L'OIT est une institution spécialisée des Nations-Unies
ILO-fr-strap

[an error occurred while processing this directive]
Discours d'ouverture de M. Juan Somavia,
Directeur général du Bureau international du Travail

à la Consultation internationale sur le suivi du
Sommet mondial pour le développement social

(Genève, 2 novembre 1999)

Permettez-moi de vous souhaiter à tous la bienvenue à cette Consultation internationale sur le suivi du Sommet mondial pour le développement social. Votre présence ici marque l'importance que vous attachez au développement des individus. A l'approche du nouveau siècle, toutes nos sociétés se trouvent face à des possibilités, mais aussi à des incertitudes nouvelles.

Nous nous devons de développer comme jamais auparavant notre aptitude à voir les problèmes qui se posent tels que les voient les gens. Nous devons apprendre à prévoir les répercussions qu'une politique peut avoir sur la vie des gens, de leurs familles et des communautés dans lesquelles ils vivent. Nous devons faire le lien entre une personne au chômage, une famille malheureuse et une communauté déprimée. Nous devons aussi, lorsque tout va bien, essayer de comprendre quelles sont les mesures décidées par les pouvoirs publics qui ont rendu cela possible.

Les chefs d'Etat réunis à Copenhague ont été très clairs: "Nous constatons que partout dans le monde se manifeste de diverses manières l'urgente nécessité de s'attaquer aux problèmes sociaux les plus graves, en particulier la pauvreté, le chômage et l'exclusion sociale, qui touchent tous les pays. Nous avons pour tâche de nous attaquer à la fois aux causes profondes des problèmes et à leurs conséquences déplorables, afin de réduire l'incertitude et l'insécurité qu'ils engendrent dans la vie des individus."

Au début de cette décennie, au moment où j'œuvrais en faveur du Sommet mondial, avant d'en présider les travaux préparatoires, j'étais loin de penser que je deviendrais en 1999 le Directeur général de l'institution spécialisée des Nations Unies, peut-être la plus proche par l'esprit de tant d'engagements pris à Copenhague. L'OIT est bien placée pour faire avancer le processus mis en marche par le Sommet mondial pour le développement social, et en particulier la session extraordinaire de l'Assemblée générale qui doit se tenir à Genève l'année prochaine. Son Excellence l'Ambassadeur Maquieira, président du comité préparatoire de Genève 2000, vous dira quelques mots sur ce processus. J'ai également profité de cette réunion pour organiser une très brève séance d'information sur Genève 2000.

L'OIT est une organisation qui a ses propres procédures, bien éprouvées. Elle se fonde sur une série de valeurs qui ne sont pas près de disparaître, comme l'équité, la justice sociale et le bon sens. Ces valeurs et principes que consacrent les instruments de l'OIT doivent se traduire par des politiques et des programmes acceptables et réalisables grâce auxquels les gouvernements, les entreprises, les travailleurs et les acteurs concernés de la société civile pourront nouer les liens de partenariat et le dialogue qui leur permettront d'atteindre notre but - assurer un travail décent pour tous. A bien des égards, les quatre objectifs stratégiques de l'OIT, à savoir les droits au travail, l'emploi, la protection sociale et le dialogue social, ne peuvent que faciliter la réalisation des engagements pris à Copenhague. En particulier, la structure tripartite de l'OIT est en soi un élément essentiel pour comprendre les problèmes socio-économiques qui se posent dans la vie de tous les jours.

Le Sommet mondial pour le développement social a certes été, de l'avis de tous, une réussite qui a permis à un consensus de se dégager, mais ses objectifs ne sont pas encore pleinement réalisés. Les engagements qui ont été pris à cette occasion continuent de légitimer et de guider bon nombre d'activités du système des Nations Unies et servent à rappeler à bien des gouvernements promesses et parole donnée.

Le Sommet mondial pour le développement social a fait de sept conventions de l'OIT le fondement social de la nouvelle économie mondiale. Ce faisant, il a fait des principes et des droits que consacrent ces conventions des objectifs mondiaux importants pour toute la communauté internationale. Cette décision est irrévocable. Elle sera et doit être une composante essentielle des politiques nationales et de la conduite des affaires internationales visant l'instauration d'un monde plus juste et plus stable.

Pour que cette décision se traduise dans les faits, l'OIT a adopté, à la suite du Sommet de Copenhague, la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail. L'objectif de cette déclaration est d'aider à faire de ces droits une réalité. Pour commencer, nous fournirons régulièrement les informations nécessaires. Les rapports annuels soumis au Conseil d'administration en mars et le rapport que je présenterai à la Conférence l'année prochaine inaugureront une série de rapports complémentaires portant sur l'application des principes et droits énoncés dans la Déclaration. Cela permettra également de discuter avec les pays pour définir le type d'assistance technique à fournir à tous les mandants pour que ces principes et droits soient mieux appliqués et de suivre les progrès réalisés. Cela servira par ailleurs de base aux activités promotionnelles. Enfin, on renforcera ainsi le dispositif normal de contrôle de l'application des conventions.

Dans mon rapport, j'ai l'intention d'insister sur le fait que le dialogue social peut contribuer à une bonne intelligence et à la résolution des problèmes socio-économiques. La convention no 182 de l'OIT sur l'élimination des pires formes de travail des enfants est, elle aussi, une contribution pratique à la réalisation des objectifs de la Déclaration et du Sommet mondial pour le développement social.

Je ferai aussi référence aux efforts que déploient les institutions de Bretton Woods. Je salue tout particulièrement l'initiative qu'a prise le FMI, conjointement avec la Banque mondiale, d'élaborer une nouvelle stratégie de lutte contre la pauvreté qui deviendra la pierre angulaire de leurs efforts conjugués dans ce domaine. Je salue également l'évolution encourageante des travaux de la Banque mondiale, dont témoigne la promotion du cadre de développement intégré et de bonnes pratiques en matière de politique sociale. En septembre, j'ai représenté l'OIT aux réunions du Comité intérimaire du Fonds monétaire international et du Comité du développement de la Banque mondiale. Dans l'un comme dans l'autre, j'ai insisté sur le fait que nous pourrions tous contribuer davantage à la lutte contre la pauvreté si nous prêtions davantage attention au monde du travail en essayant d'élaborer un cadre global pour les politiques de développement. J'ai rappelé que, pour la plupart des gens, l'emploi et différentes formes d'activités rémunératrices sont la seule source de revenus. Ce sont normalement eux qui permettent d'échapper à une pauvreté extrême. C'est également par eux que l'on se sent participer à la vie économique et sociale. Un environnement propice à l'esprit d'entreprise et à la création d'entreprises est ici indispensable.

L'emploi n'est pas uniquement un moyen d'assurer à chacun un revenu. C'est une partie essentielle de la vie quotidienne de beaucoup de personnes. Ce n'est pas toujours une partie de plaisir, les conditions de travail ne sont pas toujours satisfaisantes et ce sont souvent les plus pauvres qui travaillent le plus. Le monde est plein de travailleurs à faible revenu qui continuent à vivre dans la pauvreté.

L'OIT se fonde sur la conviction que chacun a des droits au travail. Nous voulons également que chacun ait un travail décent. Comment peut-on dire, nous rétorquerons certains, qu'un agent indépendant du secteur informel a des droits? Il est certes très difficile de passer d'une situation d'extrême pauvreté à une situation de plein emploi, où l'emploi est garanti. Cela demande des années de politiques bien pensées et de développement constant. Pour tirer profit des possibilités qu'offrent des politiques bien pensées, les individus doivent avoir les moyens d'agir.

Les différentes institutions de la communauté internationale ont une énorme responsabilité, celle de prodiguer les conseils appropriés convenant à chacun, sans lesquels il ne peut y avoir de croissance régulière, équitable et durable. L'ère des solutions toutes faites est révolue.

L'économie mondiale doit fonctionner de manière à permettre de tirer profit des avantages extraordinaires qu'offrent une société et une économie ouvertes tout en reconnaissant la spécificité des situations, des cultures et des pratiques nationales. Il faut également améliorer la conduite des affaires publiques. Les avantages que procure l'économie mondiale ne profitent pas à suffisamment de personnes, et il faut s'attendre un jour ou l'autre à un retour de bâton. Pour durer, la démocratie doit avoir pour fondements l'équité et l'inclusion sociale.

La tâche qui nous attend, la plus importante peut-être, est de faire en sorte que le marché fonctionne pour tous. Toutes les suggestions sont les bienvenues. Nous savons bien que lorsque les trois milliards d'individus qui vivent avec moins de deux dollars par jour deviendront enfin des consommateurs à part entière, nous connaîtrons une période de croissance économique durable, avec des communautés de plus en plus stables. Nous en sommes bien conscients, mais les politiques qui permettront à un tel projet de se réaliser à bref délai restent à définir.

Un autre principe fondamental qui sous-tend les valeurs et les convictions de l'OIT est que les droits des travailleurs ne font pas partie d'un jeu à somme nulle, où il y aurait d'un côté ces droits et de l'autre les obligations des employeurs. Les droits des travailleurs sont bien souvent, comme c'est le cas pour la liberté syndicale et la possibilité de s'organiser sans entrave, de véritables droits des citoyens et droits de l'homme. Ils ne sont pas négociables. Il font partie intégrante d'une société juste et démocratique. Les pratiques du monde du travail doivent s'adapter à ces réalités.

Il y a d'autres composantes du concept de travail décent qui sont plus aléatoires et variables et qui dépendent du processus de développement. Elles ne se réalisent pas toujours toutes à la fois. D'autres encore sont l'expression de tout comportement humain normal, comme le fait de traiter une personne dignement. A un autre niveau, nous devons essayer de comprendre l'importance du travail décent en tant que facteur de production.

Le concept de travail décent traverse donc les domaines économique et social en allant au-delà de l'analyse classique du marché du travail et des politiques sociales classiques. C'est un élément essentiel du mode de fonctionnement optimal des sociétés. Il oriente les décisions de politique générale, permet à un très large choix et à toutes les options de s'exprimer et constitue le fondement même de la confiance sociale et du consensus, sans lesquels il ne peut y avoir de changement dans la stabilité.

Pour finir, je vous demanderai de faire preuve de créativité et d'imagination et d'oser dépasser les conceptions traditionnelles pour vous mettre en quête de solutions novatrices aux problèmes - manifestement nouveaux - que la mondialisation de l'économie apporte avec elle.

Le suivi du Sommet de Copenhague dans le cadre de la session extraordinaire de l'Assemblée générale à Genève en 2000 est l'occasion pour nous de prendre de nouvelles initiatives. Ne la laissons pas échapper.


Mise à jour par SMP. Approuvée par GBR. Dernière modification: 4 août 2000.