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Allocution de M. James D. Wolfensohn,
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Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les délégués. Pour un pauvre banquier de Washington, c'est une expérience impressionnante que d'être ici parmi vous. Je suis plein d'admiration pour vous et je vous félicite. Vous avez organisé vos travaux de façon à pouvoir passer chaque année trois semaines à Genève au mois de juin, ce que je n'ai pas réussi à faire, quant à moi, à la Banque. J'espère donc apprendre de vous comment améliorer nos conditions de travail.
Nous autres, qui exerçons des responsabilités à la Banque, nous passons le plus clair de notre temps sur nos dossiers à Washington, mais nous avons néanmoins de temps à autre l'occasion d'aller sur le terrain, comme vous dites, et d'y observer les réalités du monde actuel. Nous savons que l'année dernière, à cette même Conférence, vous avez décidé que l'Organisation internationale du Travail devait renforcer son dialogue avec les institutions de Bretton Woods afin de promouvoir une meilleure compréhension mutuelle des rapports entre les politiques économiques, les politiques sociales et les politiques de l'emploi. Vous avez parlé aussi de la nécessité pour les partenaires sociaux d'améliorer la qualité et la quantité de l'emploi et souligné qu'il fallait prévoir des programmes compensatoires adéquats ainsi que des filets de sécurité sociale. Vous avez abordé, enfin, la question de la mise en œuvre des normes du travail fondamentales, dont vous vous occupez aussi lors de la présente session, et de l'amélioration de la coopération technique.
Permettez-moi de vous dire que c'est avec plaisir, et avec un sentiment de gratitude vis-à-vis de Michel Hansenne et de tous nos collègues du BIT, que nous avons répondu à votre requête. Les rapports qui existent depuis des années entre la Banque et l'OIT ont été resserrés et renforcés, et nous avons la possibilité de travailler ensemble et de nous rencontrer, ici à Genève et à Washington. Nous avons établi des programmes de travail, comportant notamment des études conjointes sur la réforme des systèmes d'enseignement professionnel et de formation et sur les incidences des zones franches d'exportation sur le marché du travail, ainsi que des séminaires conjoints à l'intention des syndicalistes sur les questions de travail et de développement, et nous espérons pouvoir coopérer encore plus étroitement à l'avenir.
Nous sommes donc engagés dans une entreprise commune, non seulement parce que vous nous y avez exhortés, mais également parce que nous sommes nous aussi conscients du fait que nous ne saurions à nous seuls résoudre les problèmes auxquels le monde est confronté ni tirer parti des possibilités qui s'offrent à nous.
Comme vous le savez, la Banque est une institution différente de la vôtre. Notre composition est différente. Nous avons 180 porteurs de parts sociales et nous avons été créés il y a une cinquantaine d'années, initialement pour répondre aux besoins de reconstruction dans le monde à la suite de la deuxième guerre mondiale. A partir de là, nous avons évolué, nous employant de plus en plus à relever les défis du développement, défis qui n'ont cessé d'augmenter en taille et en diversité, de sorte que notre institution elle aussi a augmenté en taille et en diversité. La Banque a maintenant un bilan de 150 milliards de dollars. Nous prêtons environ 15 milliards de dollars par an. Nous avons un instrument, l'Association internationale de développement (IDA), qui s'occupe des pays pauvres, c'est-à-dire des pays où le revenu par habitant est inférieur à 2,50 dollars par jour. Nous avons aussi une institution qui s'occupe du secteur privé, la Société financière internationale (SFI), parce que nous sommes conscients de l'importance de ce secteur. Une autre institution encore, l'Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI), s'occupe de l'assurance des risques.
Nous nous sommes donc développés et diversifiés pour répondre à des besoins croissants. Le monde dont nous nous occupons est un monde de 4,7 milliards de personnes, sur les 5,6 milliards que compte la planète. C'est un monde où 3 milliards de personnes doivent se contenter de 2 dollars par jour pour vivre, et 1,3 milliard de moins de 1 dollar par jour. C'est un monde où il y a des inégalités, où 56 pour cent de la population reçoivent 5 pour cent seulement du revenu: un monde où il existe de grandes différences entre les pays riches et les pays pauvres et, au sein de ces pays, de grandes inégalités entre les riches et les pauvres. Et ces inégalités ne font que s'accentuer.
La Banque n'est pas la seule institution à s'occuper du financement multilatéral du développement. Depuis notre création, nous avons vu se joindre à nous d'autres institutions, les banques régionales de développement, le système élargi des Nations Unies, l'Union européenne, l'OMC, et bien entendu l'OIT. Au niveau officiel, la Banque n'est donc plus seule avec son partenaire, le Fonds monétaire international, mais elle fait partie d'un réseau d'organisations internationales qui doivent travailler ensemble, qui doivent coopérer, parce que les besoins sont immenses.
La Banque, quant à elle, concentre son attention directe et spécifique sur la lutte contre la pauvreté dans un environnement viable. Notre contribution est importante, mais elle n'est pas prédominante. A nous tous, à l'échelle internationale, nous assurons des transferts représentant un montant de l'ordre de 40 à 45 milliards de dollars par an. C'est là une somme importante en valeur absolue, mais qui, par rapport aux besoins, reste faible. Le monde en développement aurait besoin de 200 milliards de dollars par an pour son infrastructure seule, sans même parler des besoins sociaux et des autres besoins de dépenses publiques.
Un autre changement majeur est intervenu: les employeurs, les investisseurs ou le secteur privé, comme nous les appelons, occupent aujourd'hui une place radicalement différente de celle qu'ils occupaient il y a sept ans. Le secteur privé était alors deux fois moins important que le secteur public. Il représente aujourd'hui 240 milliards de dollars, soit cinq fois plus que le secteur public. Ce n'est pas seulement un changement quantitatif; c'est un saut qualitatif. Nous avons un nouvel acteur, un acteur de poids, dans le domaine du développement, mais il y a toujours cette inégalité qui résulte de la décision des investisseurs d'aller dans les pays les plus accueillants et où ils peuvent faire les meilleurs placements. Conséquence, 12 pays accaparent 75 pour cent de ces 240 milliards de dollars alors que les 140 autres doivent se contenter de 5 pour cent et l'Afrique subsaharienne de 1 pour cent environ.
Nous devons nous préoccuper de la question de l'interface entre le secteur privé et le développement: comment attirer le secteur privé et à quelles conditions? La Banque doit donc à présent tenter de développer des relations de partenariat, à l'image de ce que vous avez fait, avec les pouvoirs publics, le secteur privé et les salariés.
Cela m'amène à parler de notre troisième partenaire qui est la société civile. Le monde dans lequel nous vivons a évolué. Au départ, la majorité de la population ne vivait pas dans une économie de marché. Aujourd'hui, 5 milliards de gens vivent dans une économie de marché contre 1 milliard il y a cinquante ans. Aujourd'hui, les deux tiers des pays ont un régime démocratique alors qu'un quart de la population mondiale seulement vivait dans une démocratie il y a cinquante ans. Avec l'économie de marché et les changements qui se sont produits, une société civile a fait son apparition. Le mouvement syndical tient une place importante dans cette société civile, de même que les organisations non gouvernementales qui ont proliféré.
La Banque doit, comme l'a fait votre Organisation, établir des relations de partenariat non seulement avec les employeurs ou le secteur privé, comme nous l'appelons, mais avec la société civile et en particulier les travailleurs. Nous sommes donc dans une situation où nous avons les mêmes partenaires que vous.
Nous avons également un autre partenaire, les pouvoirs publics, et nous sommes bien conscients du fait que les projets et les idées que nous avons n'ont de valeur que s'ils vont dans le même sens que les politiques des Etats. Nous avons pour clients les Etats. C'est par leur biais que nous intervenons. Nous ne sommes pas une entité indépendante. Les projets de la Banque mondiale ne sont pas à proprement parler les projets de l'institution mais les projets de la Guinée équatoriale, de la Gambie, de la Géorgie, du Ghana, du Brésil; ils sont leurs projets, ce ne sont pas nos projets. Ainsi, nous avons également pour tâche de collaborer avec les Etats pour les aider à acquérir les compétences et l'expérience nécessaires pour faire face aux problèmes. Ainsi, nous avons développé de nouvelles relations de partenariat.
Je m'empresse de dire, Madame la Présidente, que, si je suis ici aujourd'hui, c'est pour montrer l'importance que la Banque mondiale attache à ses relations avec l'OIT et, à travers elle, avec ses mandants, les gouvernements, le secteur privé et le mouvement syndical. Ce ne sont pas des paroles en l'air; je ne le dis pas parce que je suis ici mais parce que c'est une réalité. C'est une réalité à laquelle nous devons faire face dans un monde qui compte 4,7 milliards de pauvres et qui en comptera dans trente ans 8 milliards. C'est également une réalité économique. Ce monde représente 17 pour cent du PIB mondial et il en représentera dans trente ans 30 pour cent.
Le tiers monde, qui est l'interlocuteur de la Banque, bat des records de croissance, avec un taux annuel supérieur à 6 pour cent, soit le double des pays de l'OCDE. D'un point de vue purement économique, notre monde est unique. En fait, dire que deux mondes coexistent sur notre planète est insensé. Il en existe un seul. Nous parlons du monde développé et du monde en développement, mais ces deux mondes sont indissociables -- et c'est pour nous un sujet de fierté --, au regard de l'économie, de l'environnement, de la santé, des migrations, du crime, de la drogue, de l'alimentation et de la guerre. On ne peut faire abstraction de ce monde. Ce que la Banque s'efforce de faire, comme vous cherchez à le faire de votre côté, c'est d'affirmer clairement que les droits des peuples du monde entier sont légitimes et que la question de l'équité et de la justice sociale se pose partout dans le monde.
Les activités de la Banque touchent à de nombreux domaines dont s'occupe aussi l'OIT, mais nous agissons de manière quelque peu différente. Conformément à notre mandat, nous envisageons les questions du point de vue de l'économie et du développement. Lorsqu'on aborde des questions comme les normes du travail, nous ne pouvons prendre de décisions, en tant qu'institution, sans l'approbation et le soutien de nos gouvernements. Ceux d'entre vous qui représentent ici les gouvernements peuvent être présents sous une autre apparence au sein de mon Conseil. Certes, il ne s'agit pas d'une vaste assemblée, mais ce Conseil, qui se réunit deux fois par semaine, représente cependant 180 pays et compte 24 administrateurs résidents.
Ceux d'entre vous qui représentent les employeurs comprendront que la tâche n'est pas facile, et ceux qui représentent les gouvernements comprendront que c'est néanmoins la manière dont les choses se passent. Je suis le salarié d'une organisation intergouvernementale, et ma politique est celle de cette organisation, étant toutefois entendu que je peux infléchir légèrement cette politique dans un sens ou dans un autre à titre individuel.
Ces dernières années, il est une chose que nous en sommes arrivés à reconnaître de façon absolue: sans une bonne politique sociale, vous ne pouvez pas avoir une bonne politique économique, cela est clair comme de l'eau de roche. Si vous ne pouvez pas prendre solidement appui sur la population, si vous ne vous préoccupez pas des droits de l'homme, si vous ne vous souciez pas de responsabilité sociale et de justice sociale, vous ne pouvez pas obtenir la paix ni avoir des investissements sûrs. C'est une conclusion toute simple qui nous guide et qui guide le travail de la Banque. En ce sens, nous faisons cause commune avec vous et nous vous complétons pour bien des choses dont vous vous occupez dans votre travail quotidien.
Hier soir, prenant des notes en prévision de la réunion d'aujourd'hui, je songeais à nos différents domaines d'intervention. Je n'en ai pas dressé une liste exhaustive. J'ai juste noté quelques points. Le rôle de l'Etat, tout d'abord, c'est-à-dire la question du renforcement des capacités. Je suis heureux de dire que, l'année dernière, sous l'impulsion de nos gouverneurs africains, un plan de renforcement des compétences a été mis au point que nous sommes heureux de soutenir. Ce n'est pas notre plan. C'est un plan africain, comme il se doit, et il est tout à fait remarquable.
J'ai pensé aussi à nos activités dans le domaine de la santé. Ce qui est en cause ici, ce ne sont pas seulement les besoins sanitaires en tant que prestations sociales liées au travail, aussi importants soient-ils, mais le problème fondamental des 800 000 personnes qui meurent chaque année du paludisme, des 2 millions qui meurent tous les ans de tuberculose, de la femme qui meurt chaque minute des suites d'une grossesse, le problème de l'onchocercose ou cécité des rivières -- que nous sommes en passe d'éradiquer en Afrique en coopération avec d'autres organisations --, du ver de Guinée, etc., tous problèmes que nous devons combattre avant d'en venir à la question de l'équité et de la répartition des services de santé dans les divers pays où nous sommes profondément engagés. Il y a aussi le problème de la santé familiale, le problème de faire pénétrer les services de santé en brousse pour que tout le monde dans les pays pauvres puisse vivre en bonne santé, le problème d'essayer d'épargner à 500 millions de personnes le retard mental dû à la malnutrition.
Il y a ensuite le problème de l'éducation, problème absolument fondamental pour le développement, ce que votre Organisation a fort bien compris. Cent trente millions d'enfants ne sont pas scolarisés, dont 70 pour cent sont des filles, et, si nous réussissons à les amener en classe, ils n'y restent pas. Il s'agit d'élaborer des programmes d'études qui puissent profiter aux enfants scolarisés et convaincre les parents d'envoyer leurs enfants à l'école. Encore faut-il qu'ils aient des parents, car nous devons nous occuper de millions d'enfants des rues sans famille.
Venons-en ensuite à l'enseignement secondaire et à la formation professionnelle pour les chômeurs. Ce sont des domaines où nous intervenons. Nous dépensons 2,5 milliards de dollars par an uniquement pour l'éducation à travers le monde.
Il y a aussi la question de la notion de justice. Il nous faut veiller à ce que le développement s'inscrive dans le contexte de la culture du pays où nous travaillons. Nous ne cherchons pas à imposer un système culturel ou un système de développement centralisé. Nous devons respecter la culture des pays dans lesquels nous intervenons. Nous devons soutenir et nourrir les cultures, et nous devons en tirer des enseignements. Nous ne pouvons prétendre inculquer les valeurs familiales à des villageois africains. Nous ne pouvons songer à imposer une culture aux pays d'Extrême-Orient qui existent depuis des millénaires. Nous ne devons pas essayer de le faire. Nous devons inscrire notre action dans le cadre de l'histoire et de la culture nationales. Il nous faut faire preuve de sensibilité pour construire à l'intérieur des cadres préexistants.
Nous avons affaire à des systèmes financiers qui, partout dans le monde en développement, sont vulnérables et sans lesquels nous ne pourrions fonctionner, ni avoir un développement, des investissements, des emplois sûrs. Car si les systèmes financiers s'effondrent, il ne peut y avoir d'emplois stables ni un ensemble de droits fondamentaux.
Nous nous occupons des privatisations, de la corruption, de l'environnement également parce que cette terre sur laquelle nous travaillons est aussi la nôtre. Nous nous occupons des infrastructures, de la dette et des problèmes qu'elle pose à de nombreux pays représentés dans cette salle. Nous intervenons après un conflit en Bosnie, à Gaza, ou en Afrique, dans la région des Grands Lacs. Nous nous occupons des problèmes d'eau, des droits de la femme, des enfants.
Je fais cette énumération pour que vous compreniez que la Banque intervient dans bien des domaines où l'OIT est également impliquée. Certes, nous intervenons à la périphérie quand vous êtes souvent au centre de l'action. Mais, si vous échouez, nous échouons. Si nous ne créons pas dans les pays des conditions favorables aussi bien aux travailleurs qu'aux employeurs, vos discussions sont sans objet. Il nous faut donc travailler la main dans la main face à ce gigantesque problème qu'est le développement.
Voila ce qu'est la Banque. C'est une institution qui se préoccupe de l'individu, qui veut améliorer la vie des habitants de cette terre, défendre les droits fondamentaux de l'homme. Et surtout, la Banque est une institution qui espère l'avènement d'un monde de paix et de sécurité pour nos enfants.
Nous ne sommes pas, contrairement à ce que beaucoup pensent, une institution financière qui ne s'occupe que d'ajustement structurel et n'a d'autre souci que de récupérer son argent. Je ne me réveille pas tous les matins pour demander à mes collègues de réfléchir à la meilleure manière d'appauvrir la planète. Nous n'essayons pas de mettre au point des programmes qui puissent porter préjudice à un secteur quelconque de la société. Notre objectif est le même que le vôtre: assurer une vie meilleure.
Je tiens également à vous dire que nous ne sommes pas dogmatiques. S'il y a une chose que j'ai apprise au cours de ces deux dernières années, c'est que nous sommes tous confrontés à un problème très difficile. Je ne pense pas -- pardonnez-moi de le dire -- qu'aucun d'entre vous ait une réponse globale à apporter au problème du développement, pas plus que je n'en ai une. Il y a un processus que nous devons suivre, un processus d'ajustement, où il nous faut développer des relations les uns avec les autres.
Il n'y a pas de consensus dicté par Washington, et nous n'essayons pas de peser sur la politique interne des pays dans lesquels nous uvrons. Nous n'essayons pas parce que nous n'y sommes pas autorisés -- même si nous le voulions, le conseil des administrateurs ne le permettrait pas -- mais aussi parce que ce ne serait pas correct. Ce que l'on attend de nous, c'est que nous fassions profiter les autres de l'expérience que nous avons acquise en travaillant avec des pays sur des programmes de développement qu'ils voulaient mettre en œuvre.
Ensemble, nous devons affronter l'avenir, l'avenir d'un monde qui grandit, où la pauvreté progresse, où l'environnement est de plus en plus dégradé, et c'est ensemble que nous devons agir.
Il y a de nombreux éléments, dans ce que vous faites, qui complètent ce que nous faisons à Washington. Nous respectons les compétences de l'OIT, nous nous appuyons sur elles et nous avons coopéré avec votre Organisation. Mais je dois vous dire très sincèrement que, par le passé, je ne pense pas que nos relations aient été suffisamment étroites pour nous permettre de relever le type de défis auxquels nous sommes confrontés.
Je suis donc très fier de dire que nous avons fait un grand pas en avant cette dernière année, et je me réjouis à la perspective de voir se renforcer et s'approfondir les liens qui existent déjà entre nous. Nous devons fixer des priorités, ainsi que des objectifs qu'il soit possible d'atteindre, et il nous faut nous tracer des repères qui nous permettent de juger de notre efficacité. Il nous faut abandonner les exercices théoriques, les expressions mutuelles de bonne volonté, pour nous assigner des objectifs, procéder à des réévaluations et nous concentrer sur des projets sur lesquels nous puissions travailler ensemble et partager l'expérience ainsi acquise. Sans aucun doute, dans certains cas, notre expérience sera excellente, dans d'autres cas, elle sera loin de l'être. Nous devons nous attendre à l'un et l'autre car il nous faut avoir le courage d'aller de l'avant, d'expérimenter et de nous attaquer à des problèmes que nous n'avons jusqu'ici ni les uns ni les autres encore abordés.
Au terme de ces deux années, j'ai le sentiment de mieux connaître la condition humaine. Ce que j'ai appris lors de mes visites dans 55 pays, c'est que les hommes ne sont pas très différents. Ils sont peut-être différents du point de vue de leur situation économique, du point de vue de leur histoire, mais fondamentalement ils tiennent à un ensemble de valeurs humaines centrées sur la famille, qui n'appelle pas la charité, mais l'équité et la justice. Que vous vous trouviez dans un village ou dans un bidonville, quand vous parlez aux parents, ils veulent que les enfants aient une meilleure vie. Ils ne veulent pas qu'on leur fasse l'aumône. Tout ce qu'ils demandent, c'est une chance de s'en sortir. Et quand ils voient qu'il y a des gens, dans l'administration ou le secteur privé, qui amassent des profits à leurs dépens, la colère les prend.
Les gens peuvent supporter la pauvreté tant qu'il leur reste un peu d'espoir. Ce qu'ils ne peuvent pas supporter, c'est la pauvreté combinée aux inégalités. Voilà les valeurs communes que j'ai observées, non pas en tant qu'économiste, non pas en tant qu'anthropologue -- ce que je ne suis pas -- mais comme quelqu'un qui a voyagé et regardé autour de lui. Et c'est une vue des choses qui a aussi un sens pour vous tous.
Notre tâche à la Banque, et votre tâche à l'OIT, est de donner à ces gens leur chance, de leur donner une chance de liberté, une chance de développement économique. Il nous faut faire en sorte qu'ils aient le sentiment que la justice existe et que l'environnement social qui les entoure est équitable.
En ce sens, les objectifs de l'OIT et ceux de la Banque sont indissolublement liés. La façon dont nous travaillons est certes différente, mais nous sommes manifestement complémentaires, et je me réjouis sincèrement de pouvoir travailler avec vous, avec le personnel de l'OIT et avec les délégués à la Conférence dans les mois et les années à venir.