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GB.264/TC/2
264e session
Genève, novembre 1995


III. Les concepts clés dans les démarches participatives

11. Comme indiqué plus haut, il y a souvent un certain flou, dans la coopération technique, au sujet de ce que signifie la participation et de ce qu'elle implique sur le plan opérationnel. En règle générale, la participation peut être considérée comme un moyen de parvenir à une fin ou comme une fin en soi. Dans le premier cas, le but est d'accroître l'efficacité, la pertinence, l'efficience et la viabilité d'un programme ou d'un projet; dans le second, les objectifs d'un programme ou d'un projet sont centrés sur le renforcement de l'aptitude des bénéficiaires à améliorer leurs conditions de travail et de vie.

1. La participation en tant que moyen et en tant que fin

12. La participation en tant que moyen suppose un travail d'équipe: des personnes coopèrent en vue d'atteindre dans de meilleures conditions et plus rapidement certains objectifs. A titre d'exemple, la participation à travers une entreprise coopérative peut être un moyen d'améliorer à la fois le volume de production et le niveau de vie: la participation de la communauté à la construction d'un système de drainage en est un exemple. Le dialogue tripartite entre les représentants des travailleurs, des employeurs et des gouvernements illustre bien la manière dont la coopération permet d'avancer sur les dossiers qui font l'objet de négociations collectives. Toutes ces formes de participation ont été constatées dans les projets considérés.

13. Dans six projets ayant trait au développement des coopératives et aux organisations féminines, les objectifs ont été expressément élaborés pour assurer la participation des groupes cibles, du personnel technique et des organismes de soutien. Dans un projet de travaux publics en Ouganda, une approche fondée sur la communauté a été adoptée afin de déterminer dans quelle mesure les méthodes participatives mises en oeuvre pouvaient être reprises ailleurs et d'éprouver la viabilité des projets de ce type. Dans deux projets dont le centre d'intérêt était la formation, des méthodes différentes, toutes fondées sur une approche participative, ont été élaborées et mises en pratique. Deux projets sur l'éducation ouvrière se sont par ailleurs fixé comme objectif immédiat d'assurer la participation des travailleuses aux activités syndicales. Un projet sur les relations professionnelles, tendant à améliorer la législation et la pratique dans ce domaine dans cinq pays d'Amérique du Sud, a indéniablement opté pour la participation tripartite en tant qu'élément essentiel de sa stratégie globale. En revanche, un projet traitant de l'information sur le marché de l'emploi contenait des éléments assez peu convaincants se rapportant à la participation tripartite pendant la phase d'exécution.

14. Dans les cas où elle a été utilisée comme un moyen, la participation, on a pu le constater, a accru l'efficacité et la viabilité des projets de coopération technique. Le projet d'amélioration du système de drainage de Kalerwe faisant appel à la communauté (Kalerwe community-based drainage upgrading), en Ouganda, est un exemple remarquable à cet égard: le fait d'avoir misé sur la communauté pour la construction des canaux de drainage s'est avéré la meilleure garantie de la durabilité des structures créées par le projet, la population étant prête à prendre la relève après l'achèvement de celui-ci.

15. On a également constaté que les méthodes participatives amélioraient la pertinence et l'efficience de la coopération technique. Dans les programmes de formation notamment, la participation active des stagiaires au processus de formation et l'application de méthodes de formation des formateurs, comme dans le projet interrégional sur la sécurité et la santé des travailleurs (Occupational Safety and Health (OSH)) dans 21 pays africains anglophones (Botswana, Egypte, Ethiopie, Gambie, Ghana, Kenya, Lesotho, Libéria, Malawi, Maurice, Namibie, Nigéria, Ouganda, République-Unie de Tanzanie, Seychelles, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Swaziland, Zambie, Zimbabwe) se sont avérées des plus utiles pour faire en sorte que les prestations assurées dans le cadre du projet non seulement soient bénéfiques aux groupes cibles intéressés, mais répondent aussi à leurs besoins prioritaires. Dans le projet régional d'aide aux organisations d'employeurs (Assistance to employers' organizations) dans les pays d'Afrique orientale et australe anglophones, l'accent a été mis sur l'application des concepts et des méthodes de Gérez mieux votre affaire pour la formation des formateurs, au cours de laquelle les participants ont été invités à faire des suggestions concernant la manière d'améliorer les programmes de formation. Eu égard à l'efficience, le coût est moindre lorsque seuls les formateurs suivent une formation, puis transmettent à d'autres les connaissances qu'ils ont acquises. A titre d'exemple, lorsque des contraintes budgétaires ont obligé à réduire les activités de formation dans le projet d'aide à l'éducation ouvrière des travailleuses (Workers' education assistance to women workers) en Asie du Sud-Est (Malaisie, Philippines et Thaïlande) et que la priorité a été accordée à la formation d'instructeurs au niveau national, les coûts globaux ont été moindres et les résultats plus pertinents.

16. Lorsque la participation est conçue comme une fin en soi, les objectifs d'un projet ont trait au renforcement de la capacité des groupes cibles de résoudre les problèmes ou d'améliorer par eux-mêmes leurs conditions de vie et de travail. La participation en tant que fin est fondée sur l'hypothèse que chaque pays et chaque groupe cible est responsable au premier chef de son propre développement. En ce sens, la participation est guidée par le principe de l'autonomie.

17. Dix des projets considérés mentionnaient expressément la participation parmi les objectifs, encore que parfois de manière imprécise. Le projet sur les relations professionnelles dans le cône sud de l'Amérique latine (Relaciones laborales en América latina -- Cono sur (RELASUR)), exécuté en Argentine, au Brésil, au Chili, au Paraguay et en Uruguay), est fondé sur la participation tripartite à toutes les activités prévues dans chacun des pays concernés et vise à renforcer l'aptitude des partenaires sociaux à améliorer les relations professionnelles dans leur pays: il en est résulté des instruments et des mécanismes de dialogue tripartite -- tout à la fois officiels et officieux --, et la législation du travail a été améliorée dans des domaines comme le tripartisme, la négociation collective et le dialogue social.

18. Le projet de Promotion et formation des coopératives dans le département de Zinder au Niger a adopté une démarche participative huit ans seulement après son lancement. Pendant ces huit années, un grand nombre de banques de céréales coopératives et de banques villageoises fondées sur les familles avaient été créées. En 1993, à la suite d'un examen de l'orientation stratégique du projet, il a été décidé de se concentrer sur le renforcement de la capacité d'autogestion des villageois. Cela a également été recommandé pour le projet d'appui aux coopératives et aux formes d'organisation résultant d'initiatives locales dans le Sahel (Cooperative and organizational support to grassroots initiatives in the Sahel (ACOPAM)) exécuté dans cinq pays de la région (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Sénégal). Ces deux projets ont été lancés dans le cadre de programmes d'aide alimentaire du PAM dont le principal objectif était l'autosuffisance pour l'approvisionnement en vivres. Une partie importante du problème résidait dans le fait que les banques de céréales étaient gérées par ceux qui détenaient traditionnellement le pouvoir dans les villages: les familles démunies, les femmes et les jeunes n'étaient pas admis à participer aux décisions, les réseaux de soutien étaient faibles, et il était très difficile d'obtenir un véritable appui du gouvernement. Comme les modes d'organisation qui avaient cours étaient inadéquats, une formation à l'autogestion et à la participation a dû être dispensée à toutes les personnes intéressées. Cela était nécessaire pour assurer des résultats durables après le retrait de l'appui au projet.

19. Parmi les autres projets dont les objectifs incluent expressément le renforcement de la capacité des groupes cibles, on peut citer: le projet d'aide à l'éducation ouvrière des travailleuses (Workers' education assistance to women workers) en Asie du Sud-Est et le projet d'aide à l'éducation ouvrière des travailleuses des zones rurales (Asistencia en educación obrera para mujeres trabajadoras rurales) en Amérique centrale et en République dominicaine, le projet d'Appui aux femmes rurales en Guinée, le programme de coopération technique pour le développement de la formation professionnelle par le biais de l'INATEC (Programa de cooperación técnica para el desarrollo de la formación profesional por medio del INATEC) au Nicaragua, le projet de travaux publics à forte intensité de travail à Kalerwe, en Ouganda, le projet africain interrégional sur la sécurité et la santé des travailleurs et, dans une certaine mesure, le projet sur les travailleuses dans le nouveau système de sous-traitance (travailleuses à domicile) (Women workers in the new putting-out system -- women homeworkers) en Indonésie, aux Philippines et en Thaïlande.

2. La participation en tant que processus

20. La participation consiste en plusieurs processus dynamiques et est donc appelée à changer au fil des ans. Utilisée comme un outil de gestion dans la coopération technique, la participation a énormément évolué. La plupart des programmes et des projets ont été mis à profit pour promouvoir l'organisation des groupes défavorisés afin qu'ils parviennent à maîtriser l'utilisation de ressources vitales telles que les terres, les matières premières, les semences ou le crédit. Les protagonistes étaient généralement analphabètes et inexpérimentés et la démarche participative se limitait à des questions d'organisation. Les objectifs de la première phase du projet ACOPAM dans les pays du Sahel, du projet de Zinder au Niger et du projet de mise en valeur de terres en friche par les soins d'organisations féminines (Wasteland development through women's Organizations) en Inde, qui ont tous été lancés vers 1985, reflétaient cette approche: l'objectif du projet de mise en valeur de terres en friche était défini comme l'accès collectif aux terres moyennant l'organisation des femmes démunies des zones rurales.

21. A la faveur de l'expérience accumulée durant les dix dernières années, le champ de la participation a été considérablement étendu. L'accent est mis désormais sur le développement des capacités et l'autonomie. La participation n'est plus considérée exclusivement comme ce qui est pratiqué par les groupes cibles, bien que ces derniers demeurent les principaux protagonistes du développement, et l'engagement des autres partenaires revêt une égale importance. La mission d'évaluation stratégique par l'OIT du projet ACOPAM, en 1993, a été centrée sur cette nouvelle intelligence du processus participatif. Les projets lancés dans les années quatre-vingt-dix reflètent ce spectre plus large du processus participatif. A titre d'exemple, le grand projet interrégional sur la sécurité et la santé des travailleurs en Afrique prévoit la participation active de plusieurs organismes de soutien à la formation et aux activités de diffusion en tant que condition préalable à la réalisation de son objectif principal, à savoir l'amélioration des conditions de sécurité et de santé pour les travailleurs.

22. La signification et la perception du processus participatif peuvent aussi varier selon le domaine auquel il s'applique. Dans les projets reposant sur la coopération tripartite, le processus participatif aboutit en principe à la mise en place de structures institutionnelles et à l'organisation du dialogue social, comme dans le cas du projet RELASUR. Dans les projets spécifiquement consacrés à la formation, en revanche, la participation implique l'intérêt personnel des personnes qui suivent la formation pour leur apprentissage et la mise au point systématique de méthodes propres à stimuler cet intérêt. La méthode Training for change (formation en vue du changement) mise au point dans le cadre du projet sur la sécurité et la santé des travailleurs en Afrique et la méthodologie DIP (Demonstrative Intervention Project -- projet d'intervention à effet d'émulation) adoptée pour le projet d'aide à l'éducation ouvrière en Amérique centrale peuvent être considérées comme des exemples des formes que peut prendre un processus participatif.

3. La participation en tant que forme de développement

23. Il y a lieu d'envisager la participation non seulement comme un instrument méthodologique aux fins de la coopération technique, mais aussi comme une forme de développement présentant certaines caractéristiques qui peuvent varier selon les problèmes à traiter et les objectifs à atteindre. La présente analyse des projets de l'OIT a permis d'identifier au moins trois caractéristiques présentes à des degrés divers dans les différents projets: a) la démarche participative est orientée vers les objectifs plutôt que vers les activités: le renforcement des capacités du groupe cible est ici le principal souci; b) les responsabilités sont redistribuées entre les principaux protagonistes à chaque étape du cycle du projet (préparation, exécution, évaluation): alors que dans les formes de coopération technique classiques, il était courant que la gestion du projet soit centralisée du sommet à la base, une démarche participative dénote une structure de partage des décisions; c) les protagonistes surveillent eux-mêmes en permanence le processus participatif.

24. Le projet ACOPAM a été l'occasion de faire, dans le cadre de la coopération technique, une expérience irremplaçable de la participation. Après huit années d'essais sur le terrain, la participation a été développée jusqu'au point où les responsabilités de tous les protagonistes sont maintenant clairement définies au niveau des populations locales (groupes organisés et associations villageoises), à un niveau intermédiaire (structures de soutien des organisations) et à un niveau supérieur (intervention des pouvoirs publics et des organismes donateurs). Des ateliers sur les questions touchant la participation ont été périodiquement organisés pour appuyer et maîtriser le processus en cours. Dans le projet de Zinder, au Niger, des mécanismes de contrôle du processus participatif, dans le cadre desquels les villageois administrent les coopératives et les banques de céréales des villages, ont été mis en place.

25. Dans le domaine de l'organisation autonome des groupes de femmes, une tendance à l'autogestion a été observée dans le projet concernant l'Appui aux femmes rurales en Guinée. C'est là le résultat du travail de contrôle continu et d'évaluation interne mené avec la participation de tous les protagonistes. Une approche fortement orientée vers les objectifs a été observée dans le projet relatif aux travailleuses à domicile, aux Philippines, pour lequel le groupe cible était composé, d'après les estimations, de sept millions de travailleuses à domicile. Durant les trois premières années, l'orientation stratégique du projet a été centrée sur le renforcement du Réseau national des travailleurs à domicile -- PATAMABA --, une organisation représentant directement le groupe cible. A la fin de 1992, le réseau PATAMABA était parvenu à un degré d'organisation et réunissait un nombre de membres jugés suffisants pour prendre en charge une partie de la gestion du projet. On retrouve les caractéristiques susmentionnées dans d'autres domaines de coopération technique de l'OIT dans lesquels une démarche participative a été adoptée, comme dans le projet de travaux publics de Kalerwe faisant appel à la communauté en Ouganda et dans le projet RELASUR qui est axé sur le tripartisme.

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Mise à jour par VC. Approuvée par NdW. Dernière modification: 21 février 2000.