Female Future: La chance tourne

La législation qui établit des quotas garantissant la parité dans les postes de commandement et dans les conseils d’administration fait, et c’est bien compréhensible, de nombreux adeptes, même si certains continuent de combattre le vrai visage de la «discrimination positive».

«Je voulais être plus sûre de moi... quand il s’agissait de faire une présentation ou de prendre une décision, en particulier dans une salle remplie d’hommes âgés d’une cinquantaine d’années. Je voulais aussi élaborer une stratégie pour ma trajectoire professionnelle. Le programme «Female Future» m’a donné des idées sur la manière d’avancer dans la direction que je souhaitais…», raconte Heidi Lie, chargée de formation commerciale chez Citroën Norvège.

S’étant fait un nom dès les premières années de son parcours professionnel – dans ce qu’elle décrit comme «un environnement plutôt masculin» –, Heidi Lie, 32 ans, veille à ce que le profil de sa carrière la conduise jusqu’à la direction générale, un niveau où les femmes ne sont qu’une minorité (voir encadré: «Les PDG ‘portées disparues’»). En d’autres termes, Mme Lie a œuvré de manière réfléchie pour s’assurer que le légendaire plafond de verre au travail ne bloquerait pas son ascension.

Les inquiétudes d’Heidi quant à sa carrière ne sont pas sans fondement. Selon le Rapport global 2011 du BIT sur la discrimination, les femmes continuent de souffrir de discrimination au travail en termes d’emplois auxquels elles ont accès, de rémunération et d’avantages qu’elles perçoivent, de conditions de travail et d’accès aux postes de responsabilité. Des données récentes révèlent que, dans le monde, 829 millions de femmes vivent dans la pauvreté, contre 522 millions d’hommes.

Des enquêtes indépendantes menées récemment en Europe et en Asie ont également montré que peu de femmes atteignent les hauts niveaux de direction ou les conseils d’administration des entreprises tout au long de leur carrière, pour toutes sortes de raisons.

Cependant, Mme Lie – malgré ses difficultés – a eu plus de chance que beaucoup de ses consœurs dans le monde (voir encadré: «Concilier vie familiale et carrière, c’est possible»).

Accélérer la progression des femmes talentueuses

En application de la politique des quotas inaugurée par la Norvège en 2003, les conseils d’administration de toutes les sociétés publiques à responsabilité limitée doivent comporter au moins 40 pour cent de femmes (en 2005), à défaut de quoi une entreprise peut être dissoute par les juridictions nationales. De ce fait, le nombre de femmes présentes dans les conseils d’administration en Norvège a atteint 42 pour cent en 2009, contre 25 pour cent en 2004.

Pour remplir les quotas obligatoires et lever les réserves sur les chiffres réels des femmes susceptibles d’être recrutées pour des positions supérieures, la Confédération des entreprises norvégiennes (NHO) a mis en place le programme Female Future (FF) – dix-huit mois de formation et de coopération en réseau visant à identifier des femmes talentueuses et à les orienter rapidement vers des postes de commandement.

Le succès du projet et sa contribution à l’intégration de la dimension de genre et à la vie des femmes cadres peuvent se mesurer par la dimension prise par le projet qui n’est plus seulement une expérience européenne. L’Autriche, le Japon et l’Ouganda ont lancé leur propre programme FF sur le modèle de l’initiative de la NHO.

L’Ouganda a identifié 21 femmes pour la formation FF de juillet 2011. La NHO a travaillé avec son organisation sœur, la Fédération des employeurs d’Ouganda (FUE – Federation of Uganda Employers), pour adapter les aspects pertinents de la FF aux besoins de l’Ouganda. Evoquant l’impact positif du programme Female Future d’Ouganda, Etambuyu A. Gundersen, conseiller au Secrétariat de la NHO chargé du développement du secteur privé, affirme que porter la question de l’égalité hommes-femmes au niveau de la direction est aussi judicieux pour le monde des affaires.

«Au fil des réunions en Ouganda, ce programme a suscité l’enthousiasme aussi bien du secteur privé que du secteur public; il est clairement apparu que le programme FF était un outil important pour améliorer l’égalité entre hommes et femmes sur le lieu de travail; la présence de la diversité dans la gestion et dans les conseils d’administration s’est révélée bénéfique pour améliorer la profitabilité de l’entreprise; au final, cela vaut la peine d’un point de vue commercial pour les entreprises de s’engager dans le projet FF», ajoute M. Gundersen..

Favoriser la parité hommes-femmes

Le mouvement en faveur d’une plus grande diversité de genre au niveau de l’encadrement supérieur a gagné du terrain.

En janvier de cette année, la France a introduit une législation fixant un objectif de 40 pour cent de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises publiques d’ici à 2017. Des dispositions législatives établissant des quotas ont d’ores et déjà été adoptées dans des pays comme l’Islande, les Pays-Bas et l’Espagne.

L’Organisation internationale des employeurs (OIE), qui a son siège à Genève, ainsi que ses membres, continuent à soutenir la lutte contre la discrimination sur le lieu de travail. L’OIE a pris les commandes de cette lutte et offert des conseils pratiques à ses adhérents nationaux en élaborant des codes, en leur faisant connaître les bonnes pratiques, en leur organisant des formations et en leur fournissant des documents d’orientation.

La Confédération syndicale internationale (CSI) donne priorité à la défense des droits des travailleurs qui sont les plus exposés à la discrimination, notamment les femmes, les migrants et les minorités ethniques ou raciales, à travers sa campagne «Un travail décent pour une vie décente». Une autre campagne, lancée en 2008, continue de promouvoir l’égalité entre les sexes dans les politiques nationales sur la base de la convention (n° 100) sur l’égalité de rémunération, 1951. Au total, 102 syndicats de 64 pays ont participé à cette campagne.

Des inégalités toujours flagrantes

Pourtant, en dépit d’un consensus grandissant selon lequel briser le plafond de verre n’est pas un simple changement symbolique, les femmes continuent d’être sous-représentées parmi les cadres supérieurs et dans les instances dirigeantes.

Les propos de Virginija Langbakk, directrice de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE – European Institute for Gender Equality) sont cités dans la presse: «Les inégalités demeurent flagrantes dans de nombreux domaines. Les femmes représentent en moyenne 59 pour cent des diplômés d’université dans l’Union européenne (UE); pourtant, 3 pour cent des présidents d’entreprise sont des femmes et seulement 12 pour cent des membres de conseils d’administration. Dans l’UE, le taux de chômage des femmes reste en moyenne plus élevé que celui des hommes.»

On aurait pu supposer que le déséquilibre de genre qui prévaut dans les entreprises serait une raison suffisante pour que les entreprises identifient des femmes de talent (la «pêche des perles» selon la terminologie du programme Female Future) et qu’elles accélèrent leur accès aux postes de direction.

Cependant, alors que certains pensent que des mesures volontaires comme les quotas sont la réponse à ce déséquilibre, «convaincre les directions essentiellement masculines des entreprises de prendre des mesures volontaristes relève du défi», constate Ayomi Fernando, cheffe de l’Unité des initiatives des entreprises responsables de la Fédération des employeurs de Ceylan (EFC – Employers’ Federation of Ceylon). Elle explique: «De nombreuses entreprises estiment qu’une femme capable et efficace a des chances équitables d’accéder aux plus hauts postes. Elles ont été peu nombreuses à le faire, mais leur nombre augmente.»

«Convaincre les directions essentiellement masculines des entreprises de prendre des mesures volontaristes relève du défi»

Mme Fernando pense que les organisations doivent «s’observer elles-mêmes, prendre conscience de ce qui empêche les femmes d’atteindre ces positions et instaurer les mesures appropriées», qui faciliteront aussi l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle. L’EFC mène une action de sensibilisation et de formation auprès de ses adhérents pour les encourager à adopter une démarche d’équité entre les sexes et leur fournit des personnes ressources.

Puisque seuls les plus méritants devraient progresser jusqu’aux postes de décision et d’autorité, des voix s’élèvent pour s’interroger sur la justice de ce qui apparaît comme de la «discrimination positive».

Susan Maybud, spécialiste principale des questions d’égalité entre hommes et femmes au BIT, préfère utiliser le terme «d’action positive» plutôt que celui de «discrimination positive» – un terme qui, dit-elle, semble «tirer du positif de ce qui est négatif». Dans ce cas, la promesse que recèle l’action positive, explique Mme Maybud, «est que vous essayez d’encourager la promotion des femmes… en leur donnant l’occasion de faire leurs preuves… en veillant à ce qu’elles ne soient pas confinées aux échelons inférieurs et que les promotions ne soient pas accordées à des hommes par des hommes».

Toute une vie de «discriminations accumulées»

Susan Maybud affirme que l’initiative norvégienne du quota de 40 pour cent est un «geste courageux et positif», qui contribue à rétablir un équilibre fidèle à la réalité et qui répond aux «discriminations accumulées» par les femmes tout au long de leur vie. Cependant, elle met l’accent sur le fait que, en agissant en faveur de la parité des sexes au travail, «l’idée est de passer du symbole à la présence… de 40 pour cent de l’un ou l’autre sexe». C’est ce que prévoit le mandat de l’OIT sur l’égalité entre hommes et femmes (fondée sur des conventions internationales du travail spécifiques): promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes dans le monde du travail.

En fin de compte, malgré le débat sur certains aspects de la «discrimination positive», le temps consacré au renforcement des compétences, au tutorat et au changement des comportements afin que davantage de femmes occupent des postes de responsabilité sera bénéfique, selon Mme Maybud, «pour la famille» et pour l’ensemble de la société.

Ceux qui sont en charge d’instaurer cet équilibre entre les hommes et les femmes et de faire évoluer les comportements en recueilleront les fruits. Les femmes cadres comme Mme Lie, les participantes au programme FF en Ouganda et celles qui se battent dans leur pays pour être représentées font pencher la balance du côté de la diversité.

Les PDG «portées disparues»

En Inde, une étude fait la lumière sur la question de la parité au sommet

Dans une étude récente portant sur plus de 200 sociétés de divers secteurs d’activité, le cabinet de conseil et d’externalisation des ressources humaines (RH) Aon Hewitt India, a interrogé des équipes de RH, des dirigeants d’entreprise et des PDG sur le thème de la diversité. Les questions portaient sur l’égalité hommes-femmes et concernaient le recrutement, les postes de direction, les programmes d’avancement, l’égalité de rémunération et les pratiques RH.

En Inde, près de 40 pour cent des jeunes diplômés du supérieur dans les filières artistiques, commerciales ou d’ingénierie sont des femmes et l’étude a démontré que les entreprises étaient conscientes de l’intérêt d’attirer des employées femmes, en particulier au niveau du recrutement. Cela est particulièrement vrai dans le secteur de l’informatique et des services informatisés (IT/ITES) où les femmes constituent près de 30 pour cent de la main-d’œuvre débutante (0 à 5 ans d’expérience). Elles représentent aussi des pourcentages élevés dans les emplois de commerciaux débutants. Mais dans l’industrie et la vente, ce chiffre tombe à 10 pour cent (ce qui est en partie dû à la législation qui prohibe le travail féminin dans certaines conditions sans mesures de protection appropriées).

Cependant, la composante féminine de la main-d’œuvre diminue considérablement dans l’encadrement moyen (6 à 10 pour cent même dans l’informatique); elle est minime dans les postes d’encadrement supérieur (moins de 3 pour cent). A l’échelon du conseil d’administration, les femmes représentent encore moins de 1 pour cent! Il est généralement admis que ces chiffres doivent augmenter si l’on ne veut pas se priver de véritables talents.

Plus de 50 pour cent des PDG ont affirmé qu’il y avait de bonnes chances pour que des femmes accèdent aux premiers rôles au cours des cinq prochaines années. Quand on leur demandait précisément s’il y avait des femmes parmi les successeurs potentiels aux plus hauts postes, 24 pour cent répondaient par l’affirmative.

Mais les efforts déployés pour garder les femmes et les promouvoir à des postes hiérarchiques supérieurs sont variables. Seuls 10 pour cent des PDG ont affirmé qu’ils défendaient vraiment cette cause. La plupart des sociétés ne prennent pas position sur l’opportunité d’avoir un véritable programme d’intégration des femmes à la direction – leur refrain est qu’ils croient à la promotion au mérite et n’ont donc pas de «religion» en matière de parité.

Concilier vie familiale et carrière, c’est possible

Heidi Lie, chargée de formation commerciale chez Citroën Norvège, a participé au programme Female Future en septembre 2010. Dans cette brève interview, elle évoque l’impact du programme sur sa vie professionnelle et la signification de la parité des sexes au travail.

De quels éléments du programme de formation Female Future avez-vous tiré le plus grand profit?

Heidi Lie: J’ai beaucoup apprécié la partie sur le développement du leadership. Tous les retours d’expérience que nous avons partagés avec les autres m’ont fait prendre conscience de mes atouts et de mes points faibles. Le cours théorique était aussi très utile… Je suis mieux structurée dans mon emploi du temps et j’ai sélectionné quelques astuces utiles quand il faut prononcer un discours.

D’après votre expérience, quels sont les effets de la féminisation de l’encadrement supérieur sur l’entreprise, la culture du travail et la famille?

Heidi Lie: Mon patron est une femme et elle est le parfait exemple de quelqu’un qui comprend vraiment ce que c’est que d’être une mère célibataire avec un petit garçon de trois ans et d’assumer un poste qui exige de voyager et parfois de travailler à la maison le soir. Elle me laisse la liberté dont j’ai besoin, elle est flexible et sait pertinemment comment concilier le rôle de mère et celui d’un poste à responsabilité. Grâce à sa compréhension, je suis motivée pour lui donner 100 pour cent en retour; elle est une source d’inspiration car elle me démontre que tout est possible, même de concilier sa vie familiale et sa carrière.

Je pense qu’elle (la parité hommes-femmes) équilibre l’énergie dans la salle – quand un conseil associe des hommes et des femmes. Nous devons faire preuve de respect et apprendre les uns des autres.

Pouvez-vous recenser ce qui fait obstacle à la progression des femmes vers des postes de haut niveau?

Heidi Lie: Le manque de confiance en soi, un réseau insuffisant, la situation familiale et la discrimination.

Reportage de Qurratul-Ain Haider, journaliste en poste à Genève.