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Jugement n° 4663

Décision

1. La décision du Secrétaire général d’Interpol du 31 juillet 2019 ainsi que les décisions antérieures des 13 octobre 2017 et 1er décembre 2017 sont annulées.
2. Interpol versera à la requérante une indemnité pour tort moral de 25 000 euros.
3. L’Organisation lui versera également la somme de 8 000 euros à titre de dépens.
4. Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Synthèse

La requérante conteste les refus de reconnaître le harcèlement dont elle prétend avoir été victime et de lui transmettre l’intégralité du rapport d’enquête établi à la suite de sa plainte contre un collègue de travail.

Mots-clés du jugement

Mots-clés

Requête admise; Harcèlement

Considérants 6-7

Extrait:

S’agissant […] de la non-communication à la requérante de l’intégralité du rapport d’enquête préliminaire, qui était au cœur du débat avant que la Commission mixte de recours ait rendu son avis et que le Secrétaire général ait notifié la décision attaquée, il ressort d’une jurisprudence constante du Tribunal qu’un fonctionnaire doit, en règle générale, avoir accès à toutes les pièces sur lesquelles une autorité fonde ou s’apprête à fonder une décision défavorable à son égard (voir le jugement 4622, au considérant 12). En principe, la notification de telles pièces ne saurait être refusée pour des motifs de confidentialité (voir le jugement 4587, au considérant 12).
En outre, le Tribunal a affirmé dans une jurisprudence constante qu’un fonctionnaire doit avoir connaissance des documents utilisés par un organe de recours dans le cadre d’une procédure de recours interne et que tout manquement à ce principe constitue une violation du droit à une procédure régulière (voir les jugements 4412, au considérant 14, 3413, au considérant 11, et 3347, aux considérants 19 à 21). Dans le jugement 4541, au considérant 3, le Tribunal a ainsi confirmé que le refus de notifier en temps opportun à un fonctionnaire le rapport d’enquête établi, même dans une situation où, contrairement à ce qui a prévalu en l’espèce, la remise de ce rapport aurait eu lieu lors de la transmission de la décision finale d’une organisation, a pour conséquence de priver un fonctionnaire de la possibilité de contester utilement les conclusions de l’enquête en question dans le cadre de la procédure de recours interne menée devant l’organisation.
Dans le jugement 4217, au considérant 4, le Tribunal a d’ailleurs souligné l’importance d’une telle divulgation en ce qui concernait un rapport d’enquête d’une nature semblable à celui dont la requérante a demandé la transmission dans la présente affaire, en relevant que la circonstance que la requérante avait finalement pu obtenir communication du rapport dans le cadre de l’instance juridictionnelle n’était pas de nature à régulariser le vice ayant entaché la procédure de recours interne […].
Enfin, dans le jugement 4471, au considérant 23, le Tribunal a indiqué que la communication d’extraits d’un rapport d’enquête préliminaire n’était en principe pas suffisante et qu’il appartenait à une organisation de communiquer l’intégralité d’un tel rapport, quitte à caviarder celui-ci dans la mesure requise par le respect de l’exigence de confidentialité de certains éléments de l’enquête, liée notamment à la préservation des intérêts de tiers.
En l’espèce, le Tribunal considère, eu égard notamment à la teneur des témoignages recueillis au cours de l’enquête préliminaire, dont il ressort que leur divulgation n’était pas de nature à préjudicier aux intérêts de tiers, que rien ne s’opposait à ce que la requérante ait communication en temps utile de l’intégralité du rapport de cette enquête et des comptes rendus d’auditions qui y étaient annexés. Une telle communication était indispensable pour respecter les droits de la requérante, dès lors que le Secrétaire général et la Commission mixte de recours s’étaient appuyés sur ces documents et que l’intéressée devait donc être mise à même de formuler des observations à leur sujet.
La requérante a demandé à recevoir un exemplaire du rapport d’enquête préliminaire du 10 octobre 2017 à pas moins de quatre reprises. La Commission mixte était au courant de ces demandes, tout comme l’était le Secrétaire général. Dans le cadre de la procédure de recours interne, l’Organisation s’est toutefois limitée à citer dans ses écritures de courts extraits de ce rapport, sans en remettre l’intégralité à l’intéressée, ce qui était incomplet et insuffisant. En outre, bien que la Commission ait elle-même demandé la communication de l’intégralité de ce rapport et qu’il s’agissait là d’une pièce dont elle a pris connaissance dans le cadre de son examen, elle n’a pas notifié le contenu intégral du rapport à la requérante à quelque moment que ce soit. Pourtant, l’alinéa 5 de la disposition 10.3.2 et l’alinéa 3 de la disposition 10.3.4 du Règlement du personnel prévoient que le fonctionnaire a accès aux pièces et éléments de preuve communiqués à une commission mixte et que ce dernier doit avoir la faculté de s’exprimer sur les éléments de preuve qui servent de fondement à un avis consultatif. De surcroît, alors que le sous-alinéa (b) de l’alinéa 1 de la disposition 10.3.5 du Règlement prescrit que l’avis de la Commission mixte doit contenir un exemplaire des pièces pertinentes produites devant elle, ce rapport d’enquête n’a pas été joint à son avis.
Dans la décision attaquée, le Secrétaire général a fait siennes les recommandations de la Commission, qui faisaient état de ce rapport d’enquête, sans, là encore, le communiquer à la requérante. Le Tribunal rappelle que, dans cette décision, celui-ci a confirmé sa décision antérieure du 1er décembre 2017 qui avait rejeté la demande de réexamen de l’intéressée en faisant référence à ce qui doit être compris comme étant les comptes rendus des auditions des témoins entendus par les enquêteurs, et ce, sans les avoir transmis à quelque moment que ce soit à celle-ci.
L’argument soulevé par l’Organisation pour tenter de justifier la décision de ne pas transmettre un exemplaire de ce rapport ou de ces comptes rendus, à savoir l’exigence de confidentialité de ceux-ci, ne convainc pas le Tribunal, qui relève d’ailleurs que l’Organisation a en définitive transmis le rapport d’enquête et ses annexes dans leur intégralité sans même en caviarder une quelconque partie, ce qui montre qu’elle a finalement elle-même admis que rien ne faisait obstacle à cette communication.
Il découle de ce qui précède que le moyen soulevé par la requérante à ce sujet est fondé. Ces irrégularités dans le cadre de la procédure interne constituent un vice substantiel entachant d’illégalité tant la décision attaquée que celle du 1er décembre 2017, qui l’a précédée.

Référence(s)

ILOAT Judgment(s): 3347, 3413, 4217, 4412, 4471, 4541, 4587, 4622

Mots-clés

Production des preuves; Harcèlement; Rapport d'enquête; Confidentialité

Considérants 10-13

Extrait:

[L]e Tribunal relève qu’Interpol a méconnu le droit de la requérante à ce qu’il soit dûment statué sur sa plainte pour harcèlement. Pourtant, dans la présente affaire, l’Organisation ne pouvait ignorer que la requérante, à la fois dans sa plainte initiale, dans sa demande de réexamen et dans son recours interne, se plaignait de harcèlement à son encontre, que sa dénonciation ne se limitait pas à l’imposition de mesures disciplinaires contre M. S. et que l’impact sur la situation de l’intéressée était au cœur de sa démarche. Dans le jugement 4547, au considérant 3, le Tribunal a rappelé ce qui suit à ce sujet: […]
D’autre part, ainsi que l’a souligné le Tribunal dans le jugement 4207, précité, rendu en formation plénière, en l’absence de procédure légale complète à appliquer en cas de plainte pour harcèlement dans les règles internes d’une organisation, ce qui était le cas au moment des faits dans la présente affaire en ce qui concerne Interpol, il appartient alors à l’organisation de répondre à la plainte conformément à la jurisprudence pertinente du Tribunal. Cette jurisprudence exige, dans des situations de plainte pour harcèlement, de mener les enquêtes rapidement et de manière rigoureuse et approfondie (voir le jugement 4471, aux considérants 10 et 18). Dans son jugement 3312, au considérant 3, le Tribunal précise que cette enquête approfondie doit notamment «déterminer si les propos en cause peuvent être raisonnablement considérés comme véridiques au vu des faits et compte tenu des circonstances entourant l’affaire».
Le Tribunal observe que l’Organisation s’est méprise, à la fois dans le cadre de la confection du rapport d’enquête préliminaire, dans la décision du 13 octobre 2017 et dans la teneur des réponses données à la demande de réexamen de la requérante, en insistant sur le caractère déficient de la preuve des comportements dénoncés par l’intéressée en raison du doute raisonnable qui devait favoriser M. S. en ce qui concerne l’opportunité de lui infliger une sanction disciplinaire. Dans le jugement 4289, au considérant 10, le Tribunal a en effet rappelé ce qui suit sur ce point précis:
«[...] Un fonctionnaire affirmant être ou avoir été victime de harcèlement n’a pas besoin de démontrer, pas plus que la personne ou l’organe chargé(e) d’évaluer la plainte, que les faits permettent d’établir au-delà de tout doute raisonnable le caractère effectif du harcèlement, a fortiori dans le cadre d’une enquête préliminaire du type de celle qui a été ouverte en l’espèce. Si une allégation de harcèlement peut donner lieu à une procédure disciplinaire au cours de laquelle les allégations devront être établies au-delà de tout doute raisonnable, l’examen d’une plainte pour harcèlement dans le cadre de laquelle le fonctionnaire demande une protection sur son lieu de travail ou l’octroi de dommages-intérêts, voire les deux, n’est pas soumis à la même exigence.»
(Voir, dans le même sens, le jugement 4207, [...] au considérant 20.)
En l’espèce, étant informée que la requérante se plaignait de l’impact du harcèlement subi et que la démarche de cette dernière ne se limitait pas à l’adoption de mesures disciplinaires contre M. S., l’Organisation n’aurait pas dû limiter son examen à l’existence ou non d’un doute raisonnable, mais plutôt procéder à une enquête rigoureuse et approfondie, pour, le cas échéant, résoudre les questions de crédibilité qu’elle avait identifiées en ce qui concerne les versions qu’elle estimait contradictoires entre le témoignage de l’intéressée et celui de M. S. À cet égard, le Tribunal constate que l’Organisation a semblé accorder peu d’importance aux échanges de courriels qui ont immédiatement suivi l’incident du 8 juillet 2017, dont la teneur renforçait la crédibilité du propos de l’intéressée tout en diminuant celle de la version subséquente de M. S., et aux explications fournies par ce dernier, d’ailleurs mises en doute par les enquêteurs eux-mêmes, quant à l’expression à prétendu caractère sexuel qu’il avait utilisée.
Dans cette perspective, l’Organisation ne pouvait non plus ignorer la perception de l’intéressée en sa qualité de victime du harcèlement et son affirmation qu’elle s’était sentie rabaissée, dégradée et humiliée par les comportements dénoncés dont elle avait fait l’objet. Ainsi que le Tribunal l’a relevé de manière analogue dans le jugement 4541, au considérant 8, l’élément essentiel dans la reconnaissance d’un harcèlement est la perception que la personne concernée peut raisonnablement et objectivement avoir d’actes ou de propos qui sont propres à la dévaloriser ou à l’humilier. À cet égard, l’Organisation aurait dû déterminer en quoi la plainte déposée par la requérante ne pouvait être jugée crédible, d’autant que la bonne foi de l’intéressée n’a jamais été mise en doute.

Référence(s)

ILOAT Judgment(s): 3312, 4207, 4471, 4541, 4547

Mots-clés

Obligations de l'organisation; Harcèlement

Considérants 17-18

Extrait:

[L]a requérante ne demande pas que sa plainte pour harcèlement soit renvoyée à l’Organisation en vue d’une enquête approfondie. Elle se borne à réclamer une réparation pour le préjudice moral subi et à demander que lui soient attribués des dommages-intérêts. Devant ce constat, le Tribunal considère inopportun de renvoyer l’affaire à l’Organisation. La solution appropriée en l’espèce est plutôt d’indemniser adéquatement l’intéressée pour le tort moral que lui ont occasionné les décisions dont le Tribunal prononce l’annulation. Le Tribunal estime que le dossier contient suffisamment de preuves et d’éléments d’information pour lui permettre de rendre une décision sur la teneur de ce préjudice.
Ainsi qu’il résulte de l’analyse qui précède, la requérante a été privée de son droit de voir sa plainte pour harcèlement faire l’objet d’une enquête rigoureuse et approfondie qui aurait permis de déterminer que, selon toute vraisemblance, le harcèlement dénoncé avait fait l’objet de sa part d’une plainte crédible et déposée de bonne foi. À cela s’ajoute le fait que la requérante a été privée de son droit de savoir si des faits de harcèlement à son encontre ont été reconnus et de son droit de recevoir en temps opportun le rapport d’enquête préliminaire concernant cette plainte.

Mots-clés

Tort moral; Renvoi à l'organisation; Réparation; Harcèlement

Considérant 19

Extrait:

Il résulte d’une jurisprudence constante du Tribunal que les fonctionnaires ont le droit de voir leur recours interne examiné avec la diligence requise au regard notamment de la nature de la décision qu’ils entendent contester (voir les jugements 4457, au considérant 29, 4037, au considérant 15, et 3160, au considérant 16). Le Tribunal a du reste maintes fois rappelé que le devoir de sollicitude impose aux organisations de traiter les affaires de harcèlement aussi rapidement et efficacement que possible (voir, par exemple, le jugement 4243, au considérant 24).

Référence(s)

ILOAT Judgment(s): 3160, 4037, 4243, 4457

Mots-clés

Délai; Harcèlement; Retard dans la procédure interne



 
Last updated: 18.10.2023 ^ top