Le climat en question: Les organisations syndicales et le changement climatique

La glace a pu être brisée – mais il est maintenant temps de faire place à un dialogue et à une négociation authentiques pour trouver des solutions capables de préserver non seulement la partie visible de l’iceberg, mais aussi l’ensemble de la planète. Pour être plus qu’une simple goutte d’eau dans l’océan, l’OIT doit renforcer les moyens dont elle dispose afin de répondre à la question du changement climatique et soutenir ses mandants face aux processus de transition en matière d’emploi et de formation qui les attendent. Analyse de Lene Olsen du Bureau des activités pour les travailleurs du BIT.

GENÈVE – Le changement climatique n’affectera pas uniquement notre façon d’aborder le climat. Il aura, pour beaucoup de personnes dans le monde, notamment dans les pays en développement, un profond impact sur le travail, le revenu et le mode de vie. Non seulement les travailleurs devront s’adapter à de nouveaux modes de production plus «propres» mais, en plus, plusieurs lieux de travail risquent de disparaître en raison de modes de production «non viables», ou tout simplement parce que certaines zones géographiques auront cessé d’exister. Une telle situation pourrait forcer des communautés entières à émigrer. Mais, même en dehors de tels scénarios catastrophe, le réchauffement climatique touche dès à présent certains secteurs précis, comme celui du tourisme.

Le secteur du tourisme est particulièrement vulnérable au changement climatique. Avec l’augmentation du niveau des mers, beaucoup de zones côtières et de petites îles devront faire face à d’importantes transformations en matière d’emploi. Dans les Maldives, par exemple – où le tourisme est responsable de 18 pour cent du PIB, de 60 pour cent des échanges commerciaux et de 90 pour cent des revenus fiscaux de l’Etat –, l’augmentation du niveau de la mer se traduira, au mieux, par quelques érosions des côtes et, au pire, par la disparition d’une importante partie de la masse terrestre dans les trente prochaines années et par la pénétration des eaux salées qui finira par rendre l’île inhabitable.

Les zones côtières ne sont pas les seuls endroits menacés; les régions montagneuses vont également devoir affronter des changements en matière économique et d’emploi. Une récente étude de l’OCDE montre à quel point les sports d’hiver sont vulnérables aux changements climatiques. Les Alpes sont particulièrement exposées et les projections des modèles climatiques annoncent des changements encore plus nets au cours des décennies à venir, avec la diminution de la quantité de neige dans les régions situées à basse altitude, le recul des glaciers et la fonte du permafrost en altitude. Les activités touristiques dans la région des Alpes sont essentielles pour l’économie. On dénombre chaque année entre 60 et 80 millions de touristes et quelque 160 millions de «journées skieurs» en France, en Autriche, en Suisse et en Allemagne. Les mêmes difficultés guettent les régions montagneuses d’Amérique du Nord, dont le secteur touristique et ses employés risquent d’être considérablement affectés. Les guides touristiques, ainsi que le personnel des hôtels, des restaurants et même des transports, devront s’adapter à des paysages plus verts que prévu.

Défi pour les économies européennes

C Le changement climatique représente un défi pour l’emploi dans tous les secteurs économiques. La Confédération européenne des syndicats (CES) et l’Agence pour le développement social (SDA), qui comprend le cabinet Syndex, le Wuppertalnol Institut et l’Istas, ont publié, en février 2007, une étude conjointe sur les implications en termes d’emploi du changement climatique et des mesures de réduction des émissions de CO2 dans l’Union européenne à 25 d’ici à 2030. Cette étude a été établie à la demande de la Direction générale de l’environnement de la Commission européenne, DG Environnement, pour mieux comprendre les liens entre le changement climatique et l’emploi, et a bénéficié du soutien financier des gouvernements de six pays européens (Belgique, Finlande, France, Italie, Espagne et Royaume-Uni).

L’étude examine les implications du réchauffement climatique sur l’emploi en Europe et analyse, dans quatre secteurs économiques – la production d’énergie, les transports, la production d’acier et de ciment et le secteur de la construction et du bâtiment –, les enjeux en matière d’emploi d’une transition vers une économie européenne plus sobre en carbone à l’horizon 2030. Vraisemblablement, même un changement climatique modéré affectera l’activité économique et l’emploi dans le continent européen, certaines régions et secteurs économiques étant particulièrement sensibles. Une augmentation du réchauffement climatique aura probablement des conséquences très néfastes, de sorte qu’il faut introduire plus de cohérence entre les politiques climatiques et celles de l’emploi. L’étude préconise clairement une participation active des travailleurs dans l’élaboration des programmes de transition en matière d’emploi et des politiques liées au changement climatique. Le dialogue social et la négociation collective sont indispensables pour mettre en place les politiques d’adaptation et de régulation des émissions nécessaires.

L’étude porte uniquement sur l’Union européenne, mais il est certain que d’autres études similaires devront être menées dans les pays en développement pour compléter cette analyse sur les conséquences sociales du changement climatique et ses répercussions en termes d’emplois.

Le rôle des travailleurs

Il est temps d’agir! Plus d’un tiers de la population mondiale est économiquement active. Il est, par conséquent, important que la question du changement climatique et ses conséquences sur l’emploi soient prises au sérieux au sein des entreprises. Les travailleurs du monde entier et leurs organisations syndicales ont un rôle clé à jouer. Ils ne devront pas agir seuls, mais en coopération avec leurs homologues employeurs, ainsi qu’avec l’ensemble de la communauté et des gouvernements locaux, régionaux et internationaux. Du niveau local au niveau international, des ouvriers au personnel des Nations Unies: tous doivent unir leurs forces.

Le Programme pour le 21e siècle – Action 21 –, adopté au Sommet de la terre de Rio de 1992, souligne dans son chapitre 29 l’importance de renforcer le rôle des travailleurs: «Les syndicats qui les représentent ont un rôle capital à jouer en vue de faciliter la réalisation d’un développement durable, pour plusieurs raisons: leur expérience du changement dans l’industrie, et de la manière d’y faire face; l’importance prépondérante qu’ils attachent à la protection du milieu de travail et de l’environnement naturel».

Le principal enjeu pour les syndicats réside dans leur capacité à agir au niveau des entreprises. La liberté d’association et le droit de négocier collectivement sont des conditions préalables nécessaires pour permettre aux travailleurs d’avoir un impact sur l’influence exercée par leurs entreprises ou leurs organisations sur leur lieu de travail, leur vie, leur entourage et leur environnement. Lorsque ces deux réquisits sont réunis, les syndicats et les employeurs peuvent ensemble améliorer les conditions de travail en se préoccupant des questions environnementales et de leur impact en matière d’emploi. Ils peuvent notamment mettre en place des politiques d’achat et de recyclage responsables, en favorisant: des éclairages peu consommateurs en énergie, l’usage de bois provenant d’exploitations forestières respectueuses de l’environnement, le recyclage du papier, l’élimination des emballages excessifs, etc.

Un dialogue social pour une transition équitable

Au-delà de ces problématiques environnementales, beaucoup de lieux de travail menacent de disparaître complètement sous l’effet des changements structurels causés par les évolutions climatiques. Les répercussions sur l’emploi seront énormes. Les travailleurs et leurs organisations ont donc tout intérêt à proposer des mesures socio-économiques au niveau national. Pour garantir une transition équitable, d’un point de vue tant social, qu’économique et environnemental, d’industries non durables vers des industries durables, les travailleurs, les employeurs et les gouvernements doivent coopérer. Le dialogue social au niveau national permettra, à travers la planification, l’éducation et la préparation des changements, une transition plus juste et efficace.

Partout dans le monde, les organisations syndicales sont impliquées dans des actions en faveur du développement durable. En Allemagne, par exemple, les syndicats se sont engagés dans la réduction d’émission de CO2, et une Alliance pour l’emploi et l’environnement a été créée, financée à hauteur de 1,8 milliard de dollars, pour promouvoir ces politiques et les destiner à la création d’emplois. En Espagne, des tables rondes sectorielles sont organisées sur le thème du dialogue social pour appliquer le protocole de Kyoto dans les secteurs industriels, avec la participation des gouvernements, ainsi que des organisations de travailleurs et d’employeurs. En Argentine, le gouvernement a adopté un programme sur l’emploi et l’environnement et, au Brésil, les ministres de l’Environnement et du Travail négocient actuellement un programme similaire.

Avec la mondialisation, beaucoup d’entreprises nationales sont devenues des multinationales. Pour s’assurer que les conditions de travail et les droits des travailleurs soient respectés dans tous leurs établissements et à tous les niveaux de l’entreprise, les multinationales ont négocié et signé avec les organisations syndicales représentant leurs salariés – elles-mêmes représentées par les fédérations syndicales mondiales (GUF) – plus de 50 accords-cadres internationaux (ACI). Parmi ces accords, plusieurs prévoient des clauses «vertes» fixant des engagements sur des questions environnementales précises.

Ces dernières années, les syndicats ont défendu au niveau des Nations Unies des droits relatifs au développement durable. Depuis le Sommet de la terre de Rio de 1992, le mouvement syndical s’est impliqué dans la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Lors de la 12e Conférence des parties à la CCNUCC (COP12) qui s’est tenue en novembre 2006, 32 représentants syndicaux de 12 pays différents ont participé à des activités professionnelles soutenues par un vaste programme de délégations gouvernementales faisant campagne pour l’application du protocole de Kyoto.

La 15e session de la Commission du développement durable (CDD-15) des Nations Unies qui s’est déroulée en mai, cette année, a compté avec la participation d’une délégation de 50 organisations syndicales de 23 pays. L’objectif poursuivi par la délégation était d’inscrire les questions du monde du travail, du lieu de travail et de l’emploi décent au cœur des recommandations normatives sur le développement industriel, et de demander aux gouvernements nationaux qu’ils jouent un rôle de suivi et d’assistance plus actif en matière de changement climatique et de pollution atmosphérique. D’après les représentants de la délégation, le texte final fait largement référence au monde du travail, aux travailleurs, aux lieux de travail, à l’emploi décent, à la transition sociale et à l’engagement des syndicats.

Le rôle de l’OIT

La réussite de toutes ces initiatives dépendra de l’efficacité des travailleurs et de leurs organisations syndicales – les travailleurs organisés en syndicats peuvent négocier collectivement à tous les niveaux. Mieux vaut respecter les principes et droits fondamentaux au travail, notamment ceux visés par la convention (n° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (n° 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, si l’on veut éviter de jouer avec le feu. Certaines spécificités de l’OIT, comme sa structure tripartite et son rôle normatif en matière de travail, constituent de véritables atouts qui en font un acteur clé pour affronter le réchauffement climatique et ses répercussions sociales, non seulement en aidant les mandants à appliquer les normes de l’OIT, mais aussi, à travers ses activités de coopération technique que sont les Programmes par pays pour un travail décent (PPTD).

Pour aborder l’impact social du changement climatique, l’OIT doit relever deux défis d’ordre structurel. Il s’agit pour l’Organisation de mettre en place efficacement ses PPTD, d’une part, et de participer activement, d’autre part, au processus de réforme des Nations Unies. Ces défis ne concernent pas spécifiquement la question du changement climatique, mais ils soulèvent à cet égard des problématiques spécifiques, s’agissant là d’un domaine relativement nouveau pour l’OIT. Plus les PPTD joueront un rôle important dans la coopération entre l’OIT et d’autres organisations du système des Nations Unies, plus ces programmes contribueront à renforcer l’influence de l’OIT sur les questions du travail décent et du développement durable dans le processus de réforme des Nations Unies. Autrement dit, le succès de l’OIT dans la lutte contre le changement climatique dépend largement du succès de ces programmes par pays.

Les PPTD doivent, en association étroite avec les mandants, œuvrer pour inscrire le travail décent au centre des politiques nationales. Il est essentiel, pour leur mise en place et leur succès, de pouvoir compter sur un réel engagement des mandants de l’OIT et de réussir à développer des partenariats auprès des acteurs et des institutions internationales. Il est donc important de renforcer les capacités des mandants – notamment celles des travailleurs – à développer et à mettre en place leurs activités à travers ces programmes.

L’OIT doit garantir la participation des travailleurs aux PPTD et, par son aide, contribuer à ce que ceux-ci s’impliquent davantage. A cet effet, elle associe tout un travail de sensibilisation, de formation et d’éducation destiné en particulier à aider les syndicats des pays en développement à aborder la question du changement climatique. Si l’on veut renforcer le rôle des syndicats dans la négociation de processus de transition en termes d’emploi et de formation qui soient équitables, il faut améliorer les compétences des travailleurs et des organisations syndicales à tous les niveaux. Cela implique, entre autres, l’élaboration et la traduction dans plusieurs langues de guides pratiques, de matériel de formation et d’outils d’information. Dans ses conclusions, la Commission des entreprises durables de la Conférence internationale du Travail de juin 2007 adresse des recommandations à l’OIT sur la façon de diriger les activités et faire participer les travailleurs et leurs organisations syndicales à la promotion des entreprises durables. Cette participation est importante non seulement pour les entreprises, mais aussi pour les pays et la communauté internationale où la plupart des décisions sur le changement climatique sont prises.

Le fait de pouvoir compter sur des syndicats forts contribuera à donner plus de poids au mécanisme tripartite de l’OIT dans le cadre de la réforme des Nations Unies, et à éviter de compromettre son action dans un processus qui implique de nombreux acteurs et intérêts. Des organisations syndicales fortes et efficaces pourront, ensemble avec les organisations d’employeurs et les gouvernements, mettre en place les PPTD et influencer d’autres organisations du système des Nations Unies afin de promouvoir le travail décent et de réduire l’impact social négatif sur le changement climatique.

Les syndicats soutiennent une série d’actions prioritaires à la COP-12

    Entreprendre des recherches sur les liens entre les changements climatiques et l’emploi.

    Etablir les liens entre le changement climatique et le développement durable.

    Promouvoir la participation des travailleurs comme élément clé dans la détermination du caractère durable des politiques climatiques.

    Reconnaître l’entreprise comme domaine d’action privilégié dans la lutte contre le changement climatique.

    Etudier les options technologiques susceptibles de renforcer l’engagement social, en encourageant des solutions énergétiques viables et à forte intensité de main-d’œuvre.

    Mettre en place un accord à long terme garantissant un partage équitable du poids de la réduction des émissions entre les pays en développement et les pays développés qui soit valable au-delà de 2012.