travail dans le cadre d'une participation communautaire, étant des travailleurs au sens de la convention no 87, doivent jouir du droit de s'organiser, d'autant qu'elles ont indiscutablement des intérêts collectifs à promouvoir et à défendre. Le comité prie dès lors le gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin de modifier la législation applicable aux activités communautaires et d'assurer aux personnes y participant le droit de s'organiser en conformité avec les principes de la liberté syndicale en général et les dispositions de la convention no 87 en particulier. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.

271. En tout état de cause, le comité regrette que le gouvernement se soit référé, dans l'intitulé même du projet de loi 22, à une volonté d'empêcher la syndicalisation en ce qui concerne la participation communautaire.

c) Projet de loi 31 - loi visant à promouvoir le développemen
économique et à créer des emplois dans l'industrie d
la construction, favorisant la démocratie en milieu de travai
et apportant d'autres modifications aux lois ayant trait au travai
et à l'emploi

272. Enfin, pour ce qui est de la loi visant à promouvoir le développement économique et à créer des emplois dans le domaine de la construction, favorisant la démocratie en milieu de travail et apportant d'autres modifications aux lois ayant trait au travail et à l'emploi (projet de loi 31), le comité prend note des allégations du plaignant et de l'information fournie par le gouvernement. Le comité observe qu'il s'agit d'un projet de loi qui vient modifier la loi organique du travail pour ce qui est notamment de projets spécifiques dans le domaine de la construction en vue de promouvoir le développement économique. A ce stade, le comité ne peut toutefois se prononcer sur cet aspect du cas étant donné le manque de précisions des allégations de l'organisation plaignante et la réponse sommaire du gouvernement. Le comité prie dès lors l'organisation plaignante de fournir des informations complémentaires au sujet du projet de loi 31; le comité prie également le gouvernement de fournir des précisions en ce qui concerne notamment l'impact du projet de loi 31 sur les accords préalablement conclus et sur l'interdiction de faire grève ou lock-out.

273. Le comité porte à l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations les aspects législatifs de ce cas.

Recommandations du comité

274. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:

Cas no 1985

Rapport où le comité demande à être tenu informé
de l'évolution de la situation

Plainte contre le gouvernement du Canada
présentée par
le Congrès du travail du Canada (CTC)

Allégations: ingérence du gouvernement
dans la négociation collective (secteur des postes)

275. Dans une communication en date du 25 septembre 1998, le Congrès du travail du Canada (CTC) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement du Canada. L'Internationale des communications s'est associée à cette plainte dans une communication en date du 29 septembre 1998.

276. Le gouvernement a transmis ses observations sur le cas dans des communications des 22 janvier et 15 avril 1999.

277. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Toutefois, il n'a ratifié ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ni la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ni la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations de l'organisation plaignante

278. L'organisation plaignante soutient que le gouvernement a contrevenu gravement aux principes de la liberté syndicale en adoptant, le 3 décembre 1997, le projet de loi C-24 - la loi de 1997 sur le maintien des services postaux (ci-après «projet de loi C-24») mettant un terme à une grève légale des postiers canadiens. Les événements ayant abouti à l'adoption du projet de loi C-24 sont résumés dans les paragraphes qui suivent.

279. Le 31 janvier 1995, la Société canadienne des postes et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes ont conclu une négociation collective venant à échéance le 31 juillet 1997. A la suite de la transmission d'un avis de négociation collective en vue du renouvellement de la convention collective, la Société canadienne des postes et le syndicat ont tenu diverses rencontres de négociation.

280. L'organisation plaignante soutient que, pendant toute la période d'avril à novembre 1997 et malgré la tenue de séances de négociation, l'existence d'un mandat de grève, l'intervention de conciliateurs et la constitution d'une commission de conciliation, la Société canadienne des postes n'a pas fait de véritables efforts afin de conclure une convention collective; pendant la même période, le ministre responsable aurait même déclaré à plusieurs reprises qu'une loi spéciale de retour au travail serait adoptée si les travailleurs des postes avaient recours à la grève.

281. L'organisation plaignante est d'opinion que, dès novembre 1997, la Société canadienne des postes n'avait plus aucune intention de négocier de bonne foi; elle allègue que les propositions soumises à cette époque aux travailleurs et travailleuses des postes constituaient un véritable recul par rapport aux demandes originales, voire aux premières offres de l'employeur. L'organisation plaignante soutient que l'employeur a volontairement créé l'impasse dans le processus de négociation afin d'obliger le syndicat à avoir recours à l'ultime moyen de pression: la grève. C'est dès lors dans ce contexte et sans autre issue possible que, le 19 novembre 1997, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes a déclenché une grève. Très rapidement après, le gouvernement a adopté le projet de loi C-24 obligeant les travailleurs concernés à retourner au travail.

282. L'organisation plaignante allègue que le projet de loi C-24 non seulement prive le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes de son droit de faire grève, mais également lui dénie toute possibilité de négocier librement les conditions de travail de ses membres.

283. Plus précisément, l'organisation plaignante soutient que le projet de loi C-24 limite le droit des travailleurs de s'organiser en vue de promouvoir et de défendre leurs intérêts en dénuant de toute portée l'affiliation à une organisation syndicale dont les efforts sont systématiquement anéantis par l'action législative. La syndicalisation ne fournit dès lors plus d'avantages dans la mesure où toute convention collective conclue peut être modifiée unilatéralement par les autorités en vue de répondre aux souhaits de l'Etat ou de l'employeur.

284. En outre, le projet de loi C-24 viole la négociation collective volontaire: i) en prorogeant la convention collective expirée le 31 juillet 1997 pour une période additionnelle de trois ans; ii) en imposant par voie législative la majoration des salaires pour la même période; iii) en imposant au médiateur-arbitre l'obligation de prendre en considération dans sa décision des éléments qui sont intimement liés à la Société canadienne des postes, à savoir sa viabilité et sa stabilité financière; iv) en limitant de façon indue le champ de la négociation collective; v) en interdisant la grève; et vi) en fixant des amendes dix fois supérieures à celles prévues dans le Code canadien du travail pour des cas similaires.

285. Enfin, l'organisation plaignante soutient que le projet de loi C-24 viole le droit de grève en raison du fait que l'interdiction d'y avoir recours, combinée à la prorogation de la convention collective, à l'imposition unilatérale des conditions de travail et à l'absence de mécanismes d'arbitrage vraiment impartiaux et indépendants - même si les services postaux ne sont pas un service essentiel au sens strict du terme -, prive les travailleurs concernés de moyens efficaces de défense de leurs intérêts économiques et sociaux.

286. L'organisation plaignante rappelle que le projet de loi C-24 s'inscrit dans une longue série de mesures législatives prises par le gouvernement qui font obstacle et entravent gravement le processus de négociation collective au pays; à cet égard, elle se réfère aux lois de 1987 et 1991 sur le maintien des services postaux. A plusieurs occasions, dans le passé, le gouvernement canadien a montré peu d'intérêt à vouloir respecter le droit des travailleurs de négocier collectivement et volontairement leurs conditions de travail. Pour ce qui est du projet de loi C-24 proprement dit, l'organisation plaignante soutient que le gouvernement canadien a volontairement et délibérément sacrifié la négociation collective volontaire au profit de la stabilité, de l'efficacité et de la productivité de la Société canadienne des postes. En fait, le gouvernement a manifesté, au cours des dernières années, une intention d'institutionnaliser le recours aux mesures législatives en vue de fixer unilatéralement les conditions d'emploi non seulement des fonctionnaires, mais également de tous les travailleurs employés au sein d'organisations relevant de la juridiction fédérale. Malgré de nombreuses plaintes et recommandations formulées par le Comité de la liberté syndicale et la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, le gouvernement n'a toujours pas pris les mesures souhaitées. Compte tenu de ces violations répétées, l'organisation plaignante demande qu'une mission de contacts directs se rende dans le pays, y rencontre des représentants des syndicats, des employeurs et du gouvernement afin d'effectuer une évaluation en profondeur de la situation et de formuler les recommandations les plus appropriées.

B. Réponse du gouvernement

287. Le gouvernement explique que la Société canadienne des postes a été créée en 1981 par une loi du Parlement canadien (LR, 1985, ch. C-10) et qu'elle a notamment pour mission de créer et d'exploiter un service postal au bénéfice de tous les Canadiens.

288. Le gouvernement précise que la Société canadienne des postes achemine plus de 37 millions de lettres et colis quotidiennement; en fait, en 1997-98, 30 millions de Canadiens et au-delà de 900 000 entreprises commerciales et institutions publiques ont été desservis par cette société.

289. La Société canadienne des postes compte plus de 63 000 employés répartis au sein de 22 grands établissements d'exploitation et autres installations et représente de ce fait le cinquième employeur en importance au Canada.

290. Le gouvernement estime que le travail réalisé par la Société canadienne des postes touche tous les Canadiens. Une portion importante du volume total des lettres et colis acheminés par cette société concerne les individus; toute interruption du service est susceptible d'entraîner des conséquences graves pour les personnes dont la subsistance dépend de l'aide gouvernementale transmise généralement par courrier. Pour ce qui est des entreprises commerciales, le service postal est en règle générale une composante essentielle de leur système d'envoi de factures et de réception de paiements. En cas de grève ou d'interruption de services dans le domaine des postes au Canada, ces entreprises pourraient rencontrer d'importants problèmes de liquidités.

291. Ayant à l'esprit ces données, le gouvernement canadien précise que la grève qui a paralysé la Société canadienne des postes pendant près de deux semaines au cours des mois de novembre et décembre 1997 a entraîné des conséquences graves tant pour les entreprises canadiennes que pour les individus; selon une estimation, les entreprises canadiennes auraient perdu plus de 200 millions de dollars chaque jour de grève. Les organisations caritatives dont la majorité du financement dépend de contributions versées au cours des mois de novembre et décembre auraient perdu à ce titre plus de 10 millions de dollars quotidiennement. Cette grève aurait entraîné le licenciement de plus de 10 000 employés œuvrant dans différentes entreprises directement affectées. En outre, certaines personnes qui dépendent de l'aide gouvernementale se sont vues dépourvues - malgré les mesures d'urgence instituées - des fonds nécessaires pour subvenir à leurs besoins minima et pour payer leurs loyers. Tout au long du différend, des conciliateurs et médiateurs ont été mis à la disposition des parties en vue de les aider à trouver un règlement acceptable. Le gouvernement n'est finalement intervenu que lorsque la situation ne laissait présager aucun règlement dans un proche avenir.

292. Seulement 10 pour cent de la main-d'œuvre canadienne est régie par le Code canadien du travail et les lois afférentes; il s'agit des travailleurs œuvrant au sein d'infrastructures et d'industries qui représentent une importance considérable pour l'économie canadienne et qui couvrent notamment les transports internationaux et interprovinciaux par terre ou par mer, le transport aérien et les aéroports, les télécommunications, les banques, les ports, les postes, incluant les ouvrages ou entreprises déclarés être à l'avantage général du Canada. En juin 1998, la partie I du Code canadien du travail a été modifiée afin notamment de remplacer le Conseil canadien des relations du travail par un conseil représentatif, le Conseil canadien des relations industrielles; ces modifications sont entrées en vigueur le 1er janvier 1999. Pour ce qui est plus précisément des droits des travailleurs visés de s'organiser et de négocier collectivement, le gouvernement rappelle son engagement à les respecter et se réfère à cet égard au préambule de la partie I du Code canadien du travail qui dispose que:

293. Pour ce qui est de la négociation collective proprement dite, la partie I du Code canadien du travail réserve ce droit de façon exclusive aux agents négociateurs représentant les employés au sein d'une unité de négociation donnée. Le Conseil canadien des relations industrielles a compétence pour déterminer et octroyer les accréditations requises à cette fin.

294. Pour pouvoir être accrédité aux fins de la négociation collective, un syndicat doit établir qu'il est dûment constitué. Le Conseil canadien des relations industrielles exige à cet égard que le syndicat démontre qu'il est une organisation créée aux fins de la négociation collective et que statut et règlements pertinents ont été adoptés. L'organisation ne doit pas être l'objet d'ingérence de la part de l'employeur ou être dominée par lui. Le syndicat dûment accrédité doit par la suite démontrer qu'il représente la majorité des employés au sein de l'unité de négociation.

295. C'est le Conseil canadien des relations industrielles qui possède la compétence exclusive pour déterminer l'unité de négociation collective appropriée; pour ce faire, le Conseil canadien des relations industrielles se fonde notamment sur la nature de l'industrie visée, ainsi que sur l'organisation proprement dite de l'entreprise et les catégories de travailleurs concernés. En pratique, l'unité de négociation peut être plus ou moins étendue et couvrir un ou plusieurs établissements de l'employeur. Les unités peuvent aussi inclure tous les employés ou les répartir en fonction des différentes catégories auxquelles ils appartiennent. Bien que la nature de l'industrie visée influence la détermination de l'unité de négociation appropriée, le Conseil canadien des relations industrielles tend à éviter de plus en plus la fragmentation des unités de négociation. Une fois l'accréditation obtenue, l'agent de négociation et l'employeur ont l'obligation de se rencontrer et de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. Les conventions collectives conclues doivent être pour une durée minimum d'un an; pendant cette période, les grèves et les lock-out sont interdits. Toutefois, les conventions collectives doivent obligatoirement contenir une disposition aux termes de laquelle tous différends sur leur interprétation et leur application doivent être réglés par arbitrage ou autrement. Lorsque les parties ne réussissent pas à s'entendre sur le choix de l'arbitre, le ministre du Travail peut, sur requête, le désigner.

296. L'avis, en vue de tenir des négociations collectives, peut être donné par toute partie trois mois avant la date d'expiration de la convention collective. Si les négociations n'ont pas permis aux parties de s'entendre, l'une de celles-ci peut le notifier au ministre du Travail afin de pouvoir bénéficier des dispositions du Code du travail relatives à la nomination d'un conciliateur, d'un commissaire-conciliateur (personnalité indépendante) ou en vue d'acquérir le droit de grève ou de lock-out. Le ministre peut alors mettre en œuvre des procédures de conciliation; dans ce cas, les grèves et les lock-out sont interdits jusqu'à ce que les procédures de règlement soient épuisées.

297. Enfin, le Code canadien du travail prévoit également une obligation pour l'agent négociateur de représenter tous les membres de l'unité de négociation équitablement et sans discrimination et fixe les peines en cas de violation de ses dispositions.

298. Le gouvernement conclut la présentation du cadre législatif en insistant sur le fait que le Code canadien du travail vise à établir un environnement stable en vue de la négociation collective et à encourager les parties à y recourir pour régler leurs différends. En pratique, le gouvernement estime que la négociation collective au sein des entreprises privées soumise à la juridiction fédérale fonctionne de façon satisfaisante étant entendu que plus de 95 pour cent des ententes sont conclues sans arrêt de travail alors que 500 à 600 d'entre elles viennent à échéance chaque année.

299. Le gouvernement expose l'historique des négociations collectives depuis que le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes a conclu sa première convention collective. En fait, de 1975 à 1997, des négociations collectives ont été tenues au cours des périodes 1975, 1977-78, 1979-80, 1981-82, 1984-85, 1986-87, 1989-1991 et 1994-95. Des grèves ont été déclenchées en 1975, 1978, 1981, 1987 et 1991. Le gouvernement a mis fin aux grèves de 1978, 1987 et 1991 au moyen de lois de retour au travail. Dans les autres cas, les parties se sont finalement entendues sans que le gouvernement n'ait recours à des mesures législatives ou sans qu'il n'y ait arrêt de travail (négociations de 1979-80, 1984-85 et 1994-95).

300. Le gouvernement rappelle les raisons qui ont justifié la création de la Société canadienne des postes en 1981. Durant les années soixante-dix, la population canadienne a ressenti une frustration croissante à l'égard du système postal, des conflits de travail toujours plus nombreux l'affectant et des interruptions du service. Plusieurs études ont été entreprises afin de tenter de trouver une solution au problème des postes et c'est à la suite de ces dernières que la Société canadienne des postes a été établie par la loi, sa mission étant notamment «de créer et d'exploiter un service postal comportant le relevage, la transmission et la distribution des messages, renseignements, fonds ou marchandises, dans le régime intérieur et dans le régime international».

301. L'article 5 de la loi portant création de la Société canadienne des postes prévoit également qu'elle doit veiller «à l'autofinancement de son exploitation dans des conditions de normes de services adaptées aux besoins de la population du Canada et comparables pour des collectivités de même importance». Le conseil d'administration établi aux termes de la loi a interprété ces objectifs fondamentaux comme signifiant l'amélioration du service, la création d'un meilleur climat des relations humaines au sein de l'organisation et la réalisation de l'autonomie financière au terme de la cinquième année d'exploitation de la société.

302. En novembre 1995, le ministre responsable de la Société canadienne des postes a mandaté une personnalité indépendante en vue de procéder à la révision complète du mandat de cette société. Le rapport, qui a été rendu public en octobre 1996, conclut que la Société canadienne des postes doit opérer sous des contraintes qui ne reflètent plus les réalités contemporaines du travail notamment en termes de flexibilité, de sécurité d'emploi et d'absentéisme rémunéré. Les conséquences financières des problèmes identifiés sont d'une importance telle qu'elles menacent la viabilité de la société même. Le rapport recommande dès lors à la Société canadienne des postes de réduire les coûts relatifs à l'application des conventions collectives de manière à ce qu'ils soient en conformité avec les réalités contemporaines, et ce par des négociations de bonne foi. En cas d'impasse dans les négociations, le gouvernement doit prendre les mesures nécessaires pour protéger l'intérêt public et pour assurer la stabilité financière à long terme de la Société canadienne des postes.

303. En ce qui concerne plus précisément les négociations de 1997 dans le secteur des postes, le gouvernement explique que des négociations directes entre les parties ont commencé au cours de l'été 1997. Deux conciliateurs ont par la suite été nommés par les parties et des rencontres ont été tenues en juillet, août et septembre 1997. Toutefois, dès le début du mois de septembre, le syndicat, n'ayant plus l'intention de faire recours aux conciliateurs, leur a demandé de fournir leur rapport. Le syndicat a par la suite rejeté l'offre globale présentée par la Société canadienne des postes le 18 septembre. Quelques semaines plus tard, le ministre du Travail a désigné un commissaire-conciliateur qui, après avoir tenu nombre de rencontres avec les deux parties, a indiqué, le 30 octobre suivant, que les parties ne pouvaient s'entendre. Il était d'avis que les négociations avanceraient d'un pas rapide si les parties savaient qu'elles auraient «à subir [le] rapport de force ultime, soit le déclenchement d'une grève ou d'un lock-out». D'autre part, le commissaire-conciliateur a recommandé instamment au ministre du Travail «d'insister auprès des parties pour qu'elles négocient leur différend avec célérité, diligence et bonne foi, et de laisser le rapport de force s'exercer de façon responsable par les parties»; il a ajouté, en outre, que le ministre devrait offrir en tout temps, à la demande des parties, l'aide professionnelle que le Service fédéral de médiation et de conciliation pouvait fournir. Le rapport a été rendu public le 10 novembre suivant et les parties ont acquis le droit de faire grève ou lock-out, aux termes des dispositions pertinentes du Code canadien du travail, le 18 novembre.

304. Dans ce contexte, la grève du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes a commencé à 17 heures la journée suivante. Toutefois, le gouvernement indique que les parties ont continué à négocier au cours du mois de novembre. Après avoir discuté avec les parties et s'être assuré qu'elles désiraient toujours un règlement négocié, le ministre du Travail a désigné un haut fonctionnaire à titre de médiateur le 24 novembre. Bien qu'il ait rencontré les parties entre les 24 et 28 novembre, elles n'ont malheureusement pas réussi à régler leur différend. Dans ces circonstances, le ministre du Travail s'est vu obligé de présenter une loi de retour au travail au début du mois de décembre; le projet de loi C-24 - la loi de 1997 sur le maintien des services postaux (ci-après «projet de loi C-24») a dès lors été adopté le 2 décembre 1997; les travailleurs et travailleuses des postes ont repris le travail le 4 décembre.

305. Le gouvernement insiste sur le fait qu'aux termes du projet de loi C-24 un médiateur-arbitre a été nommé en janvier 1998 afin de régler toutes les questions faisant l'objet de différends entre les parties. Il a tenu des rencontres régulières avec les parties par la suite; de son côté, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes a institué parallèlement différentes procédures judiciaires; la Cour supérieure du Québec a rejeté, par une décision rendue le 24 mars 1999, la requête du syndicat en vue de faire déclarer invalide le projet de loi C-24 au regard de la Charte canadienne des droits et libertés.

306. Le gouvernement précise que le projet de loi C-24 proroge la convention collective jusqu'à la prise d'effet d'une nouvelle convention collective. La convention collective est également réputée modifiée par la majoration des salaires de 1,5 pour cent à compter du 1er février 1998, de 1,75 pour cent supplémentaire à compter du 1er février 1999 et de 1,9 pour cent supplémentaire à compter du 1er février 2000.

307. A titre de remarques conclusives, le gouvernement rappelle que le Code canadien du travail reconnaît les droits de grève et de lock-out. En outre, il insiste sur le fait qu'il privilégie la négociation collective et qu'il n'intervient qu'en dernier ressort. Depuis 1950, le gouvernement aurait eu recours aux lois spéciales de retour au travail à 25 occasions; il ne le fait que dans les cas où l'interruption de service est susceptible de causer des conséquences graves pour les Canadiens.

308. En 1997, le gouvernement a dû se résoudre à adopter une législation de retour au travail dans le domaine des postes afin de protéger l'intérêt public et de régler le différend qui opposait les parties, ces dernières n'ayant pas réussi à s'entendre malgré l'intervention de conciliateurs, de commissaires-conciliateurs et de médiateurs. Cette initiative gouvernementale a été dictée par le fait que l'interruption des services postaux portait de graves préjudices à des individus ou des entreprises totalement étrangers au différend. Plusieurs entreprises canadiennes qui dépendent du service postal ont subi d'importantes pertes susceptibles de fragiliser dans un contexte déjà difficile leur viabilité économique. Des individus se sont vus privés de montants essentiels pour subvenir à leurs besoins de base.

309. De plus, le gouvernement estime que le fait que le projet de loi C-24 contienne des dispositions sur le règlement des différends a créé une opportunité nouvelle pour les parties de les régler par médiation ou arbitrage. Dans ce contexte, la loi prévoit des principes directeurs dont le médiateur-arbitre doit s'inspirer dans l'exécution de sa tâche; ils visent à assurer que le médiateur-arbitre garde à l'esprit les contraintes financières de la Société canadienne des postes mais aussi l'obligation statutaire de cette institution d'offrir des services de qualité.

310. Enfin, le gouvernement observe que les augmentations salariales prévues au projet de loi C-24 sont nettement supérieures à celles négociées de façon générale au sein de la fonction publique; il explique en outre que les amendes prévues en cas de violation ont volontairement été fixées à un niveau élevé afin de créer un effet dissuasif certain.

311. En concluant, le gouvernement se dit convaincu que les parties n'étaient pas en mesure de régler leur différend, et ce même après l'épuisement de tous les mécanismes prévus. Les lois de retour au travail ne sont adoptées que dans les cas de services majeurs dont l'interruption a des répercussions graves sur l'ensemble des Canadiens. Enfin, le gouvernement réitère sa foi dans la négociation collective.

C. Conclusions du comité

312. Dans cette affaire, l'organisation plaignante allègue que le gouvernement a porté atteinte aux principes de la liberté syndicale en adoptant le projet de loi C-24 - la loi de 1997 sur le maintien des services postaux (ci-après «projet de loi C-24») qui a obligé les employés des postes canadiennes à reprendre le travail après douze jours de grève légale. Le gouvernement soutient pour sa part que l'adoption du projet de loi C-24 a été dictée par l'intérêt public après qu'il eut mis à la disposition des parties œuvrant dans un secteur d'intérêt public tous les mécanismes de règlement des différends prévus à la législation sans obtenir le moindre résultat.

313. Le comité prend note de la réponse très détaillée présentée par le gouvernement; le comité note par ailleurs que le gouvernement se fonde de façon générale sur les mêmes prétentions que celles qu'il avait déjà soulevées lors de l'examen d'une plainte qui avait été présentée à la suite de l'adoption en 1987 de la loi sur le maintien des services postaux, mesure qui avait obligé à l'époque les travailleurs des postes canadiennes à retourner au travail après sept jours de grève. [Voir cas no 1451, 268e rapport, paragr. 46 à 104.]

314. Le comité observe également que le plaignant et le gouvernement semblent s'accorder dans l'ensemble sur la description des événements qui ont abouti à l'adoption du projet de loi C-24 et qui peuvent être résumés ainsi.

315. D'un point de vue législatif et pour ce qui est des entreprises et institutions soumises à la juridiction fédérale, la négociation collective et les procédures de règlement des différends en vue d'aboutir à la conclusion d'une convention collective sont prévues aux sections IV et V de la partie I du Code du travail canadien. Dans les trois mois qui précèdent l'expiration d'une convention collective, l'une ou l'autre des parties peut faire savoir qu'elle souhaite entamer des négociations en vue du renouvellement ou de la révision de la convention (Code canadien du travail, art. 49). Après une période de négociation directe de bonne foi (ibid., art. 50), l'une ou l'autre des parties peut indiquer au ministre du Travail qu'elles n'ont pas réussi à s'entendre (ibid., art. 71). Au regard de la loi, le ministre a alors le choix entre différentes mesures, soit la nomination d'un conciliateur ou d'un conciliateur-arbitre, soit la constitution d'une commission de conciliation (ibid., art. 72 1) a), b) et c)). Le ministre peut aussi notifier aux parties son intention de ne procéder à aucune de ces mesures (ibid., art. 72 1) d)). Dans les cas où les parties ont épuisé ces mécanismes de règlement des différends ou que le ministre leur a indiqué ne pas avoir l'intention d'y recourir, les parties acquièrent les droits de grève ou de lock-out après qu'un certain délai s'est écoulé (sept jours); avant ce stade, «il est interdit à l'employeur de déclarer ou de provoquer un lock-out et au syndicat de déclarer ou d'autoriser une grève» (ibid., art. 89 1)). A tout moment, le ministre peut avoir recours à la conciliation s'il estime que cette mesure peut aider les parties à conclure une convention collective (ibid., art. 72 2)).

316. Dans la présente affaire, les parties ont commencé à négocier au début du mois de juin 1997. Dès cette époque, deux conciliateurs ont été nommés; des rencontres ont été tenues tout au cours de l'été 1997. Au début du mois de septembre, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes a indiqué ne plus envisager avoir recours aux services des conciliateurs. Dans ce contexte, et conformément aux dispositions du Code canadien du travail, le ministre du Travail a nommé un commissaire-conciliateur - personnalité indépendante - qui a dû constater l'échec de son intervention en vue de rapprocher les parties dans le rapport qu'il a soumis le 30 octobre 1997. Les parties ont malgré tout continué à négocier; ayant acquis les droits de grève et de lock-out le 18 novembre, le syndicat a déclenché une grève légale le jour suivant. Le ministre du Travail a nommé un haut fonctionnaire à titre de médiateur le 24 novembre; des rencontres ont été tenues en sa présence jusqu'au 28 novembre sans que les parties ne puissent parvenir au règlement de leur différend. Le gouvernement, estimant que les négociations s'enlisaient dans une impasse et après douze jours de grève, a présenté, au début du mois de décembre 1997, le projet de loi C-24 au Parlement canadien qui l'a adopté, forçant ainsi les travailleurs des postes à reprendre le travail dès le 4 décembre.

317. Le comité note que le projet de loi C-24, non seulement met fin à la grève légale déclenchée par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, mais en outre proroge la convention collective expirée en juin 1997 jusqu'à l'adoption d'une nouvelle convention (projet de loi C-24, art. 6) ou pour une durée maximale de trois ans; il fait obligation au ministre de nommer un médiateur-arbitre afin que lui soient soumises pour règlement final toutes les questions qui font encore l'objet d'un différend entre les parties (ibid., art. 8). Il appert que, au 1er janvier 1999, des rencontres avaient encore lieu entre le médiateur-arbitre et les parties au regard de ces dispositions. Le projet de loi C-24 prévoit expressément que, dans le cadre de l'exécution de ses fonctions, le médiateur-arbitre doit «s'inspirer de la nécessité d'avoir des conditions de travail compatibles avec la loi sur la Société canadienne des postes et la viabilité et la stabilité de la Société canadienne des postes, compte tenu de: a) la nécessité pour celle-ci, sans recours à des hausses indues de tarifs postaux: i) d'être efficace, ii) d'accroître sa productivité, iii) de respecter des normes de service acceptables; b) l'importance des relations patronales-syndicales entre la Société canadienne des postes et le syndicat» (ibid., art. 9).

318. Au regard des faits non contestés, le comité note que, lorsque le législateur canadien est intervenu en adoptant le projet de loi C-24 obligeant les employés des postes à retourner au travail, les parties avaient initié leurs négociations quelque six mois auparavant et que, après avoir eu recours à nombre de mécanismes de règlement des différends prévus à la loi, elles n'avaient pas réussi à s'entendre.

319. Par ailleurs, le comité observe que l'une des questions centrales de la présente plainte se réfère au fait que les travailleurs et travailleuses des postes étaient en grève légale et que le gouvernement, au moyen du projet de loi C-24, leur a ordonné de reprendre le travail après douze jours de grève.

320. Dans ce contexte, le comité ne peut que rappeler que le droit de grève constitue l'un des moyens légitimes et essentiels permettant aux travailleurs et à leurs organisations de défendre leurs intérêts économiques et sociaux. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration du BIT, quatrième édition, 1996, paragr. 473-477.] Le comité doit attirer à nouveau l'attention du gouvernement sur le principe de la liberté syndicale selon lequel le droit de grève ne peut être limité ou restreint que dans un nombre limité de cas: fonctionnaires qui exercent des fonctions d'autorité au nom de l'Etat, services essentiels au sens strict du terme - à savoir les services dont l'interruption pourrait mettre en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population. En outre, le comité rappelle que l'interdiction générale des grèves ne saurait être justifiée que dans une situation de crise nationale aiguë, et ce pour une durée limitée. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 526-527.]

321. En outre, le comité a été saisi à quelques reprises de plaintes concernant le maintien obligatoire des services postaux au détriment du droit de grève dûment exercé; à ces occasions, le comité a conclu qu'il serait difficile d'admettre que l'arrêt de tels services soit susceptible d'engendrer des conséquences caractérisant les services essentiels au sens strict du terme et a dès lors conclu qu'ils ne pouvaient pas constituer de tels services. [Voir cas no 1692, 291e rapport, paragr. 224, et cas no 1451 (Canada), 268e rapport, paragr. 98.]

322. Toutefois, le comité observe que l'interruption prolongée des services postaux est susceptible d'affecter des tiers totalement étrangers aux différends opposant les parties. Le comité est conscient qu'une grève affectant les services postaux, d'autant qu'elle a lieu pendant une période cruciale de l'année, peut avoir des répercussions graves pour les entreprises commerciales du pays concerné, même si elles peuvent désormais avoir recours à des services de remplacement tels les services de courrier privé, de télécopie ou de courrier électronique; à cet égard, le comité a déjà noté que sont particulièrement touchées les entreprises de vente par correspondance, qui dépendent étroitement, voire exclusivement, du courrier. [Voir cas no 1451 (Canada), 268e rapport, paragr. 98.] En outre, le comité est particulièrement sensible au fait qu'une grève dans les services postaux affecte directement les individus; même s'ils peuvent eux aussi avoir recours à des services de remplacement, le comité ne peut ignorer le fait que ce sont souvent les personnes en position sociale précaire qui sont les victimes directes de l'interruption d'un tel service puisqu'elles se voient privées - même si un service d'urgence a été mis en place - de revenus minima nécessaires pour subvenir à leurs besoins et payer leur loyer; à cet égard, sont particulièrement visées les personnes qui reçoivent des allocations d'assurance chômage ou qui sont en fin de droit et bénéficient de l'aide sociale ainsi que les personnes du troisième âge qui dépendent du versement de leurs pensions de vieillesse.

323. Quoi qu'il en soit, pour aussi regrettables que soient ces conséquences, elles ne sauraient justifier une limitation des droits fondamentaux garantis par les conventions nos 87 et 98, à moins qu'elles n'atteignent une telle gravité qu'elles mettent en danger la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population. De l'avis du comité, tel n'est pas le cas en l'espèce, surtout si l'on tient compte de l'allégation non contredite voulant que, selon les dires mêmes du gouvernement, des mesures d'urgence avaient été instituées. Le comité prie instamment le gouvernement de déployer tous les efforts en vue d'éviter le recours à l'avenir, dans le secteur des postes, à des lois de retour au travail.

324. Toutefois, le comité a déjà indiqué que le maintien d'un service minimum peut être prévu dans le service des postes. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 568.] Le comité insiste cependant sur le fait que le maintien de services minima en cas de grève ne devrait être possible que: 1) dans les services dont l'interruption risquerait de mettre en danger la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans l'ensemble de la population (services essentiels au sens strict du terme); 2) dans les services qui ne sont pas essentiels au sens strict du terme mais où les grèves d'une certaine ampleur et durée pourraient provoquer une crise nationale aiguë menaçant les conditions normales d'existence de la population; 3) dans les services publics d'importance primordiale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 556.] Dans ces cas, les organisations syndicales devraient pouvoir participer à la définition du service minimum tout comme les employeurs et les autorités publiques. [Voir notamment Recueil, op. cit., paragr. 557.] La Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations partage le même avis. [Conférence internationale du Travail, étude d'ensemble sur la liberté syndicale et la négociation collective, 1994, paragr. 161.] Le comité suggère dès lors au gouvernement d'étudier la possibilité d'introduire, en accord avec le syndicat concerné, des mesures afin d'éviter le recours à des lois de retour au travail. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.

325. Enfin, rappelant que le comité a déjà suggéré au gouvernement d'envisager d'avoir recours à l'assistance du Bureau et notant la requête de l'organisation plaignante pour qu'une mission de contacts directs se rende dans le pays, le comité prie le gouvernement de réexaminer ces propositions en vue de faciliter la recherche de solutions aux difficultés identifiées et de donner une réponse à cet égard.

Recommandations du comité

326. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:


Mise à jour par VC. Approuvée par NdW. Dernière modification: 26 février 2000.