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Jugement n° 4808

Décision

1. La décision du Directeur général du 12 novembre 2020 est annulée.
2. L’Organisation versera à la requérante une indemnité pour tort moral de 40 000 euros.
3. Elle lui versera également la somme de 1 000 euros à titre de dépens.
4. Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Synthèse

La requérante conteste l’issue de la procédure d’enquête menée au sujet de sa réclamation pour harcèlement et l’absence d’indemnisation qui en est résultée.

Mots-clés du jugement

Mots-clés

Requête admise; Harcèlement; Indemnité pour tort moral

Considérant 8

Extrait:

[L]e Tribunal observe tout d’abord que, dans la décision attaquée, le Directeur général a déduit des constatations figurant dans le rapport d’enquête, que «les preuves contenues dans [celui-ci] justifi[aient] la conclusion [selon laquelle] deux […] allégations de harcèlement à l’encontre de M. N. étaient fondées et que cela a[vait] créé un environnement de travail hostile», tout en insistant sur le fait qu’il était d’accord avec les conclusions selon lesquelles les autres allégations de harcèlement concernant M. N. et Mme D. n’étaient pas fondées.
Le Tribunal considère que cette affirmation du Directeur général a ainsi méconnu ce que le rapport d’enquête avait pourtant énoncé de manière expresse en ce qui concerne «l’effet cumulé des événements» entourant les autres actes reprochés à M. N., qui, chacun pris isolément, ne constituaient pas un harcèlement. En effet, dans son rapport, l’enquêtrice, après avoir relevé deux incidents qui constituaient, au terme de son analyse, un harcèlement en tant qu’événements individuels, s’est penchée sur «l’effet cumulé» des autres actes individuels reprochés par la requérante à M. N. À ce sujet, l’enquêtrice a expressément indiqué que «l’effet cumulé» de ces actes, qui étaient d’abord similaires en termes de modèle et de comportement, s’étaient ensuite déroulés sur une période très courte et intensive où il était évident qu’il y avait un environnement de travail dysfonctionnel et malsain et, enfin, avaient duré pendant toute l’affectation temporaire de la requérante, «[a]urait raisonnablement pu avoir un impact négatif et malsain sur l’environnement de travail et sur la capacité de [l’intéressée] à apprendre les exigences du poste». L’enquêtrice a poursuivi en se disant d’avis, «[e]n tenant compte des deux cas» qui constituaient un harcèlement en tant qu’événements individuels, que «l’effet cumulé des événements pourrait raisonnablement être considéré comme du harcèlement».
Dès lors que cet aspect déterminant du rapport a été ignoré par le Directeur général dans son évaluation des constatations de celui-ci et, par suite, dans le choix des mesures qui pouvaient s’imposer en conséquence, le Tribunal estime que la décision attaquée est entachée d’une omission de prise en considération d’un fait essentiel. Cette compréhension erronée du rapport a manifestement influencé la perception de la nature et de l’étendue du harcèlement que l’enquêtrice avait constaté comme ayant été établi et a été déterminante dans l’analyse du Directeur général.

Mots-clés

Harcèlement; Omission de tenir compte de faits déterminés

Considérants 9-11, 14 et 17

Extrait:

Le Tribunal relève […] que, dans la décision attaquée, le Directeur général n’a pas correctement analysé s’il était opportun ou non de prévoir des mesures de réparation pour le préjudice moral subi par la requérante en sa qualité de victime du harcèlement constaté par l’enquêtrice dans son rapport et reconnu par l’Organisation.
Ce faisant, le Directeur général a méconnu [l]es dispositions [qui] établissaient le droit de la requérante à obtenir des explications sur les mesures de réparation qui pouvaient s’imposer compte tenu du harcèlement constaté dans le rapport d’enquête, exercice auquel le Directeur général ne s’est toutefois pas prêté dans le cadre de la décision attaquée. […]
De ce point de vue, le Tribunal relève que les observations du Directeur général dans la décision attaquée quant aux mesures disciplinaires ou correctives qui n’ont pas pu être prises du fait du départ à la retraite de M. N et de Mme D. ne concernaient pas les mesures de réparation relatives à la victime du harcèlement, soit l’intéressée.
En outre, le Tribunal relève que le Directeur général semble avoir considéré que le versement des prestations perçues par la requérante au titre de l’annexe II au Statut du personnel, en conséquence de la reconnaissance comme maladie imputable à l’exercice de fonctions officielles des problèmes de santé dont elle a été victime du fait du harcèlement, couvrait l’ensemble des préjudices subis par l’intéressée. Or, ces prestations n’ont pas vocation à couvrir le préjudice moral ayant résulté de ce harcèlement.
Le Tribunal note par ailleurs que l’autre mention du Directeur général contenue dans la décision attaquée, selon laquelle le rapport d’enquête contribuerait dans une certaine mesure à clore l’affaire, ne constituait pas, dans les circonstances de l’espèce, une mesure de réparation adéquate.
En ce qui concerne la considération du Directeur général selon laquelle, si la requérante avait besoin d’un soutien ou d’une assistance supplémentaire, il l’encourageait à faire part de ses besoins à HRD, il ne s’agit pas davantage d’une mesure de réparation.
[…] L’Organisation ajoute que, lorsqu’un droit à réparation existe, il est expressément prévu par les textes applicables. Or, selon elle, aucune disposition expresse n’imposerait au Directeur général d’octroyer une réparation financière dans le cadre de la procédure de règlement administratif des réclamations concernant un harcèlement.
Le Tribunal ne peut suivre la défenderesse dans cette lecture des dispositions applicables, qui prévoient expressément un droit à réparation pour le fonctionnaire victime de harcèlement et imposent au Directeur général de considérer les mesures de réparation qui doivent être prises dans une situation où un harcèlement est reconnu. Soutenir qu’aucune disposition expresse n’oblige le Directeur général à octroyer une réparation financière procède d’une confusion entre le droit à la réparation et la nature de la réparation qui pourrait être octroyée. Il est vrai qu’une mesure de réparation n’implique pas automatiquement l’octroi d’une indemnisation financière et que, parfois, des mesures autres que le versement d’une somme d’argent peuvent se révéler adéquates, mais il n’en reste pas moins qu’il appartenait d’abord à l’Organisation de déterminer quelle mesure de réparation s’imposait au bénéfice de l’intéressée dans les circonstances de l’espèce, ce qu’elle n’a pas fait de manière appropriée.
Du reste, dans le jugement 4602, aux considérants 14 et 16, le Tribunal a rappelé que, même dans une situation où les dispositions du Statut, des règlements ou des politiques internes d’une organisation internationale ne prévoient pas directement la possibilité d’octroyer une indemnité aux victimes d’un harcèlement, sa jurisprudence reconnaît clairement le droit à une telle indemnisation lorsque celle-ci est dûment étayée:
«14. Quoi qu’il en soit, le Tribunal considère que l’affirmation de l’OMC, selon laquelle aucune disposition de ses Statut et Règlement du personnel et de ses politiques ne prévoit directement la possibilité d’octroyer une indemnisation aux personnes qui ont déposé une plainte pour harcèlement, est en contradiction avec, voire ignore, sa jurisprudence qui reconnaît clairement le droit à une telle indemnisation lorsque celle-ci est dûment étayée. Dans le jugement 4207, adopté par les sept juges du Tribunal, celui-ci a déclaré ce qui suit à ce sujet au considérant 15:
“Il convient de relever que les Statut et Règlement du personnel de l’AIEA ne contiennent aucune disposition prévoyant précisément une procédure complète à suivre en cas de plainte pour harcèlement correspondant au premier cas décrit au considérant précédent. En l’absence de procédure légale complète à appliquer en cas de plainte pour harcèlement dans ses Statut et Règlement du personnel, l’AIEA devait répondre à la plainte pour harcèlement de la requérante conformément à la jurisprudence pertinente du Tribunal. Il est de jurisprudence constante qu’une organisation internationale a le devoir d’assurer aux membres de son personnel un environnement sûr et adéquat (voir le jugement 2706, au considérant 5, citant le jugement 2524). De plus, ‘étant donné la gravité que revêt une plainte pour harcèlement, une organisation internationale a l’obligation d’engager [...] l’enquête [...]’ (voir le jugement 3347, au considérant 14). L’enquête doit en outre être engagée rapidement, menée de manière approfondie, et les faits doivent être établis objectivement et dans leur contexte général. Une fois l’enquête terminée, le requérant est en droit de recevoir une réponse de l’administration concernant la plainte pour harcèlement. De plus, comme le Tribunal l’a affirmé dans le jugement 2706, au considérant 5, ‘une organisation internationale est responsable de l’ensemble des torts causés à un membre de son personnel par un supérieur hiérarchique de l’intéressé, agissant dans le cadre de ses fonctions, lorsque la victime subit un traitement portant atteinte à sa dignité personnelle et professionnelle’ (voir également les jugements 1609, au considérant 16, 1875, au considérant 32, et 3170, au considérant 33). Ainsi, une organisation internationale doit prendre les mesures nécessaires pour protéger une victime de harcèlement.”
Ces principes ont été reconnus par la jurisprudence du Tribunal dans un certain nombre de situations avant ce jugement 4207 (voir, par exemple, les jugements 3995, au considérant 9, et 3965, aux considérants 9 et 10) et après ce jugement 4207 (voir, par exemple, les jugements 4547, au considérant 3, et 4541, au considérant 4).
[...]
16. Le Tribunal relève que la position de l’OMC ne consiste pas à dire que les victimes de harcèlement n’ont pas droit à une indemnisation. Elle insiste plutôt sur le fait que la réparation doit se limiter à l’indemnisation du préjudice causé et que la constatation d’un acte illégal ne constitue pas en soi un motif suffisant d’indemnisation. De fait, d’après les affirmations contenues dans les écritures de l’OMC, le Tribunal comprend que l’Organisation reconnaît l’émotion intense éprouvée par la requérante en ce qui concerne sa demande d’indemnisation supplémentaire et ne souhaite en aucun cas, par son rejet, minimiser ses sentiments à cet égard. Toutefois, l’OMC souligne que toute demande d’indemnisation supplémentaire sollicitée par la requérante doit néanmoins respecter les obligations légales applicables. À ce sujet, il ressort de la jurisprudence du Tribunal que chaque requérant qui demande des dommages-intérêts pour tort matériel ou moral doit apporter la preuve du préjudice subi, de l’acte prétendument illégal et du lien de causalité entre l’illégalité alléguée et ce préjudice (voir, par exemple, les jugements 4158, au considérant 4, 3778, au considérant 4, 2471, au considérant 5, 1942, au considérant 6, et 732, au considérant 3), et que la charge de la preuve incombe au requérant (voir les jugements 4158, au considérant 4, 4157, au considérant 7, et 4156, au considérant 5).»

Le principe général selon lequel «une organisation internationale est responsable de l’ensemble des torts causés à un membre de son personnel par un supérieur hiérarchique [...], lorsque la victime subit un traitement portant atteinte à sa dignité personnelle et professionnelle», affirmé dans le jugement 2706, au considérant 5, et repris dans le jugement 4207 précité, trouve d’autant plus à s’appliquer en ce qui concerne les mesures qui doivent être considérées par le chef exécutif dans une situation de harcèlement (voir également à ce sujet les jugements 4217, au considérant 9, et 4171, au considérant 11).
Enfin, dans le jugement 4299, au considérant 5, le Tribunal a rappelé ce qui suit dans un cas où un fonctionnaire alléguait avoir été victime de harcèlement et demandait à être indemnisé à ce titre:
«Un fonctionnaire se trouvant dans le dernier cas de figure qui a établi qu’il a été victime de harcèlement pourrait certes également avoir droit à l’octroi par l’organisation de dommages intérêts pour tort moral au titre du harcèlement (voir, par exemple, le jugement 4158, au considérant 3). La question de savoir si un fonctionnaire a un tel droit peut dépendre du régime en vigueur au sein de l’organisation concernant le traitement des plaintes pour harcèlement. De tels dommages-intérêts peuvent en tout cas être octroyés dans le cadre d’une procédure devant le Tribunal de céans (voir le jugement 4241, aux considérants 24 et 25). Il convient toutefois de souligner que, même si des dommages-intérêts pour tort moral peuvent être octroyés, il s’agit là d’une réparation subsidiaire pouvant être accordée dans ce cas de figure, lorsque le harcèlement est établi. Comme indiqué ci-dessus, si le harcèlement a été prouvé, le premier devoir de l’organisation est de protéger le requérant et de prévenir tout acte futur de harcèlement.»
Dans un cas de figure semblable à celui qui caractérise la situation de la requérante en l’espèce, la jurisprudence du Tribunal reconnaît qu’il incombe à l’organisation qui constate l’existence d’un harcèlement de réparer le dommage causé et, en principe, cette réparation prend la forme d’une indemnité pécuniaire compensant le préjudice subi (voir, à ce sujet, le jugement 4158, au considérant 3).
[…]
[Il est] vrai qu’une mesure de réparation du préjudice subi par la victime d’un harcèlement [peut], dans certains cas, prendre d’autres formes que celle d’une indemnité pécuniaire […].
[…]
Le Tribunal considère que l’intéressée a dûment établi le tort moral qu’elle a subi à la suite du harcèlement reconnu dans le rapport d’enquête. Dès lors que c’est la perception que la personne concernée peut raisonnablement et objectivement avoir d’actes ou de propos qui sont propres à la dévaloriser ou à l’humilier qui constitue l’élément essentiel dans la reconnaissance d’un harcèlement (voir, par exemple, le jugement 4541, au considérant 8), la requérante pouvait légitimement, ainsi qu’elle le soutient, s’être sentie dépréciée du fait des agissements de M. N., de même qu’elle a pu ressentir l’établissement par celui-ci d’un environnement de travail hostile à son égard, et avoir ainsi subi un préjudice moral substantiel (voir le jugement 4541, précité, au considérant 8).
[…]
[L]e Tribunal a maintes fois reconnu le droit d’un fonctionnaire au versement d’une indemnité pécuniaire en réparation du tort moral subi en raison d’un harcèlement et de l’atteinte à la dignité qui en est résultée (voir, par exemple, les jugements 4663, aux considérants 17 et 20, 4241, aux considérants 24 et 25, 4217, au considérant 9, et 3995, au considérant 9).

Référence(s)

ILOAT Judgment(s): 1609, 1875, 2524, 2706, 3170, 3347, 3995, 4158, 4207, 4217, 4241, 4541, 4547, 4602, 4663

Mots-clés

Réparation; Harcèlement; Indemnité pour tort moral

Considérant 9

Extrait:

[L]e Tribunal rappelle qu’un accord collectif fait partie des sources du droit de la fonction publique internationale et qu’il convient de l’appliquer selon ses termes et l’intention de ses auteurs.

Mots-clés

Accord collectif

Considérant 13

Extrait:

Dans ces circonstances, le Tribunal devrait normalement renvoyer l’affaire au Directeur général afin qu’il détermine la mesure de réparation qu’il serait approprié d’envisager pour réparer le préjudice subi par la requérante en raison du harcèlement constaté. Mais, compte tenu du temps écoulé et du fait que le dossier contient suffisamment de preuves et d’éléments d’information pour permettre au Tribunal de rendre une décision sur la teneur de cette mesure de réparation et d’évaluer adéquatement le montant de l’indemnisation pour tort moral que réclame l’intéressée, un tel renvoi ne serait pas opportun en l’espèce (voir, par exemple, les jugements 4663, au considérant 17, 4602, au considérant 18, et 4471, au considérant 20).

Référence(s)

ILOAT Judgment(s): 4471, 4602, 4663

Mots-clés

Tort moral; Renvoi à l'organisation; Réparation; Harcèlement



 
Last updated: 07.03.2024 ^ top