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GB.274/3
274e session
Genève, mars 1999


TROISIÈME QUESTION À L'ORDRE DU JOUR

Date, lieu et ordre du jour de la 89e session (2001)
de la Conférence

Table des matières

Date

Lieu

Ordre du jour


Date

1. Conformément aux dispositions adoptées par le Conseil d'administration à sa 254e session (novembre 1992)(1) , il est proposé que la 89e session (2001) de la Conférence internationale du Travail s'ouvre le mardi 5 juin 2001.

Lieu

2. Il est proposé que la session se tienne à Genève.

Ordre du jour

3. La Conférence sera saisie des questions inscrites d'office, à savoir:

4. L'ordre du jour de la 88e session (2000) de la Conférence, tel qu'il a été établi par le Conseil d'administration à sa 271e session (mars 1998), comprend les quatre questions suivantes:

5. Les propositions de programme et de budget pour la période biennale 2000-01 prévoient à des fins de prévisions budgétaires, et sans préjuger de la décision du Conseil d'administration, que trois questions techniques en tout pourraient être inscrites à l'ordre du jour de la Conférence en 2001. Etant donné qu'une seconde discussion sur la sécurité et la santé dans l'agriculture devrait se tenir en 2001, le Conseil d'administration, à sa présente session, aurait ainsi à choisir deux questions techniques pour compléter l'ordre du jour de la 89e session (2001) de la Conférence.

6. Lors de sa 273e session (novembre 1998), le Conseil d'administration a examiné le portefeuille de propositions en vue de la première discussion pour la fixation de l'ordre du jour de la Conférence en 2001(2) . Il a sélectionné un nombre restreint de propositions devant faire l'objet d'un examen plus approfondi à sa présente session et a décidé de demander que des rapports sur la législation et la pratique ou des propositions plus détaillées lui soient soumis sur neuf questions:

  1. Nouvelles dispositions concernant la discrimination dans l'emploi et la profession (action normative).
  2. Investissement et emploi (discussion générale).
  3. Emploi des jeunes (discussion générale).
  4. Promotion des coopératives (action normative).
  5. Nouvelles tendances dans la prévention et le règlement des conflits du travail (discussion générale).
  6. a) Enregistrement et déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles (action normative);
    b) Révision éventuelle de la liste des maladies professionnelles, tableau I de la convention (no 121) sur les prestations en cas d'accidents du travail et de maladies professionnelles, 1964 (action normative).
  7. Substances et produits dangereux - Révision des conventions nos 13 et 136 (action normative).
  8. Sécurité sociale - Questions, défis et perspectives (discussion générale).
  9. Emploi des femmes (discussion générale).

7. On rappellera que les questions nos 2, 3, 4, 5, 6 a) et b) et 8 ont déjà fait l'objet de propositions soumises au Conseil d'administration à sa 271e session (mars 1998)(3) . Ces contributions mises à jour sont reproduites dans le présent document.

8. Conformément à diverses demandes formulées au cours des débats au Conseil d'administration, la liste de questions reproduite ci-dessus ne préjuge pas du type d'action dont elles pourraient faire l'objet lors de la 89e session (2001) de la Conférence. Toutefois, comme il est indiqué ci-dessus, les questions nos 1, 4, 6 a) et b) et 7 sont soumises en vue d'une action normative, et les questions nos 2, 3, 5, 8 et 9 sont présentées en vue d'une discussion générale.

9. Recherches supplémentaires. Lors de l'examen du portefeuille de propositions à la 273e session (novembre 1998), plusieurs membres du Conseil d'administration ont exprimé le souhait que le Bureau accélère ses travaux de recherche sur un certain nombre de questions incluses dans le portefeuille, et en particulier sur la contribution de l'OIT aux opérations de restauration de la paix, le secteur informel, les conditions d'emploi et de travail des travailleurs âgés et l'amélioration de la collaboration et de la coordination entre les institutions et les organes des Nations Unies dans le domaine de la vie professionnelle. Il convient également de rappeler que le Bureau est invité à inscrire à l'ordre du jour de la Conférence la question de l'adoption possible d'instruments internationaux pour la protection des travailleurs se trouvant dans les situations identifiées par la Commission du travail en sous-traitance, dans un délai qui ne dépasse pas quatre ans à compter de 1998, c'est-à-dire à la Conférence internationale du Travail en 2002(4) . En outre, pour ce qui est de la prévention du harcèlement sexuel au travail, le Bureau continuera d'examiner la question, y compris la possibilité de prendre en considération d'autres formes de harcèlement, comme il a été proposé pendant les discussions qui ont eu lieu en novembre au Conseil d'administration. Si le Conseil d'administration en exprime le souhait, le Bureau présentera en novembre 1999 des propositions plus détaillées concernant ces questions.

10. Classification des questions qu'il est proposé d'inscrire à l'ordre du jour de la Conférence. La présentation des questions qu'il est proposé d'inscrire à l'ordre du jour de la Conférence se fonde sur la classification des normes internationales du travail telle qu'approuvée par le Conseil d'administration. Lors des débats sur le portefeuille de propositions, quelques membres du Conseil d'administration ont proposé de classer les propositions par thème en fonction des objectifs stratégiques qui sous-tendent les propositions de programme et de budget pour 2000-01. Si le Conseil d'administration en exprime le souhait, le portefeuille de propositions pour l'ordre du jour de la Conférence qu'il aura à examiner lors de sa 276e session (novembre 1999) pourrait être réagencé en conséquence.

11. Modification du calendrier des décisions visant à inscrire des questions à l'ordre du jour de la Conférence pour discussion générale. Un point soulevé lors de la 273e session (novembre 1998) du Conseil d'administration était de savoir si les questions pour discussion générale pourraient être inscrites à l'ordre du jour de la Conférence à une date plus proche de la tenue effective de la discussion afin qu'il soit possible de choisir des questions d'une plus grande actualité. L'une des conditions de procédure prévues à l'article 11ter du Règlement de la Conférence pour la préparation des questions qui feront l'objet d'une discussion générale est l'élaboration par le Bureau d'un rapport sur la question qui doit parvenir aux gouvernements au plus tard deux mois avant l'ouverture de la session de la Conférence à laquelle la question doit être discutée. En ce qui concerne les questions normatives, l'article 39, paragraphe 1, du Règlement de la Conférence prévoit qu'un rapport sur la législation et la pratique et un questionnaire doivent être envoyés aux Etats Membres de façon à leur parvenir dix-huit mois au moins avant l'ouverture de la session de la Conférence à laquelle la question sera discutée. Dans ce dernier cas, le Bureau doit également disposer d'un délai suffisant pour établir le rapport complet sur la législation et la pratique ainsi que le questionnaire. A l'heure actuelle, les décisions visant à inscrire ces deux catégories de questions à l'ordre du jour - pour action normative et pour discussion générale - sont prises aux sessions de mars du Conseil d'administration, c'est-à-dire vingt-six mois avant la discussion à la Conférence. Aucun obstacle de procédure ne s'oppose donc à ce que les décisions d'inscrire des questions à l'ordre du jour de la Conférence pour discussion générale soient prises à une date plus rapprochée de la tenue effective de la discussion. Néanmoins, toute révision de la procédure actuelle soulèverait une série d'autres problèmes complexes qui font intervenir des considérations politiques, juridiques et logistiques. L'un d'eux concerne les implications à envisager pour l'inscription à l'ordre du jour de la Conférence, en vue d'une discussion préliminaire, d'une question susceptible de faire l'objet d'une action normative. Un autre problème serait de savoir si, et dans quelle mesure, la modification du calendrier restreindrait l'éventail des choix que le Conseil d'administration pourrait effectuer. Il convient également de rappeler qu'à sa 276e session (novembre 1999) le Conseil d'administration examinera la question de savoir comment permettre à la Conférence de prendre en compte de manière effective les décisions visant à réviser des conventions qui résultent, entre autres, des travaux du Groupe de travail sur la politique de révision des normes. Au vu de ce qui prédède, le Conseil d'administration est invité à revenir sur cette question à une date ultérieure.

* * *

1. Nouvelles dispositions concernant la discrimination
dans l'emploi et la profession

 

Résumé

Dans son étude spéciale de 1996 sur la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, la commission d'experts a conclu qu'un certain nombre de motifs pour lesquels la discrimination est interdite dans d'autres normes de l'OIT, dans d'autres normes internationales, et surtout dans les législations nationales, ne sont pas couverts par cette convention. Or la convention no 111 constitue le principal instrument de l'OIT dans le domaine de la lutte contre la discrimination. Il est donc recommandé que le Conseil d'administration envisage l'adoption d'un protocole, qui ne porterait pas révision de la convention en tant que telle mais qui permettrait aux pays l'ayant ratifiée d'accepter formellement des critères additionnels sur la base desquels la discrimination serait interdite. Cela renforcerait la protection offerte par l'OIT contre la discrimination, et permettrait d'harmoniser les normes de l'OIT avec des instruments internationaux plus récents dans le domaine des droits de l'homme adoptés par d'autres organisations et avec une pratique nationale en évolution.


Introduction

12. Dans son étude spéciale de 1996 sur la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations a recommandé qu'on examine la possibilité d'adopter un protocole additionnel à la convention qui introduirait des critères supplémentaires sur la base desquels la discrimination serait interdite en vertu de la convention, afin de tenir compte des changements intervenus dans ce domaine qui sont reflétés dans les législations nationales, et en y incluant des critères qui figurent déjà dans d'autres conventions de l'OIT(5) .

13. La commission d'experts n'a pas proposé de réviser la convention, mais d'y ajouter un protocole qui pourrait être ratifié en sus de cette convention soit par les pays qui l'ont déjà ratifiée, soit au moment de la ratification. La convention no 111, l'une des normes fondamentales de l'OIT, resterait inchangée. Il semble y avoir un accord général sur le fait que la démarche consistant à reprendre et à élargir les critères sur la base desquels la discrimination devrait être interdite dans l'emploi et la profession aurait la préférence si ce sujet était traité.

Etat de la législation et de la pratique nationales

14. La convention no 111 fait obligation aux Etats qui l'ont ratifiée de prendre des mesures pour lutter contre la discrimination dans l'emploi et la profession fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l'opinion politique, l'ascendance nationale ou l'origine sociale. Cependant, la commission a estimé qu'il existait suffisamment d'éléments dans la législation nationale sur la discrimination ou dans d'autres conventions de l'OIT pour justifier l'adoption d'un protocole qui permettrait aux Etats de souscrire des obligations supplémentaires fondées sur tout ou partie des critères suivants (énumérés par ordre alphabétique): âge, état de santé, fortune, handicap, langue, nationalité, orientation sexuelle, responsabilités familiales et situation matrimoniale. Des indications sont données ci-après sur la façon dont ces critères sont traités dans la législation et la pratique nationales.

Age

15. L'âge est un critère très fréquemment mentionné dans les législations nationales récentes. Il se trouve par exemple en Nouvelle-Zélande dans l'article 21 de la loi sur les droits de l'homme du 1er février 1994; en Croatie, il est prévu à l'article 2 de la loi sur le travail de 1995; l'article 23(3) de la nouvelle Constitution de la République d'Equateur adoptée le 5 juin 1998 énonce l'égalité des droits et des chances, ainsi que les libertés reconnues à tous les individus, sans discrimination, notamment sur la base de l'âge; ce critère se trouve également à l'article 5 du Code du travail du Niger de juin 1996, à l'article 26 de la loi organique sur le travail de 1997 du Venezuela, à l'article 4 du Code du travail de Côte d'Ivoire ou à l'article 246 du Code du travail du Tchad. En France, en vertu de l'article L.122-14-11 du Code du travail, une disposition prévoyant une rupture de plein droit du contrat de travail d'un salarié en raison de son âge ou du fait qu'il serait en droit de bénéficier d'une pension de vieillesse serait nulle. La situation est analogue aux Etats-Unis en vertu de décisions judiciaires, érigées ultérieurement en dispositions législatives. L'Australie, selon les rapports du gouvernement sur l'application de la convention no 111, étudie la possibilité de prévenir toute discrimination fondée sur l'âge.

Etat de santé

16. L'état de santé ne devrait pas être un motif acceptable de refus d'un emploi ou de licenciement, en l'absence d'une relation très stricte entre l'Etat de santé présent du travailleur et les exigences professionnelles normales requises pour l'exercice d'un emploi donné. Des mesures de différents types ont été adoptées à cet égard suivant les pays:

Handicap

17. De plus en plus de pays ont adopté des mesures visant à protéger les handicapés et à promouvoir l'égalité de chances entre eux et les autres travailleurs. Le Code du travail du Gabon, entré en vigueur en 1995, contient par exemple en son chapitre 5 une série de dispositions pour la protection des handicapés. D'autres mesures de protection spécifiques des droits des travailleurs handicapés se trouvent dans certaines législations nationales. En Nouvelle-Zélande, il s'agit de mesures pour la protection de l'emploi des personnes handicapées contenues dans les lois sur les personnes handicapées de 1960 et de 1975. En Pologne, on peut citer la loi de 1991 sur l'emploi et la réadaptation professionnelles des handicapés. Plusieurs pays, dont l'Equateur, l'Espagne, le Koweït, le Niger et la Suède, prévoient une législation interdisant de faire une discrimination en matière d'emploi et de profession en raison du handicap.

Orientation sexuelle

18. On observe que, de plus en plus, les Etats Membres se dotent de dispositions législatives protégeant spécifiquement les travailleurs susceptibles de faire l'objet d'une discrimination au motif de leur orientation sexuelle. Des Constitutions interdisent explicitement la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. On trouve de telles interdictions dans la Constitution provisoire de l'Afrique du Sud, dans la Constitution de l'Allemagne ainsi que dans les lois fondamentales des Länder de Brandebourg et de Thuringe. L'article 23(3) de la nouvelle Constitution de l'Equateur adoptée le 5 juin 1998 énonce l'égalité des droits et des chances ainsi que les libertés reconnues à tous les individus, sans discrimination notamment sur la base de l'orientation sexuelle. Une législation interdisant explicitement la discrimination fondée sur le critère de l'orientation sexuelle existe notamment au Danemark, en France et en Nouvelle-Zélande. Aux Pays-Bas, la loi renforce les sanctions pénales punissant notamment tout acte public de haine ou de discrimination motivé par des inclinations sexuelles. En Australie, la loi sur les relations de travail de 1988 cite expressément la nécessité de prévenir et d'éliminer toute discrimination fondée sur les préférences sexuelles.

Champ d'application d'autres normes

19. La commission d'experts a aussi accordé une grande attention, dans l'étude spéciale, à la question des critères additionnels de discrimination qui figurent dans d'autres normes de l'OIT. Bien qu'elle soit le principal instrument de l'OIT en matière de prévention contre la discrimination, la convention no 111 n'aborde pas de nombreux domaines dans lesquels les normes de l'OIT offrent la protection la plus solide - souvent la seule - du droit international. Il s'agit notamment de l'âge(6) , de la nationalité(7) , de l'appartenance syndicale(8) , du handicap(9)  et des responsabilités familiales(10) . L'adoption d'un protocole approprié permettrait de renforcer cette protection et améliorerait la cohérence des activités de conseil et de contrôle de l'OIT en la matière. C'est peut-être là un point particulièrement important dans le contexte du travail de révision de ces normes que l'OIT a entrepris pour en faire un ensemble plus cohérent.

20. Par exemple, la convention (no 158) sur le licenciement, 1982, qui a été adoptée après la convention no 111, interdit le licenciement pour des motifs tels que la race, la couleur, le sexe, l'état matrimonial, les responsabilités familiales, la grossesse, la religion, l'opinion politique, l'ascendance nationale, l'origine sociale ou l'absence de travail pendant le congé de maternité. La convention (no 156) sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales recommande la protection des personnes contre la discrimination, telle que définie dans la convention no 111, sur la base de leurs responsabilités familiales.

21. Enfin, les normes sur les droits de l'homme qui ont été adoptées par d'autres organisations internationales depuis l'adoption de la convention de l'OIT en 1958 ont élargi la protection apportée en matière de discrimination par la législation internationale, sans que la convention la plus importante de l'OIT sur ce sujet ne couvre tous ces critères(11) . La commission d'experts a déclaré que «afin d'être cohérent avec la législation internationale sur les droits de l'homme, il conviendrait de tenir compte de cette législation lors de l'examen de la présente convention». Parmi ces autres instruments, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ICESCR) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR), tous deux adoptés en 1966 et désormais largement ratifiés, contiennent tous deux le paragraphe suivant:

La commission a aussi évoqué, au niveau régional, la Convention européenne des droits de l'homme, adoptée en 1950, qui interdit en son article 14 toute discrimination fondée sur «le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, l'association avec une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation»(12) .

Conclusions

22. Le Conseil d'administration est par conséquent invité à réexaminer la proposition de la commission d'experts d'examiner un protocole à la convention no 111 énonçant d'éventuels critères additionnels de discrimination. La commission a recommandé au Conseil d'administration et à la Conférence d'examiner deux solutions possibles. La première consisterait à permettre aux Etats de ratifier le protocole et de choisir ceux des critères additionnels énumérés dans celui-ci qu'ils souhaiteraient accepter en tant qu'obligation supplémentaire au titre de la convention (voir la liste indicative figurant plus haut). La seconde consisterait à adopter un «noyau dur» de critères qui devraient être acceptés lors de la ratification du protocole, tout en laissant les Etats libres d'accepter d'autres critères figurant dans la liste, formule qui a été accueillie favorablement par la plupart de ceux qui l'avaient mentionnée lors de consultations antérieures. La commission a considéré que cela devrait être fait sans modifier l'instrument existant, simplement en adoptant un protocole qui pourrait être ratifié librement.

23. La commission d'experts a aussi noté qu'il existe déjà dans la convention no 111 une disposition permettant au gouvernement de souscrire des obligations en vertu de critères autres que ceux énumérés dans la convention. L'article 1, paragraphe 1 b), dispose que la définition de la discrimination peut être modifiée de façon à inclure toute autre distinction, exclusion ou préférence qui pourra être déterminée par le Membre intéressé après consultation des organisations représentatives des employeurs et des travailleurs. Certains orateurs lors de précédentes consultations auraient préféré que l'on suive cette voie, mais la commission d'experts a proposé le protocole, qui lui a paru un meilleur moyen de permettre aux Etats d'élargir les critères qui figurent dans la convention. On peut aussi noter que la suggestion faite aux gouvernements par la commission d'experts d'avoir recours au paragraphe 1 b) de l'article 1 n'a pas encore reçu un accueil favorable.

24. On peut concevoir que le protocole différerait de l'article 1, paragraphe 1 b), sur plusieurs points importants. Il convient de noter que le texte de la convention n'indique pas clairement la manière dont la détermination susvisée devrait être prise ou communiquée à la commission d'experts, alors qu'un protocole, au contraire, serait clairement ouvert à une ratification expresse. Une fois adopté, le protocole devrait être soumis aux autorités compétentes de tous les Etats Membres de la même manière que les conventions et recommandations, de sorte qu'il devrait faire l'objet d'un examen officiel de la part des gouvernements. Les gouvernements qui ont ratifié la convention ne sont pas tenus de procéder à des consultations officielles sur les critères de discrimination prévus par la convention no 111, et il apparaît en fait qu'ils ne le font pas.

25. Pour les gouvernements, la ratification du protocole constituerait une obligation internationale ainsi qu'un engagement public de respecter les critères qu'ils ont acceptés, engagement autour duquel pourraient s'articuler les mesures prises contre la discrimination dans l'emploi et la profession. Moyennant des modalités diverses pour les différents systèmes juridiques nationaux, cette ratification permettrait d'inscrire les critères retenus dans la législation nationale et les engagements internationaux d'une manière que ne permettrait pas une déclaration volontaire au titre de l'article 1 de la convention. Enfin, il n'y a pas de contradiction entre la formule du protocole additionnel et celle des déclarations additionnelles faites en vertu de l'article 1 de la convention - ces deux approches sont compatibles et pourraient se compléter si les gouvernements envisageaient de recourir à la procédure prévue par la convention.

* * *

2. Investissement et emploi
 

Résumé

La mondialisation a accru l'importance de l'investissement privé au niveau national. Au niveau mondial, l'investissement étranger direct (IED), que les entreprises réservent à un petit nombre de pays, a largement remplacé l'investissement public, comme l'aide au développement. La part des investissements de portefeuille a augmenté. Ces tendances ont un impact considérable sur le niveau et la structure de la croissance économique, de l'emploi et de la répartition du revenu.

Ainsi qu'il a été précisé dans les conclusions du rapport intitulé «Politiques de l'emploi dans une économie mondialisée» soumis à la session de 1996 de la Conférence internationale du Travail, l'investissement est un élément crucial du processus de création d'emplois et de croissance de la production. Depuis lors, l'impact sur les marchés du travail, qui demeurent des marchés locaux, des marchés de capitaux, qui deviennent de plus en plus des marchés mondiaux, suscite de plus en plus de préoccupations.

Les gouvernements, les syndicats et les organisations d'employeurs disposent de plusieurs moyens pour encourager les investissements en général, et surtout ceux qui ont des effets positifs sur l'emploi, même si le rôle d'investisseur et de fournisseur de financements de l'Etat a nettement diminué. Les changements qui sont intervenus dans la composition, la localisation et les sources de financement des investissements ont influé sur le choix des moyens utilisés pour orienter les décisions prises essentiellement par des entreprises en matière d'investissement.

La discussion sur l'investissement et l'emploi se trouve motivée par la question sous-jacente des moyens à utiliser pour créer, grâce à l'investissement, des emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité dans le contexte changeant de la prise de décisions, surtout dans les domaines où on en a le plus besoin: dans les pays les moins développés, dans les régions les moins développées à l'intérieur d'un même pays et dans les petites entreprises.


Le rôle de l'Etat en tant qu'investisseur
et contributeur aux investissements

Problématique

26. Un peu partout dans le monde, le capitalisme d'Etat est en train de céder la place à la propriété privée, et les monopoles à la concurrence. Des programmes de privatisation massive ont été mis en œuvre dans la plupart des régions du monde, et l'Etat a assisté à une régression de son rôle de propriétaire des moyens de production et à une transformation de son rôle d'investisseur.

27. Jusqu'au milieu des années quatre-vingt, l'investissement privé et l'investissement public ont suivi à peu près la même trajectoire. Depuis lors, le niveau des investissements privés a augmenté. Avec la privatisation des industries, la déréglementation et la stabilisation de l'économie ont accru les possibilités de croissance, et de nouveaux secteurs, dont celui de l'infrastructure, se sont ouverts à l'investissement privé.

28. Aujourd'hui, ce sont de plus en plus les services sociaux, et surtout les ressources humaines, qui bénéficient des investissements publics. La mise en valeur des ressources humaines fournit d'excellentes possibilités d'investissement de par sa contribution à une croissance économique durable. On a ainsi pu constater une étroite corrélation entre le nombre des inscriptions scolaires et les taux de croissance moyens. Il ne saurait y avoir de croissance et d'emploi à long terme sans une population éduquée. Malgré cela, l'enseignement et la formation font partie des principales cibles des coupures budgétaires opérées dans beaucoup de pays avancés.

29. D'investisseur, l'Etat est devenu promoteur de l'investissement privé: même lorsqu'un réseau et des services de télécommunications sont fournis par des sociétés privées, l'Etat est censé jouer un rôle de promotion et de développement pour faciliter et assurer l'afflux des investissements dans ce secteur. Ce rôle englobe la recherche et le développement, les réseaux pilotes, la politique d'achat, l'infrastructure de base, etc. Les télécommunications constituent l'exemple type des industries sans lesquelles il ne saurait y avoir d'entreprises modernes en réseau tout en étant un secteur d'activité qui nécessite une infrastructure sophistiquée à partir de la connectivité physique brute. L'entreprise en réseau est l'unité réelle de fonctionnement de l'activité entrepreneuriale et se compose de différentes entreprises ou de segments d'entreprises, mais aussi de consultants et de travailleurs temporaires rattachés à des projets bien précis. Les agents du projet entrepreneurial constituent pour chaque projet une entreprise qui se définit par sa tâche et sa performance, et non par ses frontières juridiques.

30. L'Etat alloue également des fonds publics aux investissements du secteur privé, que ce soit dans le cadre national ou à l'échelle internationale. Ce type de financement est généralement soumis à certaines conditions, comme la mise en place d'un programme d'ajustement.

31. Au niveau national, différentes mesures d'encouragement à l'investissement sont prises dans le cadre de la création d'emplois: des dons ou des crédits d'un certain montant sont accordés pour les investissements destinés aux entreprises qui s'engagent à accroître l'emploi net d'un nombre moyen déterminé de postes à plein temps au cours d'une année budgétaire. Bien que leurs effets positifs à court terme soient évidents puisqu'il y a création d'emplois, ces formes d'encouragement sont sujettes à caution. Elles ne sont valables que si l'entreprise ne peut pas se permettre autrement de réaliser un investissement qui améliorerait véritablement sa performance.

32. Il est de plus en plus admis que la compétitivité des petites et moyennes entreprises et leurs chances de survie sont étroitement tributaires de la qualité des réseaux d'entreprises ou entreprises-institutions dont elles font partie. C'est ce qui explique l'intérêt porté aux besoins des groupes d'entreprises, plutôt qu'à ceux des entreprises isolées. Les entreprises peuvent collaborer pour des questions telles que l'amélioration des produits ou la formation, et l'initiative peut venir soit des entreprises elles-mêmes, soit d'un organisme public, d'un institut de formation local ou, comme pour la Garment Industry Development Corporation de New York, d'un organisme tripartite. Ces groupes d'entreprises sont, de par leur nature, des groupes régionaux ou sous-régionaux, et en encourageant la création de groupes on peut aider le développement, l'investissement et l'emploi au niveau local.

33. A l'échelle internationale, les dons et crédits font partie des programmes d'ajustement. Le choix des instruments à utiliser pour promouvoir la croissance et l'emploi est un élément important de la conception des programmes d'ajustement. Si, dans certains pays, où ils ont été véritablement appliqués, ces programmes sont effectivement synonymes de croissance, dans bien des régions, seul le nombre des pauvres continue à augmenter, même avec un programme d'ajustement rigoureux. On reproche à ces programmes de ne tenir aucun compte des conditions et traditions locales: en Afrique, ils oublient souvent que la plupart des gens vivent dans des régions rurales et sont de petits propriétaires travaillant à leur compte, et les programmes d'ajustement qui font pencher la balance du côté du secteur rural et qui privilégient une croissance de l'agriculture à base très large offrent, par conséquent, la possibilité la plus immédiate d'atténuer la pauvreté et de promouvoir la croissance économique.

Points pour la discussion

34. Parmi les points à discuter sous cette rubrique, il pourrait y avoir les points suivants:

Ciblage des investissements

Problématique

35. Dans pratiquement toutes les industries, on observe aujourd'hui dans le monde entier le déplacement de la production à forte intensité de main-d'œuvre vers une production à forte intensité de capital.

36. Les avancées technologiques ont permis de trouver des solutions techniques pour différentes tâches qui se faisaient autrefois manuellement. Le caractère imprévisible de la conjoncture économique pour beaucoup d'entreprises les a rendues plus prudentes lorsqu'il s'agit de recruter des travailleurs.

37. Pour une entreprise, la décision de recruter et la décision d'investir sont deux mécanismes similaires, en ce sens qu'il n'est souhaitable de recruter un travailleur que lorsque la valeur courante nette d'une telle décision est positive. L'entreprise doit comparer le coût d'un investissement dans la main-d'œuvre et celui d'un investissement en machines et en matériel. Dans bien des cas, la main-d'œuvre est plus flexible que les machines. L'augmentation des coûts unitaires de main-d'œuvre contribue à l'érosion de la compétitivité.

38. La question clé dans la discussion sur les coûts de main-d'œuvre est celle de la flexibilité: la garantie de l'emploi nuit à la flexibilité du marché du travail; en général, elle réduit la flexibilité numérique, mais favorise la flexibilité fonctionnelle.

39. Le degré de sécurité de l'emploi que les entreprises sont prêtes à assurer dépend en partie de l'importance de leur investissement en main-d'œuvre. L'entreprise sait bien qu'en assurant la sécurité de l'emploi elle accroît le rendement des investissements qu'elle a réalisés dans la formation de la main-d'œuvre et le développement des compétences, tant spécifiques que générales. Par conséquent, les travailleurs peu qualifiés sont plus vulnérables en période de crise dans le secteur concerné et dans la région.

40. Outre la législation du travail et la négociation collective, la législation fiscale affecte les coûts de main-d'œuvre et l'emploi. Les charges sociales sont souvent plus lourdes à supporter que l'impôt sur le capital. Les charges sociales du salarié et de l'employeur, qui permettent de financer différents transferts sociaux, sont au centre de la discussion sur la relation entre fiscalité et création d'emplois. Les charges sociales augmentent le coût relatif de la main-d'œuvre et freinent le désir de création d'emplois des entreprises. En outre, les charges fiscales n'étant pas indexées sur les profits, elles pèsent lourdement sur l'entreprise en période de crise.

41. L'importance des coûts de main-d'œuvre dans les pays développés fait partie des arguments qui sont avancés en faveur d'un investissement dans des technologies à forte intensité de capitaux et économes en main-d'œuvre et d'un transfert vers les pays à faible coût production. Cela a eu pour effet d'accroître le chômage structurel, dont le coût n'a fait qu'alourdir la charge fiscale, ce qui a entraîné une augmentation des taux de fiscalité, décourageant encore plus l'investissement et, par là-même, la création d'emplois.

42. Les petites et moyennes entreprises sont à l'origine d'une grande partie des emplois créés, mais d'une partie beaucoup plus réduite de l'investissement. Cela est inévitable, compte tenu du fait que les industries à forte intensité de capital sont généralement composées de grosses entreprises. Toutefois, beaucoup de petites et moyennes entreprises ont besoin d'un niveau d'investissement plus élevé pour se développer, pour améliorer la qualité des produits et pour mieux faire face à la concurrence. Avec des investissements plus importants, on peut réduire l'inefficacité et le gaspillage dû aux faillites, et avec un équipement de meilleure qualité l'entreprise peut recruter des travailleurs plus qualifiés, contribuant ainsi à la généralisation d'une culture de la formation dans l'économie. Les petites et moyennes entreprises sont freinées, dans leur désir d'expansion et d'accroissement du profit, par un certain nombre d'obstacles comme les problèmes de commercialisation, d'achat et de localisation.

43. Les charges patronales n'ont évidemment pas le même poids dans les petites entreprises et dans les grosses entreprises, et ce pour plusieurs raisons. En effet, ces charges représentent une partie beaucoup plus importante de la fiscalité totale dans les petites entreprises; les dépenses administratives y sont plus élevées; les petites entreprises sont généralement des entreprises à forte intensité de main-d'œuvre et ont tendance à recruter des travailleurs peu qualifiés et moins bien rémunérés; les effets à court terme de l'ajustement sur le marché peuvent peser plus lourdement sur le cash-flow des petites entreprises, et les charges sociales ne sont pas indexées sur le profit.

Points pour la discussion

44. Parmi les points à discuter sous cette rubrique, il pourrait y avoir les points suivants:

Localisation des investissements

Problématique

45. Les décisions d'investissement et de production des entreprises se prennent aujourd'hui à l'échelle internationale. Les investisseurs fondent leurs décisions concernant les dépenses d'équipement sur le volume potentiel des ventes, le potentiel de matières brutes, la proximité à l'égard des clients, les demandes des clients, la structure du marché et des coûts et les conditions politiques et juridiques du moment.

46. La mondialisation offre aux investisseurs sur les marchés de capitaux internationaux une gamme plus large de possibilités d'investissement, des rendements plus élevés pour leur épargne et une diversification plus poussée de leur portefeuille. Pour l'économie mondiale, la mondialisation favorise une meilleure répartition des ressources dans le monde et, de ce fait, plus de croissance, d'investissement et d'emplois dans le monde.

47. Les investissements, y compris l'investissement étranger direct qui contribue directement à l'emploi, sont répartis de manière inégale entre les régions et les pays. Les pays et régions qui ne sont pas capables de participer à l'expansion du commerce international ou d'attirer des investissements privés importants courent le risque de se laisser distancer. Ce sont les pays et les régions qui ont le plus besoin des échanges, des investissements et de la croissance que la mondialisation pourrait apporter qui risquent le plus d'être marginalisés.

48. Les pays en développement ont drainé 37 pour cent de l'investissement étranger direct en 1997, contre 17 pour cent au début de la décennie. Toutefois, parmi les pays en développement, l'investissement étranger direct se concentre sur un petit nombre de pays et de régions. Les principaux bénéficiaires en sont l'Asie de l'Est et le Pacifique, l'Amérique latine et les Caraïbes. Comparée à d'autres parties du monde, l'Afrique a encore un faible volume d'investissement étranger direct, ce qui est préoccupant. Entre 1991 et 1996, l'Afrique a obtenu moins de 5 pour cent de l'investissement étranger direct total destiné aux pays en développement.

49. L'absence d'investissement étranger direct s'explique par diverses raisons, et on ne comprend pas encore vraiment la relation qui existe entre elles. En plus des raisons économiques, il y a des raisons politiques qui sont liées, à leur tour, à d'autres considérations économiques. L'instabilité politique et la méfiance à l'égard des gouvernements apparaissent souvent comme les grandes coupables. Un investisseur hésitera à s'engager si les réformes entreprises dans un pays ne lui paraissent pas encore bien enracinées, ou si l'investissement privé ne lui paraît pas être un objectif vraiment important pour le gouvernement. Certains observateurs font remarquer qu'il n'y a pas vraiment de secteur privé organisé dans ces pays. Enfin, les risques encourus par les investisseurs étrangers sont relativement élevés, et les résultats peu satisfaisants.

50. Bien que les avantages de la mondialisation et de l'investissement direct étranger soient reconnus, la mondialisation suscite aussi des craintes. D'après certains, les entreprises multinationales auraient transféré des emplois des pays avancés vers les pays en développement décidant d'investir et de produire à des fins d'exportation dans des zones économiques spéciales, et les gouvernements auraient encouragé, avec la libéralisation du commerce, la substitution des biens produits dans le pays par des biens produits à l'étranger.

51. Les zones économiques spéciales font partie des nombreux avantages qu'offrent les gouvernements pour attirer l'investissement étranger direct. En gros, on peut dire que les zones économiques spéciales, qui donnent un statut de libre-échange aux exportateurs, constituent une étape pratique pour les pays qui ne peuvent pas passer rapidement à un régime de libre-échange. Les zones de libre-échange et les zones franches sont des zones dans lesquelles les produits étrangers ou nationaux peuvent pénétrer sans formalités douanières ni paiement de droits de douane ou d'impôts indirects. Alors que les zones franches se spécialisent dans la fabrication de produits à des fins d'exportation, dans les zones de libre-échange il y a aussi importation. Toutefois, l'attitude adoptée à leur égard varie considérablement. Là où ils fonctionnent bien, en Asie de l'Est par exemple, ces systèmes contribuent énormément au succès des exportations de produits manufacturés. Or, ce succès est générateur non seulement de croissance économique, mais aussi d'un élan en faveur d'une libéralisation des échanges. Il faut toutefois préciser que les exploitants des zones économiques spéciales ont été accusés entre autres de violations des droits de l'homme.

52. Plusieurs organisations régionales ayant pour but d'assurer l'intégration économique ont été créées pour orienter la mondialisation. En ce qui concerne l'intégration régionale, on peut signaler trois tendances. Tout d'abord, les zones de libre-échange finissent pas donner lieu à une intégration économique plus poussée. En outre, on constate soit le remplacement d'une entreprise par une nouvelle, soit l'ajout de nouveaux éléments à l'entreprise existante. Enfin, les zones d'intégration économique continuent à s'agrandir soit par la fusion de plusieurs entreprises, soit par l'admission de nouveaux membres dans les groupes existants. Les accords de coopération entre groupes régionaux sont de plus en plus nombreux.

Points pour la discussion

53. Parmi les points à discuter sous cette rubrique, il pourrait y avoir les points suivants:

Financement des investissements

Problématique

54. Dans la plupart des pays en développement, les taux d'intérêts publics et privés sont beaucoup trop bas et ne permettent pas de financer les niveaux d'investissement prévus.

55. Les capitaux privés ont supplanté l'aide officielle au développement comme principale source de financement externe des pays en développement, avec 85 pour cent du total en 1997, contre 41 pour cent seulement en 1990. Entre 1990 et 1997, les décaissements des organismes d'aide officiels ont diminué de 15 pour cent, après avoir atteint près de 60 pour cent des flux de ressources nets à long terme destinés aux pays en développement. Il y a également eu une diminution en termes absolus qui s'explique par un meilleur accès d'un nombre de plus en plus grand de pays en développement aux marchés financiers ainsi que par une baisse de la demande d'aide officielle destinée à financer l'investissement du secteur public comme les projets d'infrastructure.

56. On remarquera, toutefois, que les flux privés d'investissement étranger direct se concentrent très fortement sur un tout petit nombre de pays, de secteurs et d'emprunteurs: 75 pour cent des flux de capitaux privés nets vont à une douzaine de pays, parmi lesquels on trouve les pays en développement les plus importants. Il y a donc plus de 100 pays en développement qui ont peu accès au financement privé. Même parmi les pays qui reçoivent des capitaux privés, seul un petit nombre de privilégiés peut obtenir des prêts, qui sont destinés essentiellement aux industries extractives, à l'infrastructure et au secteur financier.

57. Cette concentration donne à penser que les banques de développement multilatérales devraient jouer un rôle plus sélectif dans le financement du développement au XXIe siècle et se concentrer sur les domaines qui ne sont pas financés convenablement par d'autres sources. Cela pose un problème à ces banques, car il ressort de certaines études sur l'efficacité de l'aide que, pour avoir davantage d'impact, elles doivent concentrer leur aide sur les pays dont les politiques et les institutions soutiennent suffisamment le développement. Ce sont aussi, en général, les pays qui intéressent le plus les investisseurs privés. Cela pose la question de savoir si les pays en développement qui ont suffisamment accès au financement privé ne devraient pas cesser de recevoir des prêts de ces banques. Par ailleurs, il sera probablement difficile de dire à partir de quel point il devrait en être ainsi, les différences de niveau de développement et d'accès au financement étant aussi importantes dans un même pays qu'entre ces différents pays: par exemple, il y a une très grosse différence de niveau de vie entre la Chine côtière et l'intérieur du pays, et entre São Paulo et Manaus.

58. La demande de prêts fondés sur une politique, qui demeurent l'un des principaux moyens d'action de la Banque mondiale, continuera probablement à fluctuer. L'importance des plans de sauvetage a augmenté ces dernières années avec chaque grande crise. Avec la poursuite de la libéralisation, on pourrait observer une volatilité encore plus grande. Les banques de développement multilatérales pourraient ainsi garder leur rôle de prêteurs de dernier recours même lorsqu'elles auront cessé de jouer un rôle dans le financement de l'investissement.

59. Le financement privé des investissements a radicalement changé de structure ces dernières années. Jusqu'ici, les transactions entre emprunteurs et épargnants passaient par les banques et les sociétés de placement, les banques prêtant les fonds des dépositaires directement aux entreprises, et les sociétés de placement fournissant les nouveaux titres émis aux investisseurs, aux fonds de pensions et aux compagnies d'assurance. Deux phénomènes importants sont venus modifier cette conception traditionnelle de l'intermédiation financière.

60. Tout d'abord, du côté de l'offre, les institutions financières non bancaires ont lentement remis en question les atouts traditionnels des banques en facilitant la désintermédiation et en offrant des services financiers qui étaient jusque-là fournis presque exclusivement par les banques. Les banques d'investissement, les sociétés de placement, les gérants de fortune, les fonds communs de placement, les compagnies d'assurance, les sociétés de financement, les fonds de couverture et même les sociétés de télécommunications, de logiciels et de denrées alimentaires commencent à fournir des services qui ne sont pas différents de ceux que fournissaient les banques jusqu'ici.

61. En ce qui concerne la demande, beaucoup de ménages ont court-circuité les dépôts bancaires et les sociétés de placement, préférant confier leur argent à des institutions qui sont mieux à même de diversifier les risques, de réduire la charge fiscale et de profiter des économies d'échelle. Cela a entraîné une augmentation spectaculaire en dimension et en sophistication des institutions qui ont pour fonction principale d'investir de l'argent, de plus en plus à l'échelle mondiale, pour le compte des ménages.

62. Les secteurs financiers non bancaires des grandes économies avancées sont très importants. Dans les pays du G7, les compagnies d'assurance, les fonds de pensions, les sociétés d'investissement et d'autres investisseurs institutionnels non bancaires ont géré en 1995 des avoirs évalués à plus de 20 000 milliards de dollars des Etats-Unis, ce qui représente près de 110 pour cent du PIB de tous les pays du G7, ou plus de la moitié de la valeur de toutes les obligations et actions de ces pays, et 90 pour cent de tous les actifs des systèmes bancaires de ces pays. Les mouvements de capitaux financiers internationaux se sont énormément développés sous l'effet conjugué de la déréglementation financière et de l'innovation. Par exemple, les transactions transfrontières concernant les obligations et actions ont connu une ascension spectaculaire dans les grands pays industrialisés, passant de moins de 10 pour cent du PIB en 1980 à un pourcentage compris entre 150 et 250 pour cent en 1995.

63. Bien que les investissements de portefeuille puissent apporter une contribution importante au financement du capital social d'une entreprise locale, les pays d'accueil ont exprimé quelques préoccupations, en particulier en ce qui concerne la volatilité de ces flux et leurs effets sur les taux de change et les taux d'intérêt. Les politiques fiscales ont souvent soutenu l'augmentation de la part des investissements de portefeuille.

64. L'abondance des sources pousse les entreprises à utiliser les fonds extérieurs le moins possible. Les investissements sont maintenus à un niveau élevé, même lorsque le rendement est relativement bas.

65. Depuis quelques années, on discute dans beaucoup de pays avancés de la question de savoir s'il faut augmenter le placement rentable des recettes du secteur public. La discussion a porté plus précisément sur les fonds de différents programmes d'assurance sociale, en particulier les fonds de sécurité sociale. Ces fonds sont normalement placés dans des secteurs qui sont considérés comme des investissements sûrs, comme les titres de l'Etat, qui sont essentiellement des obligations à long terme. Toutefois, ces fonds pourraient obtenir un rendement beaucoup plus élevé en investissant dans des actions. Il y a aussi, du moins en théorie, d'autres possibilités: le gouvernement ou tout autre décideur pourrait financer des investissements susceptibles de créer des emplois.

Points pour la discussion

66. Parmi les points à discuter sous cette rubrique, il pourrait y avoir les points suivants:

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3. Emploi des jeunes
 

Résumé

Il est souvent difficile pour les jeunes d'accéder à un emploi productif, et le chômage des jeunes est chronique dans un grand nombre d'Etats Membres. A quelques exceptions notables près, le taux de chômage dans cette tranche d'âge est de par le monde bien plus élevé que celui des adultes. On trouvera ci-après un exposé du problème, suivi d'un résumé des travaux sur la question récemment menés par l'OIT. L'Organisation a en effet défini un certain nombre d'éléments qui pourraient aider à trouver des solutions efficaces: il convient de considérer la situation économique dans son ensemble ainsi que la situation de l'emploi; les politiques relatives à l'emploi des jeunes doivent s'inscrire dans un cadre intégré, qui prenne également en compte les politiques en matière d'éducation; les programmes doivent être soigneusement ciblés et il faut prêter davantage attention à la situation des jeunes dont le niveau d'instruction et de compétence est faible. Dans de nombreux pays, en outre, on manque d'informations pertinentes et récentes concernant le marché du travail. Ces données seraient utiles pour l'élaboration des politiques et permettraient aux jeunes d'avoir une meilleure connaissance des offres disponibles. De même, la réalisation d'un programme ne s'accompagne que rarement de mécanismes de suivi et d'évaluation, bien que cela soit très important pour déterminer quels sont les programmes qui fonctionnent et à quoi cela est dû. Des études ont démontré que, lorsque les organisations d'employeurs et de travailleurs participent à l'élaboration et à la mise en œuvre des politiques et programmes, ils sont plus efficaces.

Divers sujets sont suggérés en vue de la discussion: quels types de programmes sont appropriés et dans quels cas; peut-on prévoir un salaire minimum réduit pour les jeunes ou leur verser des allocations de formation réduites en échange d'une formation de haut niveau dispensée par l'employeur; quels sont les mécanismes propres à encourager la participation des partenaires sociaux; le rôle de la scolarité obligatoire; la formation doit-elle être dispensée par les établissements d'enseignements ou par les employeurs, ou par les deux; le rôle de l'orientation professionnelle; au-delà de leur volume, la question de la qualité des emplois destinés aux jeunes; les programmes de formation doivent-ils être obligatoires; le rôle des mesures destinées à favoriser l'emploi indépendant.


Aperçu général

67. Il est souvent difficile pour les jeunes d'accéder à un emploi productif, et le chômage des jeunes est chronique dans un grand nombre d'Etats Membres. A quelques exceptions notables près, le taux de chômage des jeunes est de par le monde bien plus élevé que celui des adultes; de récentes estimations de l'OIT montrent qu'au moins 60 millions d'entre eux sont au chômage dans le monde et qu'en moyenne leur taux de chômage est trois fois plus élevé que celui des adultes.

68. Dans les pays membres de l'OCDE, le taux de chômage du groupe des 15-24 ans était de 13,6 pour cent en 1996, c'est-à-dire plus de deux fois plus élevé que celui des adultes (5,9 pour cent), ce qui signifie que plus de 11 millions de jeunes sont au chômage dans ces pays.

69. Pour ce qui est des pays en développement, on ne dispose pas de chiffres aussi complets. Toutefois, les données existantes laissent entrevoir un écart encore plus grand entre le taux de chômage des jeunes et celui des adultes que dans les pays industrialisés. En Indonésie, par exemple, le taux de chômage des jeunes femmes était de 12,5 pour cent en 1994, contre 2,2 pour cent pour les adultes. Les chiffres correspondants pour les hommes étaient de 11,9 pour cent et de 1,6 pour cent, respectivement. Au Zimbabwe, en 1993, le taux de chômage se situait aux environs de 21 pour cent pour les jeunes hommes et de 11 pour cent pour les jeunes femmes, alors que, toutes tranches d'âge confondues, il était de 9,5 pour cent pour les hommes et de 4,5 pour cent pour les femmes. En Jamaïque, en 1995, le taux de chômage des jeunes femmes atteignait 43,9 pour cent et celui des jeunes hommes 25 pour cent. En comparaison, le taux de chômage des femmes adultes était de 14,7 pour cent et celui des hommes de 5,5 pour cent. En outre, dans les pays en développement, au problème du chômage déclaré des jeunes viennent s'ajouter un niveau élevé de sous-emploi et la médiocre qualité des emplois dans le secteur non informel. Le fait que ces deux phénomènes sont largement répandus donne à penser que le problème de l'accès des jeunes au marché du travail dans les pays en développement est encore plus grave que ne le laisse supposer l'examen des taux de chômage déclaré.

70. Dans les économies en transition, on retrouve les mêmes tendances. En raison des fortes réductions de la production qu'ont connues un grand nombre d'économies en transition, le problème est encore plus grave que dans de nombreux pays industrialisés. En Pologne, par exemple, malgré une reprise partielle de la production, le chômage des jeunes était de 24,7 pour cent en 1997, contre 8 pour cent pour les adultes. La même année, en Hongrie, le taux de chômage des jeunes atteignait 16 pour cent alors que celui des adultes était de 7,5 pour cent. Ces dernières années, par suite du processus de transition rapide vers l'économie de marché qui a eu lieu dans ces pays, de nombreux jeunes sont sortis du système économique.

71. Le chômage et le sous-emploi des jeunes est un problème grave. Le chômage des jeunes est en général de plus courte durée que celui des adultes, mais les modes de comportement qui s'établissent tôt dans la vie sont susceptibles de perdurer tout au long de la vie professionnelle. Les personnes confrontées au chômage en début de carrière sont plus exposées au risque d'être ultérieurement à nouveau sans emploi et pendant des périodes plus longues, ce qui compromet définitivement leur employabilité. De même, le sous-emploi et les emplois de qualité médiocre offerts par le secteur informel sont des cercles vicieux, qui condamnent les jeunes à une vie d'emplois précaires et marginaux. En outre, le manque d'emplois productifs et librement choisis, au départ, ouvre la voie à d'autres problèmes sociaux tels que la délinquance et la toxicomanie, qui peuvent être très difficiles à résoudre par la suite.

72. Il faut également savoir quels groupes de jeunes requièrent une attention particulière. Sont considérés comme jeunes par l'ONU les individus âgés de 15 à 24 ans. Toutefois, les jeunes de ce groupe d'âge ne rencontrent pas tous les mêmes problèmes. En particulier, les adolescents (15-19 ans) connaissent sur le marché du travail des difficultés tout à fait différentes de celles qu'ont à affronter les jeunes adultes (20-24 ans).

73. Il y a en outre dans la catégorie des jeunes un certain nombre de sous-groupes qui doivent retenir l'attention. Par exemple, les jeunes femmes connaissent un taux de chômage plus élevé ou un taux d'activité plus faible que les jeunes hommes. De même, les minorités ethniques ont souvent plus de difficultés à accéder à un emploi productif, tout comme les personnes ayant un faible niveau d'instruction et de qualification. Dans de nombreux pays en développement se pose le problème des «chômeurs instruits», bien que, quantitativement, ceux-ci ne représentent qu'un groupe relativement réduit. Eu égard aux niveaux de sous-emploi et d'emplois de qualité médiocre du secteur informel, le problème le plus grave concerne les jeunes insuffisamment qualifiés pour accéder à un emploi productif, notamment ceux qui ont un faible niveau d'instruction et de qualification.

Le contexte international

74. Un grand nombre d'Etats Membres se préoccupent de l'entrée des jeunes dans la vie active et de la qualité de leur emploi. Dès le départ, l'OIT a adopté des conventions et des recommandations destinées à améliorer la condition des jeunes. La convention (no 4) sur le travail de nuit (femmes), 1919, la convention (no 5) sur l'âge minimum (industrie), 1919, et la convention (no 6) sur le travail de nuit des enfants (industrie), 1919, contiennent des dispositions visant à protéger les jeunes travailleurs. Plus récemment, l'attention s'est portée sur la question de l'intégration effective des jeunes dans la vie active. A cet égard, il convient de citer le rapport présenté à la 72e session de la Conférence internationale du Travail, en 1986, et la résolution concernant les jeunes adoptée cette année-là par la Conférence(13) . En 1996, la Conférence internationale du Travail, à sa 83e session, a adopté les Conclusions concernant la poursuite du plein emploi dans une économie mondialisée: responsabilité des gouvernements, des employeurs et des syndicats(14) . Il est dit dans ces conclusions que les pays devraient élaborer et appliquer des mesures spéciales pour renforcer l'employabilité des groupes particulièrement exposés tels que les jeunes travailleurs. A la Conférence internationale du Travail de 1998, l'OIT a adopté une résolution concernant l'emploi des jeunes(15)  qui invite les Etats Membres et, le cas échéant, les employeurs et les travailleurs et leurs organisations respectives, entre autres:

La résolution appelle également le Conseil d'administration du Bureau international du Travail à envisager d'inscrire, dès que possible, à l'ordre du jour de la Conférence internationale du Travail, une question concernant l'emploi des jeunes en vue d'une discussion générale.

75. Plusieurs initiatives présentant un intérêt particulier pour les travaux de l'OIT sur les jeunes et l'emploi ont récemment été lancées, à commencer par le Programme d'action mondial pour la jeunesse à l'horizon 2000 et au-delà, adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1995. De nombreux secteurs de l'ONU et des institutions spécialisées, dont l'OIT, participent à la mise en œuvre de ce programme. Lors de la première Conférence mondiale des ministres de la Jeunesse, qui s'est tenue sous les auspices du gouvernement portugais en août 1998, les participants ont adopté la Déclaration de Lisbonne sur les politiques et programmes en faveur de la jeunesse. Celle-ci reconnaît, entre autres, qu'il est «urgent de créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité pour les jeunes des deux sexes et que l'emploi des jeunes joue un rôle central en facilitant la transition des études à l'emploi, contribuant ainsi à réduire la criminalité et l'abus des drogues et assurant la participation et la cohésion sociale». Dans la partie consacrée à l'emploi, les signataires se sont engagés en particulier:

La conférence a également déclaré le 12 août Journée internationale de la jeunesse.

76. L'Engagement 3 de la déclaration adoptée par le Sommet mondial pour le développement social en mars 1995 fait également référence de manière explicite aux problèmes des jeunes, affirmant qu'une «attention particulière» devrait être accordée au «chômage structurel de longue durée et au sous-emploi des jeunes».

77. A la Conférence sur l'emploi qui s'est tenue à Kbe en novembre 1997, la présidence a déclaré dans ses conclusions qu'il était essentiel de promouvoir l'emploi des jeunes en s'appuyant sur des politiques appropriées et que la clé du problème de l'emploi des jeunes résidait dans une transition sans heurts de l'école au travail. Elle a suggéré que les mesures devraient notamment prévoir une initiation à la vie professionnelle dans les programmes tant scolaires qu'extra-scolaires, l'accès à des services d'informations sur les carrières, des services de conseils en orientation professionnelle [...] des services de placement et de formation professionnelle efficaces(16) .

78. En novembre 1997, la Commission européenne a adopté les lignes directrices pour l'emploi en 1998, où il est déclaré que «les Etats membres feront en sorte d'offrir un nouveau départ à tout jeune avant qu'il n'atteigne six mois de chômage, sous forme de formation, de reconversion, d'expérience professionnelle, d'emploi ou de toute autre mesure propre à favoriser son insertion professionnelle». Le 14 octobre 1998, de nouvelles lignes directrices pour 1999 ont été adoptées à Bruxelles; elles réaffirment l'engagement consistant à offrir des emplois aux jeunes chômeurs et traitent également du problème des jeunes possédant un faible niveau d'instruction. Elles appellent les Etats Membres:

En ce qui concerne la participation des partenaires sociaux aux politiques consacrées à la jeunesse, les lignes directrices de 1999 les exhortent à «conclure rapidement des accords en vue d'accroître les possibilités de formation, d'expérience professionnelle, de stage ou d'autres mesures propres à faciliter la capacité d'insertion professionnelle». De nombreux pays de l'Union européenne avaient déjà pris des mesures qui préfiguraient ces lignes directrices ou ont pris des mesures qui s'en inspirent.

79. L'OCDE a également lancé plusieurs initiatives relatives à la question des jeunes et de l'emploi. Le secrétariat de l'OCDE a achevé la première étape d'un «examen thématique sur la transition de la formation initiale à la vie active» qui a servi de base à une conférence organisée en février 1999 à Washington et qui sera également utilisée pour une réunion de haut niveau sur le problème des jeunes et de l'emploi devant se tenir dans le courant de l'année 1999.

Programme d'action sur le chômage des jeunes

80. Au cours de la période biennale 1996-97, l'OIT a entrepris un programme d'action sur le chômage des jeunes, qui avait comme objectifs principaux: i) de faire mieux sentir aux mandants de l'OIT les problèmes liés à la première entrée en activité; ii) de leur faire mieux comprendre les avantages et les inconvénients des principaux programmes et actions envisageables en matière de lutte contre le chômage des jeunes; et, partant, iii) d'améliorer l'aptitude des Etats Membres à élaborer et mettre en œuvre des politiques et des programmes favorisant l'emploi des jeunes aux niveaux macroéconomique et microéconomique.

81. Ce programme d'action comportait une série d'études de cas par pays ainsi que des analyses de problèmes spécifiques dans le but principalement de traiter les questions relatives à la nature du chômage des jeunes et à l'efficacité des différentes solutions qui pourraient être proposées. Certaines de ces études, ainsi que d'autres portant sur des questions précises telles que l'incidence du salaire minimum sur le chômage des jeunes, ont déjà été publiées(17) . Ce programme d'action a débouché principalement sur un rapport, qui sera publié prochainement, fournissant une comparaison détaillée des politiques et expériences nationales en matière de promotion, quantitative comme qualitative, de l'emploi des jeunes.

Programme d'action sur les stratégies de lutte
contre la marginalisation et le chômage des jeunes

82. L'objectif de ce programme d'action, mis en œuvre pendant la période biennale 1998-99, est de mettre au point une méthode d'intervention cohérente et systématique à l'intention des pays en développement, qui puisse être adaptée à la situation de chaque pays et intégrée aux politiques de l'emploi afin de combattre l'exclusion et le chômage des jeunes. Les conclusions qu'en tirera l'OIT du point de vue des politiques et programmes de lutte contre la marginalisation des jeunes feront l'objet d'un document stratégique destiné à aider les mandants et les équipes consultatives multidisciplinaires à élaborer les programmes nationaux.

Les causes du chômage des jeunes

83. Des recherches menées par le BIT ont montré que, dans la plupart des cas, s'il est vrai que le chômage des jeunes est presque partout sensiblement plus élevé que celui des adultes, son évolution est plus ou moins proportionnelle aux variations du chômage des adultes(18) . Une autre question importante est le poids relatif des différents facteurs responsables du chômage des jeunes. Quel rôle joue le contexte économique et a-t-il plus d'importance que d'autres facteurs tels que la taille de la population jeune ou le niveau des salaires que ces jeunes reçoivent par rapport à ceux des adultes? Il ressort d'une étude récente du BIT que le chômage des jeunes est essentiellement lié au niveau et au taux de croissance de la demande globale, qui ont une influence plus déterminante que la taille relative de la population jeune(19) . Par conséquent, un taux suffisant de croissance économique à forte intensité d'emploi devrait permettre d'atténuer considérablement les problèmes liés à la croissance démographique. Cette étude a également révélé que le rapport entre les salaires des jeunes et ceux des adultes n'avait que peu ou pas d'incidence sur le niveau du chômage des jeunes. Cela est notamment mis en évidence par le fait que, dans les années quatre-vingt-dix, le chômage des jeunes a continué de croître dans la plupart des pays de l'OCDE, bien que les salaires des jeunes aient baissé par rapport à ceux des adultes.

Eléments d'une réponse efficace

Situation économique

84. Il ressort, d'une manière générale, de l'analyse des causes du chômage des jeunes que toute politique visant à promouvoir l'emploi des jeunes devrait tenir compte de la situation économique du moment. Promouvoir l'emploi des jeunes devrait faire partie d'une stratégie globale de création d'emplois fondée sur une croissance économique à forte intensité d'emploi et sur la création d'un environnement économique favorable à l'accroissement des investissements et des activités économiques. De récents rapports du BIT ont suggéré qu'une stratégie s'appuyant sur les investissements reste une option valable(20) .

Politiques salariales

85. Une étude du BIT montre que les salaires relatifs des jeunes ont une incidence assez faible, voire aucune, sur le chômage. De même, il ne semble guère que le versement de salaires inférieurs aux salaires minima, ou la non-application aux jeunes de la législation relative aux salaires minima, permettrait d'améliorer l'emploi. Les effets négatifs des salaires minima sur l'emploi des jeunes, s'ils existent, sont faibles par rapport à d'autres facteurs. D'ailleurs, des études plus récentes montrent souvent que ces effets n'existent pas ou, au contraire, qu'ils sont positifs(21) . Si l'on ajoute à cela que des salaires plus élevés contribuent à accroître la qualité de l'emploi, il n'y a guère de raisons de promouvoir une politique visant à réduire les salaires des jeunes afin de lutter contre le chômage des jeunes. Toutefois, dans certains cas, diminuer la rémunération des jeunes lorsqu'ils suivent une formation peut se justifier et encourager les entreprises à dispenser une formation, les coûts étant partagés entre les employeurs (le cas échéant), l'Etat et les particuliers.

Rôle des partenaires sociaux

86. De nombreuses études ont montré qu'une politique d'emploi des jeunes peut être plus efficace lorsque les organisations d'employeurs et de travailleurs participent de façon constructive à son élaboration et à sa mise en œuvre. Cela permet de mieux définir les formes appropriées de programmes de formation et d'emploi en fonction des débouchés. En outre, étant parties prenantes à la totalité du processus, ces organisations seront attachées à sa réussite. L'Allemagne, par exemple, a réussi à maintenir le niveau du chômage des jeunes et en particulier des adolescents, en dessous de celui des adultes. L'un des éléments essentiels du système allemand est la participation des organisations d'employeurs et de travailleurs à l'élaboration et à la mise en œuvre de la politique d'emploi des jeunes.

Systèmes d'éducation et de formation

87. Il est essentiel, pour résoudre ou atténuer le problème du chômage des jeunes, d'adopter des politiques qui facilitent le passage de l'école au monde du travail. Certains types de systèmes d'enseignement et de formation sont plus efficaces que d'autres pour faciliter cette transition. En particulier, les pays qui ont adopté un système dual de formation et d'apprentissage enregistrent, parmi les jeunes, un taux de chômage bien moins élevé que parmi les adultes. Dans le cas d'une récession générale, le système d'enseignement et de formation ne permet pas en soi de résoudre le problème du chômage des jeunes, mais un système d'enseignement professionnel et de formation de base fonctionnant à l'échelle nationale est, à l'évidence, essentiel pour faciliter le passage de l'école au monde du travail.

Education et politique de l'emploi

88. A cet égard, les programmes et les politiques d'emploi seront probablement plus efficaces s'ils sont intégrés aux politiques en matière d'éducation. Certains Etats Membres ont déjà pris des initiatives en ce sens, comme le Royaume-Uni, qui a réuni le ministère de l'Emploi et celui de l'Education et des Sciences au sein d'un nouveau ministère, le ministère de l'Education et de l'Emploi. Cette approche peut permettre d'éviter que les politiques de l'éducation et de l'emploi, dans les faits, ne se fassent concurrence. En outre, les programmes scolaires devraient, au moins dans une certaine mesure, prendre en compte les besoins des jeunes dans le domaine professionnel. Il a été dit à propos de plusieurs pays que les politiques en matière d'éducation sont trop axées sur la théorie. Les programmes scolaires devraient dans une certaine mesure refléter les besoins des jeunes au moment de leur arrivée sur le marché du travail.

Intégration de différents programmes d'emploi

89. De plus, l'efficacité des politiques d'emploi des jeunes peut être accrue si différents programmes sont intégrés les uns aux autres. Dans nombre de pays en développement, il existe de nombreux programmes à petite échelle destinés à promouvoir l'emploi des jeunes. Ces programmes demandent toutefois à être soigneusement coordonnés car, souvent, ils n'ont aucun lien réel entre eux. Il a par exemple été suggéré de créer un lien entre les programmes de formation préprofessionnelle axés sur un enseignement de base et les programmes de formation professionnelle de niveau plus avancé. Cela garantirait un usage efficace des ressources et rendrait les programmes plus complémentaires.

Formation ou expérience professionnelle

90. L'utilité relative de différents types de mesures, comme les subventions à l'emploi et les programmes de formation, variera selon la tenue générale de l'économie. Les programmes de formation professionnelle ne créent pas nécessairement des possibilités d'emploi. Les subventions à l'emploi et les programmes de travaux publics peuvent être tout aussi utiles pour permettre aux participants de rester en contact avec le marché du travail, et ces mesures risquent moins de créer des attentes irréalistes dans l'esprit des participants quant aux possibilités d'emploi de longue durée. En revanche, il peut être intéressant pour les entreprises de mettre à profit les périodes où la demande est faible pour former et perfectionner la main-d'œuvre en place et se préparer ainsi à répondre à une augmentation de la production lorsque l'économie redémarrera. Une aide de l'Etat visant à soutenir de telles actions de formation permettrait d'éviter des licenciements en période de récession.

Ciblage

91. Il convient de cibler les programmes avec soin pour deux raisons. Premièrement pour des raisons d'efficacité: de nombreuses études ont montré que les programmes plus étroitement ciblés donnent de meilleurs résultats. Deuxièmement, pour des raisons d'équité: notamment, lorsqu'il y a de toute évidence un excédent de main-d'œuvre, la justice sociale commande d'aider les jeunes qui en ont le plus besoin. L'expérience de la plupart des pays montre que les programmes en faveur de l'emploi des jeunes ont très souvent essentiellement profité à ceux qui étaient déjà en mesure de s'en sortir par eux-mêmes, sans l'aide de ces programmes. On pourrait accorder plus d'attention aux jeunes qui ont le moins de chances d'accéder au marché du travail sans intervention extérieure.

Informations sur le marché du travail

92. Dans un grand nombre de pays en développement, on manque d'informations récentes et précises sur le marché du travail. Disposer de meilleures informations sur la situation du marché pour différentes catégories de personnes permettrait de mieux cibler les actions et les programmes. De même, disposer de meilleures informations sur les besoins des employeurs faciliterait l'élaboration de programmes de formation professionnelle et autres. Des informations de qualité sur le marché du travail peuvent également aider les jeunes à orienter leur vie professionnelle en connaissance de cause, en faisant mieux correspondre leurs attentes aux possibilités pratiques qu'offre le marché du travail.

Suivi et évaluation

93. Le succès des actions et des programmes en faveur de l'emploi des jeunes passe par leur suivi et leur évaluation. Il s'agit de pratiques assez courantes dans les pays industrialisés, mais qui ne retiennent guère l'attention dans les économies en transition et surtout dans les économies en développement. Le suivi a fondamentalement pour objet de s'assurer que les programmes sont effectivement mis en œuvre comme prévu. L'évaluation associée au suivi peut être utile pour affiner les programmes et déterminer les raisons de leur réussite ou de leur échec. On peut faire valoir que le suivi et l'évaluation devraient être prévus dès l'étape d'élaboration du programme.

Points pour la discussion

94. Si cette question est retenue pour une discussion générale, la Conférence voudra peut-être examiner certains des points ci-après:

* * *

4. Promotion des coopératives
 

Résumé

Il est proposé d'élaborer de nouvelles normes concernant les coopératives. La recommandation (no 127) sur les coopératives (pays en voie de développement), 1966, qui porte sur le rôle des coopératives dans le développement économique et social des pays en développement, est l'unique norme de l'OIT qui traite en détail de la question. Or la situation politique, économique et sociale qui prévalait en 1966, lors de l'adoption de cette recommandation, a changé radicalement. Les normes que l'on se propose d'élaborer pourraient refléter ces changements dans leur énoncé des principes et valeurs concernant les coopératives, qui ont eux-mêmes évolué. Ainsi, elles viseraient à promouvoir les entreprises coopératives autonomes et à limiter l'intervention de l'Etat. La portée des nouveaux instruments devrait être universelle et non limitée aux pays en développement, car des normes applicables universellement dans ce domaine permettraient à ces organisations d'auto-assistance de déployer tout leur potentiel, et de contribuer ainsi à l'éradication du chômage et de l'exclusion sociale. La proposition retrace l'évolution du mouvement coopératif dans les pays industrialisés, les anciens pays socialistes et les pays en développement, décrit la portée nouvelle et le contenu universellement applicable que les normes pourraient avoir dans ce domaine, et conclut par un résumé des travaux préparatoires déjà entrepris par le Bureau.


Aperçu général

95. Le paragraphe 12 (1) a) de la recommandation no 127 définit une coopérative comme «... une association de personnes qui se sont volontairement groupées pour atteindre un but commun, par la constitution d'une entreprise dirigée démocratiquement, en fournissant une quote-part équitable du capital nécessaire et en acceptant une juste participation aux risques et aux fruits de cette entreprise, au fonctionnement de laquelle les membres participent activement». Cette définition est universellement acceptée. Les coopératives jouent un rôle important dans le développement économique, social, culturel et politique de la plupart des pays. Elles font un apport considérable à l'économie nationale et au développement de la société. Elles encouragent l'emploi indépendant et l'esprit d'entreprise et soutiennent indirectement les emplois créés par d'autres entreprises qui leur achètent ou fournissent des biens et des services. Elles sont actives dans tous les secteurs de l'économie et elles existent dans toutes les professions. Elles se soucient du bien-être social de leurs membres et des non-membres et agissent donc dans les domaines du logement, des soins de santé, des soins aux personnes âgées et de l'éducation, principalement dans l'enseignement primaire. Ces services sont souvent destinés aux organisations d'employeurs et de travailleurs qui partagent leurs préoccupations sociales et économiques, ou dispensés à l'initiative de ces organisations ou encore en étroite collaboration avec elles.

96. Les coopératives comptent environ 800 millions de membres à travers le monde. Elles occupent 100 millions de personnes supplémentaires qui n'ont pas la qualité de membres. Si l'on ajoute à ces chiffres les personnes qui dépendent d'elles économiquement ou qui participent à leurs opérations, on constate qu'une proportion considérable de la population mondiale dépend, au moins partiellement, des coopératives pour la satisfaction de ses besoins.

97. En dépit de ces faits positifs, on estime que le potentiel d'auto-assistance des coopératives reste sous-utilisé alors que les défis économiques et sociaux que doivent relever de nombreux pays exigeraient la mobilisation de tout le potentiel disponible.

98. Depuis l'adoption de la recommandation no 127, les changements politiques, économiques et sociaux partout dans le monde n'ont pas épargné les coopératives. Il semble qu'elles aient désormais un nouveau rôle à jouer à la fois dans les pays industrialisés et dans les anciens pays socialistes; cependant, la recommandation no 127 est exclusivement centrée sur les pays en développement. De nouvelles normes de portée universelle dans ce domaine permettraient sans doute aux coopératives de mieux développer leur potentiel d'auto-assistance et de résoudre plus facilement un certain nombre de problèmes sociaux et économiques. L'heure est donc venue d'élaborer de nouvelles normes internationales fondées sur les principes et valeurs modernes concernant les coopératives afin de promouvoir ces dernières.

99. En ce qui concerne les pays en développement, la recommandation no 127 reflétait les préoccupations des années soixante relatives au développement, notamment dans la manière dont elle concevait le rôle des gouvernements et des coopératives dans le processus de développement. Désormais, le développement n'est plus conçu comme un processus visant à imiter les pays déjà industrialisés, et les coopératives ne sont plus considérées comme des instruments aux mains des gouvernements. Conformément aux principes universellement reconnus en la matière, les coopératives sont à présent perçues comme un moyen pour leurs membres d'atteindre leurs objectifs communs.

100. Dans les anciens pays socialistes, les coopératives faisaient partie intégrante du système politique et servaient à centraliser l'utilisation du sol, à employer la main-d'œuvre agricole et à distribuer les biens de consommation. Le phénomène de privatisation que connaissent actuellement les économies anciennement socialistes va au-delà de la réforme agraire à laquelle fait référence la recommandation no 127: il comprend la privatisation des industries manufacturières et des infrastructures de service, ainsi qu'une vague de rachat d'entreprises par les travailleurs dans tous les secteurs de l'économie. Certaines coopératives de type socialiste ont été transformées en des coopératives authentiques, tandis que d'autres ont été achetées par des particuliers ou, conjointement, par d'anciens membres. L'OIT reçoit un nombre croissant de demandes d'assistance émanant des pays en développement et des pays en transition, relatives à l'organisation, à la formation et à la réforme législative et politique concernant les coopératives, car elles doivent assumer un rôle accru du fait de la libéralisation et de la privatisation du commerce et des services. Le Bureau a besoin de l'orientation qu'il pourrait puiser dans de nouvelles normes pour pouvoir répondre à ces demandes.

101. Dans les pays industrialisés, l'application de nouvelles normes est rendue nécessaire par l'évolution de la structure des coopératives et les formes nouvelles qu'elles adoptent. Leur structure traditionnelle évolue actuellement, car elles tentent de renforcer leur résistance aux pressions qu'exerce sur elles la concurrence d'autres types d'entités commerciales. Par ailleurs, le modèle coopératif de la propriété et de la gestion conjointes est désormais de plus en plus utilisé par les salariés pour racheter leurs propres entreprises dans les secteurs du transport, des services et dans les industries manufacturières, cela dans le but de protéger les emplois existants et d'en créer de nouveaux dans un contexte de réduction continue, résultant de la mondialisation et de l'évolution technologique. Parallèlement, ces travailleurs deviennent davantage partie prenante dans la société.

102. Dans de nombreux pays, l'évolution générale dans les domaines politique, économique et social a exercé une pression sur les gouvernements afin qu'ils limitent leur participation aux affaires économiques et sociales. L'idée essentielle des programmes d'ajustement structurel est de faire en sorte que l'initiative, le financement, la gestion et la responsabilité passent du domaine public au domaine privé. Les programmes de stabilisation monétaire et fiscale, le renforcement des institutions, la privatisation et la libéralisation qui s'ensuivent obligent la société civile à assumer un rôle plus actif dans les affaires économiques, sociales et politiques. De plus en plus, l'Etat doit limiter son rôle à la fourniture d'un cadre politique, juridique et administratif favorisant le développement des organisations privées, y compris les coopératives, qui à leur tour renforcent la démocratie. Des Etats Membres ont demandé que soient élaborées de nouvelles normes dans ce domaine.

La législation et la pratique nationales

103. Dans une série d'ouvrages portant sur les moyens de créer un climat et des conditions favorables au développement des coopératives, le Bureau a étudié la législation et la pratique nationales dans diverses parties du monde en dehors des pays industrialisés(23) .

104. Dans les pays en développement, les coopératives étaient souvent limitées à des zones géographiques coïncidant avec les frontières administratives et municipales. Parfois, le statut de membre était obligatoire si l'on souhaitait exercer des activités économiques, et les gouvernements intervenaient de multiples manières dans l'organisation et la gestion des coopératives: ils convoquaient les assemblées générales et les conseils d'administration, détachaient leurs fonctionnaires auprès de ces organismes, prenaient des décisions en leur nom, contrôlaient les salariés et même les élus, remplaçaient les coopératives par des commissions d'Etat, fixaient leurs objectifs, assignaient les tâches, assujettissaient l'investissement et la répartition des excédents à leur approbation, gelaient les comptes bancaires des coopératives, exerçaient un contrôle et une fonction promotionnelle, créaient et géraient des organisations coopératives dans les secteurs secondaire et tertiaire, les faisaient fusionner, les divisaient et les dissolvaient en réglant les conflits sans autoriser le recours en appel aux tribunaux ordinaires. Par ailleurs, les gouvernements ont parfois octroyé aux coopératives des privilèges fiscaux et un accès facile au crédit. En général, et conformément à l'esprit de la recommandation no 127, les coopératives ont été utilisées en tant qu'agents des bureaux de développement gouvernementaux pour organiser la production, administrer la réforme agraire et gérer les programmes d'irrigation et de crédit.

105. Dans les pays anciennement socialistes, on ne distinguait pas les affaires économiques privées des publiques. C'est pourquoi les coopératives étaient organisées comme une partie de la structure économique et administrative de l'Etat. Instruments d'application de la planification économique, elles participaient à l'effort déployé pour créer une société socialiste.

106. Dans les pays industrialisés, les coopératives sont très nombreuses et pleinement intégrées dans le secteur privé, où elles ont gagné des parts de marché considérables dans les domaines de la production et de la commercialisation agricoles, des services financiers, de la distribution des biens de consommation, du logement, etc. En outre, en partenariat avec tous les partenaires sociaux, elles jouent un rôle important dans la fourniture des services sociaux. Dans un milieu marqué par une concurrence et une mondialisation accrues, les coopératives deviennent de plus en plus concurrentielles en donnant davantage d'importance aux valeurs fondamentales de la coopération telles que la préoccupation pour la communauté et l'environnement. Beaucoup de petites et moyennes entreprises opérant dans la même branche économique créent des réseaux coopératifs afin d'effectuer des économies d'échelle sans perdre leur indépendance. Ainsi, elles mettent à profit le concept de coopératives qui devient une solution attrayante pour remplacer le franchisage et la concentration du marché. Cependant, les efforts des coopératives pour devenir de plus en plus compétitives, notamment par des fusions et des acquisitions, des modifications apportées à leur structure de capital et l'adoption des méthodes de gestion communes aux sociétés par actions, ont souvent mis en danger la nature des coopératives en tant qu'entreprises commerciales gérées par leurs membres.

Les normes de l'OIT et la pratique

107. La recommandation no 127 est l'unique norme internationale détaillée sur les coopératives. La convention (no 141) et la recommandation (no 149) sur les organisations de travailleurs ruraux, 1975, portent aussi sur ce thème, ainsi que la recommandation (no 169) concernant la politique de l'emploi (dispositions complémentaires), 1984, et la convention (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989. Ces instruments donnent des exemples de la façon dont des groupes spécifiques peuvent s'organiser, notamment sous la forme d'une coopérative, et indiquent à quelles fins les coopératives peuvent être utilisées par leurs membres, ou bien elles soulignent le fait que les groupes dont les traits culturels ne sont pas ceux de la majorité devraient être protégés lorsqu'ils tentent de s'organiser en associations autonomes, notamment en coopératives.

108. L'OIT reconnaît l'importance des coopératives dans l'article 12 de sa Constitution, qui prévoit la consultation des coopérateurs - ainsi que celle des employeurs et des travailleurs - à travers leurs organisations internationales reconnues. Conformément à cette disposition, l'OIT a favorisé le développement des coopératives, notamment par l'assistance technique et l'information, et elle a conseillé les gouvernements, ainsi que les organisations d'employeurs et de travailleurs, sur le rôle qu'ils doivent jouer dans ce domaine. L'Organisation gère le plus vaste programme de coopération technique qui existe au sein du système des Nations Unies en matière de coopératives.

Objectif des nouvelles normes

109. Le principal motif d'une activité normative dans ce domaine serait de satisfaire le besoin de disposer de normes de portée universelle et de promouvoir les principes des coopératives dans le monde pour accroître la capacité de la société civile d'atteindre ses objectifs sociaux et économiques par l'auto-assistance. L'évolution du rôle des gouvernements coïncide avec la mondialisation du capital et l'internationalisation croissante des entreprises; il est donc nécessaire de réhabiliter le rôle de l'individu dans la prise de décisions. Les coopératives constituent un modèle d'entreprise centrée sur ses membres, orientée vers leurs besoins et dotée d'un mécanisme spécifique de répartition des excédents. En outre, les nouvelles normes mettraient l'accent sur l'autonomie des coopératives et sur la nécessité de limiter l'intervention de l'Etat.

Contenu des nouvelles normes

110. Les nouvelles normes devraient être de portée universelle car les conséquences des changements économiques, politiques et sociaux touchent tous les pays. Ainsi, tous les pays ont une préoccupation commune, à savoir la réduction de leur capacité de créer des emplois salariés et classiques et d'empêcher l'exclusion sociale. Dans les pays en développement, l'ajustement structurel continue d'exercer un effet négatif sur les travailleurs non qualifiés et sur les groupes à faibles revenus. Très souvent, l'exclusion et la pauvreté s'aggravent. Dans les économies en transition, la privatisation, associée à l'absence de filets de sécurité sociale, est allée de pair avec un chômage croissant, des revenus de plus en plus faibles et des normes sociales de moins en moins élevées. Dans les pays industrialisés, le ralentissement de la croissance économique, associé à un déplacement vers les industries des services perfectionnées sur le plan technologique, s'est traduit par l'augmentation de l'exclusion sociale et économique, notamment parmi les travailleurs les moins qualifiés des industries traditionnelles.

111. Ces nouvelles normes, qui s'adresseraient aux gouvernements et aux organisations d'employeurs et de travailleurs, pourraient également s'adresser aux coopératives, à leurs syndicats et à leurs fédérations. La référence aux partenaires sociaux devrait mettre en lumière l'intérêt qu'ils ont à promouvoir les coopératives et leur responsabilité en la matière, tandis que la référence aux coopératives et à leurs structures verticales devrait souligner la responsabilité qui incombe à ces organismes eux-mêmes. Cette responsabilité comprend le financement et la gestion de leurs propres services de soutien, y compris le contrôle et la vérification financière, la formation des cadres et l'éducation des membres. Cela permettrait de mieux refléter la véritable nature des coopératives, qui sont des organisations autonomes.

112. Les nouvelles normes devraient épouser les principes suivants concernant les coopératives:

113. Les nouvelles normes pourraient également souligner l'absolue nécessité d'une complémentarité entre les principes des coopératives, la législation coopérative et les structures y relatives. Ainsi, le développement des coopératives repose sur une structure adéquate dans les domaines judiciaire, administratif, bancaire et des assurances, ainsi que sur le soutien des organisations professionnelles. Les nouvelles normes devraient renforcer l'autonomie des coopératives et traiter des problèmes qu'elles ont en commun avec l'Etat. Le rôle des gouvernements devrait être limité à la législation, à l'inscription, à la radiation et au contrôle du respect de la loi. Souvent, la gestion, l'autonomie et la viabilité commerciale des coopératives sont entravées, car elles sont contraintes à participer à des programmes généraux de développement, alors qu'elles ne disposent ni des moyens financiers ni des ressources humaines pour ce faire. Elles devraient pouvoir développer leur autosuffisance et contracter des obligations en fonction de la décision de leurs seuls membres. Les nouvelles normes n'incluraient pas d'objectifs plus vastes concernant la politique sociale et la politique économique comme ceux qui figurent dans la recommandation no 127, et elles devraient exclure toutes les formes de discrimination à l'encontre des coopératives. Ces dernières, par conséquent, devraient être traitées sur un pied d'égalité avec n'importe quel autre type d'entreprise privée en matière de concurrence. Les nouvelles normes pourraient distinguer divers types de coopératives afin d'inclure les structures organisées régies par les principes coopératifs définis et d'exclure d'autres structures non organisées fondées sur la solidarité.

114. L'importance de la législation coopérative pour le développement des coopératives pourrait être soulignée, et l'on pourrait distinguer les questions à inclure dans cette législation et celles qui peuvent être régies par les organes administratifs. Au-delà de toute forme de séparation des pouvoirs sur laquelle peut se fonder un système politique, il est important d'élaborer une législation embrassant les questions fondamentales ayant trait aux coopératives, afin de les protéger des changements politiques fréquents. En outre, la législation et la réglementation administrative pourraient permettre que des questions de fond soient réglées par les membres des coopératives, conformément à leurs règlements ou à leurs statuts, ce qui serait une expression de leur autonomie.

115. La recommandation no 127 spécifie les questions fondamentales que doit traiter la législation coopérative; cette liste pourrait être modifiée de manière à mettre en relief les caractéristiques particulières des coopératives par rapport à d'autres types d'organisations et d'entreprises commerciales. Il s'agit, entre autres, de la gestion, et par conséquent des compétences des cadres, de la structure du capital, du rôle du capital, de la prise de décisions démocratique, indépendamment de la taille de la coopérative, ainsi que des droits et des devoirs des fédérations et des syndicats de coopératives. Ainsi, l'attention du législateur pourrait être attirée sur la nécessité de refléter les spécificités de la législation coopérative dans d'autres branches de la législation, telles la législation fiscale, la législation sur la concurrence et la législation du travail.

116. Les nouvelles normes devraient élargir le concept de la mise en valeur des ressources humaines selon les principes coopératifs et prendre en compte la nécessité pour les mouvements coopératifs de participer davantage à la planification, à l'application et au contrôle des programmes de formation. L'éducation et la formation devraient viser l'efficacité et les compétences entrepreneuriales ainsi que la connaissance des principes des coopératives, afin de préserver l'identité de ces dernières.

117. Les nouvelles normes devraient modifier la conception de l'aide financière du gouvernement, qui a souvent encouragé le contrôle du gouvernement sur les coopératives. Lors de l'adoption de la recommandation no 127, on s'attendait à ce que les gouvernements exercent un rôle prédominant dans l'acheminement du soutien financier national et international vers les coopératives. Aujourd'hui, les programmes d'ajustement structurel ont entraîné une réduction de l'aide et des subventions financières publiques. Par conséquent, les coopératives intensifient leurs efforts pour mobiliser et gérer leurs propres programmes de crédit et d'épargne ainsi que leurs relations commerciales avec d'autres coopératives dans le cadre de l'économie de marché - sur le plan national et international - et elles tentent d'instaurer un système favorisant l'échange de coopération technique par l'intermédiaire de réseaux coopératifs. Le soutien financier devrait être limité à des mesures indirectes telles que la participation aux fonds de garantie des crédits.

118. Les nouvelles normes pourraient prendre en considération la capacité d'autovérification des mouvements coopératifs. Elles pourraient préconiser et soutenir l'établissement de bonnes pratiques d'audit.

119. Les nouvelles normes pourraient encourager les mouvements coopératifs et les institutions universitaires à soutenir la recherche concernant les coopératives et à diffuser ses résultats grâce aux nouvelles technologies de l'information. Le recueil de données statistiques fiables et normalisées est également essentiel.

120. Enfin, l'expérience acquise concernant la recommandation no 127 devrait permettre à l'OIT de mieux contrôler l'application de nouvelles normes. Les experts qui ont participé à la Réunion d'experts sur la législation coopérative en 1995 ont estimé qu'il faudrait créer un organe chargé de promouvoir les droits syndicaux des membres des coopératives(24) .

Nature des nouvelles normes

121. Les experts qui ont assisté aux réunions de l'OIT sur les coopératives en 1993 et 1995 n'étaient pas unanimes sur la question de savoir si l'instrument approprié serait une convention ou une recommandation. Ils ont envisagé l'adoption d'une convention, éventuellement complétée par une recommandation, afin de donner une force contraignante aux principes fondamentaux actualisés des coopératives. Cependant, d'aucuns étaient en faveur de l'adoption d'une recommandation. Au cours de la deuxième réunion, il a été proposé d'adopter une recommandation détaillée plutôt que d'opérer une révision partielle de la recommandation no 127. Non seulement une révision partielle sera plus difficile à mener à bien car la logique de la norme existante serait difficile à conserver, mais, ce qui est plus important, les nouvelles normes devraient refléter un changement dans la logique de base.

Travaux préparatoires

122. L'OIT a tenu en 1993 une Réunion d'experts en coopératives dont l'ordre du jour comprenait une question concernant l'étude des répercussions de la recommandation no 127 pour laquelle un document de travail avait été établi(25) . Cette réunion a été suivie en 1995 par la Réunion d'experts sur la législation coopérative mentionnée plus haut, qui a poursuivi la discussion sur ce thème. Le Bureau a publié un certain nombre de documents de travail en rapport avec ces deux réunions, au nombre desquels figurent une série d'ouvrages sur les moyens de créer un climat favorable au développement des coopératives en Afrique (1993), en Asie (1994), en Amérique latine (1996) et en Europe centrale et orientale (1996); un rapport sur les relations entre l'Etat et les coopératives dans la législation coopérative (1993); un rapport sur les mutations structurelles dans les mouvements coopératifs et leurs conséquences sur la législation coopérative dans les différentes régions du monde (1993); un examen de l'incidence de la recommandation no 127 (1993); un rapport sur l'impact de la législation du travail et des relations professionnelles sur la législation coopérative (1995); un rapport sur la législation coopérative et le rôle régulateur de l'Etat (1995); un rapport sur la structure des coopératives et la législation sur la concurrence (1994); enfin, des études de cas sur la législation du travail et les coopératives (1995).

* * *

5. Nouvelles tendances dans la prévention
et le règlement des conflits du travail

 

Résumé

Il est proposé de tenir une discussion générale sur la question des mécanismes nouveaux de règlement des conflits du travail en vue d'orienter les initiatives et programmes futurs en ce domaine, qui constitue la pierre angulaire des relations professionnelles et la base d'un climat propice à la croissance économique et au progrès social. Les présentes propositions constituent une version révisée et mise à jour des propositions faites antérieurement sous le titre de «Règlement des conflits du travail».

On reconnaît de plus en plus la nécessité de prévenir, d'atténuer et de résoudre les conflits du travail alors que l'économie se mondialise et que la transition de nombreux pays vers l'économie de marché est marquée par une concurrence intense, des turbulences financières et des inégalités sociales. Telles qu'elles sont formulées actuellement, les propositions tiennent dûment compte des grandes évolutions qui accompagnent la mondialisation et traduisent l'importance accordée à la prévention des conflits, à l'application de diverses formes nouvelles de règlement et à la redécouverte des systèmes et méthodes traditionnels dans le cadre des différences qui marquent les systèmes juridiques, les coutumes, la culture et les traditions de chaque pays. On constate l'apparition d'outils, de stratégies, de techniques et de modèles novateurs en matière de négociation, de règlement des conflits et de solution conjointe des problèmes, notamment sous la forme de mesures et de programmes actifs et créatifs visant à inciter les parties à passer d'une relation d'affrontement à une relation de conciliation, de travail d'équipe et de coopération.

L'une des préoccupations essentielles porte sur la nécessité de réformer la législation et les procédures du travail ainsi que d'instaurer et de renforcer des systèmes et mécanismes propres à assurer l'accessibilité, l'efficience, l'équité et la confiance des parties. On a également insisté sur la nécessité de développer la formation et le partage de l'information, ainsi que de mener des études et des recherches sur les pratiques optimales et d'en élargir la diffusion en l'adoptant aux différents pays. Les propositions comprennent une brève explication des notions, des pratiques dominantes et des tendances nouvelles relatives aux points ci-après: catégories de conflits, prévention des conflits, procédures de règlement des conflits (conciliation, médiation, arbitrage, voie juridictionnelle et autres mécanismes de règlement), action revendicative, normes internationales du travail et perspectives de discussion générale. Certaines questions sont soulevées au titre des différents thèmes. Le dernier paragraphe évoque les principaux points qui peuvent faire l'objet d'une discussion à l'occasion de l'étude de ces propositions.


123. Les propositions relatives à cette question, présentées sous le titre de «Règlement des conflits du travail» aux 261e, 262e, 267e, 268e et 273e sessions du Conseil d'administration, ont été dûment modifiées et mises à jour, conformément à la demande du Conseil d'administration, qui a souhaité que l'on présente des propositions plus détaillées et plus actuelles. Ces propositions sont soumises en vue d'une éventuelle discussion générale.

124. Les changements apportés au cadre de l'entreprise et à l'environnement économique par la mondialisation de l'économie et par la transition de nombreux pays vers l'économie de marché ont de profondes répercussions sur les relations salariat-patronat en général ainsi que sur le niveau, la nature et les modalités de règlement des conflits en particulier. Dans beaucoup de pays, le nombre des conflits du travail et des grèves est en diminution, mais ils peuvent se révéler plus durs, complexes, longs et opiniâtres. Dans d'autres pays, les conflits s'affaiblissent et s'accompagnent habituellement de progrès importants dans la voie de la collaboration et de la coopération entre les syndicats et la direction des entreprises. Les conflits du travail se produisent au niveau national comme au niveau local, dans les secteurs syndicalisés comme dans ceux qui ne le sont pas, et ils portent aussi bien sur des questions traditionnelles - salaires, avantages sociaux et licenciements - que sur des sujets nouveaux - licenciements collectifs et problèmes de sécurité du travail liés à la déréglementation, aux réductions d'effectifs, aux fusions, aux délocalisations, aux restructurations et aux faillites.

125. La prévention et le règlement effectifs des conflits du travail restent une des pierres angulaires des relations professionnelles et du maintien d'un climat propice à la croissance économique, à l'efficacité et à l'équité, puisque les conflits et différends du travail sont inhérents à tous les systèmes de relations professionnelles. A cet égard, il est essentiel d'instaurer et d'appliquer des mécanismes efficaces de prévention et de règlement. Cependant, il est important de noter que l'incidence, la nature et les modalités de gestion des conflits du travail varient d'un pays à l'autre en fonction du système juridique, de la culture, des traditions et des autres facteurs connexes. Compte tenu des différences entre les procédures, systèmes et pratiques des divers pays, ce qui importe en fin de compte est la reconnaissance de la nécessité d'étudier et de comprendre les conflits du travail et leurs causes profondes en différentes circonstances, et donc de les prévenir, de les atténuer et de les régler aussi rapidement et équitablement que possible.

126. La nécessité de mettre en place, d'améliorer et de renforcer les systèmes et procédures de prévention et de règlement des conflits avec la participation des partenaires sociaux est généralement reconnue, le but visé étant de mettre en place des systèmes et procédures qui soient efficaces et accessibles et qui bénéficient de la confiance des parties. Le rôle des organes de règlement des conflits et les méthodes traditionnelles employées dans le passé sont cependant remis en cause par la nécessité de s'adapter à l'évolution de la situation et aux nouvelles réalités. Ce qu'on attend des procédures, par exemple, ce n'est pas seulement qu'elles permettent de régler les conflits à mesure qu'ils se produisent, mais aussi qu'elles aident les parties à passer de l'affrontement à la conciliation, au travail d'équipe et à la coopération, en tenant compte de tout un ensemble de considérations essentielles comme la qualité de la négociation collective et des communications, la prise des décisions par consensus et la constitution d'équipes, la rentabilité, la compétitivité et la stabilité de l'entreprise, la productivité et la sécurité du travail.

127. Si la négociation collective, la conciliation, la médiation, l'arbitrage et les décisions de justice restent les principales méthodes de règlement des conflits, on étudie, élabore et applique des outils, techniques et modèles novateurs de négociation, de règlement des conflits et de solution conjointe des problèmes. Les méthodes actuelles vont des moyens traditionnels, généralement en déclin - caractérisés par une approche de «pompier» ou de «crise» -, aux méthodes nouvelles, plus actives et créatives. C'est ainsi qu'on met davantage l'accent aujourd'hui sur la prévention des conflits du travail par la mise en jeu de différentes techniques de négociation, par exemple aux Etats-Unis, selon la formule «gagnant-gagnant» ou celle de la «réciprocité d'intérêts», de pair avec diverses formes nouvelles de règlement amiable des conflits. De nombreux pays débattent actuellement de l'avenir de leur système de règlement des conflits (par exemple l'Australie), réévaluent constamment leurs structures et approches traditionnelles (par exemple les Etats-Unis) et réforment leur législation du travail (par exemple certains pays d'Asie et d'Europe centrale et orientale).

128. Il est donc largement temps de procéder à un examen et à une évaluation d'ensemble des systèmes, méthodes, lois et pratiques en vigueur, notamment en ce qui concerne les stratégies et techniques nouvelles et novatrices, la prévention et le règlement des conflits du travail collectifs et individuels, notamment par la réalisation d'études approfondies et la collecte, la diffusion et l'échange d'informations sur les pratiques optimales. Une discussion générale de la question pourrait représenter un pas important dans cette direction.

129. Les présentes propositions comportent une brève explication des notions, des pratiques en vigueur et des nouvelles tendances et questions qui se posent au sujet de divers aspects du problème: catégories de conflits, prévention des conflits, procédures de règlement des conflits (conciliation et médiation, arbitrage, voie juridictionnelle et autres mécanismes de règlement), actions revendicatives, normes internationales du travail et perspectives de discussion générale.

Catégories de conflits

130. La plupart des pays établissent une distinction entre différents types de conflits, pour lesquels ils ont instauré des procédures de règlement distinctes. De telles distinctions reflètent habituellement l'évolution particulière du système de relations professionnelles de chaque pays. Procéder à une classification des divers types de conflits du travail d'un point de vue global peut donc ne pas être chose aisée. En général, les conflits du travail naissent de désaccords sur les clauses des conventions collectives, de violations alléguées et d'interprétations erronées de la loi, de la réglementation ou des conventions, de réclamations, de pratiques du travail inéquitables et de la reconnaissance syndicale. Aujourd'hui, certains des types les plus courants - et souvent les plus délicats - de conflits du travail portent sur les questions salariales, les avantages sociaux, le licenciement et la sécurité de l'emploi. Certains estiment que la définition couramment admise de la notion de conflit du travail n'est plus adaptée et qu'il faudrait la remplacer par une définition plus large, du fait que les frontières entre les différentes catégories de conflits évoluent profondément dans de nombreux pays.

131. Les deux distinctions les plus courantes s'établissent entre les conflits de droits et les conflits d'intérêts, d'une part, et entre les conflits individuels et les conflits collectifs, de l'autre. La distinction entre les conflits de droits et les conflits d'intérêts caractérise le mécanisme de règlement des conflits de nombreux pays. Les conflits de droits sont soulevés par l'application ou l'interprétation d'une disposition d'un contrat de travail, d'une convention collective ou d'une loi; les conflits d'intérêts résultent de l'établissement ou de la modification de droits ou d'obligations, principalement dans le cadre de la négociation collective et, de ce fait, de l'incapacité des parties d'atteindre un accord sur les conditions d'emploi. En ce qui concerne les conflits de droits, une distinction est souvent établie entre les conflits individuels et les conflits collectifs, alors que les conflits d'intérêts sont, en règle générale, uniquement collectifs. Un conflit individuel porte généralement sur l'interprétation d'un contrat individuel de travail ou sur la législation applicable en matière d'emploi. Les conflits de droits collectifs peuvent notamment être déclenchés au sujet de l'interprétation ou de la violation alléguée des clauses d'une convention collective (par exemple celles qui portent sur l'obligation de paix sociale durant toute la durée de validité de la convention) ou d'une loi (par exemple celles qui portent sur la constitution d'organes représentatifs des travailleurs dans les entreprises).

132. La distinction établie entre ces différents types de conflits est loin d'être universelle et est même souvent floue. Ainsi ne présente-t-elle guère d'intérêt au Royaume-Uni, où l'élaboration des nouvelles règles est liée de manière si complexe à l'interprétation des règles en vigueur de la négociation collective qu'un différend sur les «droits» peut facilement se transformer en un conflit d'intérêts. Nombre de pays d'Asie et d'Afrique qui ont hérité du Royaume-Uni la notion générale de «différend du travail» ou de «différend professionnel», qui englobe toutes les formes de conflits du travail, continuent d'avoir recours à des procédures de règlement qui, fondamentalement, s'appliquent aussi bien aux conflits d'intérêts qu'aux conflits de droits, même si certains d'entre eux ont tenté, avec plus ou moins de succès, d'introduire une distinction (par exemple le Bangladesh et le Pakistan en 1969) et si d'autres ont élaboré des procédures spécifiquement conçues pour les conflits individuels déclenchés par la cessation de la relation de travail (comme Sri Lanka depuis 1957 et la Malaisie depuis 1969). Dans d'autres pays, comme la France et les pays d'Afrique francophone, la distinction fondamentale oppose les conflits individuels, qui portent sur les questions de droits, et les conflits collectifs, qui portent aussi bien sur les questions d'intérêts que sur les questions de droits. Dans nombre de pays en développement, la distinction entre conflits d'intérêts et conflits de droits est moins marquée en raison des diverses restrictions imposées à l'exercice du droit de grève; en effet, la faculté de déclencher une action revendicative relève normalement des procédures applicables aux conflits d'intérêts par opposition aux procédures applicables aux conflits de droits.

133. D'autres types de conflits sont assujettis à des procédures de règlement spéciales dans un grand nombre de pays. C'est le cas notamment des conflits relatifs à la reconnaissance d'un syndicat ou aux «pratiques de travail déloyales», c'est-à-dire aux conflits liés à l'exercice des droits syndicaux. Dans la plupart des pays d'Europe occidentale et dans un certain nombre de pays en développement, la reconnaissance syndicale ne pose pas de difficultés particulières, essentiellement parce que les travailleurs reconnaissent volontairement l'autorité des syndicats dans la négociation ou parce que cette reconnaissance est prescrite par la loi. Dans certains autres pays, cependant, les revendications syndicales relatives à la reconnaissance peuvent se heurter à une opposition particulièrement forte des employeurs, provoquant des conflits longs et difficiles. C'est pourquoi, dans certains pays, la question de la reconnaissance syndicale et du pluralisme syndical fait l'objet d'une réglementation beaucoup plus détaillée. Le principe fondamental sous-tendant le système américain et canadien de reconnaissance syndicale consiste à admettre que le syndicat choisi par la majorité des travailleurs d'une unité de négociation donnée est le représentant exclusif de l'ensemble des travailleurs de cette unité et est reconnu comme tel par l'employeur. Cette conception a influencé le système d'un certain nombre de pays en développement, particulièrement en Asie et dans les Caraïbes.

134. Un certain nombre de pays ont également mis en place des procédures spéciales de règlement des conflits résultant de pratiques du travail déloyales. Bien que les définitions varient, on peut dire que les pratiques du travail déloyales portent généralement sur l'exercice des droits syndicaux ou sur les différends résultant d'allégations relatives à des actes de discrimination antisyndicale dans l'emploi. Dans certains pays, comme l'Afrique du Sud, elles couvrent également d'autres formes de discrimination ainsi que le refus de l'employeur de négocier de bonne foi, certaines actions syndicales vis-à-vis de l'employeur et le manque de représentativité véritable du syndicat. Aux Etats-Unis, un organisme administratif spécial est chargé de résoudre les différends de ce type, tandis que dans d'autres pays, comme le Japon et le Canada, cette tâche revient à des organismes quasi juridictionnels.

Prévention des conflits

135. Traditionnellement, le rôle des institutions et des personnes intervenant dans le règlement des conflits - conciliateurs, médiateurs, arbitres et juges du travail - est essentiellement celui de «pompiers» qui interviennent seulement lorsqu'un incendie - à savoir un conflit - s'est déclaré. Toutefois, on reconnaît de plus en plus l'importance des mesures préventives, essentiellement dans le cadre d'une amélioration de la coopération et du travail d'équipe sur le lieu de travail. Dans un certain nombre de pays, on constate le passage d'un régime qui vise simplement à atténuer les conflits à un régime qui favorise le développement de relations professionnelles caractérisées par la coopération, la flexibilité et l'équité, ainsi que la transformation progressive de l'antagonisme quotidien traditionnel en une stratégie de rendement visant à améliorer la compétitivité.

136. Aujourd'hui, les médiateurs prennent plus souvent l'initiative d'aider employeurs et syndicats en offrant une assistance et une formation dans le cadre d'une recherche commune de solutions. C'est ce que l'on appelle fréquemment «la médiation préventive», qui joue un rôle croissant dans le maintien et la promotion de la paix entre le salariat et le patronat. Le Système fédéral de médiation et de conciliation des Etats-Unis (FICS) participe également au règlement amiable des conflits ou à d'autres modes de solution des différends, en offrant toute une gamme de services d'enquête, d'assistance, de médiation, de consultation, de conception, de formation, de tutorat et d'évaluation. De plus, le FICS met activement en œuvre depuis 1981 un programme de collaboration entre le salariat et le patronat qui soutient et assiste les comités chargés des relations professionnelles aux différents niveaux en vue de favoriser par des formules novatrices la recherche commune par les salariés et la direction des entreprises de solutions aux problèmes.

137. Au Royaume-Uni, le Service consultatif de conciliation et d'arbitrage (ACAS) s'occupe des questions qui n'en sont pas encore au stade du différend. Toutefois, même lorsqu'un conflit est résolu, l'ACAS tente d'en savoir plus et de traiter sa cause profonde en offrant ses conseils. En matière de prévention, il s'efforce d'aider toujours plus les petites et moyennes entreprises à mettre en place des méthodes de partenariat exemplaires. Les organes de règlement des conflits créés récemment dans certains pays, comme l'Irlande et l'Afrique du Sud, mettent l'accent sur la prévention des conflits du travail et des négociations bipartites sur le lieu de travail. Aux Philippines, le Conseil national de conciliation et de médiation accorde une priorité élevée à la médiation préventive, à l'arbitrage volontaire et à la promotion de la coopération salariat-patronat. A Singapour, le bureau du ministère du Travail chargé de la conciliation favorise également le resserrement des relations salariat-patronat et offre aux syndicats et aux employeurs des conseils en matière de relations professionnelles. Au Canada, une formation aux techniques de négociation fondées sur la réciprocité d'intérêts est proposée à titre expérimental comme moyen de médiation préventive, tandis qu'en France on a reconnu la nécessité d'acquérir davantage d'expérience de la médiation préventive, particulièrement pour faire face aux conflits répétitifs.

138. D'aucuns font valoir que la meilleure façon de prévenir et de résoudre les conflits du travail passe par un renforcement des relations bilatérales entre salariés et direction ainsi que par l'établissement de relations de collaboration et de coopération. Il devient alors possible aux parties de prévenir et de résoudre les problèmes par une gestion efficace des négociations collectives ou bilatérales et de la recherche commune de solutions. C'est ainsi que, dans le cadre des formules dites «gagnant-gagnant», on recourt à la «négociation fondée sur la réciprocité d'intérêts», qui est en vogue dans différents pays, particulièrement aux Etats-Unis et au Canada. Ce système, dans lequel les parties sont incitées à mettre l'accent sur leurs intérêts communs, et non sur leurs divergences, vise généralement à trouver un terrain d'entente entre elles, à développer les relations et à supprimer le caractère conflictuel de la négociation collective traditionnelle. Grâce à un partage des informations, à des séances de réflexion et à la mise en commun des idées, on a déjà pu ainsi améliorer la productivité de nombre de négociations et faire baisser le taux des réclamations.

139. Ce qu'on attend des conciliateurs et des médiateurs, ce n'est pas simplement une aide en vue du règlement d'un différend existant, mais un rôle de catalyseur du changement, particulièrement grâce à leur aptitude à faire évoluer les parties d'un rapport conflictuel à la conciliation, au partenariat, à l'esprit d'équipe et à la coopération. Certaines des mesures de prévention les plus utiles portent sur la formation des délégués d'atelier et des agents de maîtrise à la négociation, à la gestion des contrats et à la prise des décisions, ainsi qu'à une conception élargie de la négociation collective prenant en compte l'ensemble de ses aspects, notamment l'exécution et la gestion des conventions et la renégociation des questions relatives à l'emploi.

140. Les formules novatrices de règlement des différends qui apparaissent dans le cadre de l'évolution des relations salariat-patronat et des différents systèmes de relations professionnelles méritent de faire l'objet en priorité d'analyses, d'études, de recherches et de débats.

Procédures de règlement des conflits du travail

141. Les procédures de règlement des conflits du travail sont très diverses. Les conventions et recommandations applicables de l'OIT laissent à chaque pays une grande latitude en ce domaine, avec la possibilité de prévoir une procédure distincte pour chaque catégorie de conflits. Dans de nombreux pays, les principales méthodes de règlement des conflits demeurent la conciliation, la médiation, l'arbitrage et la voie juridictionnelle, méthodes qui reposent sur la loi et mettent en cause un tiers indépendant et impartial. Cependant, on fait de plus en plus appel aux différentes formules nouvelles regroupées sous l'appellation de règlement amiable des conflits pour résoudre les différends du travail de tout type.

142. Les procédures de règlement des conflits d'intérêts se fondent sur le principe suivant lequel les parties doivent résoudre elles-mêmes leurs différends par la négociation, en ayant éventuellement recours à la menace ou à la mise en œuvre d'une action de revendication, des tiers n'étant finalement appelés en renfort que pour aider les parties à trouver une solution mutuellement acceptable. Ce principe a cependant été sensiblement remanié dans la plupart des pays en développement où les pouvoirs publics jouent un rôle actif dans le règlement des conflits, afin de s'assurer que l'issue de la négociation collective ou le règlement intervenu est compatible avec leur politique économique et de réduire l'incidence des mouvements sociaux, qu'ils jugent en général préjudiciables au développement économique et à la stabilité politique. En période de difficultés économiques, ce principe a parfois été remanié dans le même sens dans certains pays industriels à économie de marché. Il y a lieu de noter la tendance nouvelle à diminuer le rôle des pouvoirs publics dans le règlement des conflits afin de permettre plus facilement aux parties de s'entendre sur la meilleure solution au différend pour l'entreprise et pour son personnel. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les formules de règlement amiable des conflits et d'aide «privatisée» d'un tiers.

143. Le principe fondamental sur lequel reposent les procédures de règlement des conflits de droits est que ces différends, s'ils ne sont pas résolus par voie de négociation, doivent l'être par voie juridictionnelle ou par l'arbitrage, et non par une action de revendication, parce qu'ils impliquent la détermination des droits, des devoirs ou des obligations existants. On constate également sur ce point une tendance croissante à recourir à la conciliation, à la médiation et aux différentes formules de règlement amiable des conflits de droits. En pratique, cependant, les procédures de règlement des conflits de droits se recoupent partiellement avec celles qui concernent les conflits d'intérêts dans de nombreux systèmes de relations professionnelles, comme le système traditionnel du Royaume-Uni et de certains des pays qui s'en inspirent.

144. Un autre facteur qui contribue à estomper cette distinction est le rôle de la conciliation, de la médiation et des différentes formules de règlement amiable des conflits. On y recourt dans un nombre croissant de pays, non seulement pour résoudre les conflits d'intérêts, mais aussi pour trouver une solution, du moins au premier stade, aux conflits de droits. Il existe même des pays, comme la Suède, où un différend opposant les parties à une convention collective ne peut être porté devant le tribunal du travail qu'après que les parties ont négocié, et d'autres, comme l'Afrique du Sud, où la conciliation est obligatoire. En France, un collège restreint du tribunal du travail, le Conseil des prud'hommes, dirige les procédures de conciliation obligatoire avant que le cas ne soit jugé. Le grand succès de la conciliation et des autres procédures non juridictionnelles dans le règlement des conflits de droits témoigne de ce que les partenaires sociaux reconnaissent largement aujourd'hui que ces conflits résultent souvent d'un malentendu ou d'un défaut de communication entre les parties, lacunes qu'il est plus facile de combler à l'amiable que par le recours à la justice.

Conciliation et médiation

145. Pour résoudre les conflits d'intérêts, on continue le plus souvent à recourir à la conciliation et à la médiation, en vertu desquelles un tiers aide les parties à la négociation à trouver une solution. Dans de nombreux pays, notamment en Afrique, en Asie et en Amérique latine, des services publics de conciliation ou, plus rarement, des inspecteurs du travail y pourvoient. Dans un certain nombre de pays, en revanche, des organismes jouissant d'une grande autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics sont chargés de la conciliation et de la médiation, comme le Service consultatif de conciliation et d'arbitrage (ACAS) au Royaume-Uni, le Service fédéral de médiation et de conciliation (FMCS) aux Etats-Unis, la Commission australienne des relations professionnelles (AIRC), le Conseil d'arbitrage au Danemark, les commissions des relations professionnelles au Japon et la Commission de conciliation, de médiation et d'arbitrage (CCMA) en Afrique du Sud. A ces formules s'ajoutent aujourd'hui les procédures de règlement amiable des conflits, caractérisées par la «privatisation» de ces services ou par la possibilité offerte aux parties de les confier à une instance privée.

146. Dans la plupart des pays industriels à économie de marché, la conciliation constitue en pratique l'unique procédure permettant de résoudre les conflits d'intérêts collectifs. Même si, dans beaucoup de pays, les termes «conciliation» et «médiation» sont employés indifféremment, une distinction est faite dans d'autres selon la part d'initiative prise par le tiers. Ainsi, au Royaume-Uni, l'ACAS s'efforce de faciliter par la conciliation les négociations entre les parties en s'abstenant normalement de faire des propositions. Toutefois, lorsqu'il paraît utile de recourir à la médiation et que les parties y consentent, il peut désigner comme médiateurs des personnalités indépendantes, qui formulent des recommandations précises en vue de régler le conflit. On peut citer aussi le Chili, la République dominicaine et le Nigéria, où la législation du travail établit une distinction entre conciliation et médiation. Au Chili, la médiation vise aussi le recours à un conciliateur habilité à proposer un règlement, tandis qu'en République dominicaine l'utilisation des termes «conciliation» et «médiation» dépend du type de différend.

147. La nécessité de créer des organes indépendants pour inspirer aux partenaires sociaux davantage de confiance dans la conciliation influe sur la structure de ces organes dans nombre de pays. Ainsi, les commissions des relations professionnelles au Japon et le conseil d'administration de l'ACAS au Royaume-Uni réunissent un nombre égal de représentants des employeurs et des syndicats et de membres indépendants. De même, au Danemark, les conciliateurs sont, dans la pratique, tous nommés conjointement par les syndicats et les organisations patronales. En Allemagne, employeurs et syndicats jouissent d'une grande autonomie en matière de conciliation, comme en témoigne l'instauration dans la plupart des branches d'activités par voie de convention collective de conseils présidés par une personnalité neutre et composés d'un nombre égal de représentants de l'association patronale et du syndicat. La Belgique et la Suisse ont mis en place des systèmes de conciliation analogues pour certaines branches d'activités. Un certain nombre de pays en développement et de nouveaux pays industriels ont aussi institué des organes tripartites chargés de la conciliation, tandis que dans nombre de pays d'Amérique centrale et d'Amérique latine (par exemple le Brésil, le Mexique et le Venezuela), ce type d'organe existe en fait depuis de nombreuses années.

148. La conciliation est volontaire lorsque les parties sont libres d'y recourir ou non; elle est obligatoire lorsqu'elles sont tenues de le faire. A l'évidence, la conciliation est également volontaire lorsqu'elle est assurée par un tiers choisi d'un commun accord par les parties en dehors des mécanismes fixés par le règlement ou la loi. En Belgique, aux Etats-Unis, en France, en Hongrie et au Royaume-Uni, les deux parties doivent ainsi consentir au recours à la conciliation. En Afrique du Sud, en Australie, au Canada, en Malaisie, en Pologne et à Singapour, la conciliation est obligatoire soit parce que la loi dispose que l'on doit y avoir recours en cas de différend, ou que les conciliateurs sont habilités à engager la procédure, soit parce que le droit de grève ou de lock-out est subordonné à une tentative de conciliation préalable. En tout état de cause, la conciliation vise à aider les parties à régler leur différend par voie d'accord.

149. L'un des principaux défis auxquels font face de nombreux pays aujourd'hui tient à la manière d'adapter la conciliation et la médiation à l'évolution du monde du travail. Ces procédures sont déjà devenues un élément important du règlement amiable des conflits dans différents pays, où elles en sont venues à s'appliquer non seulement à la médiation traditionnelle mais aussi à la médiation préventive. Il est de plus en plus admis que la prévention et le règlement des conflits exigent aujourd'hui des techniques extrêmement élaborées, novatrices, actives et même agressives. Ainsi, aux Etats-Unis, le rapport de 1994 du groupe de travail sur l'avenir du FMCS a proposé de nommer des médiateurs polyvalents qui seraient à même d'offrir toute la gamme des services dont ont besoin les clients. La formule conserve le rôle traditionnel du médiateur, tout en faisant fond sur la pratique qui se développe aujourd'hui avec succès, consistant à aider les syndicats et la direction de l'entreprise à concevoir et à mettre en place de nouveaux mécanismes de partenariat. On attend ainsi du médiateur qu'il aide les parties à élaborer des procédures conjointes de règlement des différends, à instaurer des méthodes de négociation plus constructives, à mettre en place de meilleurs circuits de communication, et même à améliorer le rendement de l'entreprise. Le groupe de travail est allé jusqu'à dresser la liste des domaines où l'instance de médiation doit posséder des compétences: négociation collective et relations du travail; relations salariat-patronat; solution des problèmes; amélioration de l'efficacité organique; conception et mise en œuvre de mécanismes de règlement des différends; éducation, mobilisation et sensibilisation; informatique. Nombre de pays en développement, cependant, souffrent encore d'une pénurie de conciliateurs qualifiés et ne disposent pas des ressources nécessaires au fonctionnement de services de conciliation autonomes, indépendants et efficaces.

150. Eu égard aux modifications de la situation des relations professionnelles, une question se pose: dans quelle mesure les techniques, les principes, la structure et les programmes de formation relatifs à la conciliation et à la médiation changent-ils dans de nombreux pays? Quelles améliorations faut-il y apporter et quels sont les moyens auxquels on peut recourir pour ce faire? Quels enseignements peut-on tirer de l'expérience d'un autre pays et dans quelle mesure peut-on adopter les solutions qu'il a retenues?

Arbitrage

151. De manière générale, l'arbitrage est une procédure en vertu de laquelle un tiers n'agissant pas à titre juridictionnel est habilité à prendre une décision visant à résoudre le conflit. L'arbitrage est réputé «volontaire» lorsqu'il ne peut être mis en œuvre que si les parties y consentent et «obligatoire» lorsqu'il peut être mis en œuvre à l'initiative de l'une ou l'autre des parties ou des pouvoirs publics.

152. L'arbitrage obligatoire des conflits d'intérêts est rare dans le secteur privé des pays industriels, sauf au Canada (au niveau fédéral et dans certaines provinces), où les conflits d'intérêts liés à la première tentative d'adoption d'une convention collective doivent être soumis à un arbitrage obligatoire dans certaines circonstances. L'arbitrage obligatoire est beaucoup plus courant dans la fonction publique des pays industriels (par exemple en Irlande, en Norvège et au Royaume-Uni) et parfois dans les services essentiels. Dans nombre de pays en développement et de nouveaux pays industriels (par exemple dans un certain nombre de pays d'Afrique et d'Asie, comme le Kenya, le Nigéria, Singapour et les Philippines), on y recourt à la fois dans la fonction publique et dans le secteur privé. L'arbitrage obligatoire des conflits d'intérêts a été institué par un certain nombre de pays en développement (par exemple le Nigéria, l'Ouganda et la Zambie) en vertu du principe qu'il aide à maintenir l'ordre public et à protéger l'économie nationale et la vie publique des effets perturbateurs des actions revendicatives.

153. On considère également que l'arbitrage obligatoire présente des avantages dans les cas où le déséquilibre des forces entre employeurs et syndicats compromet toute perspective de négociation collective véritable. Pourtant, à mesure que le système des relations professionnelles se développe, l'arbitrage obligatoire apparaît de plus en plus comme un obstacle à la libre négociation collective et cède progressivement la place à la conciliation et aux autres méthodes volontaires, qui redeviennent les principales méthodes de règlement des différends. Cela se vérifie particulièrement lorsqu'il souffre de faiblesses diverses: délais indus, accumulation des dossiers, légalisme excessif et perte de confiance des parties.

154. L'arbitrage des conflits de droits (communément appelé «procédure de réclamation») dans le cadre des conventions collectives est largement pratiqué dans différents pays. Aux Etats-Unis, les parties insèrent volontairement une clause d'arbitrage, tandis qu'au Canada cette clause est exigée par la législation de la plupart des provinces et qu'elle est réputée figurer dans les conventions collectives même lorsqu'elle n'y est pas mentionnée expressément. Des arbitres sont parfois nommés pour résoudre un différend précis, mais ils peuvent aussi être nommément désignés dans la convention collective. Aux Etats-Unis, l'arbitrage est mené en principe par un seul arbitre, tandis qu'au Canada il l'est normalement par un conseil tripartite. Les principaux avantages du système d'arbitrage des réclamations résident dans son caractère largement volontaire et dans sa souplesse. Il présente cependant certaines lacunes, par exemple le fait que peuvent seulement y recourir les unités de négociation qui disposent d'un agent négociateur agréé. Ainsi, la baisse du taux de syndicalisation et du nombre des conventions collectives constatée dans certains pays a-t-elle une incidence sur l'arbitrage.

155. Le rôle des organes chargés des conflits de droits est aujourd'hui au cœur du débat dans de nombreux pays, particulièrement dans ceux en développement, en raison de l'évolution de ce type de conflits, provoquée par les pressions exercées sur la relation d'emploi, les nouvelles formes de liens contractuels et le caractère fortement compétitif du cadre économique. Les licenciements collectifs se multiplient dans de nombreux pays, notamment en Asie, tandis que l'efficience, l'accessibilité et l'efficacité des mécanismes en vigueur sont fortement remis en question. Nombre de pays d'Afrique, d'Asie et d'Europe centrale et orientale, par exemple, se heurtent aux mêmes difficultés, parmi lesquelles l'insuffisance ou l'absence de conciliateurs ou d'arbitres qualifiés et l'existence d'un droit et d'une réglementation du travail dépassés et inefficaces. C'est pourquoi ces pays demandent tous qu'on leur apporte la formation et l'assistance technique nécessaires au renforcement de l'ensemble de leur dispositif de règlement des conflits.

156. Voulant inciter les parties à prendre davantage part au règlement des conflits tout en maintenant les relations professionnelles à l'abri de toute action revendicative, un certain nombre de pays en développement se sont efforcés de favoriser l'arbitrage volontaire des conflits de droits comme d'intérêts, en vertu duquel les parties soumettent leurs différends de leur plein gré à des arbitres de leur choix. Les Philippines, par exemple, ont expérimenté ce système avec un certain succès. Toutefois, malgré les gros efforts déployés par nombre de pays, l'arbitrage volontaire reste assez peu pratiqué dans les pays en développement, et ce pour diverses raisons: pénurie d'arbitres capables d'inspirer confiance aux deux parties; coût de la procédure; poids respectif très inégal des partenaires sociaux; facilité de recours à l'arbitrage obligatoire.

157. Dans différents pays, on recourt à l'arbitrage, volontaire ou obligatoire, pour résoudre les conflits d'intérêts, mais plus encore de droits, notamment lorsqu'il s'agit de réclamations ou lorsque la conciliation ou la médiation initiale a échoué. On estime généralement, particulièrement aux Etats-Unis et au Canada, que l'arbitrage privé conservera dans l'avenir son utilité et son usage, de pair avec la négociation collective, et qu'il gagnera le secteur informel de l'économie. Cependant, de même que pour de nombreux autres aspects des relations de travail, des questions se posent quant à la nécessité de réexaminer le rôle de l'arbitrage face aux situations nouvelles.

158. En ce qui concerne l'arbitrage des réclamations du secteur privé, certaines questions - légalisme rampant, coût élevé, temps supplémentaire exigé par l'étude des dossiers et faculté éventuelle des parties de choisir directement leurs arbitres, au lieu de faire leur choix sur une liste officielle - restent débattues. En ce qui concerne l'arbitrage des intérêts privés, les experts sont partagés quant au fait de savoir si son utilisation en tant qu'alternative à l'opposition grève-menaces dans les relations professionnelles ou en tant que formule permettant d'améliorer l'efficacité, l'équité et l'intégrité de la négociation collective s'accroîtra ou diminuera dans les années à venir. L'arbitrage des conflits d'intérêts se fait habituellement soit selon des méthodes classiques, soit selon diverses formules novatrices comme l'«offre finale», dans laquelle l'arbitre est tenu d'accepter la position définitive d'une partie. Cette formule a évolué et prend aujourd'hui diverses formes (notamment aux Etats-Unis et au Canada), parmi lesquelles son utilisation au cas par cas, l'inclusion d'un rapport d'enquête proposant une troisième solution éventuelle et sa limitation aux questions économiques. On continue toutefois à se préoccuper des effets de l'arbitrage des intérêts privés sur le comportement des parties et sur la négociation collective. On constate tout d'abord que la possibilité de recourir à cette formule nuit à la volonté des parties de mener des négociations sérieuses; on constate également que les parties qui y ont recouru sont davantage enclines à y recourir de nouveau lors de négociations futures.

159. Pour ce qui est de savoir si l'arbitrage restera dans l'avenir l'un des modes essentiels de règlement des différends, il convient d'examiner différents points: comment maintenir son accessibilité traditionnelle et rendre une justice du travail rapide et peu coûteuse; changements à y apporter pour l'adapter à l'évolution des différends et aux attentes des secteurs syndicalisés et non syndicalisés de l'économie; comment surmonter les problèmes récurrents que sont le légalisme rampant, les coûts élevés, les délais excessifs et l'accumulation des dossiers, tous problèmes qui ont une incidence sur l'attitude des parties dans la négociation et sur cette négociation elle-même.

Voie juridictionnelle

160. La voie juridictionnelle a été longtemps considérée comme une méthode essentielle de règlement des conflits. Elle désigne les procédures selon lesquelles un organe juridictionnel ou judiciaire tranche sans appel un conflit portant sur des droits et des obligations. Ces organes juridictionnels comprennent les tribunaux ordinaires, les tribunaux du travail spécialisés, les instances administratives quasi judiciaires et les instances d'arbitrage.

161. La compétence des tribunaux habilités à connaître des conflits de droits varie énormément. Dans un certain nombre de pays, comme l'Italie et les Pays-Bas, tous les conflits de droits, qu'ils soient individuels ou collectifs, sont portés devant les tribunaux ordinaires. Aux Pays-Bas, les tribunaux du travail prennent beaucoup de retard en raison du nombre de cas en instance. En Italie, en revanche, les conflits du travail sont réglés beaucoup plus rapidement que les affaires ordinaires, car les juges qui en sont chargés sont généralement spécialisés dans ce domaine. Dans certains pays, comme la Namibie, une chambre des tribunaux ordinaires est chargée de s'occuper des conflits du travail.

162. Les tribunaux du travail se distinguent souvent des tribunaux ordinaires par leur connaissance des relations professionnelles, leur relative autonomie et la souplesse de leur procédure. Cependant, un certain nombre de pays, particulièrement ceux du tiers monde, se heurtent aux graves problèmes que constituent le légalisme, les retards excessifs et l'accumulation des dossiers. Il apparaît que les tribunaux du travail sont le mécanisme le plus communément utilisé pour le règlement des conflits de droits et qu'ils jouent un rôle important en Autriche, en Finlande, en France (ainsi que dans nombre de pays africains influencés par le droit français), en Espagne, en Turquie, en Hongrie, au Brésil et en Uruguay, pour ne citer que quelques exemples. Les compétences en matière de relations professionnelles sont souvent partagées entre les tribunaux du travail et les tribunaux ordinaires. On note cependant des exceptions, comme l'Allemagne, où les tribunaux du travail jouissent d'une compétence pratiquement exclusive pour tous les conflits de droits individuels et collectifs, et différents pays d'Asie et d'Afrique, où cette compétence est encore plus large, puisqu'elle s'étend à la fois aux conflits de droits et d'intérêts.

163. Au Danemark et en Suède, la compétence des tribunaux du travail est axée sur les conflits de droits collectifs opposant les parties à une convention collective. En Suède, un différend entre un employeur et un salarié qui n'appartient pas à un syndicat est porté devant un tribunal de droit commun et est susceptible d'appel devant le tribunal du travail. Au Royaume-Uni, les conflits de droits portant sur l'application d'une disposition législative particulière, par exemple l'égalité de rémunération, la discrimination en fonction du sexe ou le licenciement abusif, relèvent de la compétence exclusive des tribunaux du travail, alors que les autres conflits de droits concernant les contrats individuels de travail relèvent des tribunaux de droit commun. En France, les tribunaux du travail (conseils des prud'hommes) n'ont compétence que pour les conflits individuels, y compris ceux qui portent sur l'interprétation et l'application des conventions collectives, dont les dispositions sont fréquemment reprises dans les contrats individuels de travail. En revanche, les conflits relatifs à une violation alléguée du droit du travail relèvent des tribunaux de droit commun. Au Sri Lanka, les tribunaux du travail n'ont compétence que pour le règlement des conflits relatifs aux licenciements.

164. Dans un nombre assez élevé de pays (par exemple Allemagne, Suède, Costa Rica, Mexique, Philippines et Singapour), les tribunaux du travail sont tripartites, alors qu'en France les conseils des prud'hommes sont fondamentalement bipartites. L'avantage du bipartisme ou du tripartisme réside ici dans l'expérience des relations professionnelles qu'ont acquise les employeurs et les travailleurs qui composent ces tribunaux. La procédure suivie est généralement moins légaliste que celle des tribunaux de droit commun, ce qui présente l'avantage de résoudre les conflits dans les meilleurs délais et à peu de frais, mais risque parfois d'aboutir à une solution plus politique que juridictionnelle. Le rôle des représentants des employeurs et des travailleurs dans les organismes tripartites est variable. Dans certains pays, ils ont pour rôle de représenter les intérêts de leurs membres, tandis que, dans la plupart des systèmes (par exemple en Allemagne, au Royaume-Uni et en Suède), ils agissent en toute indépendance. Selon les pays, les membres non juristes prennent part au vote ou ont uniquement voie consultative. Il y a lieu de noter que d'autres pays, comme l'Argentine et le Venezuela, ont instauré un système de juges administratifs qui ne prévoit pas de représentation spécifique des travailleurs ou des employeurs.

165. Si les tribunaux du travail spécialisés présentent de nombreux avantages par rapport aux tribunaux de droit commun, les parties préfèrent généralement les formules non judiciaires, c'est-à-dire la conciliation, la médiation, l'arbitrage et les diverses formes de règlement amiable des conflits. On estime généralement que ces formules non judiciaires sont plus accessibles, plus pratiques et moins coûteuses et qu'elles sont mieux à même de respecter l'autonomie des parties et de préserver la stabilité et la solidité des relations salariat-patronat. Certains estiment cependant que la formule judiciaire doit continuer à jouer un rôle important dans le règlement des conflits, particulièrement des conflits de droits, et que les parties devraient conserver la faculté de recourir à un arbitrage juridictionnel, se fondant pour cela sur l'efficacité de nombreux tribunaux du travail européens, connus pour leur accessibilité ainsi que pour la simplicité et la souplesse de leur procédure. Des réunions sont organisées régulièrement avec l'assistance de l'OIT à l'intention de hauts magistrats européens en vue de discuter de questions d'actualité (par exemple la protection du travailleur en cas de réorganisation et de restructuration de l'entreprise) et de rendre ainsi la justice du travail plus efficace.

166. Compte tenu des différentes formules offertes aujourd'hui aux parties, les organes juridictionnels ont la tâche difficile de préserver leur rôle propre dans le règlement des conflits, particulièrement des conflits de droits. Il y a lieu d'examiner les critiques qui leur sont adressées: connaissance insuffisante du monde du travail; coût et délais élevés; caractère exagérément contentieux des décisions; manque de sens du compromis; aptitude à régler les questions juridiques, mais non les problèmes véritables qui hypothèquent les relations futures des parties; difficultés d'accès. A cet égard, il a été proposé de mener une étude approfondie des modes de fonctionnement des tribunaux du travail et instances similaires afin de les rendre plus accessibles et d'améliorer la confiance dont elles jouissent auprès des parties.

Nouveaux mécanismes de règlement amiable des conflits

167. Les nouveaux mécanismes de règlement amiable des conflits font maintenant partie intégrante de toute discussion de la question du règlement des conflits en général, parallèlement aux méthodes traditionnelles que sont la conciliation, la médiation, l'arbitrage et la voie juridictionnelle. On les cite souvent dans le cadre des méthodes, outils et techniques novateurs de règlement des différends. Il n'en existe cependant pas de définition précise faisant l'unanimité.

168. On peut les définir comme les méthodes visant à régler les conflits en dehors des tribunaux par l'intervention d'un tiers. On peut dire également qu'elles comprennent l'ensemble des procédures extérieures à la justice ou, de manière plus large, l'ensemble des méthodes autres que celles faisant intervenir une décision juridictionnelle, que la procédure se situe à l'intérieur ou à l'extérieur des tribunaux officiels. On peut encore les considérer comme une forme de «privatisation» du règlement des différends offrant un moyen d'accroître le nombre des bénéficiaires de la justice du travail et de rendre cette justice plus rapidement que ne le font les instances publiques traditionnelles. D'autres, enfin, les considèrent comme un ensemble varié de mécanismes volontaires élaborés par les utilisateurs eux-mêmes en vue de régler leurs différends. Ces différentes méthodes sont de plus en plus pratiquées dans de nombreux pays, notamment en Europe. Aux Etats-Unis et au Canada, elles constituent depuis longtemps un moyen de règlement général des conflits relatifs à la négociation collective par la médiation et l'arbitrage. On apprécie largement le rôle qu'elles peuvent jouer, même en l'absence de représentation syndicale et de conventions collectives.

169. De nombreuses formules de règlement amiable des conflits sont maintenant appliquées. Certaines des plus courantes sont les suivantes: les bons offices, système dans lequel un tiers aide les parties à trouver une solution au conflit sans s'attaquer aux questions de fond; la conciliation, où un tiers neutre aide les parties à communiquer en vue de résoudre le conflit, sans proposer de suggestions ou d'idées personnelles; la médiation, où un tiers neutre et expérimenté propose des suggestions pour stimuler la discussion et permettre d'aboutir à un règlement; l'arbitrage, où les parties soumettent leur litige d'un commun accord à un tiers neutre dont elles s'engagent à accepter la décision sans appel; la conférence de règlement, qui est menée par un juge, retraité ou non, qui entend un résumé des faits, des arguments juridiques et des preuves, évalue le bien-fondé de la position respective des deux parties et propose un avis sur la manière dont un jury trancherait en l'espèce; l'enquête, procédure non contraignante par laquelle un tiers neutre entend le point de vue des parties et leur soumet des éléments de fait, une évaluation indépendante et des recommandations non contraignantes; le miniprocès, procédure privée et consensuelle à laquelle les parties sont souvent représentées par des avocats ou autres experts et qui constitue la première étape d'un échange d'informations visant à dégager les points essentiels du litige et, si celui-ci n'est pas réglé, à passer à l'étape suivante, qui consiste à choisir un tiers ou un conseiller neutre; la médiation-arbitrage, procédure par laquelle le tiers neutre a la faculté de procéder à une médiation et à un arbitrage; la formule «louez un juge», qui se fonde sur la législation de certains pays permettant à un juge officiel d'autoriser un tiers neutre désigné par lui à trancher un cas avec les mêmes effets juridiques qu'une décision de justice (le tiers pouvant être un ancien juge ou une personnalité proposée par les parties elles-mêmes); le recours à un juge de règlement, formule selon laquelle les parties ont la faculté de débattre des forces et des faiblesses de leur position devant un «juge de règlement», qui donne son avis sur la manière dont un juge officiel pourrait trancher, les parties étant libres de se pourvoir en justice si ce juge de règlement ne parvient pas à leur faire accepter sa proposition; le recours à un ombudsman, habituellement proposé au salarié par l'employeur pour échapper aux formalités administratives et à la rigidité hiérarchique, qui risqueraient d'entraver le règlement des litiges soumis par les salariés.

170. Dans de nombreux pays, comme les Etats-Unis et le Canada, les conflits relatifs à la négociation collective sont réglés régulièrement par les parties elles-mêmes dans le cadre d'une procédure de médiation ou d'arbitrage privée relevant des nouveaux mécanismes de règlement amiable des conflits. Les réclamations, y compris celles qui portent sur l'interprétation et l'application des conventions collectives, sont aussi résolues habituellement dans le cadre des nouveaux mécanismes de règlement amiable des conflits, sous forme d'arbitrage privé. Le recours aux nouveaux mécanismes de règlement amiable des conflits dans le secteur non syndicalisé de l'économie progresse aussi notablement dans de nombreux pays, selon des formules comme les procédures internes fixées par la direction, parmi lesquelles figure celle qui consiste à nommer un ombudsman, dans le cadre d'une politique de la porte ouverte incitant les salariés à faire part directement de leurs doléances à la direction sans avoir à craindre de représailles. Nombre d'entreprises ont mis au point des mécanismes internes de règlement des conflits plus officiels faisant appel à des spécialistes internes ou externes pour prévenir ou régler les conflits grâce à la conciliation, les bons offices ou la médiation.

171. Aux Etats-Unis, on constate une prolifération de formules d'arbitrage non syndical de conflits portant sur l'emploi dans le cadre de procédures fixées unilatéralement par l'entreprise pour éviter le recours aux procédures juridictionnelles prévues par la loi. Cette évolution tient à différents facteurs: progression énorme du nombre des litiges; montant excessif des dommages-intérêts; retards; coût des procédures contentieuses; baisse du nombre des salariés syndiqués; cadre réglementaire et judiciaire favorable à l'arbitrage. On en est venu ainsi à se demander si cette pratique devait être encouragée, freinée ou réglementée. L'absence de réglementation, s'ajoutant aux revendications tendant à l'obtention de garanties juridiques dans le cadre de procédures fixées unilatéralement, particulièrement pour ce qui est des licenciements, conduit à faire reculer la doctrine de la liberté patronale en matière d'emploi au profit de celle du licenciement pour motif valable.

172. Il apparaît que nombre des procédures d'arbitrage établies unilatéralement n'offrent pas de garanties suffisantes et contiennent même des clauses préjudiciables aux travailleurs et aux arbitres, comme l'interdiction de la représentation juridique et la limite imposée aux moyens de recours à la disposition des parties. L'idéal serait que les procédures puissent être négociées et acceptées librement par celles-ci. Le déséquilibre des relations entre elles a entraîné l'adoption en mai 1995 par un groupe d'organismes américains d'un Protocole relatif aux garanties juridiques (Due Process Protocol), qui représente un modèle d'équité et peut être utilisé dans le cadre de procédures fixées unilatéralement. Les principaux éléments de ce protocole sont les suivants: droit du salarié à la représentation; moyens de la défense; qualifications des médiateurs et des arbitres; formation et sélection; rémunération des médiateurs et des arbitres; autorité du tiers neutre et possibilités d'appel.

173. Il est toujours préférable de décider de recourir aux nouveaux mécanismes de règlement amiable des conflits avant qu'un conflit ne se produise. Cependant, loin de constituer une panacée, cette formule doit être considérée comme une option qui s'offre aux parties, de pair avec les méthodes traditionnelles que constituent la conciliation, la médiation, l'arbitrage et la voie juridictionnelle. Malgré l'intérêt croissant dont elle fait l'objet dans de nombreux pays, son application n'a pas encore atteint l'échelle mondiale. Cependant, étant donné le succès qu'elle rencontre dans un certain nombre de pays, elle mérite largement qu'on la considère comme un mode valable de règlement des conflits du travail et qu'on l'étende, moyennant certaines adaptations, à un aussi grand nombre de pays que possible.

Actions de revendication

174. Le droit de grève est l'un des principaux moyens dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et défendre leurs intérêts économiques et sociaux, comme le reconnaît expressément dans son article 8 le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Au niveau régional, la Charte sociale européenne est l'un des premiers instruments à avoir reconnu ce droit expressément dans le cas des conflits d'intérêts, sous réserve des engagements pris au titre des conventions collectives en vigueur. A l'OIT, la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations et le Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration ont reconnu que le droit de grève, bien qu'il ne soit pas expressément mentionné dans la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, découlait en fait du principe de la liberté syndicale et constituait un moyen essentiel pour les travailleurs et leurs organisations de promouvoir et de défendre leurs intérêts économiques et sociaux. La grève offre souvent aux travailleurs, par son influence économique, un moyen de faire contrepoids au pouvoir de l'employeur. Toutefois, l'ampleur de certains conflits sociaux peut rendre grèves et lock-out préjudiciables à la vie économique.

175. La législation applicable aux grèves et aux lock-out doit être examinée au plan de l'étendue des droits comme à celui de la réglementation de leur exercice. L'étendue du droit de grève varie considérablement. A une extrémité de l'échelle se situent les pays où le droit de grève est reconnu par la Constitution, par la législation, par la jurisprudence ou par les conventions signées par les syndicats d'employeurs et de travailleurs, sous réserve des restrictions auxquelles certaines catégories de travailleurs peuvent être soumises. Certains de ces pays (par exemple la France, l'Italie et le Portugal) ne garantissent pas de la même manière le droit de lock-out. D'autres pays (par exemple le Canada, les Etats-Unis, le Mexique et la Suède) reconnaissent expressément le droit de grève et de lock-out. Au Royaume-Uni, le droit de grève n'est pas inscrit explicitement dans la loi, mais il existe certaines immunités légales relatives aux grèves qui, faute de ces immunités, engageraient la responsabilité civile ou pénale.

176. Dans certains pays (par exemple en France et en Italie pour le secteur privé), le droit de grève est considéré comme un droit individuel des travailleurs, tandis que, dans d'autres (par exemple l'Allemagne et la Suède), il s'agit d'un droit appartenant aux syndicats. Il résulte en pratique de cette différence que les grèves non officielles ou «sauvages» sont en principe légales dans les premiers pays et illégales dans les seconds. La plupart des pays qui reconnaissent le principe du droit de grève refusent ce droit à certaines catégories de travailleurs (militaires, hauts fonctionnaires, etc.).

177. A l'autre extrême, il existe des pays où l'ensemble des travailleurs ne jouissent pas du droit de grève ou dans lesquels ce droit est sévèrement restreint. Bien que le nombre des pays où la législation interdit expressément la grève de façon permanente soit relativement faible, nombreux sont ceux, en revanche, particulièrement en Afrique, en Asie et en Amérique latine, où l'interdiction pratique de la grève découle de l'effet cumulatif des dispositions relatives au règlement des différends, selon lesquelles tout différend non résolu doit être soumis à l'arbitrage obligatoire ou à la décision du ministère du Travail. Dans nombre d'autres pays, où le recours à l'arbitrage n'est pas obligatoire, les autorités sont habilitées à soumettre les conflits de leur propre initiative à l'arbitrage obligatoire, se ménageant ainsi la possibilité d'interdire ou d'étouffer rapidement toute tentative de grève. Selon les organes de contrôle de l'OIT, de tels pouvoirs entravent sérieusement la capacité des syndicats à promouvoir et à défendre les intérêts de leurs membres, ainsi que leur droit de gérer leurs activités, ce qui les rend incompatibles avec les principes de la liberté syndicale.

178. Même dans les pays où le droit de grève ou de lock-out est reconnu en principe, les modalités de son exercice sont souvent réglementées. La réglementation porte essentiellement sur le moment où se déroule la grève ou le lock-out, sur son objet et sur les méthodes utilisées. La réglementation du choix des dates de la grève ou du lock-out se traduit dans nombre de pays par l'obligation faite aux parties à une convention collective de ne pas y recourir durant la durée de validité de cette convention. Cette obligation, que l'on nomme habituellement «obligation de paix sociale», peut être établie par une disposition législative expresse, comme en Suède, par un accord général entre les centrales syndicales et patronales, comme au Danemark, ou par une clause expresse de la convention collective liant les parties, comme aux Etats-Unis; elle peut aussi être considérée comme l'une des fonctions de la convention collective, conformément à la décision des tribunaux établissant la paix entre les parties, comme en Allemagne, en Autriche et en Suisse.

179. Les motifs d'une grève ou d'un lock-out conditionnent également leur caractère légal dans certains pays. Souvent, une grève n'est considérée comme licite que si ses objectifs sont liés aux relations professionnelles ou si, selon les termes de la législation britannique, «elle s'inscrit dans la perspective ou le déroulement d'un conflit professionnel», étant admis qu'il est difficile de définir ce que l'on entend par «conflit professionnel» ou par «objectifs liés aux relations professionnelles». Le caractère légal des objectifs poursuivis est souvent contesté lorsqu'il s'agit de grèves politiques ou de grèves de solidarité. En France et en Italie par exemple, l'employeur peut prendre l'initiative d'un lock-out, mais seulement en tant que mesure défensive lorsqu'une grève illégale a été déclenchée, tandis qu'au Chili le lock-out peut être utilisé comme riposte à toute grève touchant plus de 50 pour cent de la main-d'œuvre. En Espagne, les lock-out sont autorisés dans certaines circonstances limitées, notamment lorsqu'il y a lieu de protéger les personnes ou les biens contre des actes de violence.

180. En ce qui concerne les modalités de la grève et du lock-out, on s'accorde en général sur le fait qu'ils doivent se dérouler dans un climat pacifique. Autre grand principe, la grève ou le lock-out devrait être le dernier recours, et tous les efforts devraient donc être déployés pour régler les différends à l'amiable. Ce principe est appliqué par les tribunaux de certains pays, comme l'Allemagne et les Pays-Bas, où une grève n'est réputée licite que si toutes les possibilités de négociation ont été épuisées. Dans bien des pays, enfin, la loi prévoit que la grève doit faire l'objet d'un préavis ou être votée par les travailleurs syndiqués, conditions qui ne sont pas exigées dans beaucoup d'autres. La réglementation diverge considérablement d'un pays à l'autre pour ce qui est des grèves perlées, des grèves du zèle, des grèves tournantes, des piquets de grève, des grèves de solidarité et de l'occupation des locaux d'une entreprise par son personnel.

181. La réglementation des grèves et des lock-out dans les services essentiels est récemment devenue d'actualité dans certains pays. Si cette réglementation fait l'objet de restrictions depuis des années dans de nombreux pays, une tendance se dessine actuellement dans certains autres - où le droit de grève et de lock-out était par tradition largement reconnu - à leur emboîter le pas, par exemple en imposant un service minimum pendant la grève ou en interdisant le lock-out, ou encore en élargissant de manière excessive la notion de «services essentiels».

182. Les organes de contrôle de l'OIT ont estimé que l'interdiction des grèves dans les services essentiels, lorsqu'elle existe, devait être limitée aux services dont l'interruption mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé de la totalité ou d'une partie de la population, et que des garanties adéquates devaient être fournies afin de protéger les travailleurs qui sont ainsi privés d'un des moyens essentiels de défendre leurs intérêts, en mettant en place des procédures de conciliation appropriées, impartiales et rapides et, en dernier recours - et seulement lorsque celles-ci échouent -, des procédures d'arbitrage auxquelles les parties concernées peuvent participer à toutes les étapes et dans lesquelles les sentences devraient être, dans tous les cas, contraignantes pour les deux parties et appliquées rapidement et intégralement. Les organes de contrôle de l'OIT ont également pris position sur un certain nombre des questions évoquées ci-dessus, notamment sur les grèves politiques, le vote et le préavis.

Normes internationales du travail

183. Les normes internationales du travail relatives au règlement des différends ont forcément un caractère général qui traduit la grande diversité des modes de règlement des différends. Etant donné les nombreux changements qui se sont produits dans ce domaine, le moment est sans doute venu de réexaminer les dispositions de certaines de ces normes, particulièrement la recommandation (no 92) sur la conciliation et l'arbitrage volontaires, 1951, et la recommandation (no 130) sur l'examen des réclamations, 1967, en vue d'une éventuelle mise à jour de leur forme et, dans une certaine mesure, de leurs dispositions de fond.

184. La recommandation no 92 préconise en particulier la création d'organismes de conciliation volontaire, gratuite et expéditive, afin de contribuer à la prévention et au règlement des conflits du travail. Elle préconise également l'adoption de mesures visant à faire que la procédure puisse être engagée soit sur l'initiative de l'une des parties au conflit, soit d'office par l'organisme de conciliation volontaire. Elle précise que, si un conflit a été soumis à une procédure de conciliation ou d'arbitrage avec l'accord de toutes les parties intéressées, celles-ci devraient être incitées à s'abstenir de déclencher des grèves ou des lock-out pendant que la conciliation ou l'arbitrage est en cours. Elle stipule également qu'aucune de ses dispositions ne pourra être interprétée comme limitant d'une manière quelconque le droit de grève. Une autre indication quant à la façon dont un mécanisme approprié de règlement des conflits devrait être conçu est fournie par la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981, qui prévoit des mesures visant à faire en sorte que les organismes et les procédures de règlement des conflits du travail contribuent à promouvoir la négociation collective. De même, la recommandation (no 163) sur la négociation collective, 1981, préconise l'institution de procédures de règlement des conflits du travail propres à aider les parties à trouver elles-mêmes une solution au conflit qui les oppose.

185. La recommandation no 130 traite d'une catégorie particulière de conflits du travail, à savoir les réclamations présentées par un ou plusieurs travailleurs concernant des mesures ou des situations qui se rapportent aux relations de travail ou aux conditions d'emploi, lorsque le ou les travailleurs estiment de bonne foi que ces mesures ou ces situations sont contraires aux dispositions d'une convention collective en vigueur ou à celles d'un contrat individuel de travail, à un règlement d'entreprise, à la législation nationale, ou encore aux us et coutumes de la profession, de la branche d'activité économique ou du pays. Elle dispose que les travailleurs devraient avoir le droit de présenter des réclamations sans qu'il en résulte pour eux un préjudice quelconque et que ces réclamations devraient être examinées selon une procédure appropriée au sein de l'entreprise. Elle établit une distinction entre ce type de réclamations et les revendications collectives tendant à modifier les conditions d'emploi, lesquelles sont exclues de son champ d'application.

186. En ce qui concerne les conflits du travail dans la fonction publique, la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, prévoit que le règlement des différends concernant les conditions d'emploi doit être recherché par voie de négociation entre les parties ou par une procédure indépendante et impartiale telle que la médiation, la conciliation ou l'arbitrage. La convention souligne en outre que cette procédure doit être telle qu'elle inspire la confiance des parties intéressées. Au cours du débat qui a abouti à l'adoption de cette convention, il a été clairement admis qu'elle ne traitait en aucune façon du droit de grève.

187. Les autres normes internationales du travail applicables sont les suivantes: convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949; recommandation (no 91) sur les conventions collectives, 1951; et recommandation (no 159) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978. Par ailleurs, le Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration et la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations ont formulé un certain nombre de principes fondés sur la Déclaration de Philadelphie. La commission d'experts a effectué sa sixième étude générale sur l'application des conventions nos 87 et 98, que la Conférence a examinée à sa 81e session, en 1994. Le Bureau fonde les conseils qu'il donne aux Etats Membres pour l'élaboration de leur législation du travail sur les principes de la liberté syndicale et du droit de négociation collective.

Perspectives de discussion générale
sur le règlement des conflits

188. Un large consensus existe entre les mandants sur l'importance de la prévention et du règlement des conflits du travail dans le cadre d'une mondialisation marquée par une concurrence intense, des perturbations financières et des inégalités sociales, notamment dans les nombreux pays qui s'orientent vers l'économie de marché. Les propositions cherchent à illustrer la situation en cours et les changements qui résultent essentiellement de la mondialisation, ainsi que les nouvelles tendances internationales et nationales. On reconnaît largement la nécessité de procéder à des réformes du droit et de la réglementation du travail ainsi que de créer ou de renforcer des mécanismes de règlement des conflits propres à garantir l'accessibilité, l'efficience et la confiance des parties, particulièrement dans les pays en développement, les pays en transition et les pays qui connaissent des difficultés financières. On met également l'accent sur la formation et le partage de l'information, notamment grâce à des études et des recherches et à leur diffusion et leur adaptation.

189. Il pourrait être opportun de réexaminer la question de la prévention et du règlement des conflits du travail comme un tout dans le cadre d'une discussion générale, afin d'orienter les initiatives futures de l'Organisation relatives à l'ensemble des principaux aspects de la question pour le bénéfice des mandants tripartites. La discussion pourrait être axée sur les grands points ci-après, qui sont complétés par les questions plus détaillées mentionnées au titre de chaque thème correspondant des propositions:

* * *

6. a) Enregistrement et déclaration des accidents du travail
et des maladies professionnelles;
b) Révision éventuelle de la liste des maladies professionnelles,
tableau I de la convention (n
o 121) sur les prestations
en cas d'accidents du travail
et de maladies professionnelles, 1964
(26) 
 

Résumé

La pratique internationale concernant l'enregistrement et la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles est loin d'être uniforme. L'utilisation de définitions différentes, les différences de procédures pour la collecte des données et la déclaration, de même que le manque d'experts nationaux, conduisent à des situations disparates dans les Etats Membres. Les nouvelles normes internationales permettraient, dans de meilleures conditions que les instruments et les documents existants, de mettre en place des systèmes nationaux appropriés tout comme d'améliorer et d'harmoniser à la fois la terminologie et les procédures nécessaires, en apportant la base d'une action préventive et de mesures cohérentes aux échelons national, sectoriel et de l'entreprise. Une convention contenant les principes de base complétée par une recommandation pourrait être envisagée.

L'instrument international ou les instruments internationaux pourraient prévoir l'obligation pour les autorités compétentes des Etats Membres de mettre sur pied et d'exécuter une politique nationale cohérente ainsi que des systèmes, des programmes, des infrastructures et les concepts et la terminologie nécessaires pour l'enregistrement et la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles et la conduite d'enquêtes, ce qui serait compatible avec les accords et les recommandations internationaux.

Après avoir examiné cette question à la lumière de certaines préoccupations et réserves exprimées lors de consultations et discussions antérieures, et conformément à une résolution adoptée par la 16e Conférence internationale des statisticiens du travail (CIST) en octobre 1998, qui demandait la mise au point de normes pour les statistiques concernant les maladies professionnelles, il n'est pas proposé d'exclure ces maladies du champ d'application d'un instrument international. En effet, cette exclusion entretiendrait les lacunes des contraintes légales, le manque actuel d'informations et de sensibilisation et l'insuffisance des mesures de prévention. Il est toutefois proposé que les Etats Membres aient la possibilité d'accepter les obligations de cette convention séparément en ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Pour la mise en œuvre du nouvel instrument ou des nouveaux instruments proposés, il serait approprié d'adopter une nouvelle liste des maladies professionnelles du BIT en même temps que l'élaboration de l'instrument international ou des instruments internationaux et en complément à la révision des classifications des accidents du BIT, encouragée par la 16e CIST, qui est maintenant entreprise. Deux options sont proposées pour la nouvelle liste: a) elle pourrait devenir le tableau I révisé de la convention no 121 sur les prestations en cas d'accidents du travail et de maladies professionnelles, 1964, servant ainsi à des fins d'indemnisation, et ce serait aussi une liste de maladies professionnelles pour le nouvel instrument ou les nouveaux instruments, autrement dit une liste qui serait utilisée pour l'enregistrement et la déclaration; et b) ce ne serait qu'une liste des maladies professionnelles pour le nouvel instrument ou les nouveaux instruments, c'est-à-dire une liste utilisée pour l'enregistrement et la déclaration.


Aperçu général

190. Les recherches récemment menées par le Bureau, en association avec l'Organisation mondiale de la santé, montrent que, malgré les progrès réalisés dans beaucoup de domaines de sécurité, de santé et du bien-être des travailleurs, on dénombre encore chaque année 335 000 décès au moins liés au travail (d'après des informations disponibles pour 1994) et environ 125 millions d'accidents et de cas de maladie d'origine professionnelle dans le monde entier.

191. Dans les pays en développement en particulier, l'absence d'informations concernant l'incidence des accidents du travail et des maladies professionnelles, tout comme de connaissances et de directives pour la mise en œuvre des systèmes nationaux d'enregistrement et de déclaration, comme instrument d'action préventive, gêne considérablement les efforts déployés pour éviter les pertes de vies humaines et les lésions de cette échelle et pour parvenir à des mesures de contrôle efficaces. Un tiers seulement environ des 120 Etats Membres ayant ratifié la convention (no 81) sur l'inspection du travail, 1947, incluent des statistiques des accidents du travail et des maladies professionnelles dans leurs rapports annuels comme l'exigent les articles 20 et 21.

192. Les employeurs sont tenus d'enregistrer les informations concernant les accidents et les maladies qui surviennent dans leur entreprise et de mener une enquête à leur sujet. Le registre devrait au moins inclure les faits essentiels nécessaires à la déclaration, l'employeur pouvant ainsi mieux analyser les données enregistrées en vue de déterminer à la fois les causes des accidents et des maladies et les pertes qui en résultent et de mettre au point des programmes et des mesures pour leur prévention et leur contrôle. En outre, les représentants des travailleurs qui disposent de ces informations peuvent apporter une contribution à l'amélioration des conditions de travail.

193. Les informations sur les accidents du travail et les maladies professionnelles enregistrées et conservées par l'entreprise constituent la base et déterminent la qualité de sa déclaration aux autorités compétentes qui sont principalement les organismes de sécurité sociale ou les autorités chargées de faire appliquer la législation relative à la sécurité et à la santé au travail. Les organismes de sécurité sociale exigent des informations pour dédommager les personnes victimes de lésions et leurs ayants droit. Les autorités chargées de faire respecter la législation en ont besoin pour étudier les cas individuels et déterminer quels sont les accidents et les maladies les plus fréquents et, en utilisant les statistiques accumulées, concevoir des stratégies d'application et des directives propres à faciliter l'élaboration de programmes de prévention efficaces aux échelons national, sectoriel et de l'entreprise.

194. Malgré l'existence de résolutions concernant les statistiques des lésions professionnelles adoptées par les dixième et treizième Conférences internationales des statisticiens du travail en 1962 et 1982, qui recommandent une terminologie, des définitions et des concepts standard et qui prévoient des directives pour la classification et la présentation de statistiques, la pratique internationale est loin d'être uniforme. Les définitions nationales existantes des lésions professionnelles diffèrent souvent des définitions internationales standard recommandées par ces résolutions. Du fait de différences dans la portée de la législation sur les prestations de sécurité sociale et sur la sécurité et la santé au travail en raison de l'absence d'experts nationaux et du fait que certains pays n'ont pas encore introduit les arrangements nécessaires pour la collecte de données, il existe des variations nationales dans les procédures de collecte et de notification et dans la portée et les sources. Les données incohérentes ou non comparables empêchent les employeurs et les gouvernements de réaliser des analyses comparatives aux échelons de l'entreprise et du pays en vue d'identifier des mesures préventives et de déterminer des priorités dans leur mise en œuvre et l'utilisation économique et rationnelle des ressources. Le phénomène de sous-enregistrement est répandu et le nombre de cas d'accidents du travail et de maladies professionnelles non déclarés est difficile à quantifier. Dans l'étude intitulée «Accidents at work in the European Union in 1994» (Les accidents du travail dans l'Union européenne en 1994), publiée par EUROSTAT en 1998, le pourcentage moyen de déclarations des accidents du travail entraînant plus de trois jours d'absence dans huit branches courantes d'activités de quinze Etats membres était de 91,1 pour cent. Huit Membres seulement ont indiqué un niveau de 100 pour cent et trois des pourcentages se situant entre 41 et 56 pour cent.

195. Plusieurs tentatives ont eu lieu pour améliorer la situation: les participants au Séminaire régional tripartite latino-américain sur l'organisation des services de santé au travail et l'enregistrement et l'analyse des accidents du travail et des maladies professionnelles ont déjà souligné en 1989 la nécessité d'harmoniser les systèmes d'enregistrement et de déclaration. La 24e assemblée générale de l'Association internationale de sécurité sociale (AISS) a adopté, en 1992, un rapport qui préconise la mise en place d'un système international harmonisé pour la notification et la compilation des statistiques des accidents. Dans l'Union européenne, les méthodologies utilisées cherchent à fournir des statistiques harmonisées sur les accidents du travail et des statistiques comparables sur les maladies professionnelles. Pendant l'adoption du Recueil de directives pratiques sur l'enregistrement et la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles en octobre 1994(27) , les experts ont insisté sur le fait que la collecte de données, l'enregistrement et la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles servaient à identifier et à étudier les causes d'accidents et de maladies. En outre, les experts ont reconnu l'importance et la nécessité, à des fins d'orientation, des listes de maladies professionnelles, notamment dans les pays ne disposant pas de telles listes, de même que les difficultés inhérentes à la reconnaissance des maladies professionnelles. Ils ont émis un certain nombre de réserves quant à la liste actuelle des maladies professionnelles du BIT fournie dans le tableau I de la convention (no 121) sur les prestations en cas d'accidents du travail et de maladies professionnelles, 1964, modifié en 1980 pour la dernière fois, et ont recommandé l'actualisation de cette liste. La résolution sur les statistiques des lésions professionnelles résultant des accidents du travail, adoptée par la 16e Conférence internationale des statisticiens du travail (Genève, 6-15 octobre 1998)(28) , demande que chaque pays s'efforce de mettre au point un programme complet de statistiques de la santé et de la sécurité au travail, y compris les maladies professionnelles et les lésions professionnelles. L'objectif de ce programme serait de disposer d'une base statistique appropriée répondant aux besoins des différents utilisateurs (voir paragr. 217).

Aperçu des pratiques nationales

196. Les modalités d'enregistrement des accidents au niveau de l'entreprise varient très fortement d'un cas à l'autre. Si les grandes entreprises ont tendance à établir des comptes rendus détaillés des accidents et de leurs causes, ce n'est pas la règle dans les autres. Certaines entreprises, notamment des multinationales, ont établi leur propre système d'enregistrement, parfois pour pouvoir comparer les chiffres entre leurs divers établissements. Divers systèmes d'enregistrement peuvent être utilisés dans certains secteurs de l'économie d'un même pays. Dans beaucoup de pays, l'enregistrement des accidents et des maladies au niveau de l'entreprise n'est régi par aucune disposition législative.

197. En règle générale, seuls les accidents donnant lieu à une indemnisation ou ceux qui répondent à certains critères font l'objet de déclaration aux autorités compétentes, tandis que bon nombre d'accidents mineurs, dont la connaissance serait pourtant encore plus importante pour mettre au point des mesures de prévention, ne sont pas pris en compte. Il en résulte que la fréquence relative des accidents déclarés peut varier fortement selon les pays et selon les secteurs de l'économie d'un même pays. On relève aussi des différences considérables en ce qui concerne la déclaration des accidents dans certains secteurs de l'économie. En particulier, dans les secteurs de l'agriculture, de la construction, de la marine et des mines, les critères de déclaration ne sont pas uniformes. Les déclarations peuvent être limitées à certains types de travailleurs ou certains types d'activités économiques et d'entreprises employant plus d'un certain nombre de travailleurs, et elles sont généralement peu nombreuses dans le secteur tertiaire. Les travailleurs indépendants, les travailleurs à temps partiel, les travailleurs occasionnels et les stagiaires ou apprentis peuvent être omis du fait qu'ils n'ont pas recours aux régimes d'assurance publics. En général, les données relatives aux accidents mortels sont plus fiables que celles qui ont trait aux accidents non mortels parce que les premiers sont presque toujours déclarés. Là encore, la pratique n'est cependant pas uniforme en ce qui concerne l'interprétation du terme «mortels» aux fins de déclaration (par exemple les accidents entraînant la mort immédiate ou une lésion mortelle dans les trente jours, entre 31 et 365 jours, ou sans limite de durée).

198. Un problème important, lorsque l'on compare les chiffres relatifs aux accidents du travail, est celui des différences dans les principales catégories d'accidents soumis à déclaration dans chaque pays, qui vont des accidents entraînant une incapacité de travail d'un nombre de jours déterminé aux accidents de toute nature, avec ou sans interruption de travail. Dans la plupart des pays, des indications doivent être fournies sur l'heure, le jour et le lieu de l'accident, le type d'accident et sa cause principale, ainsi que sur la nature et le siège de la lésion. Dans certains pays, des précisions doivent être fournies sur ce que faisait la personne au moment de l'accident. Seuls quelques pays demandent que l'on indique la profession, les qualifications et la formation de la personne victime de l'accident, depuis combien de temps cette personne occupe sa fonction et quels sont les dispositifs de sécurité ou l'équipement de protection individuelle prévus. Les critères pour la déclaration des accidents diffèrent pour les accidents de trajet et les accidents de la circulation survenus pendant le travail.

199. L'enregistrement et la déclaration des maladies professionnelles sont encore plus compliqués. La plupart des pays ont une définition légale des maladies professionnelles qui revêt la forme d'une liste officielle de ces maladies. Dans bien des cas, la liste officielle est liée aux critères d'indemnisation. Toutefois, il y a des différences entre les méthodes de définition choisies. Certains pays ont une liste de maladies officielles, qui est parfois similaire, mais pas nécessairement identique au tableau I annexé à la convention (no 121) sur les prestations en cas d'accidents du travail et de maladies professionnelles, 1964, et modifié en 1980. D'autres Etats Membres utilisent un système dit mixte (maladies figurant sur la liste et autres maladies). Il en résulte que les statistiques nationales sur les maladies professionnelles diffèrent en ce qui concerne les maladies visées, leur définition, les critères pour reconnaître ces maladies et les catégories de travailleurs couvertes. Les maladies ayant des causes multiples et celles qui ont de longues périodes de latence posent des problèmes particuliers.

200. Les procédures de déclaration des maladies professionnelles diffèrent considérablement de celles des accidents du travail, en ce qui concerne aussi bien les personnes chargées de faire les déclarations que les personnes qui les reçoivent. C'est l'employeur ou le médecin qui doit faire la déclaration à l'inspection du travail, ou au service compétent, ou bien le rapport doit être reçu en premier lieu par l'organisme d'assurance. Dans certains pays, il existe plusieurs méthodes d'information facultatives. Les déclarations vont toujours à l'organisme d'assurance chargé de verser les indemnités, mais il arrive que l'organisme de contrôle ne soit pas informé des cas de maladies professionnelles. D'après les études faites dans de nombreux pays, la sous-notification est très répandue. Beaucoup de pays en développement ne sont pas en mesure de recueillir et de publier des données nationales sur les maladies professionnelles en raison de l'absence soit de spécialistes nationaux soit d'équipements permettant d'établir un diagnostic de maladie professionnelle, soit des deux.

Rôle des nouveaux instruments internationaux

201. Des systèmes nationaux uniformes de déclaration, d'enregistrement et d'évaluation des accidents du travail et des maladies professionnelles sont essentiels pour le rassemblement de données cohérentes et leur utilisation ultérieure pour l'identification et la mise en œuvre de mesures préventives. Les normes internationales du travail ne traitent de l'enregistrement et la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles en tant qu'outils de prévention que de façon limitée. Elles ne prévoient pas de méthodes uniformes ni de procédures appropriées au niveau national et ne contiennent pas de directives suffisantes (voir paragr. 216). Les nouvelles normes internationales sur l'enregistrement et la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles pourraient instaurer des obligations plus contraignantes pour les gouvernements, et donc être plus efficaces pour les impératifs existants qui sont notamment les résolutions adoptées par la Conférence internationale des statisticiens du travail (voir paragr. 217) et les dispositions générales de certaines conventions et recommandations (voir paragr. 216 et 217). En dépit de l'existence du Recueil de directives pratiques sur l'enregistrement et la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, il est évident que des normes internationales du travail pourraient aider à mettre en place des systèmes nationaux appropriés, à améliorer et à mieux harmoniser tant la terminologie que les procédures, en préparant le terrain à des politiques et des mesures préventives cohérentes tant à l'échelle de la nation qu'à celle du secteur et de l'entreprise. Tout en étant plus détaillé que le ou les instruments envisagés, le recueil pourrait toutefois servir de point de départ pour les élaborer.

202. Lors de consultations antérieures avec les Etats Membres, il avait été suggéré d'exclure les maladies professionnelles du champ d'application d'un instrument international. Cette exclusion ne ferait que perpétuer la situation insatisfaisante présentée ci-dessus, notamment l'absence de normes internationales sur les prescriptions légales pour l'enregistrement et la déclaration des maladies professionnelles, les lacunes en matière d'information et de sensibilisation et l'insuffisance des mesures de prévention des maladies professionnelles dont le nombre au niveau mondial est aujourd'hui impossible à évaluer. Il convient de noter que, dans les futures activités de l'OIT, on a recommandé la mise au point de normes pour les statistiques des maladies professionnelles au paragraphe 30 de la résolution sur les statistiques des lésions professionnelles résultant des accidents du travail, adoptée par la seizième Conférence internationale des statisticiens du travail (Genève, 6-15 octobre 1998).

203. L'instrument international ou les instruments internationaux pourraient prévoir:

Une convention contenant les principes de base, complétée par une recommandation, pourrait être envisagée. Pour fournir une certaine souplesse, les Membres pourraient être autorisés à accepter séparément les obligations de la convention concernant, d'une part, les accidents du travail et, d'autre part, les maladies professionnelles comme dans le cas de la convention (no 148) sur le milieu de travail (pollution de l'air, bruit et vibrations), 1977, en ce qui concerne ces trois catégories de risques.

204. Un nombre relativement élevé de pays en développement n'étant pas en mesure de réunir ou de publier des données nationales sur les maladies professionnelles en l'absence de prescriptions légales ou d'experts nationaux (ni liste nationale ni référence internationale) ou d'infrastructure pour le diagnostic des maladies professionnelles, il faudrait fournir des orientations par référence aux listes actualisées de maladies professionnelles. Il pourrait s'avérer approprié de mettre à jour la liste des maladies professionnelles du BIT (tableau I de la convention (no 121) sur les prestations en cas d'accidents du travail et de maladies professionnelles, 1964, tel que modifié en 1980), parallèlement à l'élaboration du nouvel instrument international ou des nouveaux instruments internationaux. Pour répondre aux préoccupations et réserves émises lors de consultations et débats antérieurs sur cette question, deux options sont proposées concernant la forme et la teneur de la liste proposée de maladies professionnelles:

Première option

et

Deuxième option

205. La révision proposée de la liste actuelle des maladies professionnelles du BIT et la révision des systèmes actuels de classification des accidents, encouragée par la seizième Conférence internationale des statisticiens du travail et actuellement en cours, pourraient se révéler essentielles à la mise en œuvre du nouvel instrument international ou des nouveaux instruments internationaux.

Teneur du nouvel instrument ou des nouveaux instruments

206. Le nouvel instrument ou les nouveaux instruments pourraient viser à renforcer et à coordonner les diverses activités au sein de systèmes cohérents de rassemblement d'informations sur les accidents du travail et les maladies professionnelles dans les Etats Membres. Ces systèmes pourraient englober les méthodes de déclaration et d'enregistrement au sein de l'entreprise et de déclaration à l'autorité nationale. Des systèmes d'enregistrement et de déclaration cohérents pourraient faciliter l'étude et l'analyse des causes des accidents du travail et des maladies professionnelles, ce qui pourrait favoriser la mise en œuvre, le réexamen et l'amélioration continue des politiques de sécurité et de santé au sein de l'entreprise et à l'échelon national, en particulier en vue de mettre au point des programmes cohérents et efficaces d'actions préventives.

207. Les aspects suivants de l'enregistrement et de la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles pourraient être abordés.

a) Dispositions générales

208. Les dispositions pourraient spécifier que l'autorité compétente devrait définir, mettre en œuvre et réexaminer périodiquement une politique nationale et des principes directeurs cohérents sur l'enregistrement et la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, et qu'elle devrait instaurer et appliquer progressivement des procédures nationales et mettre en place les modalités juridiques, institutionnelles et administratives nécessaires. Les dispositions concernant la déclaration au niveau national pourraient couvrir tous les accidents du travail mortels, tous les accidents du travail entraînant une incapacité de travail pendant une période à déterminer par l'autorité compétente et toutes les maladies professionnelles figurant sur une liste nationale ou répondant à la définition des maladies prescrites par l'autorité compétente et diagnostiquées au cours d'une période donnée. Les dispositions concernant l'enregistrement au niveau de l'entreprise pourraient être élargies de manière à couvrir également les accidents, les maladies et les événements auxquels ne s'appliquent pas les prescriptions en matière de déclaration (accidents de trajet, maladies liées au travail, événements et incidents dangereux).

b) Mesures au niveau de l'entreprise

209. Ces mesures pourraient concerner l'établissement de procédures adéquates et la répartition des responsabilités au sein de l'entreprise: le travailleur ayant à déclarer l'événement et l'employeur étant tenu d'enregistrer les accidents du travail et les cas de maladies professionnelles. Les dispositions pourraient préciser la teneur et le format des registres, le délai imparti aux employeurs pour établir les registres, la confidentialité des données médicales et personnelles et les mesures à prendre pour s'assurer la coopération des travailleurs et veiller à leur formation en matière de déclaration et d'enregistrement. Les indications à consigner dans les registres devraient comprendre au moins les renseignements qui doivent être déclarés au service compétent chargé de faire respecter la législation, à l'organisme approprié servant les prestations au titre de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles ou à tout autre organisme désigné. Des dispositions pourraient prévoir l'enregistrement d'informations complémentaires ou progressivement plus détaillées.

210. Des renseignements précis sur les causes les plus fréquentes des accidents du travail et des maladies professionnelles et sur l'ampleur des lésions permettraient d'établir plus facilement un ordre de priorité dans les mesures de prévention nécessaires. Ils faciliteraient aussi l'évaluation de l'efficacité des mesures législatives et autres. Des dispositions pourraient ainsi préciser les mesures à prendre pour favoriser l'identification et l'évaluation uniformes des causes des accidents du travail et des maladies professionnelles dans chaque entreprise et, par suite, dans toutes les branches de l'activité économique ainsi qu'à l'échelle nationale, par l'utilisation des informations enregistrées.

c) Déclaration au niveau national

211. Ces dispositions pourraient indiquer aux Etats Membres comment ils devraient établir et mettre en œuvre des procédures uniformes pour la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, et notamment les organismes auxquels la déclaration devrait être faite; elles préciseraient également les responsabilités des employeurs et des travailleurs quant au respect des procédures prévues. Les instruments envisagés pourraient également porter sur les mesures d'application.

212. Les dispositions pourraient préciser le type et la portée des informations à fournir à l'organe compétent chargé de faire respecter la législation, à l'organisme approprié servant les prestations au titre de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles ou à tout autre organisme désigné, le délai dans lequel la déclaration devra être soumise en fonction du type de lésion et les dispositions que l'entreprise devra prendre en matière de déclaration. La déclaration des accidents du travail pourrait comprendre des données sur l'entreprise où a eu lieu l'accident et sur l'employeur, sur la victime de l'accident, sur l'ampleur, la nature et le siège des lésions provoquées, sur le déroulement de l'accident, sur l'enquête en cours et les mesures prises pour empêcher qu'un tel accident se reproduise. La déclaration des maladies professionnelles pourrait comprendre des données sur l'entreprise et l'employeur, sur la personne atteinte de maladie professionnelle, sur la maladie professionnelle et les agents, procédés ou expositions qui, par leur nocivité, peuvent avoir causé cette maladie. Des dispositions pourraient prévoir que des informations progressivement plus détaillées figurent dans la déclaration.

213. L'instrument ou les instruments envisagés pourraient également proposer des moyens de promouvoir l'utilisation des données déclarées au niveau national, notamment par la création de bases de données nationales et l'établissement de statistiques fiables sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, dont on puisse s'inspirer pour établir un ordre de priorité et élaborer une politique et des programmes nationaux d'action préventive. Les instruments pourraient tenir compte du rôle qui incombe aux organismes de sécurité sociale et aux institutions responsables au niveau sectoriel selon la législation et la pratique nationales.

Révision de la liste des maladies professionnelles

214. Sur la base d'une étude des maladies qui pourraient être incorporées à bon escient dans une liste révisée des maladies professionnelles destinée à remplacer celle du tableau I annexé à la convention (no 121) sur les prestations en cas d'accidents du travail et de maladies professionnelles, 1964, et compte tenu des pratiques actuelles et des tendances observées dans le diagnostic et l'évaluation des maladies professionnelles à des fins de réparation, la nouvelle liste envisagée pourrait inclure les rubriques supplémentaires ci-après:

215. La liste révisée contribuera à améliorer la circulation de l'information sur la fréquence des maladies liées au travail dans un but de prévention. Cette liste fournira aussi une aide précieuse pour la surveillance de la santé des travailleurs exposés à des risques professionnels spécifiques et aura l'avantage de favoriser une coopération étroite entre les organismes d'assurance et les services chargés de faire respecter la législation.

Origine de la proposition

216. La question de l'enregistrement et de la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles a été proposée à l'ordre du jour de la Conférence par le Conseil d'administration pour examen en 1991, 1996, 1997, 1999 et 2000(29) . La question de la révision de la liste des maladies professionnelles annexée à la convention (no 121) sur les prestations en cas d'accidents du travail et de maladies professionnelles, 1964, a été proposée à l'ordre du jour de la Conférence de 1994(30) .

Relation avec des instruments existants

217. Quelque vingt conventions et recommandations encouragent la compilation de statistiques sur les lésions et les maladies professionnelles, mais quelques-unes d'entre elles seulement renvoient à l'enregistrement et à la déclaration. En application de la convention (no 81) sur l'inspection du travail, 1947, le rapport annuel publié par l'autorité centrale d'inspection doit porter sur les statistiques des accidents du travail et des maladies professionnelles. En vertu de la recommandation (no 97) sur la protection de la santé des travailleurs, 1953, la législation ou la réglementation nationales devrait exiger la déclaration des cas de maladie professionnelle reconnus ou suspectés. La convention (no 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981, prévoit que l'autorité compétente devra progressivement assurer l'établissement et l'application de procédures visant la déclaration des accidents du travail et des cas de maladie professionnelle en vue de l'établissement de statistiques annuelles. La recommandation (no 164) sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981, dispose que les employeurs devraient être tenus d'enregistrer les données relatives à la sécurité, à la santé des travailleurs et au milieu de travail et qui pourraient inclure les données concernant tous les accidents du travail et tous les cas d'atteintes à la santé donnant lieu à déclaration. La convention (no 160) sur les statistiques du travail, 1985, et la recommandation no 170 qui l'accompagne exigent la compilation de statistiques sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Il n'y a cependant ni directive concernant leur structure ni référence à la résolution concernant les statistiques sur les lésions professionnelles qui prévoit de telles directives.

218. La convention (no 121) sur les prestations en cas d'accidents du travail et de maladies professionnelles, 1964, dispose que la législation doit à la fois prescrire une définition de l'accident du travail et établir une liste des maladies qui seront reconnues comme maladies professionnelles dans des conditions prescrites. La législation nationale devrait inclure une définition générale des maladies professionnelles qui soit suffisamment large pour couvrir au moins les maladies énumérées dans la version la plus récente du tableau I de ladite convention. L'actuelle version a été amendée en 1980 et nécessite une révision. En 1991, une liste révisée a été préparée et mise à jour lors d'une consultation informelle sur la révision du tableau I, organisée par le BIT. Cette liste n'a pas été approuvée officiellement. La résolution concernant les statistiques sur les lésions professionnelles, adoptée par la dixième Conférence internationale des statisticiens du travail (1962), a défini à des fins statistiques les notions de décès (accidents mortels), d'incapacité permanente et d'incapacité temporaire, et a proposé quatre classifications des accidents selon la forme de l'accident, l'agent matériel, la nature de la lésion et le siège de la lésion. Comme ces classifications doivent être mises à jour pour satisfaire aux besoins modernes et futurs, une réunion d'experts sur les statistiques du travail a eu lieu à Genève du 30 mars au 3 avril 1998(31) , avec l'objectif de discuter des principales questions liées à la mesure et à la classification des lésions professionnelles. Ses conclusions ont été prises en considération par la seizième Conférence internationale des statisticiens du travail tenue à Genève en octobre 1998. La Conférence a abouti notamment à l'adoption d'une résolution sur les statistiques des lésions professionnelles résultant des accidents du travail qui prévoit la réunion d'informations sur l'entreprise, l'établissement ou l'unité locale, la personne blessée, la lésion et l'accident, de même que ses conséquences. Elle contient en outre des classifications révisées des accidents du travail selon le type de la lésion (appendice E) et selon le siège de la lésion (appendice F). Les recommandations concernant l'action future du BIT portent notamment sur la préparation d'un manuel destiné à fournir des orientations techniques sur le contenu de la résolution et l'établissement de normes pour les statistiques des maladies professionnelles.

219. Bien que le Recueil de directives pratiques sur l'enregistrement et la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles ne soit pas un document légalement contraignant, il fournit des directives aux autorités compétentes qui leur permettent de mettre au point des systèmes nationaux pour la collecte d'informations comparables et la prévention globale des lésions et des maladies professionnelles. Tout en étant plus détaillé que l'instrument proposé ou les instruments proposés, ce recueil pourrait être utilisé toutefois comme point de départ pour la préparation du ou desdits instruments (voir paragr. 221).

Etat d'avancement des recherches et travaux préparatoires

220. Le Recueil de directives pratiques susmentionné a été distribué par le Bureau à l'ensemble des Etats Membres en 1997 dans le cadre d'un effort particulier visant à passer en revue l'établissement de politiques et de programmes nationaux et à obtenir des statistiques sur les accidents du travail, et en particulier sur les décès liés au travail, qui soient plus détaillées et comparables sur le plan international. Tous les Etats Membres ont été priés de fournir des données disponibles et de réfléchir aux difficultés ou aux spécificités qui les empêchent de recueillir des données nationales. Les réponses en provenance de 107 institutions et de 99 pays ont été évaluées et les résultats fournissent la base des activités futures du Bureau dans ce domaine.

221. Sur la base de l'expérience acquise par les travaux antérieurs concernant les listes des maladies professionnelles figurant au tableau I de la convention no 121, de la mise en œuvre pratique continue du Recueil de directives pratiques sur l'enregistrement et de la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles (voir paragraphe précédent) ainsi que des recherches déjà entreprises pour la préparation de la réunion d'experts sur les statistiques du travail (1998) et de la seizième Conférence internationale des statisticiens du travail (1998) et les conclusions de ces réunions, le Bureau est prêt à fournir les travaux préparatoires nécessaires pour l'inscription de la question à l'ordre du jour de la Conférence.

* * *

7. Substances et produits dangereux - Révision
de la convention (n
o 13) sur la céruse (peinture), 1921,
et de la convention (n
o 136) sur le benzène, 1971
 

Résumé

Depuis 1921, l'OIT reconnaît la nécessité de prendre des mesures spécifiques en ce qui concerne les substances chimiques particulièrement dangereuses telles que la céruse, le benzène et, plus récemment, l'amiante, en raison de la gravité des effets d'une exposition à ces substances sur la santé des travailleurs. Des conventions réglementant l'exposition des travailleurs à chacune de ces substances ont été adoptées par l'OIT.

A la suite d'un examen, dans le cadre du Groupe de travail sur la politique de révision des normes, le Conseil d'administration a décidé en mars 1998 que deux de ces conventions, la convention (no 13) sur la céruse (peinture), 1921, et la convention (no 136) sur le benzène, 1971, devraient être révisées.

Cependant, étant donné qu'une révision complète ou partielle des conventions nos 13 et 136 irait à l'encontre de la tendance actuelle à adopter une démarche globale pour les produits chimiques dangereux et les activités internationales liées à une gestion écologiquement rationnelle des produits chimiques, le Bureau propose de mettre au point une démarche plus intégrée et plus globale pour la réglementation de l'exposition des travailleurs aux substances chimiques particulièrement dangereuses.

La présente proposition contient une analyse préliminaire du but et du contenu de cette démarche intégrée. Cependant, étant donné que cette proposition est faite en vue d'une action normative, toutes ses implications, notamment en ce qui concerne la convention (no 170) sur les produits chimiques, 1990, devraient être examinées plus en profondeur. Il est donc suggéré qu'une proposition plus détaillée sur la question soit soumise au Conseil d'administration à sa 276e session (novembre 1999) dans le cadre du portefeuille.


Aperçu général

222. En raison de l'intérêt particulier qu'elles présentent pour la santé des travailleurs, la convention (no 13) sur la céruse (peinture), a été adoptée dès 1921 et la convention (no 136) sur le benzène en 1971. Les conventions nos 13 et 136 sont deux des trois instruments internationaux qui réglementent l'utilisation d'une substance dangereuse unique(32) . Ces conventions ont été adoptées après que les milieux médicaux et scientifiques eurent reconnu que l'utilisation répandue de la céruse dans la peinture et du benzène, en l'absence de mesures adéquates ou appropriées de prévention et de protection, était à l'origine de graves atteintes à la santé des travailleurs exposés. On estimait aussi à l'époque que des normes spécifiques étaient nécessaires pour répondre à ces besoins spécifiques. La convention (no 170) sur les produits chimiques, 1990, qui traite de l'utilisation des produits chimiques sur le lieu de travail, offre un cadre général pour la réglementation des produits chimiques sur le lieu de travail.

223. En raison des rapides progrès techniques et scientifiques accomplis au cours des deux dernières décennies, certaines des prescriptions de ces deux conventions sont maintenant obsolètes ou reflètent mal le dispositif de prévention de l'exposition et de protection de la santé actuellement mis en œuvre dans la majorité des pays. A titre d'exemple, une limite d'exposition de 25 parties par million (ppm) pour le benzène est prévue dans la convention no 136. Cette limite est dépassée aujourd'hui et a été maintenant abaissée à 10 ppm dans la majorité des pays, voire à 1 ppm dans certains. Le plomb a des effets nocifs sous de nombreuses formes (sulfates, oxydes, composés organiques du plomb) et utilisations (pigments, additifs de carburant) qui ne sont pas réglementées dans la convention no 13. Plutôt que de s'appuyer sur des limites d'exposition statique, un certain nombre de documents récents nationaux et internationaux d'évaluation des risques à la fois pour le benzène et le plomb servent maintenant de base à l'action nationale de réglementation.

224. Une étude de la réglementation et de la pratique en usage dans un certain nombre d'Etats Membres montre que de nombreux pays ont élaboré des règles spécifiques pour limiter ou supprimer l'exposition au plomb ou au benzène. Dans la plupart des cas, des directives pertinentes de prévention et de gestion des risques ont aussi été élaborées. A titre d'exemple, aux Etats-Unis, le benzène est considéré comme une substance carcinogène reconnue avec une limite d'exposition sur le lieu de travail fixée à 1 ppm par la loi, tandis que le niveau maximal autorisé dans l'eau de boisson est de 1 partie par million. De même, la concentration du plomb est également réglementée en ce qui concerne l'exposition sur le lieu de travail, la santé des enfants, la santé publique (air et eau de boisson) et les produits de consommation (peinture). En 1993, la Commission européenne a recommandé une limite d'exposition professionnelle de 0,5 ppm. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe également le benzène comme une substance carcinogène reconnue. Cette classification est reprise dans la plupart des règlements relatifs aux substances carcinogènes. Des consignes similaires, y compris des mécanismes de surveillance de la santé pour les travailleurs exposés potentiellement, existent dans de nombreux pays. En outre, des règlements sur la santé publique et celle des consommateurs et la protection de l'environnement existent également dans un grand nombre de pays. L'étude a relevé au moins un règlement spécifique concernant le plomb et le benzène dans tous les pays industriels et dans un nombre non négligeable de pays en développement.

Consultation des Etats Membres

225. En 1997 et 1998, des consultations ont eu lieu avec les Etats Membres sur la nécessité de réviser en totalité ou en partie certaines conventions, dont les conventions nos 13 et 136(33) . S'agissant de la convention no 13, les perspectives de ratification semblaient pratiquement inexistantes et un nombre significatif d'Etats Membres ont fait état d'obstacles à la ratification. Par ailleurs, plusieurs Etats Membres soit considéraient qu'il était nécessaire de réviser la convention, soit mettaient en question l'intérêt qu'elle pouvait encore présenter. L'un des principaux motifs de préoccupation concernant la teneur de la convention a trait aux dispositions de l'article 3 qui prévoit des règles spéciales pour les femmes et les jeunes gens, à savoir que les femmes en état de grossesse médicalement constaté et les mères pendant l'allaitement ainsi que les jeunes gens de moins de dix-huit ans ne doivent pas être occupés à des travaux comportant l'exposition au benzène ou aux produits renfermant du benzène. L'intérêt que peut présenter la convention a été remis en question de deux manières. D'une part, il a été affirmé que la convention n'avait plus d'objet en raison de la faible utilisation de la céruse dans la peinture. D'autre part, et comme dans le cas de la convention no 136, c'est la logique de base - réglementer l'utilisation d'une substance dangereuse unique dans une convention - qui a été contestée.

226. Parmi les trente-cinq Etats Membres ayant pris part aux consultations, cinq n'ont pas vu la nécessité de réviser la convention et cinq ont estimé que la convention soit était obsolète, soit n'avait «pas d'intérêt pratique». Neuf Etats Membres ont proposé sa révision au motif qu'ils avaient identifié des problèmes dans certains articles.

227. S'agissant de la convention no 136, la consultation a révélé une série de préoccupations ayant trait à son contenu et à sa forme. Comme dans le cas de la convention no 13, la logique de base de la convention - réglementer l'utilisation d'une substance dangereuse unique - a été mise en question. La majorité des Etats Membres parties aux consultations étaient en faveur d'une révision des dispositions de fond de la convention. Le principal problème appelant une révision, comme dans le cas de la convention no 13, était la disposition de l'article 11 prévoyant des règles spéciales pour les femmes et les jeunes gens. Certaines demandes de révision de la limite d'exposition prévue à l'article 6.2 se fondaient sur le fait que les limites citées de 25 ppm sont obsolètes. Des propositions tendant à modifier plusieurs autres parties de la convention ont été formulées en vue notamment d'inclure des dispositions sur les mesures à prendre par l'employeur pour protéger la santé des travailleurs, sur l'indication du caractère carcinogène du benzène dans les symboles de danger mentionnés à l'article 12 et sur la révision des textes concernant les produits de remplacement (art. 2), les dérogations temporaires (art. 3) et la surveillance de la santé (art. 9).

228. Parmi les vingt Etats Membres souhaitant une révision, six étaient en faveur d'une révision partielle et sept proposaient l'adoption d'un protocole. Plusieurs Etats Membres ont proposé d'examiner si la teneur de la convention ne pourrait pas être réglementée utilement dans le cadre d'autres conventions telles que la convention (no 170) sur les produits chimiques, 1990, ou la convention (no 139) sur le cancer professionnel, 1974.

Options pour une révision

229. A la suite des consultations avec les Etats Membres, il a été décidé que les deux conventions devraient être révisées et que cette révision serait incluse dans une question concernant l'utilisation des substances dangereuses dans le portefeuille des propositions pour l'ordre du jour de la Conférence(34) . Au cours de l'examen de cette proposition, il est apparu que le terme «utilisation» employé dans le titre originel «Utilisation des substances dangereuses - ...» introduisait une limitation indue de la portée de la proposition et devait donc être supprimé. Conformément aux recommandations formulées par la CNUED sur la gestion écologiquement rationnelle des produits chimiques toxiques et compte tenu des activités de coopération technique en cours visant à appliquer ces recommandations dans le cadre du PISC, de l'IOMC et du FISC, la gestion rationnelle des produits chimiques devrait porter, d'une manière cohérente et coordonnée, sur tous les aspects du cycle de vie des produits chimiques, de la fabrication à l'élimination définitive, en passant par le transport, l'utilisation et le recyclage. A titre d'exemple, l'élaboration en cours d'un Système unifié de classification et d'étiquetage des produits chimiques (SU), pour laquelle l'OIT joue le rôle d'organisation chef de file, vise à parvenir à un instrument universel qui portera sur l'ensemble des substances et produits chimiques dans tous les secteurs, y compris les transports, le lieu de travail, l'utilisation par les consommateurs et l'environnement.

230. En outre, la proposition d'ajouter le mot «produits» repose sur le fait que plus de 90 pour cent des substances chimiques utilisées ou mises sur le marché le sont sous la forme de mélanges de substances pures, avec des compositions très variées. A titre d'exemple, on trouve de l'oxyde de plomb dans les peintures qui elles-mêmes contiennent d'autres pigments, des solvants, des agents réactifs, etc. De même, on peut trouver diverses concentrations de benzène dans les carburants ou en tant qu'impuretés dans les solvants. Dans la plupart des cas, l'exposition professionnelle a rarement lieu avec la substance chimique pure; il s'agit plutôt d'une exposition à une substance dangereuse contenue dans un mélange ou un produit. la convention no 136 en donne une parfaite illustration lorsqu'elle fait mention de «benzène ou produits renfermant du benzène».

231. La décision du Conseil d'administration suggère par ailleurs une révision complète ou partielle des conventions nos 13 et 136. Cette révision irait à l'encontre de la tendance actuelle à l'adoption d'une démarche globale pour les substances chimiques dangereuses et les activités internationales liées à une gestion rationnelle des produits chimiques. Avant de pouvoir gérer de façon adéquate la fourniture et l'utilisation d'un produit chimique (méthodes et conditions de production, utilisation, transport, restrictions, interdiction éventuelle, etc.), il convient d'évaluer ses propriétés dangereuses et les risques qu'il présente pour la santé, voire dans certains cas pour l'environnement. C'est pourquoi l'article 6 de la convention no 170 prévoit un cadre pour l'élaboration des systèmes et critères nécessaires à une telle évaluation. Le Bureau a l'intention d'approfondir la question de savoir comment les principes généraux contenus dans la convention no 170 pourraient être complétés par des normes plus spécifiques réglementant la catégorie des substances dangereuses telles que le plomb et le benzène.

232. L'évaluation des dangers et des risques liés aux produits chimiques évolue constamment avec les progrès techniques et scientifiques. D'une manière générale, une étude de la législation et de la pratique a montré que, dans de nombreux pays, les limites d'exposition et les contrôles réglementaires pour le benzène et le plomb ont été reconsidérés et révisés plusieurs fois au cours des décennies passées en vue de les adapter au progrès technique et scientifique, et que cette adaptation est un processus continu qui affecte la production, l'utilisation, la manutention, le transport et l'élimination de l'ensemble des produits chimiques ou de leurs mélanges. En conséquence, la formule consistant à avoir une convention qui traite de produits chimiques déterminés et la détermination des limites d'exposition dans les conventions ne sont plus appropriées, et il est peu probable qu'une convention même révisée soit utile alors que de nombreux pays disposent maintenant de réglementations strictes pour l'usage à la fois du benzène et du plomb.

233. A l'heure actuelle, une coopération internationale très approfondie en matière de sécurité chimique a lieu par l'intermédiaire du Programme international OMS/OIT/UNEP sur la sécurité chimique (PISC), du Programme interorganisations pour la gestion écologiquement rationnelle des produits chimiques (IOMC) qui coordonne l'ensemble des activités de sécurité chimique des organisations suivantes: OIT, OMS, PNUE, FAO, ONUDI, UNITAR et OCDE et le Forum intergouvernemental sur la sécurité chimique (FISC), mécanisme consultatif constitué par les Etats Membres pour déterminer les priorités. Ce cadre mondial a été conçu et établi pour mettre en œuvre les recommandations de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED, action 21, chap. 19, concernant la gestion écologiquement rationnelle des substances chimiques toxiques). L'OIT joue un rôle majeur au sein de ces structures pour garantir la participation de ses mandants tripartites et la promotion des instruments pertinents de l'OIT. L'une des recommandations du FISC est d'accroître le nombre de ratifications par les Etats de la convention sur les produits chimiques ainsi que d'augmenter la production des évaluations internationales des risques chimiques.

234. Dans le cadre du PISC, des évaluations globales des dangers et des risques soumises à un examen collégial sont effectuées à l'échelle internationale et publiées régulièrement. Ce processus fait appel aux apports des principales institutions nationales ainsi que des organisations intergouvernementales spécialisées dans l'évaluation des risques des produits chimiques pour la santé humaine et l'environnement. En outre, des projets de documents d'évaluation sont envoyés pour examen aux organisations de l'IOMC ainsi qu'aux organisations internationales reconnues d'employeurs et de travailleurs avant que les documents soient finalisés et publiés. A l'heure actuelle, le PISC a publié des critères de santé environnementale (EHC) pour près de 200 produits chimiques ou familles chimiques. En réponse aux recommandations de la CNUED d'accélérer et d'accroître le nombre de documents d'évaluation des risques, le PISC vient de s'associer à l'OCDE et à la Commission européenne pour produire au moins 50 documents internationaux concis sur l'évaluation chimique (CICAD) par an. Dans le cadre du PISC, l'OIT gère la production des fiches internationales de données de sécurité chimique (ICSC) qui sont également de brefs documents internationaux évalués collégialement et conçus pour être directement utilisés par les travailleurs et les personnes responsables de la sécurité et de la santé au niveau de l'entreprise. A l'heure actuelle, les fiches internationales de données de sécurité chimique sont disponibles pour 1 300 substances chimiques pures. En outre, elles sont conçues pour pouvoir être automatiquement traduites par l'ordinateur en près de 30 langues. La carte concernant le benzène est jointe à titre d'exemple. En plus de ces efforts internationaux, une majorité de pays développés produisent régulièrement des documents nationaux d'évaluation des risques chimiques.

235. Ces évaluations nationales et internationales constituent la base essentielle qui permet aux autorités nationales de prendre en connaissance de cause les décisions pertinentes dans des processus réguliers visant à garantir la sécurité dans la production, la commercialisation et l'utilisation, le transport et l'élimination des substances chimiques ainsi que la protection des personnes et de l'environnement.

236. Il existe aussi une solution plus durable et efficace qui tiendrait compte des préoccupations exprimées par les Etats Membres ainsi que des efforts et des stratégies internationales en cours pour la mise en œuvre globale des mesures visant une gestion rationnelle des produits chimiques dangereux. Cette solution tient également compte de la stratégie actuelle du Bureau concernant la rationalisation de bon nombre d'instruments de l'OIT dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail et le renforcement de leur caractère international.

237. Il est donc proposé d'examiner la possibilité d'élaborer un instrument sur l'utilisation des substances particulièrement dangereuses conçu pour étendre la portée de la convention no 170 et inclure les prescriptions mises à jour des actuelles conventions nos 13 et 136. Le texte de l'instrument ferait référence aux éléments suivants:

et pourrait appeler les Etats Membres, lors de l'élaboration des règlements et des normes liés aux substances chimiques particulièrement dangereuses:

238. Au cas où le nouvel instrument serait officiellement lié à la convention no 170, cela pourrait avoir pour effet de renforcer le statut de cette convention en tant qu'instrument central international pour une gestion rationnelle de l'ensemble des substances chimiques dangereuses. Toutefois, d'autres conceptions concernant la forme de l'action normative proposée devraient également être examinées. La convention no 170 est conçue pour s'appliquer aux éléments et composés chimiques et à leurs mélanges, qu'ils soient naturels ou synthétiques. Des mesures bien conçues pour leur gestion rationnelle sont données, quelle que soit la substance chimique: établissement de systèmes de classification, étiquetage et marquage, élaboration de fiches de données de sécurité comprenant les limites d'exposition; responsabilité du fournisseur; responsabilité des employeurs (identification, transfert des produits chimiques, exposition dans les limites établies, contrôle opérationnel, y compris évaluation des risques, élimination, information, formation et coopération); devoirs et droits des travailleurs et de leurs représentants; enfin, responsabilités des Etats exportateurs. L'article 6 de la convention (no 170) sur les produits chimiques, 1990, prévoit l'institution par l'autorité compétente ou par un organisme agréé ou reconnu par l'autorité compétente de «systèmes et de critères spécifiques appropriés pour classer tous les produits chimiques, selon le type et le degré de danger physique et pour la santé qui leur sont propres, et pour déterminer la pertinence des informations requises afin d'établir qu'ils sont dangereux». D'autres conventions, telles que la convention (no 155) sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981, la convention (no 161) sur les services de santé au travail, 1985, et la convention (no 139) sur le cancer professionnel, 1974, donnent des directives supplémentaires concernant les questions de sécurité chimique.

Etat d'avancement des recherches et travaux préparatoires

239. La présente proposition, fondée sur la décision du Conseil d'administration de réviser les conventions nos 13 et 136, contient une analyse préliminaire de la démarche intégrée proposée pour l'utilisation de substances chimiques particulièrement dangereuses. Etant donné que cette proposition est présentée en vue d'une action normative, il conviendrait de poursuivre l'examen de toutes ses implications, notamment en ce qui concerne la convention no 170 et la possibilité de proposer un nouvel instrument. Il est donc proposé que le Conseil d'administration examine une proposition plus élaborée à sa 276e session (novembre 1999) dans le cadre du portefeuille.

* * *

8. Sécurité sociale - Questions, défis et perspectives
 

Résumé

Dans cette proposition, il est suggéré d'examiner de manière approfondie l'évolution ayant une incidence sur la sécurité sociale et d'évoquer, lors d'une discussion générale à la Conférence internationale du Travail de 2001, certaines des questions ayant trait à la réforme de la sécurité sociale qui, ces dernières années, a eu lieu dans de nombreux pays. Cette discussion pourrait appeler l'attention sur l'incidence que cette évolution peut avoir sur les activités futures de l'OIT et apporter des éclaircissements et des orientations sur les politiques en matière de sécurité sociale que les mandants souhaiteraient mener.

En l'an 2001, il pourrait être demandé à la Conférence internationale du Travail d'élaborer une conception de la sécurité sociale qui, tout en restant ancrée dans les principes fondamentaux de l'OIT, répondrait aux nouveaux problèmes et impératifs en matière de sécurité sociale. Cette contribution vise à fournir quelques éléments essentiels, notamment des informations d'ordre général sur les questions qui pourraient faire l'objet d'une discussion générale. Dans un deuxième temps, ce travail pourrait conduire à l'élaboration de nouveaux instruments ou à l'éventuelle actualisation ou révision des normes existantes.


Aperçu général

240. Dans la plupart des régions du monde, les systèmes de sécurité sociale sont confrontés à un certain nombre de problèmes. Certains estiment que ces systèmes sont trop coûteux et qu'ils nuisent au processus de croissance et de développement économiques. D'autres mettent en avant les déficiences de la protection et de la couverture et estiment que, face à une augmentation du chômage et d'autres formes d'insécurité professionnelle, la sécurité sociale est plus nécessaire que jamais. Dans certains pays, la gestion des systèmes de sécurité sociale est jugée insatisfaisante et les appels à la réforme demandent notamment un examen du rôle de l'Etat et de la responsabilité des partenaires sociaux et un plus grand engagement du secteur privé.

241. Pendant de nombreuses années, il n'y a eu aucun dialogue systématique sur les questions de sécurité sociale entre les mandants de l'OIT, alors que plusieurs pays ont lancé un processus de réforme; l'OIT n'a pas été à l'avant-garde du débat. Le problème tient partiellement au fait que les gouvernements, travailleurs et employeurs approchent souvent les questions de sécurité sociale d'un angle différent, et il est maintenant temps de débattre ces divergences au sein de la structure tripartite de l'OIT. Il est donc nécessaire de commencer par cerner les nouveaux défis et réalités.

242. Les systèmes de sécurité sociale doivent tenir compte des changements économiques et de société. Le processus de mondialisation implique qu'il faut aller au-delà des frontières nationales. Les forces de la mondialisation peuvent avoir un effet considérable sur le niveau de vie de la population et soulignent la nécessité de trouver de nouvelles solutions pour garantir protection et cohésion sociales au niveau mondial. La récente crise asiatique a montré que des changements à court terme sur les marchés financiers mondiaux peuvent élever de manière dramatique le niveau de pauvreté et avoir des répercussions de grande ampleur sur l'emploi et la pauvreté.

243. L'évolution de la sécurité sociale est également liée aux changements mondiaux du marché du travail comme la progression du secteur non structuré et la reconnaissance de plus en plus large de la nécessité d'une égalité de traitement entre hommes et femmes. L'informalisation de l'activité économique fait qu'un nombre croissant de travailleurs et de familles quittent les formes structurées d'emploi sur lesquelles se basait l'assurance sociale dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement à faible revenu. Certains estiment que les changements sont mineurs et qu'à plus long terme les formes stables d'emploi régulier prévaudront. D'autres en sont moins persuadés et sont d'avis que les marchés du travail et les activités économiques s'appuieront sur un nombre croissant de types de travail non régulier, occasionnel ou intermittent. La question de l'égalité entre hommes et femmes a pris une importance croissante en raison des changements de grande ampleur des structures familiales, de même que de l'évolution du rôle des femmes sur le marché du travail et dans la société.

Quelques questions clés

244. Compte tenu des modifications générales profondes qui affectent les programmes de sécurité sociale, le Bureau propose que la Conférence générale de 2001 examine certaines questions clés dans le cadre d'une discussion générale. Cette discussion porterait sur l'impact possible de la sécurité sociale sur l'économie et le marché du travail. Compte tenu des faibles niveaux de protection sociale de nombreux pays, elle pourrait ensuite examiner les différentes possibilités d'élargir la couverture de la protection sociale. Elle pourrait également mettre en avant diverses manières de promouvoir l'égalité entre hommes et femmes, étudier ensuite le financement de la sécurité sociale et ses conséquences sur les investissements sur les marchés financiers et préciser le rôle des gouvernements et des acteurs sociaux dans le processus d'administration et de réforme. La discussion pourrait s'achever sur un examen des répercussions possibles sur les activités futures de l'OIT.

Sécurité sociale, emploi et développement

245. Les effets sociaux et économiques de la sécurité sociale sont très controversés, le débat portant avant tout sur le aspects négatifs. La sécurité sociale découragerait les gens de travailler et de faire des économies; son coût élevé nuirait à la compétitivité au niveau international et à la création d'emplois; la sécurité sociale encouragerait les gens à quitter prématurément le marché du travail. Mais la sécurité sociale est également supposée avoir un certain nombre d'effets très positifs. Elle renforcerait la capacité des gens à obtenir un revenu et augmenterait leur potentiel de productivité; elle aiderait à conserver une demande véritable au niveau national et favoriserait l'établissement de conditions propices à l'économie de marché, notamment en maintenant la paix sociale et en encourageant les travailleurs à accepter innovation et changement. Le rapport préparatoire à une discussion générale dresserait donc une liste des divers arguments et examinerait leur pertinence.

246. Ce rapport examinerait également les différentes manières de mieux coordonner les politiques en matière de sécurité sociale et celles concernant le marché du travail. En général, les politiques de marché du travail ont trois fonctions essentielles: élever les revenus de la main-d'œuvre (essentiellement par le biais de la formation); améliorer le fonctionnement du marché du travail (essentiellement par l'entremise des services de l'emploi et la réglementation de la négociation collective); et protéger les travailleurs (essentiellement par le biais de la réglementation des conditions fondamentales de travail et d'emploi). La sécurité sociale entre également en jeu en cas de chômage, lorsque les travailleurs quittent le marché du travail définitivement pour raison de vieillesse ou de handicap ou temporairement pour cause de maladie ou de maternité et lorsqu'ils doivent être protégés contre les aléas des dépenses médicales (assurance maladie et accidents du travail et maladies professionnelles).

247. L'un des principaux objectifs des politiques de sécurité sociale est donc d'améliorer les aspects humains du marché du travail. Dans ce contexte, le débat vise notamment à déterminer les conditions dans lesquelles politiques de croissance économique, amélioration du fonctionnement du marché du travail et protection sociale peuvent se renforcer mutuellement. Ce débat, qui a commencé dans les pays de l'OCDE, s'est ensuite étendu aux pays en transition et concerne aujourd'hui le processus d'élaboration des politiques des pays en développement. Une question clé est celle de la complémentarité entre les politiques du marché du travail et les politiques de protection sociale, comme l'assurance contre le chômage et l'assistance sociale. Le débat portera également sur la nécessité d'établir un plus grand nombre de régimes d'assurance contre le chômage non seulement dans les pays asiatiques touchés par la crise, mais également dans d'autres économies émergentes confrontées à des problèmes semblables en cette période de mondialisation économique et financière rapide.

Elargissement de la protection sociale

248. Il existe d'importantes différences régionales en matière de couverture officielle de la sécurité sociale, mais l'un des grands problèmes mondiaux d'aujourd'hui tient au fait que plus de la moitié des travailleurs et des personnes à leur charge ne sont pas couverts par des systèmes de sécurité sociale. Même dans les pays où la croissance économique est élevée, les travailleurs (et notamment les travailleuses) sont de plus en plus nombreux à avoir un emploi moins sûr comme les travailleurs indépendants, les travailleurs occasionnels et les travailleurs à domicile. Nombre de ces travailleurs n'ont pas accès aux systèmes existants de sécurité sociale (essentiellement pension vieillesse) en raison de toute une gamme de restrictions explicites et implicites en matière d'emploi, de taille de l'entreprise, de niveaux salariaux et de contrats d'emploi.

249. Le rapport préparatoire à la CIT passerait en revue les expériences menées avec succès dans des pays qui ont réussi à élargir la protection sociale et il examinerait l'apparition de régimes contributifs (essentiellement assurance maladie) mis en place par et à l'intention des travailleurs extérieurs au secteur structuré. Le rapport porterait également sur la nécessité d'élargir les dispositions en matière de filet de sécurité sociale, notamment pour ceux qui ne peuvent être couverts par des régimes contributifs.

250. Dans toute la gamme de la protection sociale, certains avantages sont versés sur la base des contributions, de la résidence, ou ont un caractère universel (un droit), alors que certaines dispositions concernent les personnes qui ne remplissent pas les critères nécessaires pour bénéficier de ces avantages et dont le niveau de vie est en deçà du minimum social. Les filets de sécurité sociale sont donc destinés à aider ceux qui n'ont pu acquérir le droit à une protection sociale adéquate. Le rapport examinera différents concepts en matière de filets de sécurité sociale et étudiera comment cette approche peut être intégrée dans une politique globale de protection sociale et de lutte contre la pauvreté.

Egalité de traitement entre hommes et femmes

251. Cette question est devenue de plus en plus importante en raison des changements profonds intervenus dans les structures familiales et de l'évolution du rôle des femmes sur le marché du travail. Les femmes occupent la plupart des emplois à temps partiel, faiblement rémunérés, intermittents et précaires qui, le plus souvent, ne sont pas couverts par le régime de sécurité sociale. La plupart des femmes assument souvent la plus grande part de la responsabilité parentale et disposent donc de moins de temps pour constituer leurs droits en matière de sécurité sociale. Qui plus est, dans la plupart des sociétés, l'âge de la retraite pour les femmes est fixé à un niveau moins élevé et, très souvent, il leur est difficile de remplir les conditions requises pour bénéficier de prestations complètes. Par ailleurs, les hommes font également l'objet d'une inégalité de traitement car, dans la plupart des pays, seules les veuves peuvent recevoir les prestations de réversion(36) .

252. Les points suivants pourraient être examinés et conduire éventuellement à l'élaboration de nouvelles normes ou à l'actualisation des normes existantes:

Le financement de la sécurité sociale

253. Les dépenses nationales consacrées à la protection sociale augmentent partout dans le monde et ont donné lieu à des débats controversés au plan national et au plan international quant aux coûts acceptables des types actuels de système national de protection sociale. Ces débats ignorent souvent le fait que les systèmes de protection sociale sont des systèmes institutionnalisés de transferts sociaux qui redistribuent des revenus aux bénéficiaires. La majorité de ces transferts sont nécessaires simplement pour maintenir un niveau acceptable de consommation des membres non actifs de la société. Les personnes âgées, les handicapés, les malades, les défavorisés et les chômeurs ont besoin de revenus de transfert, quelle que soit la société, par le biais d'une certaine forme de transfert institutionnalisé ou non.

254. Le rapport préparatoire à la Conférence fournirait des informations factuelles sur les limites des coûts acceptables. Il examinerait les raisons d'augmentation des dépenses sociales, faisant la part entre les augmentations «évitables», comme les facteurs possibles d'inefficacité et les mesures d'incitation perverses et les augmentations «inévitables», comme les conséquences du vieillissement de la population. Il passera ensuite en revue différentes possibilités de répartir la charge financière entre générations consécutives et entre différents acteurs sociaux, comme l'Etat, le secteur privé et le secteur non lucratif. Enfin, il examinera pourquoi certains pays acceptent des plafonds de contribution et d'imposition beaucoup plus élevés que d'autres et pourquoi les structures acceptables de contribution et de fiscalité varient d'un pays à l'autre.

255. Une autre question concerne la tendance générale à une plus forte capitalisation des systèmes nationaux de protection sociale. Les établissements de sécurité sociale participent de plus en plus fréquemment aux activités d'investissement avec de lourdes répercussions pour l'administration et la gestion de ces fonds. En tant qu'actionnaires, par exemple, les fonds de sécurité sociale peuvent influer considérablement sur la direction des entreprises dont les décisions sont lourdes de conséquences pour l'économie, les travailleurs et l'environnement. Un plus grand financement des systèmes de protection sociale pose donc inévitablement certaines questions concernant la formulation des objectifs des politiques d'investissement, le contrôle des pratiques en matière d'investissements, la protection efficace des réserves, le degré de participation des personnes assurées à l'élaboration des politiques d'investissement et le choix des portefeuilles d'investissement. Le rapport examinerait ensuite certaines directives (peut-être un code de conduite des fonds de sécurité sociale) en matière d'investissement, de législation, de régime fiscal et de participation des partenaires sociaux.

Le rôle des acteurs sociaux

256. Ce rapport mettrait en lumière les droits et responsabilités des différents acteurs, par exemple Etat, entreprises et particuliers. La discussion mettrait notamment l'accent sur la question de savoir s'il est possible de réformer les institutions de sécurité sociale, de manière à associer les caractéristiques les plus intéressantes des systèmes public et privé et s'il est possible de sous-traiter certaines fonctions au secteur privé. Si l'Etat reste responsable de la protection sociale de ses citoyens, la question essentielle est de savoir si l'Etat devrait fournir directement les prestations de sécurité sociale ou s'il ne serait pas préférable d'instaurer un cadre réglementaire dans lequel les travailleurs, les employeurs et leurs associations pourraient prendre eux-mêmes les dispositions qui leur conviennent.

257. Dans la plupart des pays, les organisations de travailleurs et d'employeurs ont joué un rôle important dans le développement des systèmes de sécurité sociale. Leurs contributions représentant la principale part des recettes de sécurité sociale, ces organisations doivent être particulièrement impliquées dans l'administration de la sécurité sociale, c'est-à-dire dans l'élaboration des politiques comme leur mise en œuvre. Mais la sécurité sociale allant au-delà du monde de l'emploi salarié, il faudrait s'efforcer d'évaluer le rôle possible de tous les groupes sociaux intéressés dans le processus gestionnaire et décisionnel. Pour les pays en développement où la majorité de la main-d'œuvre relève du secteur non structuré, le rapport soulignera le rôle des groupes sociaux émergents désireux et capables de participer aux systèmes de sécurité sociale.

Implications pour les travaux futurs de l'OIT

258. Le principal objectif des futurs travaux de l'OIT sera d'aider les Etats Membres à relever ces défis dans leur propre contexte socio-économique. Il faudra, en particulier, définir des politiques nationales et internationales pour garantir la protection sociale de tous, formuler des politiques globales afin d'assurer la durabilité des régimes de sécurité sociale et de les adapter à l'évolution des besoins de la population et à des marchés mondiaux du travail de plus en plus flexibles. Au niveau national comme au niveau international, il faudra procéder à de nombreux essais en étroite collaboration avec les acteurs sociaux. L'OIT devrait participer à différents projets pilotes avec des travailleurs du secteur non structuré, diffuser les informations ainsi recueillies et aider les gouvernements et les différents partenaires de la sécurité sociale par le biais de programmes de formation et de coopération technique.

259. La discussion qu'il est proposé d'organiser lors de la Conférence internationale du Travail de 2001 pourrait également déboucher sur l'examen d'activités normatives dans ce domaine, en tenant compte des conclusions du Groupe de travail sur la politique de révision des normes. Elle pourrait également donner naissance à des propositions de nouvelles normes, en particulier dans le domaine de l'égalité de traitement entre hommes et femmes.

* * *

9. Emploi des femmes
 

Résumé

Les femmes ont réalisé des avancées considérables sur le marché du travail; dans de nombreux pays, elles représentent désormais près de la moitié de la population active. Toutefois, les marchés du travail masculin et féminin demeurent très fortement cloisonnés. Près de la moitié des travailleurs dans le monde exercent des métiers répondant à des stéréotypes sexuels. Un nombre extrêmement élevé de femmes sont reléguées dans les «emplois féminins» - situés au bas de l'échelle hiérarchique, souvent précaires, dangereux et mal rémunérés - que les hommes refusent toujours de faire. Même pour un travail analogue, le salaire des femmes est en général de 20 à 30 pour cent inférieur à celui des hommes. Si un plus grand nombre de femmes occupent des postes de cadre moyen, elles sont loin d'avoir investi les conseils d'administration ou les parlements où que ce soit dans le monde. Seul un nombre infime d'entre elles parvient encore de nos jours à atteindre les plus hauts échelons de la hiérarchie. Si elles souhaitent aussi fonder une famille, leurs chances de réussite s'amenuisent encore. Tenter de concilier responsabilités professionnelles, familiales et civiques demande une énergie et une volonté exceptionnelles. La baisse des taux de natalité dans certains pays industrialisés peut s'expliquer par le fait que les femmes privilégient leur carrière au détriment de la création d'un foyer, car elles ne se sentent pas en mesure de faire face au double fardeau de responsabilités que cela implique. Dans tous les pays, l'entrée des femmes sur le marché du travail a eu un profond retentissement sur la vie des hommes. Le modèle traditionnel du chef de famille pourvoyeur de revenus est remis en question dans le monde entier. Les hommes et les femmes doivent faire face au nouvel état de fait que constitue le travail des femmes et des mères de famille, qui nécessite d'urgence une répartition plus équitable des soins à donner aux enfants et des responsabilités familiales et communautaires. La lutte contre la discrimination fondée sur le sexe dans le domaine de l'emploi et de la profession n'a donc pas seulement pour objet de faire respecter un droit fondamental, elle entraînera aussi une modification profonde des sociétés et des économies futures et aura une incidence sur la qualité de vie des femmes et des hommes. L'OIT peut exercer une influence déterminante sur la direction que prendront ces évolutions.


L'augmentation du nombre de femmes
dans la population active

260. L'un des phénomènes les plus frappants du XXe siècle aura été l'augmentation considérable du nombre de femmes qui exercent une activité rémunérée. Avec la mondialisation, les progrès révolutionnaires dans les techniques de l'information et de la communication et la croissance des économies de services modernes, le taux d'activité des femmes a non seulement augmenté, mais il a connu une croissance supérieure à celui des hommes. Depuis 1980, la croissance de la main-d'œuvre féminine a été considérablement plus rapide que celle de la main-d'œuvre masculine dans toutes les régions du monde à l'exception de l'Afrique.

261. Il est essentiel de comprendre toutefois la dynamique qui anime l'accroissement de la participation des femmes à la main-d'œuvre - à la fois parce que les différences de conditions entre les hommes et les femmes ont eu une incidence sur la manière dont les pays ont fait face aux mutations rapides de l'économie mondiale et parce que les relations entre les sexes ont elles-mêmes été transformées par les forces économiques libérées par la mondialisation. Nous examinerons ci-après les conséquences qu'ont eues ces mutations sur les aspects quantitatif et qualitatif de l'emploi des hommes et des femmes.

262. Tout d'abord, pour répondre à la montée de la concurrence étrangère et à la volatilité des marchés de produit, les entreprises se sont efforcées dans le monde entier, d'une part, d'abaisser leurs coûts, principalement ceux liés à la main-d'œuvre et, de l'autre, d'améliorer leur capacité d'adaptation à l'évolution rapide de la conjoncture commerciale et de la demande des consommateurs. Cela s'est traduit par des investissements dans les nouvelles technologies, un transfert des formes de production à forte intensité de main-d'œuvre vers le secteur informel ou leur délocalisation dans des pays où la main-d'œuvre est bon marché, et une réorganisation de la production dans l'entreprise. Les nouvelles techniques de production ont demandé une modification de la structure des qualifications et des emplois. Dans certains secteurs, des pays ont enregistré un déclin de la proportion d'emplois demandant la connaissance d'un métier, l'exercice d'un apprentissage ou l'acquisition, en cours d'emploi et sur une longue période, des compétences nécessaires, or ce type d'emplois était traditionnellement réservé aux hommes. Un autre élément clé a été la tendance à la polarisation des compétences: un petit noyau de travailleurs possédant des compétences hautement spécialisées est entouré d'un grand nombre de travailleurs n'ayant besoin d'acquérir qu'une formation minimale par le biais de modules d'apprentissage des techniques requises dans l'entreprise, pour lequel l'habileté manuelle, la docilité, la minutie et la capacité à apprendre par cœur tendent à être les qualités les plus recherchées - or celles-ci sont en règle générale considérées comme typiquement «féminines». En raison de cette polarisation des compétences, les entreprises font davantage appel au marché du travail externe qu'au marché du travail interne, car les travailleurs ayant acquis une longue expérience à leur service présentent moins d'intérêt pour elles. Ainsi, l'une des raisons traditionnellement invoquées pour opérer une discrimination contre les femmes - à savoir le fait qu'elles ne restent pas longtemps dans le même emploi - a perdu de sa pertinence. En fait, les employeurs qui font appel à une main-d'œuvre occasionnelle ou temporaire et opèrent d'importants roulements d'effectifs peuvent préférer employer des femmes.

263. Deuxièmement, la réorganisation de la production s'est accompagnée d'un affaiblissement de la réglementation protectrice et des institutions régissant le marché du travail, où l'ont voit des entraves au libre fonctionnement de ce marché. L'un des résultats de cette déréglementation a été la perte de pouvoir du personnel «intégré», à savoir les travailleurs syndiqués (masculins) occupant des emplois stables à plein temps. Puisqu'il est désormais plus facile de licencier les travailleurs et de «comprimer» les effectifs, les entreprises peuvent avoir recours aux marchés du travail externes et remplacer les travailleurs permanents par une main-d'œuvre bon marché. La plupart des nouveaux emplois sont atypiques, souvent précaires. Les activités économiques informelles, la sous-traitance, le travail à temps partiel, le travail à domicile, le travail à compte propre sont des formes de travail qui ont proliféré, entraînant une baisse du taux de syndicalisation. Elles ont aussi engendré une augmentation des taux d'activité des femmes.

264. Troisièmement, la précarisation accrue du marché du travail a donné naissance à une demande de travailleuses migrantes dans certains secteurs, même lorsque le chômage augmente dans le pays hôte. Dans plusieurs pays développés, les emplois les plus mal payés, salissants, difficiles, voire dangereux - tels que le travail aux pièces et le travail posté dans les petites et moyennes entreprises et parfois dans les ateliers clandestins, les travaux de nettoyage, le service domestique et le travail dans les restaurants -, tendent à être occupés par des travailleuses migrantes. Cela tient au fait que les travailleurs locaux méprisent ces emplois ou que les travailleuses migrantes sont embauchées de préférence à eux parce qu'elles sont plus dociles et travaillent pour des salaires moins élevés, exigent moins d'avantages sociaux et insistent moins sur le respect de leurs autres droits en tant que travailleuses. L'un des phénomènes récents les plus frappants a été la féminisation de la main-d'œuvre migrante temporaire en provenance d'Asie, les femmes se déplaçant de plus en plus à titre indépendant comme migrantes économiques autonomes et non plus comme personnes à la charge des migrants masculins. Avec la prolifération des débouchés dans les emplois majoritairement féminins, ce sont les femmes asiatiques plutôt que les hommes qui quittent famille et domicile pour subvenir aux besoins des leurs. La possibilité d'employer des domestiques migrantes libère les femmes locales de leurs responsabilités familiales et leur permet de chercher un emploi en dehors de chez elles.

265. Quatrièmement, dans les pays industrialisés et les pays en transition, bien que pour des raisons différentes, le déclin du salaire réel perçu par une grande partie de la main-d'œuvre a entraîné une perte de revenu compensée par une augmentation de la main-d'œuvre disponible. A cela s'ajoute le fait que, dans de nombreux pays, la diminution des prestations sociales, ou le resserrement des critères y ouvrant droit, a entraîné une baisse du nombre de bénéficiaires: cela a accentué l'effet «travailleur supplémentaire», davantage de femmes étant contraintes d'entrer sur le marché du travail et d'y rester en raison de l'insécurité accrue de leurs revenus. L'abrogation des législations ou instruments portant fixation des salaires minima, ou l'application moins rigoureuse des dispositions en vigueur en la matière, a aussi favorisé la croissance des emplois très faiblement rémunérés, et le versement d'un salaire individuel plutôt que d'un salaire familial a encouragé l'embauche des femmes.

266. Cinquièmement, dans les pays en développement, la mondialisation des échanges commerciaux et des flux de produits et de capitaux a eu des répercussions profondes. L'une d'entre elles est le fait maintenant bien reconnu que dans ces pays le moteur de l'industrialisation a été tout autant la disponibilité de la main-d'œuvre féminine que les exportations. En effet, les entreprises ont très largement fait appel à la main-d'œuvre féminine bon marché pour réduire leurs coûts afin de faire face à la concurrence. Il est également manifeste désormais que la proportion de femmes travaillant dans les industries d'exportation, en particulier les industries de fabrication de produits destinés à l'exportation, fluctue suivant les périodes. La baisse des effectifs féminins est liée à la diversification des lignes de produits exportés en faveur de produits à plus forte valeur ajoutée, plus fortement technicisés et demandant d'importants investissements en capitaux. Il semble que, quand la qualité des emplois et le niveau des salaires augmentent, les femmes tendent à en être exclues. Une autre conséquence importante a été la forte proportion de travailleuses employées dans le secteur des services financiers internationaux, surtout pour les travaux peu qualifiés, tels que l'introduction des données, mais également de plus en plus dans des services demandant plus de qualifications pour répondre aux exigences des clients, tels que la conception de logiciels, la programmation informatique et les services bancaires et d'assurance.

267. Enfin, il convient de reconnaître que la mutation des structures familiales a eu un impact sur l'emploi des femmes. Un certain nombre de phénomènes, notamment l'éclatement de la famille élargie, la mobilité accrue des populations, l'érosion de la famille nucléaire traditionnelle, l'augmentation du nombre des foyers monoparentaux, de ceux ayant à leur tête une femme et des familles monoparentales, ont entraîné, dans une certaine mesure, une augmentation de la main-d'œuvre féminine. Dans certains pays, l'existence de structures d'accueil des enfants a également encouragé les femmes à conserver leur emploi salarié ou à en chercher un. Dans de nombreux cas, il est bien entendu difficile de décider si c'est l'évolution des relations familiales qui est à l'origine d'une hausse de la demande d'emploi de la part des femmes ou si c'est le fait que les femmes travaillent qui est à l'origine de certaines de ces mutations.

L'augmentation quantitative des emplois offerts aux femmes
s'est-elle accompagnée d'une amélioration qualitative?

268. Le fait que dans certains pays les femmes représentent désormais près de la moitié de la population active pourrait amener à conclure qu'elles occupent, à l'instar des hommes, des emplois très divers. Or si la ségrégation sexuelle des emplois tend à disparaître dans certaines régions du monde, dans l'ensemble, les choix offerts aux femmes sur le marché du travail sont encore très limités. Ce marché reste très fortement cloisonné suivant les sexes, et les femmes tendent à occuper un petit nombre d'emplois, qui ont tous pour point commun d'être relativement médiocres du point de vue du salaire, de leur statut hiérarchique, du pouvoir de décision qu'ils comportent et des possibilités de promotion qu'ils ouvrent. Ces emplois tendent également à présenter des caractéristiques tout à fait conformes aux préjugés sexistes ambiants. Les emplois majoritairement masculins sont plus de sept fois plus nombreux que les emplois majoritairement féminins, et leur valeur ajoutée tend à être beaucoup plus élevée.

269. Au fil du temps, les femmes ont conquis une part plus importante des emplois administratifs et de gestion, mais en règle générale elles occupent des postes d'agents de maîtrise ou de cadres moyens, principalement dans des secteurs tels que les soins médicaux et de santé, les relations personnelles et sociales et l'enseignement, qui se situent dans le prolongement de leur rôle traditionnel à l'intérieur de la famille. Qu'il s'agisse des entreprises, des professions libérales, de l'enseignement supérieur ou de la politique, les échelons professionnels les plus élevés sont partout encore presque exclusivement occupés par des hommes. Depuis les années soixante-dix on utilise l'expression «plafond de verre» pour décrire les barrières invisibles qui interdisent aux femmes l'accès aux postes supérieurs et pour illustrer le fait qu'en l'absence de raisons objectives permettant d'expliquer pourquoi les femmes ne parviennent pas à atteindre les plus hauts échelons de la hiérarchie au même titre que les hommes, force est de conclure qu'il existe un élément intrinsèquement injuste dans la structure organisationnelle des entreprises et des institutions ainsi que dans la société. Les femmes peuvent constater que les fonctions exercées au-delà du plafond de verre répondent à leurs compétences mais pourtant demeurent hors de leur portée.

270. Au lieu de s'acharner à tenter de briser cet obstacle, un nombre croissant de femmes créent leurs propres entreprises. Aux Etats-Unis, un tiers des petites et moyennes entreprises sont à l'heure actuelle gérées par des femmes. Au Brésil, on estime qu'elles administrent plus de 50 pour cent des micro et petites entreprises. Les femmes entrepreneurs sont désormais des acteurs importants dans la croissance des petites et moyennes entreprises dans le monde entier. Toutefois, créer sa propre affaire n'est pas nécessairement une activité lucrative. Même aux Etats-Unis, on a pu constater que les femmes exerçant une activité indépendante à plein temps gagnaient seulement 50 pour cent par heure en moyenne de ce que gagnent les femmes salariées travaillant à plein temps. Cela dit, par rapport à la rigidité de l'organisation du travail en entreprise, la souplesse d'un emploi indépendant offre à beaucoup de femmes une solution à leur principal problème, à savoir concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale.

271. Lorsqu'elles veulent créer ou agrandir leur entreprise, les femmes doivent surmonter plus d'obstacles que les hommes. L'une des difficultés majeures qu'elles rencontrent dans les pays occidentaux est d'être prises au sérieux et de convaincre les hommes de travailler pour elles. Dans les pays en développement et les économies en transition, elles sont victimes de discrimination de la part des créanciers, des fournisseurs et des clients. Leur accès au crédit est limité du fait qu'elles ne sont pas en mesure d'offrir des garanties et en raison de la taille et de la nature de leurs entreprises. Partant, celles-ci tendent à être petites au départ, à s'agrandir lentement et à être plus vulnérables que celles créées par des hommes. L'un des autres obstacles qu'elles doivent surmonter est l'absence de réseaux susceptibles de leur fournir un soutien et des informations sur les débouchés, les nouvelles tendances et la conjoncture économique. Les associations d'entrepreneurs dominées par les hommes sont bien établies et pas toujours accueillantes envers les femmes.

272. La majorité des femmes, en particulier dans les pays en développement, ont trouvé du travail parce qu'elles étaient disposées à occuper des «emplois de femmes» - c'est-à-dire des emplois atypiques, souvent précaires et mal rémunérés - que les économies de service modernes semblent créer en quantité toujours croissante et que les hommes ne sont pas encore disposés à occuper. Elles constituent de plus en plus fréquemment une main-d'œuvre «d'appoint» (dont les emplois ne sont pas prévus pour durer) dans un nombre très limité d'industries dans lesquelles elles occupent des emplois provisoires ou occasionnels, aux horaires irréguliers ou inhabituels ou dans le cadre d'un contrat aux pièces. Elles sont moins rémunérées que leurs homologues permanents et, en règle générale, elles ne sont couvertes ni par la législation du travail, ni par la sécurité sociale, ni par les dispositions des conventions collectives. Le nombre de travailleuses à temps partiel a également augmenté de manière considérable et, en règle générale, elles sont considérées comme étant moins motivées et moins importantes que les employés à plein temps et elles sont traitées en conséquence. Bien entendu, certaines femmes choisissent de travailler à temps partiel pour concilier travail et famille, mais la plupart du temps elles n'ont pas d'autre choix. Il n'en demeure pas moins qu'en règle générale ces formes d'emploi souples répondent davantage aux besoins des employeurs qui souhaitent réduire leurs coûts qu'elles ne satisfont aux aspirations des femmes désireuses de trouver un emploi de qualité.

273. Dans les emplois très féminisés, les niveaux de salaire tendent à être faibles. Les femmes étant majoritairement concentrées dans des emplois peu rémunérés, il n'est pas surprenant qu'en dépit de l'adoption de plus en plus fréquente de lois prescrivant l'égalité des salaires il existe toujours un écart considérable entre les salaires masculins et les salaires féminins. Même pour un travail analogue, les femmes tendent à gagner de 20 à 30 pour cent de moins que les hommes. Cet écart s'est resserré dans une certaine mesure, en particulier pour les femmes cadre supérieur sans enfants. Mais, dès qu'elles commencent à avoir des enfants, le revenu relatif des femmes accuse une baisse, et plus elles ont d'enfants plus leur salaire diminue du fait de la perte de revenus qu'elles subissent lorsqu'elles s'arrêtent de travailler pour s'en occuper, parce qu'elles perdent leurs chances d'être promues et, enfin, parce qu'elles doivent souvent accepter d'occuper un emploi moins qualifié pour revenir sur le marché du travail.

274. Il est indéniable que les femmes ont réalisé de grandes avancées sur le marché du travail, mais l'examen de leur situation et de leurs conditions de travail amène nécessairement à conclure qu'elles ont encore un long chemin à parcourir. Les progrès vers la réalisation de l'égalité de chances et de traitement entre les hommes et les femmes sont loin d'avoir été continus ou soutenus. Certes, en période de croissance économique et de prospérité, le principe de l'égalité ne fait pas seulement l'objet de vœux pieux et des ressources sont effectivement consacrées à la lutte contre la discrimination sexuelle. Toutefois, pendant les périodes de transition, de récession ou de marasme économique, ces efforts se relâchent et les mesures permettant aux femmes de mieux équilibrer leurs responsabilités professionnelles et familiales sont les premières à être abandonnées. De plus, en période de crise économique, les femmes sont moins enclines à introduire des recours si elles sont victimes de discrimination par crainte de représailles qui pourraient se traduire par leur licenciement. Malgré cela les femmes sont toujours parmi les premières à perdre leur emploi. La reconnaissance épisodique du droit à l'égalité de chances et de traitement, bien qu'il s'agisse de l'un des droits les plus fondamentaux de la personne, a pour conséquence que les progrès vers l'égalité des sexes sont lents et irréguliers. On note parfois même des retours en arrière manifestes. De nouveaux groupes de plus en plus nombreux de personnes extrêmement vulnérables sont en train d'émerger: les groupes de femmes les plus pauvres, y compris les femmes chefs de famille, les migrantes et les femmes autochtones qui semblent impuissantes à échapper de manière significative et durable aux fléaux de la discrimination et de la marginalisation.

Instruction et formation: la solution clé
pour l'amélioration des emplois offerts aux femmes

275. Le Rapport sur l'emploi dans le monde, 1998-99 relève un certain nombre de raisons expliquant pourquoi l'amélioration des emplois occupés par les femmes est essentiellement subordonnée à l'instruction et la formation qu'elles reçoivent et qui leur permettent:

276. Les taux de scolarisation des filles et des femmes dans l'enseignement scolaire et postsecondaire ont augmenté dans la plupart des pays au cours de ces dernières décennies, bien que d'importantes disparités demeurent. Les jeunes filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons à l'école, mais l'un des problèmes les plus graves est le fait que l'enseignement qu'elles reçoivent tend, en raison de son caractère général, à ne pas les former à un métier. Une autre source d'inquiétude est le fait que des facteurs tels que les restrictions budgétaires et la réémergence d'attitudes religieuses fondamentalistes dans les pays pauvres a toujours pour conséquence que les parents investissent moins dans l'éducation des filles que dans celle des garçons et que les taux d'abandon scolaire féminin sont plus élevés.

277. Toutefois, c'est dans l'acquisition de compétences professionnelles que les résultats de la discrimination se font le plus gravement sentir. Le Rapport sur l'emploi dans le monde met en relief le fait que, par rapport aux hommes, les femmes ont moins accès à i) la formation professionnelle; ii) la formation sur le lieu de travail; iii) l'apprentissage à vie; iv) les programmes de formation destinés aux chômeurs; v) la formation aux nouvelles technologies; et vi) la formation aux techniques de gestion d'entreprise. L'adoption de politiques, visant à encourager l'apprentissage permanent et à ouvrir de nouvelles voies pour l'amélioration de leurs compétences au bénéfice de travailleuses occupant des emplois atypiques et de celles dont les emplois offrent peu de possibilités de formation, peut jouer un rôle très important pour assurer la réussite des femmes sur le marché du travail. Etant donné que, de plus en plus fréquemment, ce n'est pas tant le niveau mais le type d'instruction et de formation que les hommes et les femmes reçoivent qui compte, il importe d'encourager et de soutenir les femmes et les jeunes filles pour qu'elles entreprennent des études dans des domaines non traditionnels et plus particulièrement dans des domaines d'avenir.

278. Toutefois, le rapport insiste également sur le fait que les politiques de formation ne suffisent pas, à elles seules, à faire évoluer le marché du travail: «il est clair que la formation est nécessaire mais non pas suffisante pour élargir le choix des femmes sur le marché du travail». Il est bien entendu impératif que des mesures soient également prises pour assurer l'égalité des chances et de traitement dans l'accès à l'emploi en général et à certaines professions en particulier.

Eradication de la discrimination fondée sur le sexe et amélioration
des possibilités d'emploi pour les femmes (et pour les hommes)

279. L'emploi des femmes a des répercussions bénéfiques incalculables pour la société dans son ensemble, notamment parce qu'il favorise une meilleure utilisation des ressources humaines et parce que les femmes contribuent ainsi à la croissance économique nationale, à la lutte contre la pauvreté et au financement des régimes de sécurité sociale. Il incombe donc aux gouvernements de prendre des mesures rigoureuses pour mettre un terme à la discrimination fondée sur le sexe. Les conventions relatives aux travailleuses - la convention (no 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, et la convention (no 100) sur l'égalité de rémunération, 1951 - sont parmi celles qui ont été le plus largement ratifiées. Malheureusement, leur mise en application au niveau national est souvent inefficace pour un certain nombre de raisons. Tout d'abord, le cadre législatif est fréquemment inadéquat. Le BIT reçoit beaucoup de demandes de la part des gouvernements et des partenaires sociaux sollicitant des conseils sur la manière d'élaborer une législation nationale conforme aux normes internationales mais qui demeure adaptée à la situation interne du pays, et sur la manière de créer un environnement propice à l'application effective de cette législation. Ainsi, de nombreux pays ne peuvent pas mettre en application la convention no 100 parce qu'ils ne disposent pas localement du savoir-faire leur permettant de mettre en place des systèmes d'évaluation des emplois et parce que les statistiques ventilées par sexe relatives au marché du travail sont inadéquates. Deuxièmement, les mécanismes d'application nationaux sont insuffisants, en particulier dans les pays où le système des relations du travail est peu développé et où les femmes sont sous-représentées aux échelons supérieurs où se prennent les décisions. L'attachement au principe de l'égalité et la volonté politique de le voir se concrétiser tendent à fluctuer en fonction des conditions économiques et sociales. Troisièmement, les travailleuses elles-mêmes n'ont souvent pas connaissance de leurs droits et obligations légales ou sont trop intimidées ou bien n'ont ni les moyens ni le pouvoir de faire respecter leurs droits.

280. Pour créer un environnement favorisant l'emploi des femmes, il importe également que les gouvernements modifient leurs régimes fiscal et de sécurité sociale. Les mesures incitatives ou dissuasives qu'ils mettent en place peuvent considérablement influer sur la manière dont les gens organisent leur vie. Pour permettre aux femmes de choisir librement de travailler, l'assise des régimes fiscaux et de sécurité sociale doit être l'individu plutôt que la cellule familiale. Les gouvernements doivent également examiner la manière dont ils peuvent faciliter la tâche des femmes qui souhaitent concilier travail et enfants (et soins aux personnes âgées): ces mesures revêtent un caractère plus urgent dans les nombreux pays où les taux de natalité ont considérablement baissé alors que la proportion de personnes âgées a augmenté.

281. Les entreprises doivent être convaincues qu'il est bon pour leurs affaires d'employer et de promouvoir des femmes et de mettre en œuvre des politiques favorables à leur formation et à la famille afin qu'elles puissent donner la pleine mesure de leurs capacités. Il est donc important de recueillir et d'examiner des données concrètes. Les femmes ayant de plus en plus fréquemment un niveau d'éducation aussi bon, voire meilleur, que celui des hommes, une entreprise limiterait ses possibilités de choix à seulement la moitié des candidats les plus brillants et les plus compétents si elle ne recrutait que des hommes; si elle emploie déjà des femmes et a investi dans la valorisation de leurs compétences, il est économiquement judicieux de les conserver à son service en leur offrant, par exemple, la possibilité de prendre des congés de maternité ou d'adopter des horaires souples plutôt que de courir le risque de les perdre et d'avoir à recruter et à former de nouveaux travailleurs; les manières de procéder et le comportement des femmes sont des atouts pour les entreprises; le fait d'accorder un traitement équitable aux travailleuses est aussi un élément positif du point de vue des relations publiques, d'autant plus que les femmes sont d'importants consommateurs de produits et de services.

282. Désormais, de plus en plus d'entreprises mettent en œuvre des politiques profamiliales. Il reste toutefois à convaincre les employeurs, en particulier dans les petites entreprises, que ces politiques sont rentables. Il est également important de veiller à ce qu'elles ne concernent pas exclusivement les femmes; cela pourrait en effet donner lieu en retour à des recours pour discrimination, étant donné que les hommes ont eux aussi des familles. Il est nécessaire d'encourager non seulement les femmes mais aussi les hommes à tirer profit de ces politiques sans craindre que cela soit interprété comme un manque d'intérêt envers leur travail ou que cela justifie un refus de promotion.

283. Le BIT a apporté ses conseils pour l'élaboration de politiques ainsi qu'une aide en matière de coopération technique pour la mise en œuvre de mesures complètes et intégrées visant à promouvoir des emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité à l'intention de groupes importants de travailleuses employées dans le secteur informel. Ainsi, les programmes visant à aider ces groupes vulnérables de travailleuses comportent des éléments de formation destinés non seulement à leur faire acquérir des compétences génératrices de revenus mais également à leur enseigner la gestion d'entreprise, à les sensibiliser à leur condition, à leur inculquer des notions élémentaires de droit, à leur apprendre à se mobiliser et à s'organiser en groupes, et comment avoir accès au crédit, aux marchés et à d'autres réseaux de soutien, etc. Les programmes ont également pour objectif de garantir que les emplois productifs et rémunérateurs offerts aux femmes se traduisent directement par une amélioration du bien-être de leur famille, par des rapports plus égalitaires entre les sexes, par la scolarisation des enfants et la diminution du travail de ces derniers. L'heure est venue de procéder à une évaluation des expériences multidisciplinaires conduites par les divers départements techniques du BIT et du Programme international de l'OIT pour des emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité pour les femmes puis de diffuser plus largement les «bonnes pratiques» qui peuvent en être dégagées.

284. Enfin, les politiques visant à promouvoir véritablement l'égalité entre les sexes doivent également s'adresser aux hommes - qui constituent l'autre moitié de la main-d'œuvre et du corps social. La rapidité avec laquelle les femmes sont entrées massivement sur le marché du travail est telle que l'évolution des comportements sociaux, des normes et des institutions n'a pas suivi au même rythme. Dans beaucoup de pays, le modèle social qui se reflète dans la législation (par exemple en matière de sécurité sociale et de fiscalité) et dans l'opinion populaire repose encore sur la notion que l'homme est le pourvoyeur de revenus de la famille alors que la femme reste au foyer ou apporte un revenu d'appoint, or la réalité est très différente. Les hommes (et les femmes également) doivent s'habituer au fait qu'il existe des femmes patrons, qu'ils ont tous des collègues féminins, qu'il existe des mères qui travaillent, des couples dans lesquels les deux travaillent, et les hommes doivent être prêts à accomplir une part plus importante des tâches domestiques. Il faut présenter aux jeunes garçons (et aux jeunes filles) de nouveaux modèles auxquels ils puissent s'identifier pour faire face à ces mutations sociales.

Points pouvant faire l'objet d'une discussion générale
lors de la Conférence

285. L'inscription d'une question relative à l'emploi des femmes à l'ordre du jour de la Conférence serait importante pour au moins deux raisons: 1) à la lumière du suivi de la Déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail; et 2) en tant qu'élément faisant partie intégrante du mandat de l'OIT concernant la promotion de l'emploi.

286. Si le Conseil d'administration décide d'inscrire cette question à l'ordre du jour, la Conférence voudra peut-être examiner certains des points suivants:

* * *

287. Compte tenu des propositions qui précèdent, le Conseil d'administration est invité à fixer l'ordre du jour de la 89e session (2001) de la Conférence internationale du Travail:

Genève, le 8 février 1999.

Points appelant une décision:


1.  Document GB.254/16/19, paragr. 5.

2.  Document GB.273/2.

3.  Document GB.271/4/1.

4.  Conférence internationale du Travail, 86e session (1998): «Résolution concernant la possible adoption d'instruments internationaux pour la protection des travailleurs se trouvant dans les situations identifiées par la Commission du travail en sous-traitance», Compte rendu des travaux, vol. II, p. 33.

5.  La commission d'experts a proposé qu'un protocole pourrait également être adopté pour permettre aux pays d'inverser la charge de la preuve dans certaines circonstances, en cas de discrimination alléguée. Cette proposition n'ayant pas été accueillie favorablement lors des débats au Conseil d'administration, elle n'a pas été retenue pour le moment.

6.  Convention (no 3) sur la protection de la maternité, 1919, art. 2; convention (no 4) sur le travail de nuit (femmes), 1919, art. 3; convention (no 41) (révisée) du travail de nuit (femmes), 1934, art. 3; convention (no 89) sur le travail de nuit (femmes) (révisée), 1948 [et Protocole, 1990], art. 3; convention (no 97) sur les travailleurs migrants (révisée), 1949, art. 6, paragr. 1 a) i); convention (no 110) sur les plantations, 1958 [et Protocole, 1982], art. 46; convention (no 168) sur la promotion de l'emploi et la protection contre le chômage, 1988, art. 6; convention no 181 sur les agences d'emploi privées, 1997, art. 5 (1); recommandation (no 123) sur l'emploi des femmes ayant des responsabilités familiales, 1965, paragr. 9 (2); recommandation (no 150) sur la mise en valeur des ressources humaines, 1975, paragr. 50 b) v); recommandation (no 162) sur les travailleurs âgés, 1980, paragr. 3; recommandation (no 166) sur le licenciement, 1982, paragr. 5 a); recommandation no 188 sur les agences d'emploi privées, 1997, paragr. 9.

7.  Convention (no 3) sur la protection de la maternité, 1919, art. 2; convention (no 103) sur la protection de la maternité (révisée), 1952, art. 2; convention (no 110) sur les plantations, 1958 [et Protocole, 1982], art. 2 et 46; convention (no 168) sur la promotion de l'emploi et la protection contre le chômage, 1988, art. 6; recommandation (no 48) sur les conditions de séjour des marins dans les ports, 1936, paragr. 3; recommandation (no 101) sur la formation professionnelle (agriculture), 1956, paragr. 3 (1); recommandation (no 104) relative aux populations aborigènes et tribales, 1957, paragr. 35 b); recommandation (no 110) sur les plantations, 1958, paragr. 2. Il y a lieu de noter que la nationalité est un critère de base pour les normes relatives aux migrants et que, par conséquent, des dispositions visant à assurer l'égalité de chances et de traitement à leur égard et/ou une protection contre la discrimination se trouvent dans les instruments correspondants, à savoir: la convention (no 48) sur la conservation des droits à pension des migrants, 1935, art. 2 et 10; la convention (no 66) sur les travailleurs migrants, 1939; la convention (no 97) sur les travailleurs migrants (révisée), 1949, art. 2; la convention (no 118) sur l'égalité de traitement (sécurité sociale), 1962, art. 3; la convention (no 143) sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires), 1975; la convention (no 157) sur la conservation des droits en matière de sécurité sociale, 1982; la recommandation (no 19) sur les statistiques des migrations, 1922; la recommandation (no 61) sur les travailleurs migrants, 1939; la recommandation (no 86) sur les travailleurs migrants (révisée), 1949; la recommandation (no 100) sur la protection des travailleurs migrants (pays insuffisamment développés), 1955, paragr. 45.

8.  Convention (no 82) sur la politique sociale (territoires non métropolitains), 1947, art. 18 (1) et (2); convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, art. 1; convention (no 110) sur les plantations, 1958 [et Protocole, 1982], art. 2; convention (no 117) sur la politique sociale (objectifs et normes de base), 1962, art. 14 (1) et (2); recommandation (no 70) sur la politique sociale dans les territoires dépendants, 1944, paragr. 41 (3); recommandation (no 110) sur les plantations, 1958, paragr. 2; recommandation (no 115) sur le logement des travailleurs, 1961, paragr. 25. L'appartenance syndicale des travailleurs migrants est mentionnée dans la recommandation no 100, paragr. 38, la recommandation (no 151) sur les travailleurs migrants, 1975, paragr. 8 (3); la recommandation (no 188) sur les agences d'emploi privées, 1997, paragr. 9.

9.  Convention (no 168) sur la promotion de l'emploi et la protection contre le chômage, 1988, art. 6; convention (no 181) sur les agences d'emploi privées, 1997, art. 5 (1); recommandation (no 71) sur l'emploi (transition de la guerre à la paix), 1944, paragr. 43 (3); recommandation (no 99) sur l'adaptation et la réadaptation professionnelles des invalides, 1955, paragr. 25 et 41; recommandation (no 188) sur les agences d'emploi privées, 1997, paragr. 9.

10.  Convention (no 156) sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales, 1981; recommandation (no 165) sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales, 1981; recommandation (no 188) sur les agences d'emploi privées, paragr. 9.

11.  Sélection d'instruments internationaux: l'invalidité a été interprétée comme relevant de «toute autre situation», ICESCR, art. 2 (2) - Observation générale no 5 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (E/1995/22-e/c.12/1994/20, p. 99), paragr. 2; la langue comme motif de discrimination a été clairement établie dans le droit international: voir Charte de l'ONU, art. 1, 13, 55, 76; UDHR, art. 2; ICCPR/ICESCR, art. 2; ICCPR, art. 4, la nationalité a été interprétée comme relevant de la catégorie «toute autre situation» dans le ICCPR - Comité des droits de l'homme, communication no 196/1985 (Gueye et collaborateurs c. France), paragr. 9.4, 9.5 et 10 - ICCPR, art. 2, 26. Mais voir ICESCR, art. 2 (3), qui dispose que les pays en développement peuvent déterminer dans quelle mesure des droits économiques peuvent être garantis aux non-nationaux: voir également les interprétations pertinentes du Comité des droits économiques, sociaux et culturels; et l'orientation sexuelle: voir, notamment, les cas de protocole facultatif, Comité des droits de l'homme, sous ICCPR.

12.  Il existe de nombreuses autres dispositions analogues, par exemple dans des instruments interaméricains sur les droits de l'homme (Charte de l'OEA et Protocole de Buenos Aires, Convention sur les droits de l'homme et Protocole de San Salvador); Convention européenne des droits de l'homme et divers protocoles, Charte sociale européenne et Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.

13.  Conférence internationale du Travail, 72e session, 1986, rapport V, et Compte rendu des travaux, pp. 37/23-32.

14.  La résolution et les conclusions figurent en annexe du document GB.267/ESP/3/2.

15.  Document GB.273/ESP/7, qui porte la cote GB.274/ESP/3 pour la présente session.

16.  Document GB.271/ESP/4.

17.  On peut citer entre autres: N. O'Higgins: The challenge of youth unemployment, Cahiers de l'emploi et de la formation, no 7, 1997, également publié dans la Revue internationale de sécurité sociale, vol. 50, no 4, oct. 1997, pp. 69-103; M. Keune: Youth unemployment in Hungary and Poland, Cahiers de l'emploi et de la formation, no 20, 1998; C. Russel: Education, employment and training policies and programmes for youth with disabilities in four European countries, Cahiers de l'emploi et de la formation, no 21, 1998; C. Bruno et S. Cazes: French youth unemployment: An overview, Cahiers de l'emploi et de la formation, no 23, 1998; Y. Ghellab: Minimum wages and youth unemployment, Cahiers de l'emploi et de la formation, no 26, 1998; P. Visaria: Unemployment among Indian youth: Level, nature and policy implications, Cahiers de l'emploi et de la formation, no 36, 1998; D. Gross: Youth unemployment and youth labour market policies in Germany and Canada, Cahiers de l'emploi et de la formation, no 37, 1998; F. Mazzotta et F. Carroleo: Youth unemployment and youth employment policies in Italy, Cahiers de l'emploi et de la formation, no 42, 1999; G. Kanyenze: Youth unemployment and youth employment policies in Zimbabwe, ILO/SAMAT, 1999.

18.  J. Gaude: L'insertion des jeunes et les politiques d'emploi-formation, Cahiers de l'emploi et de la formation, no 1, 1997.

19.  O'Higgins, op. cit.

20.  BIT: Rapport sur l'emploi dans le monde 1996-97 (Genève, 1996); BIT: Des emplois pour l'Afrique (Genève, 1997).

21.  Ghellab, op. cit.

22.  R. Anker: «Ségrégation professionnelle hommes-femmes: les théories en présence», Revue internationale du Travail, vol. 136, no 3, 1997; R. Anker: Gender and jobs: Sex Segregation of Occupations in the World (BIT, Genève, 1998).

23.  Creating a favourable climate and conditions for cooperative development in ... Africa (1993), Asia (1994), Latin America (1996) et Central and Eastern Europe (1996).

24.  Document GB.264/10.

25.  Document GB.256/6/7; document de travail en annexe.

26.  Des contributions antérieures sur ce thème ont été soumises au Conseil d'administration en mars et en novembre 1998. Voir documents GB.271/4/1, paragr. 175-205, et GB.273/2, paragr. 153-166.

27.  Documents GB.261/STM/4/14 et GB.261/8/26, paragr. 14.

28.  Document GB.273/STM/7.

29.  Documents GB.244/2/2, paragr. 96-116; GB.259/2/2, paragr. 226-248; GB.262/2, paragr. 69-94; GB.268/2, paragr. 9-41; GB.271/4/1, paragr. 175-205; GB.273/2, paragr. 32-44.

30.  Document GB.254/2/1, paragr. 53-64.

31.  Document GB.272/3.

32.  La troisième est la convention (no 162) sur l'amiante, 1986.

33.  Document GB.271/LILS/WP/PRS/2, ss. I.2 et II.8.

34.  Document GB271/11/2, annexe 1, paragr. 35-38 et 80-82.

35.  Le Système unifié de classification et d'étiquetage des produits chimiques (SU) qui devrait être opérationnel en 2001 et pour lequel l'organe chargé de sa gestion et de sa mise à jour sera probablement une commission d'experts de l'ECOSOC (ONU) sur la base de la restructuration du Comité d'experts de l'ONU en matière de transport des marchandises dangereuses.

36.  BIT: Sécurité sociale et protection sociale: égalité de traitement des hommes et des femmes, document TMESSE/1994, préparé pour la Réunion tripartite d'experts sur la sécurité sociale et la protection sociale: égalité de traitement des hommes et des femmes, Genève, 21-25 nov. 1994, et rapport de la réunion: document TMESSE/1994/D.1, annexé au document GB.262/ESP/3.


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