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Argentine-Uruguay le 2 décembre 2002 (Dialogue national)
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Lieu et date
Organisée par le Bureau de l'OIT pour l'Uruguay et l'Argentine, la réunion s'est tenue le 2 décembre 2002 à Montevideo. M. Agustín Muñoz Vergara, Directeur du Bureau régional de l'OIT pour les Amériques, dans son discours d'ouverture, a présenté le contexte général de la question de la dimension sociale de la mondialisation. Ont participé, entre autres, à la réunion, M. Julio María Sanguinetti, ex-Président de l'Uruguay, M. Daniel Funes de Rioja, tous deux membres de la Commission mondiale, et M. Virgilio Levaggi, qui représentait le secrétariat.
Participants et programme
La réunion a réuni près de 20 personnes, dont de hauts fonctionnaires des deux pays, des dirigeants syndicaux et d'entreprises, des universitaires et des fonctionnaires du système des Nations Unies.
Deux questions étaient à l'ordre du jour: a) les perspectives de la mondialisation, b) son impact socio-économique dans le cône Sud et, en particulier, ses incidences dans le Rio de la Plata.
Différentes personnalités sont intervenues sur ces deux points. La question du dialogue social a donné lieu à un débat enrichissant, et l'échange d'idées et de réflexions a permis d'approfondir la question du renforcement du MERCOSUR et d'évaluer l'impact social de la mondialisation.
Sur son site Internet, la commission présentera prochainement un rapport complet et d'autres documents sur la réunion.
Principales questions et préoccupations
La réunion a abordé les principales préoccupations de l'Uruguay et de l'Argentine. Ces deux pays sont plongés dans la crise économique et on constate l'apparition de nouveaux pauvres issus de la classe moyenne, laquelle prédominait il y a encore quelques années.
Les participants ont convenu que la solution passait par la pleine application du MERCOSUR en matière économique, mais aussi par l'intégration des aspects sociaux, politiques et culturels.
En Amérique latine, ces dix dernières années, la démocratie politique s'est consolidée, mais les inégalités et la pauvreté se sont accrues, et les crises économiques ont été plus fréquentes; il devient indispensable de revoir les institutions du monde globalisé et de renforcer les mécanismes régionaux d'intégration afin que le MERCOSUR puisse faire bloc.
A. Perspective historique et défis
M. Julio María Sanguinetti, ex-Président de l'Uruguay, a analysé la perspective historique de la mondialisation, analyse nécessaire pour comprendre l'évolution qualitative du monde ces dernières années.
La mondialisation actuelle découle de l'évolution technologique et scientifique. Le développement de l'informatique et la rapidité des communications touchent toutes les personnes et, en particulier, les acteurs représentés à l'OIT, à savoir les Etats-nations, les employeurs et les travailleurs, dont les conditions d'existence, voire l'identité, sont modifiées. L'Etat-nation est affecté par des entreprises multinationales qu'il ne contrôle pas et par des processus d'intégration qui fragilisent la notion de frontières territoriales. Les entreprises sont confrontées au fait que la science s'est transformée en objet commercial. On assiste à une implosion de phénomènes culturels qui traduisent la volonté de chacun de préserver son identité face aux propositions culturelles homogènes que l'information impose. L'Etat providence, au motif qu'il manque de dynamisme pour accompagner les changements, est remis en question et les travailleurs sont déconcertés.
L'économie, le commerce et les finances deviennent plus importants que la production: l'expansion, la rapidité et la volatilité caractérisent le monde, alors qu'on croyait que l'instauration partout de l'économie de marché permettrait de maîtriser les crises économiques.
Démocratie politique et économie de marché sont les notions qui prédominent dans la constitution du monde contemporain, mais elles ne suffisent pas pour définir la mondialisation, laquelle est anarchique et fait des gagnants et des perdants.
B. Démocratie, croissance et emploi
A la fin du millénaire, tous les pays de l'Amérique latine avaient des gouvernements démocratiques, mais la participation croissante des citoyens et l'alternance au pouvoir des partis politiques n'ont pas suffi pour corriger les profondes inégalités qui persistent dans la région. La distribution du revenu est la plus inégale du monde et est source d'instabilité sociale. Une partie de la population latino-américaine n'a plus confiance dans le système démocratique, comme l'a souligné M. Muñoz Vergara, lequel a ajouté que les problèmes de gouvernabilité et la désaffection politique risquent de mettre en péril la démocratie, alors que celle-ci a représenté un consensus important dans la région.
La fragmentation et la détérioration des marchés du travail ont conduit à une hausse du chômage et de l'emploi informel. Le chômage est aggravé par le faible développement des systèmes d'assurance chômage et par l'insuffisance de la protection sociale, domaine qui a aussi subi les conséquences des politiques d'ajustement et du manque de financement. On estime qu'un tiers des salariés en milieu urbain et 73 pour cent des travailleurs du secteur informel ne cotisent pas à la sécurité sociale, ce qui pose également des difficultés pour la politique budgétaire. Voilà qui indique des conditions difficiles pour la promotion du travail décent.
Le développement équitable repose sur une relance économique créatrice d'emplois productifs. A cette fin, il est indispensable de faciliter l'accès au crédit et aux marchés des entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises: si les taux d'intérêt élevés qui sont versés dans certains pays latino-américains sont intéressants pour les grands capitaux, ils sont inaccessibles pour les petits entrepreneurs.
L'éducation est le principal moyen d'intégration. La connaissance et le développement technologique sont les plus importants atouts des sociétés actuelles. Dans nos pays, pour mener à bien les mesures nécessaires de réinsertion sociale et améliorer les systèmes de protection sociale, il faut mettre l'éducation au centre d'une nouvelle conception de la citoyenneté qui mettra l'accent sur la responsabilité sociale.
Reconsidérer l'idée que l'on se fait de l'Etat est l'un des défis actuels: rechercher l'efficacité et la qualité des services comportera des avantages pour toute la population, en particulier pour les plus démunis. Tout en tenant compte du principe de subsidiarité, il faut résorber l'importante différence de rendement qui existe entre secteur privé et secteur public et, à cette fin, rénover les modalités d'administration publique et restructurer les systèmes de ressources publiques.
Le redressement de l'Etat passe aussi par le rétablissement de sa fonction de médiation et de conciliation des intérêts de la société, les partis politiques jouant un rôle de mobilisation aux fins du dialogue.
C. MERCOSUR: réalité, construction et intégration dans le monde
M. Funes de Rioja a souligné l'importance du dialogue entre l'Uruguay et l'Argentine: il permet de consolider les accords socio-économiques en vigueur avec la participation des responsables politiques.
Le défi pour les pays du MERCOSUR, c'est de s'insérer dans le monde, y compris dans sa dimension sociale, à des fins de cohésion sociale. Il faut pour cela surmonter les réticences et ne pas se limiter à un débat axé sur les mécanismes de protection. L'équité et la cohésion sociale passent par le développement durable et l'équilibre entre les pays du Nord et ceux du Sud.
Le MERCOSUR est le moyen concret d'échapper au piège que constitue la dichotomie "ouverture-protectionnisme". Pour progresser dans la dimension sociale, il faut faire bloc et agir avec les autres acteurs. Pour y parvenir, il faut renforcer le MERCOSUR à l'échelle mondiale.
Les pays du MERCOSUR sont passés d'économies semi-autarciques, caractérisées par un fort interventionnisme de l'Etat, à des économies de marché et d'ouverture qui dépendent des flux mondiaux du commerce et de la mobilité des capitaux. C'est parce que l'on s'est rendu compte qu'il fallait s'insérer dans la mondialisation de l'économie que cela a été possible. Mais on a vu aussi que les Etats n'avaient pas pris les mesures nécessaires, par exemple adapter leurs systèmes monétaires, pour faire face aux conséquences de la mondialisation.
La déclaration en matière sociale et de travail du MERCOSUR permettra d'orienter l'action en vue d'une intégration fondée sur des sociétés privilégiant le travail et les emplois de qualité, dans laquelle les sept institutions qui forment le MERCOSUR devraient fonctionner en réseaux.
Le MERCOSUR a progressé dans différents domaines - accord sur la protection sociale, accords de complémentarité productive et accord sur les droits au travail. Un projet d'accord sur le droit de résidence des nationaux des Etats membres du MERCOSUR est en cours d'examen. De plus, les organisations patronales et syndicales ont formé des entités supranationales qui devraient participer à un dialogue social tripartite en vue de déterminer les politiques sociales et du travail à suivre.
Il faut renforcer l'institutionnalité du MERCOSUR et lui donner une cohésion interne avant d'examiner l'Accord de libre commerce des Amériques. Dans la perspective d'une communauté économique des Amériques, le MERCOSUR est le premier cercle concentrique de l'intégration.
D. Mondialisation: perspectives et restrictions
La mondialisation actuelle est axée sur l'ouverture des marchés financiers et sur la promotion des échanges économiques mais les conséquences sociales ont été néfastes: le système politique et institutionnel n'était pas assez développé pour accompagner ces échanges. Le développement technologique a eu la force d'une implosion qui a déplacé l'homme et ses institutions politiques du centre des préoccupations mondiales.
La mobilité qui va de pair avec la mondialisation s'est traduite aussi par un accroissement des migrations et de la délocalisation d'entreprises et de travailleurs. Les travailleurs les plus instruits, à la recherche d'une qualité de vie conforme à leurs qualifications, émigrent; on constate dans la région qu'ils retournent dans les pays que leurs parents, en quête de prospérité aux Amériques, avaient quittés.
A ce jour, il n'y a pas eu d'analyse systématique des conséquences de la mondialisation. La commission est le cadre pour faire cette analyse. Les expériences différentes de ses membres permettront de prendre en compte diverses valeurs qui sont toutes nécessaires pour construire l'intégration.
M. Sanguinetti se demande qui gouverne la mondialisation: les Etats-nations ne peuvent maîtriser ni les forces financières ni la circulation de l'information. Pour maîtriser ces phénomènes, il faut une volonté supranationale et des organismes de la société civile. L'Amérique latine, qui n'était pourtant pas la région la plus en retard, n'a pas pu avoir un développement technologique propre. C'est la classe moyenne, caractéristique des sociétés uruguayenne et argentine, qui a surtout ressenti les conséquences de la volatilité des capitaux, des variations des tarifs douaniers, des cycles économiques, de l'instabilité de l'emploi et des phénomènes migratoires. Les licenciements pour cause d'obsolescence et les délocalisations ont caractérisé une décennie d'expansion et de recul.
Une société de plein emploi sera-t-elle possible? Sans réglementations, les marchés ont détruit les gisements traditionnels d'emploi et la mondialisation des échanges a conduit à accepter de nouvelles formes de propriété et de nouvelles relations dans le monde du travail. Néanmoins, la réponse à cette question se trouve dans la mondialisation.^
Institutionnalité internationale
Tous les participants ont convenu avec M. Sanguinetti qu'il fallait dépasser l'opposition idéologique entre les prêtres de la mondialisation et les prêtres de l'antimondialisation. La religion se fonde sur la foi: elle n'est pas le champ de la politique. La mondialisation ce n'est ni Davos contre Porto Alegre, ni la panacée contre le Léviathan. Ce sont les forces que l'évolution scientifique et technologique a libérées et qui ont changé la vie. Seuls la communauté internationale et les Etats peuvent les dominer.
Le programme de travail décent, que le Directeur général du BIT a proposé, a suscité l'intérêt des partisans et des adversaires de la mondialisation, de Porto Alegre à Davos. Ce projet répond aux interrogations et aux protestations que la mondialisation suscite, mais il intègre aussi le monde des affaires et de l'entreprise.
Pour corriger les effets néfastes de la mondialisation, il faut promouvoir l'institutionnalité internationale. Le FMI devrait être l'organisme de la réglementa-tion financière. L'OMC s'occupe des dimensions commerciales de la mondialisation et l'OIT s'intéresse aux aspects sociaux et du travail. Cela étant, il faut renforcer ces organisations pour qu'elles puissent déployer leur volonté politique de mener à bien le dialogue social aux niveaux local, national, régional et mondial.
La commission devra proposer au système des Nations Unies des mécanismes porteurs de civilisation qui permettent de reconstruire le système mondial. Pour construire l'institutionnalité dans le domaine social ou des droits de l'homme, il faudra surmonter les obstacles que certains groupes dressent au nom de la souveraineté nationale, groupes qui acceptent pourtant les institutions internationales financières ou commerciales.
La Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation exige aussi que l'on fasse preuve d'imagination. Comme l'a dit M. Sanguinetti en évoquant Jean-Jacques Rousseau, nous devons aller solitaires sur un chemin nouveau.
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