87e session, 1-17 juin 1999 |
|
|
Allocution
de M. Juan Somavia, Secrétaire général de la
Conférence internationale du Travail |
Je voudrais féliciter le Président de la Conférence, le ministre Alhaji Muhammad Mumuni pour sa récente élection et saluer Rolf Thüsing, président du groupe des employeurs, de même que Bill Brett, président du groupe des travailleurs.
Messieurs et Mesdames les délégués, je tiens à mentionner tout particulièrement la présence de la Présidente du Conseil d'Etat de la République et Canton de Genève, Mme Brunschwig-Graf, de M. l'ambassadeur Gyger, qui est un ami de nous tous, du maire de Genève nouvellement élu, M. Muller, ainsi que de notre ami M. Koechlin. Je suis très heureux qu'ils soient parmi nous aujourd'hui.
Je tiens à remercier nos collègues du système multilatéral qui nous ont rejoints aujourd'hui, et je prie M. McCarthy de remercier Mary Robinson de sa présence au début de notre réunion. Je remercie aussi M. Fortin, M. Schatzer et M. Kean, qui sont également présents parmi nous.
Avant tout, je tiens à vous souhaiter à tous la bienvenue. Il y a tant d'amis, tant de connaissances, tant de personnes qui m'ont aidé à penser l'OIT, à la comprendre, qui m'ont prodigué des conseils, qui m'ont fourni des orientations pendant la campagne et toute la période de transition.
Ma première réaction par conséquent, c'est de vous dire merci. C'est grâce à vous que je suis ici, c'est grâce à vos voix qui se sont exprimées massivement en ma faveur puisque, comme vous le savez, j'ai été élu avec pratiquement 80 pour cent des voix du Conseil d'administration.
Je tiens à vous remercier de votre confiance, et à vous dire également que j'ai interprété ce mandat comme un mandat destiné à moderniser l'OIT, un mandat de changement pour faire de notre institution une organisation contemporaine, qui comprenne les problèmes actuels, et qui les assume avec une pensée moderne sans pour autant perdre de vue les valeurs sur lesquelles l'OIT a été fondée.
Depuis le mois de mars de cette année, je me suis attelé à cette tâche. Mes propositions de changement figurent dans les Propositions de programme et de budget pour 2000-2001 ainsi que dans le rapport que je soumets à la Conférence.
Je crois qu'il n'est pas nécessaire de procéder à une analyse détaillée de ces documents. Ils vous sont soumis, et leur discussion pendant cette session fournira au Bureau les orientations nécessaires pour l'avenir.
Je voudrais seulement signaler que le processus de changement a déjà commencé avec les décisions adoptées en mars par le Conseil d'administration.
A cet égard, je tiens à rendre hommage à mon prédécesseur, M. Hansenne. J'ai vécu une expérience unique. En effet, j'ai pris mes fonctions le 4 mars, et le 8 mars j'ai dû présenter au Conseil d'administration mes propositions de programme et de budget. Vous comprendrez que dans une situation normale, de changement à la tête d'une organisation internationale, cela aurait été tout à fait impossible. Pourquoi cela a-t-il été possible? Cela a été possible parce que j'ai été élu longtemps à l'avance et que j'ai donc pu mettre sur pied une équipe de transition plusieurs mois avant que je n'entre en fonctions. Cette équipe a bénéficié de tout le support de mon prédécesseur tant pour ce qui est des fonctionnaires que des équipements.
Il y a eu aussi une décision du Conseil d'administration, acceptée bien volontiers par M. Hansenne, qui proposait, en raison du temps limité qui restait à courir avant la discussion du prochain budget, que je le prépare moi-même avec l'appui des fonctionnaires du Bureau.
Tout ceci témoigne d'une transition institutionnelle extraordinaire. Permettez-moi de vous souligner que ce que nous avons fait ici à l'OIT est unique en son genre et constitue un précédent historique. Nous avons démontré une grande capacité institutionnelle à effectuer une transition sans heurts et efficace.
Je voudrais présenter quelques commentaires initiaux sur le thème des objectifs stratégiques.
Comme vous le savez, la première conclusion que j'ai souhaité soumettre à la Conférence par le biais du Conseil d'administration a été la nécessité de recentrer les activités de l'institution. J'ai donc proposé de focaliser nos activités autour de quatre objectifs stratégiques.
Le premier objectif porte sur les principes et droits fondamentaux au travail. Il s'agit là du mandat historique de l'OIT, qui trouve son expression dans ses conventions. Un de mes amis d'Amérique latine m'a dit durant ma campagne: «Juan, n'oublie jamais que nous, les travailleurs, nous sommes la raison d'être de l'OIT.» En effet, c'est une institution qui a été créée avec l'objectif de promouvoir la justice sociale ainsi que la dignité des travailleurs par le biais de ses conventions successives. C'est pour cela que la Déclaration qui a été adoptée l'an dernier revêt une importance vitale et j'y vois un des objectifs principaux des programmes focaux que nous devons développer pour promouvoir dans le monde un standard social de base.
Le second thème sur lequel l'OIT doit se recentrer est la création d'emplois. C'est ce que j'appellerais le mandat politique de l'OIT, le mandat qui vient de la rue, celui qui provient des populations. Le mandat qui désire voir l'OIT impliquée dans la création d'emplois plus nombreux et de meilleure qualité.
Si l'on demande à l'homme de la rue, à travers le monde, «Qu'est-ce que l'OIT?», il est fort probable qu'il ne le sache pas. Si par contre on lui dit que c'est une organisation qui s'attache entre autres à promouvoir la création d'emplois, il répondra certainement: «Ah! Cette organisation-là m'intéresse.» Après les droits humains fondamentaux, l'accès à l'emploi est probablement l'aspiration la mieux partagée des peuples. Nous devons être capables de la promouvoir, parce que nous savons bien que l'emploi est le premier pas qui permet de sortir de la pauvreté et de l'exclusion sociale. Evidemment, dans le cadre tripartite de l'OIT, où sont représentés les employeurs et les travailleurs, nous savons bien que la création d'emplois passe par des conditions propices aux investissements et à la création d'entreprises. Ces deux thèmes sont intimement liés.
Le troisième objectif que j'ai proposé est la protection sociale. C'est ce que j'appellerais le mandat éthique de l'OIT. La première réalité à laquelle nous devons faire face est que la grande majorité du monde n'a pas accès à la protection sociale. C'est un concept étranger à leur vie quotidienne.
Les systèmes traditionnels de protection sociale s'appliquent à un nombre réduit d'habitants du monde développé et à quelques habitants du monde en développement qui ont le privilège de pouvoir y accéder. Mais la grande majorité des personnes, dont les travailleurs du secteur informel, ignorent ce qu'est la protection sociale. Par conséquent, si nous voulons faire de la protection sociale un thème vital, réel, il faut que nous soyons capables de déterminer sous quelles formes elle peut être développée dans le monde en développement et dans les secteurs exclus des pays développés. Nous devons trouver les moyens d'étendre une protection sociale raisonnable aux secteurs où elle n'existe pas. Cela suppose essentiellement que l'on définisse les formules par lesquelles nous pouvons étendre la couverture sociale de même que les méthodes, les mécanismes, les modes de financement et les systèmes les mieux appropriés pour y parvenir. C'est un mandat qui exige de la créativité.
La protection sociale constitue un défi car nous savons à quel point les systèmes classiques de protection sociale font l'objet d'interrogations diverses. Nous devons donc réfléchir à la manière de préserver les valeurs qui ont inspiré sa création, tout en nous demandant quels sont les meilleurs moyens modernes de faire de ces valeurs traditionnelles une réalité.
Le monde voit apparaître une conception beaucoup plus large de la sécurité. La sécurité des personnes, la sécurité des individus, la capacité de résoudre les situations de manière à ce qu'une famille, un groupe de personnes, une communauté puisse vivre sans crainte, sans risques. De nombreux thèmes de l'OIT peuvent contribuer à donner une base analytique pour générer cette notion de sécurité plus élargie, une notion de sécurité socio-économique que j'appellerais la sécurité du peuple.
Le quatrième élément que j'ai jugé important est le tripartisme et le dialogue social. C'est ce que j'appellerais le mandat organisationnel de l'OIT. Il ne saurait y avoir de dialogue social influent sans organisations d'employeurs et de travailleurs fortes. Il ne saurait non plus y avoir de tripartisme efficace sans des ministères du Travail qui soient également forts et sans structures modernes d'administration du travail. Ceci relève de ce que nous devons faire dans le futur, et je crois personnellement qu'il y a beaucoup d'initiatives qui nous attendent pour renforcer les partenaires sociaux. Je suis disposé à faire en sorte que l'OIT s'engage dans cette direction.
J'ai également signalé que les thèmes du développement et de l'égalité de genre seront des thèmes transversaux de nos quatre objectifs stratégiques.
Tout cela, je l'ai synthétisé dans la notion de «travail décent». Les quatre objectifs stratégiques sont contenus dans ce concept qui reflète aussi la volonté de l'OIT de promouvoir comme par le passé l'emploi productif et librement choisi.
Le second changement en cours consiste à organiser l'élaboration du nouveau budget stratégique de l'OIT. J'aurai l'occasion de revenir sur cette question demain devant la commission compétente lorsqu'elle commencera ses travaux.
Comme troisième changement issu de ces décisions, j'ai créé une équipe de direction composée de six directeurs exécutifs que je préside. Ces directeurs exécutifs sont chargés de diriger chacun des quatre secteurs que j'ai mentionnés, ainsi que des activités d'appui en matière de financement, d'administration et de coopération technique.
Pourquoi ai-je mentionné ces questions organisationnelles et pourquoi j'attache une aussi grande importance aux fonctions de contrôle et d'évaluation ainsi qu'à la politique de personnel à propos de laquelle j'ai déjà initié des contacts avec le syndicat du personnel?
Je le fais parce que je suis convaincu que la modernisation du Bureau est une condition indispensable si nous voulons améliorer l'efficacité et la visibilité de l'OIT et occuper la place qui nous revient. En tant qu'institution, nous pouvons gagner en pertinence dans le monde mais c'est à nous d'y œuvrer car personne d'autre ne le fera à notre place.
Pour moderniser le Bureau, il ne suffit pas d'améliorer ses structures: il faut également adopter un style différent. Malheureusement, par le passé, des forces bureaucratiques obscures dans certains secteurs ont parfois nui à l'image et à l'esprit de notre institution. J'ai donné des instructions à l'équipe de direction pour qu'elle mette en place les instances nécessaires de consultation et de dialogue avec le personnel. Je veux une organisation saine et transparente, utilisant des pratiques saines de gestion et de communication interne. Je veux une atmosphère de travail détendue et créative qui soit à la fois empreinte d'efficacité.
Comme vous le savez, rien de tout cela ne se fera du jour au lendemain. Mais je tiens à déclarer devant la Conférence que l'amélioration des méthodes de gestion tant sur le fond que sur la forme sera mon souci constant. Je suis également conscient que les changements que nous entreprenons sont source d'incertitudes. C'est pourquoi j'ai indiqué que les nouvelles politiques seront mises en œuvre dans des délais relativement brefs, pour une organisation de cette taille, et seront achevées en novembre prochain au siège avec l'examen du nouveau budget pour le biennium 2000-2001.
J'ai profité de la présence à cette Conférence des directeurs régionaux et des chefs des équipes multidisciplinaires que j'ai convoqués d'ici la fin du mois pour engager le dialogue sur les structures dans les régions et discuter de l'interaction avec les nouvelles structures du Bureau.
Enfin, je crois qu'il est également important pour l'Organisation que les relations entre le Bureau et le Conseil d'administration soient marquées par un climat de coopération, de collaboration et de partenariat dans lequel nous partagerons un objectif commun essentiel: à savoir l'efficacité et l'efficience, dans l'exécution de notre mandat. Je crois fermement aux bienfaits de la consultation et des échanges informels d'idées et de suggestions avec les membres du Conseil d'administration, et je poursuivrai cette pratique que j'ai initiée.
Tout ce qui précède poursuit un seul et même objectif: être mieux à même de relever les défis qui attendent l'OIT à quelques mois du siècle prochain. Je suis convaincu qu'il ne suffit pas de définir des orientations stratégiques. Pour être crédibles, nous devons nous assurer que notre maison est en ordre, mieux structurée, claire et transparente et qu'elle poursuit les objectifs stratégiques que nous nous sommes fixés.
Le principal défi consiste à définir le rôle qui nous revient dans la nouvelle économie mondiale et l'après-guerre froide. Il est évident que l'on se préoccupe de plus en plus, partout dans le monde, des conséquences sociales de la mondialisation. Nous savons qu'une projection mécanique des tendances actuelles ne nous permettra pas de mettre fin aux incertitudes et à l'insécurité qui affectent tant de personnes et de familles à travers le monde. Nous savons également que les solutions ne sont pas évidentes, que nous ne les avons pas encore trouvées et que, dans le même temps, l'horloge de l'insécurité humaine avance à grands pas.
Permettez-moi de faire quelques commentaires généraux sur les principaux thèmes de mon rapport.
Premièrement, je crois que l'OIT doit se doter des moyens nécessaires pour contribuer à la mise en place d'un nouveau paradigme combinant la compréhension des conséquences sociales des politiques macroéconomiques, celle des conséquences économiques des politiques sociales ainsi que l'effet de ces deux phénomènes sur la croissance, l'investissement, la création d'entreprises et le travail décent.
Je crois que la contribution analytique la plus importante que nous puissions offrir serait une vision plus intégrée des phénomènes d'ajustement à l'économie mondiale dont nous faisons tous l'expérience. Nous devons combiner analyse économique et analyse sociale en nous appuyant sur les valeurs universelles qu'incarne l'OIT. Une nouvelle capacité analytique intégrée nous permettrait ainsi de surmonter les déficiences d'aujourd'hui, caractérisées par le fait que le système multilatéral est structuré de manière exclusivement thématique - finances, monnaie, santé, éducation, culture, questions sociales. Cette organisation thématique continue d'offrir des solutions sectorielles aux problèmes d'ensemble. Persister dans cette voie ne pourrait qu'être décevant, tant il est vrai - d'un point de vue analytique et politique - qu'il n'y a pas de solutions sectorielles aux problèmes globaux. Je crois que l'OIT est particulièrement bien armée pour jouer un rôle dans ce domaine en raison notamment de sa composition tripartite qui nous rapproche tant des réalités tant économiques que sociales.
Le second point que je souhaiterais relever est que, si l'économie mondiale ne profite pas progressivement à des couches de plus en plus nombreuses de la population, elle court le risque de perdre sa légitimité à leurs yeux. Je crois que l'économie sociale de marché est une conquête de cette fin de siècle, que l'initiative privée a une aptitude extraordinaire à créer de la richesse et qu'une économie ouverte à la concurrence est plus efficace qu'une économie fermée. Cependant, je crois également que si les bienfaits de ce système ne sont pas répartis de manière équitable, sa crédibilité risque d'être mise à mal, ainsi qu'on commence à le voir.
L'OIT doit être capable de proposer des politiques qui combinent et intègrent l'efficacité économique à l'efficacité sociale. Nous devons être conscients qu'il existe des limites éthiques et politiques à la pauvreté, au chômage et à l'exclusion sociale.
Troisièmement, pour faire face à cette réalité, nous devons nous appuyer sur un tripartisme marqué par la cohésion, la créativité, le dialogue - bref, un véritable tripartisme de l'avenir, qui propose des solutions nouvelles, capable de donner des orientations claires là où règne la confusion, un tripartisme audacieux qui ne craint pas d'être imaginatif et qui fait du dialogue social une pratique normale de notre société. Il existe un autre tripartisme - un tripartisme timoré, routinier, ancré dans le passé, qui considère que l'OIT se compose de trois catégories de demandes incompatibles. Ce tripartisme-là n'est plus d'actualité. C'est un tripartisme qui ne saurait exercer une quelconque influence en dehors de nos salles de réunion.
Il ne s'agit pas de nier les divergences d'intérêt qui existent. Il s'agit de mettre l'accent sur les points de convergence qui sont plus nombreux. Il s'agit de rechercher des accords et des solutions raisonnables, des ententes nouvelles, des propositions à la fois novatrices et sensées. Ce que je souhaite pour l'OIT est un tripartisme gagnant, voué au succès, sûr de lui, un tripartisme qui tourne son regard en dehors de l'OIT et inspire le respect et l'admiration. Je ne doute pas que vous soyez capables et désireux de donner vie à ce tripartisme-là. Le Bureau est à votre disposition pour y parvenir.
Quatrièmement, la convention proposée sur l'abolition immédiate des pires formes de travail des enfants illustre bien à mes yeux ce qui précède. Je crois que nous parviendrons à un accord sur ces formes abjectes de travail des enfants et qu'il s'agira là d'une contribution extraordinaire au monde d'aujourd'hui.
Il est évident que le travail des enfants est un problème complexe lié au développement, au travail des parents et aux possibilités d'éducation. Malgré les obstacles, l'OIT, par le biais de son programme IPEC, essaie d'une manière générale et avec succès de réduire le travail des enfants.
Cependant, ce que nous pouvons faire avec cette nouvelle convention est une autre affaire. Il s'agit de nous mettre d'accord sur le fait qu'il existe des formes moralement répréhensibles de travail des enfants dans le piège duquel aucune famille, dans aucune région du monde, ne voudrait voir ses enfants tomber. Il s'agit de situations objectives qui ne sont liées ni au développement, ni à des considérations culturelles ou à des traditions spirituelles. Des situations à propos desquelles tout enfant, où qu'il soit dans le monde, demanderait à ses parents de l'épargner. Si nous parvenons à nous mettre d'accord sur cette convention, nous aurons fait un immense pas en avant, parce que nous aurons fait du travail des enfants la base d'un consensus mondial à propos duquel il n'y aura aucun désaccord sur le désir d'éradiquer les pires formes de travail des enfants.
Dans un monde où il n'y aurait plus de causes à défendre, où il est si difficile d'identifier des causes qui interpellent notre cœur et notre raison, qui nous poussent à agir, et qui stimulent notre volonté, pourquoi ne pourrions-nous pas proposer l'abolition des pires formes de travail des enfants comme cause mondiale, une cause qui nous galvanise en tant que personnes et en tant que communauté internationale, une cause que l'OIT propose au monde entier, afin qu'il s'unisse et nous rende capables de commencer à agir avec célérité, immédiatement, dès le jour suivant l'adoption de la convention? C'est le grand défi que nous devons relever pendant cette Conférence.
Cinquièmement, vous allez également discuter de la coopération technique. C'est un autre domaine dans lequel nous pouvons développer un tripartisme créateur parce qu'il ne fait aucun doute qu'il s'agit là d'un des thèmes majeurs de l'OIT. Les quatre objectifs stratégiques déboucheront nécessairement dans chacune des régions sur des politiques de coopération, tenant compte de la diversité des problèmes auxquels elles sont confrontées. Comme vous le savez, j'attache une extrême importance à la coopération technique et j'ai présenté un rapport à ce sujet sur lequel je ne vais pas m'appesantir. Je tiens cependant à préciser la signification politique que j'accorde à la nécessité d'aboutir à un accord pour assurer une solide structure de coopération technique et, partant, un appui en matière de ressources extrabudgétaires.
Sixièmement, je dois assumer le fait que je suis la première personne du monde en développement à être élue au poste de Directeur général du BIT. Nécessairement, je serai particulièrement sensible aux problèmes de développement qui sont présents dans toutes nos activités. Cela va au-delà des quatre objectifs stratégiques puisque aussi bien le groupe des travailleurs que des employeurs ont des besoins propres en la matière. Il en est de même pour le groupe gouvernemental. Le développement est un thème qui caractérise la réalité d'aujourd'hui, sans lequel nous ne pouvons procéder à une analyse adéquate pour poursuivre notre mandat et assumer nos responsabilités.
Il faut comprendre les spécificités régionales et sous-régionales, comme celles des pays en transition d'Europe centrale et orientale, ou des pays qui traversent une crise en raison des effets du système monétaire international ou à cause d'une catastrophe naturelle. Il faut soutenir la capacité d'une OIT dotée de sensibilité, capable de comprendre les différences et de saisir les nuances des diverses formes que peut revêtir un même problème dans des sociétés distinctes. Il me paraît absolument indispensable de développer cette capacité institutionnelle car je crois qu'il est important de «sentir» la culture du développement.
Ceux d'entre nous qui ont une véritable expérience de ces problèmes savent que l'on ne peut comprendre les problèmes de développement avec une vision mécanique. On ne peut proposer des solutions tout simplement parce qu'elles ont fonctionné ailleurs. Nous avons besoin d'une richesse de perception, d'une capacité de différenciation, d'une compréhension des difficultés pour répondre à des problèmes réels et non proposer des solutions toutes faites.
Je tiens aussi à rappeler que l'OIT est une organisation universelle. L'OIT est au service de tous ses Etats Membres et de tous ses mandants, qu'ils se trouvent dans le monde en développement ou dans le monde développé. Il est très important que nous préservions notre capacité d'analyse des problèmes sociaux du monde développé. De mon point de vue, il s'agit là d'un élément absolument clé.
Lors d'une récente conversation avec Mme Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité, elle m'a fait part de l'importance qu'il y avait pour l'OIT de contribuer à la réflexion sur les nouveaux problèmes sociaux des sociétés industrielles tels que le temps de travail, les nouvelles formes d'insécurité, le chômage structurel et bien d'autres questions.
Dans tous les pays apparaissent des phénomènes économiques et sociaux contre lesquels nous devons batailler journellement, parce qu'ils marquent un processus à plus long terme. Il faut donc que notre réflexion soit plus globale et que nous la relions aux phénomènes qui se produisent dans d'autres régions du monde.
Septièmement, nous vivons dans un monde où règne la concurrence. Des organisations privées et publiques commencent à offrir les mêmes produits que l'OIT sur un marché libre. Par conséquent, je crois qu'il est fondamental que nous comprenions que, lorsque cela se produit, nous ne pouvons pas simplement dire: «Pourquoi vous occupez-vous de cette question puisque nous seuls avons mandat pour le faire?» Ce n'est pas ainsi que l'on défend son mandat, on le défend par sa compétence et par la qualité et l'utilité de ce que nous faisons. L'OIT défend son mandat lorsque l'on vient à elle pour recevoir son aide, sa coopération, ses suggestions en matière de politique, parce que l'on se rend compte que ses idées sont proches des besoins des employeurs, des travailleurs et des gouvernements. La qualité de ce que nous faisons est essentielle pour la survie de cette organisation. Je vous le dis avec beaucoup de franchise, la qualité de notre travail en général, au sein du Bureau, à la Conférence et au Conseil d'administration est ce qui déterminera l'influence de cette institution.
Ceci est essentiel et je dois vous avouer que, pendant les neuf années durant lesquelles j'ai évolué dans les hautes sphères du système multilatéral, l'OIT n'était pas aussi présente qu'elle aurait dû l'être, vu son importance. J'ai été l'initiateur du Sommet mondial pour le développement social, alors que cette initiative aurait dû venir de l'OIT. Je vous donne cet exemple parce que je l'ai vécu.
A mon avis, nous ne devons pas seulement nous contenter d'être au fait des problèmes, nous devons être perceptifs, saisir les opportunités qui se présentent, et agir rapidement le cas échéant.
Je citerai un exemple récent. Dès que la tragédie du Kosovo a commencé, je me suis rendu compte que, à un moment ou à un autre, elle prendrait fin, et j'ai demandé au Bureau de préparer un plan pour que nous puissions examiner ce que nous pourrions faire au Kosovo lorsque la paix serait rétablie. Lorsque le plan a été prêt, le Secrétaire général des Nations Unies a demandé aux organisations pertinentes du système de bien vouloir accompagner son émissaire au Kosovo pour une mission humanitaire et d'identification des besoins futurs. L'OIT était en mesure de le faire. Pourquoi est-ce que je donne cet exemple? Parce que je crois qu'il est essentiel d'être perceptifs à ce qui se passe. Les rythmes des temps présents sont courts, les problèmes instantanés. Nous vivons dans un monde de l'immédiateté et nous ne pouvons dire: «dans deux ans, nous inscrirons cette question si importante à l'ordre du jour de nos débats», car dans deux ans la question à traiter sera peut-être tout à fait différente.
C'est pourquoi je tiens à souligner le thème de la compétence. Il concerne le futur de notre Organisation en tant qu'institution. Nous devons développer la conscience que la qualité, l'excellence et l'utilité de nos produits, de même que les méthodes et le rythme de notre travail seront déterminants pour notre succès. Plus nous deviendrons compétitifs, plus les autres manifesteront de l'intérêt pour nous. Comme vous le savez, je suis un défenseur convaincu d'une collaboration plus étroite de l'OIT avec les organisations du système des Nations Unies et les institutions de Bretton Woods.
Pour terminer, j'aimerais souligner une chose qui me paraît indispensable parce que je la porte en moi. Je crois que les institutions comme les personnes ont des valeurs. L'OIT est une organisation qui a été fondée sur les valeurs de justice sociale et de promotion de la dignité au travail. Je m'identifie tout à fait à cet objectif. Je crois qu'une vie exempte de valeurs perd son sens, que les idéaux sont l'épine dorsale de notre esprit, et que la conviction et l'énergie sont le moteur des sociétés qui nous font avancer en tant qu'êtres humains. Les différentes cultures et traditions spirituelles nous inspirent à tous des valeurs supérieures. J'ai le sentiment très profond qu'il est nécessaire de comprendre les problèmes en se mettant à la place des gens. Je crois que le monde a besoin d'un regard plus sensible à l'autre, à celui qui est différent, à celui qui est exclu.
En même temps, nous devons agir avec réalisme.
L'idéalisme en lui-même, sans organisation, sans structure d'action, reste lettre morte, mais l'idéalisme qui va de pair avec la capacité d'agir, de dégager des consensus, de parvenir à des accords, est un idéalisme qui peut avoir une incidence favorable sur la réalité. C'est pourquoi nous devons agir avec réalisme dans les limites du possible. Qu'on me permette une image. La main du possible doit se tendre vers celle de l'espérance, et celle du réalisable vers celle du nécessaire. Nous devons réunir ces deux orientations. Mais il faut toujours avoir à l'esprit que, chaque fois qu'on propose une idée neuve, il se trouvera quelqu'un pour affirmer qu'elle n'est pas réalisable. Nous savons pourtant qu'aujourd'hui il se produit des choses dans le monde qui paraissaient impossibles à réaliser il y a trente ans. Pourtant elles se produisent.
Pour terminer, je dirai donc que notre tâche, qui consiste à conjuguer le possible et l'espérance, comporte une obligation, celle de déployer tous les efforts nécessaires pour réduire le temps d'attente entre le moment où une chose donnée paraît impossible et celui où elle devient réalisable. Il y aura toujours des difficultés, des interrogations, et des doutes, mais l'essence, la force, la raison d'être d'un tripartisme créatif résideront précisément dans la réduction du temps qui sépare l'espoir de la réalité.
Mise à jour par VC. Approuvée par NdW. Dernière modification: 26 January 2000.