Emplois verts: Faire face à «une vérité qui dérange»
Ces dernières années, les politiques, les entrepreneurs et l’opinion publique du monde entier ont compris l’importance que revêt le changement climatique, appelé sans doute à devenir le principal enjeu social et environnemental du XXIe siècle. Peter Poschen, haut spécialiste et coordinateur de la question du réchauffement climatique à l’OIT, s’est intéressé aux conséquences de ce phénomène du point de vue tant social, que du travail.
GENÈVE – La lutte contre le changement climatique suppose l’introduction de transformations économiques, sociales et environnementales majeures, pour la plupart liées les unes aux autres. Elle soulève d’importantes questions juridiques et reflète la responsabilité historique des pays industrialisés dans ce processus, ainsi que la nécessité de conjuguer, à l’avenir, nos efforts. Lutter contre le réchauffement de la planète implique aussi que nous cessions de penser et d’agir à court terme, en fonction des cycles économiques et des échéances électorales, pour nous projeter à des dizaines, voire à des centaines d’années.
Alors que se profile un goulet d’étranglement vers 2050, le changement climatique s’accélère et doit être maîtrisé. Jusqu’à cette date, la population devrait continuer à croître pour se stabiliser aux alentours des 9 à 10 milliards de personnes. Dans le même temps, le monde continuera à aspirer à une amélioration de son bien-être matériel et à l’éradication de la pauvreté qui, encore aujourd’hui, affecte près de la moitié du globe. Ces objectifs ne pourront être atteints que grâce à une croissance économique génératrice d’emplois en nombre et en qualité suffisants pour les 1,4 milliard de travailleurs pauvres condamnés à vivre, aujourd’hui, avec moins de deux dollars par jour (BIT, 2006).
Réchauffement climatique – croissance économique, énergie et émissions
Mais nous sommes confrontés à une vérité qui nous est difficile à admettre: notre modèle de développement économique n’est pas viable. En poursuivant telles quelles nos activités économiques, le changement climatique risque d’atteindre un point de non-retour et des proportions telles que l’impact sur la vie sur terre, y compris sur celle des hommes, sera fortement négatif. Si nous en sommes arrivés là, c’est notamment en raison du lien étroit qui existe entre la croissance et la consommation d’énergies fossiles, comme le charbon et le pétrole. Le produit intérieur brut (PIB) devrait, d’après les estimations, croître au rythme annuel de 3 pour cent, pour atteindre, en 2030, un taux équivalent à 240 pour cent de celui de 2000. L’expérience ayant montré une corrélation étroite entre la croissance et la consommation d’énergie, celle-ci devrait augmenter de 50 pour cent d’ici à 2020.
Du fait des sources d’énergie et des technologies que nous utilisons, c’est notre consommation énergétique qui est à l’origine du réchauffement climatique. En 2001, près de 80 pour cent de toute l’énergie consommée provenait des combustibles fossiles, comme le charbon, le pétrole et le gaz. La combustion de ces matières premières par les centrales électriques, les voitures, les usines et les foyers, produit du dioxyde de carbone (CO2), principal gaz responsable de «l’effet de serre». L’émission de CO2 dans l’atmosphère réduit la capacité de la terre à réémettre vers l’espace une partie de l’énergie solaire absorbée. Au cours du temps, l’énergie retenue augmente et provoque une hausse des températures, c’est-à-dire un réchauffement climatique.
Les trois quart des émissions de CO2 proviennent de la combustion d’énergies fossiles, le quart restant provient essentiellement de l’exploitation de la terre, notamment de la destruction et de l’aménagement des forêts. Dans les deux cas, les émissions résultent des activités de l’homme. Avant la révolution industrielle, la concentration en gaz CO2 dans l’atmosphère était de 260 ppm (partie par million). Elle est aujourd’hui d’environ 380 ppm, soit le niveau le plus élevé depuis 420 000 ans. A travers leurs activités, les hommes émettent tous les ans 6 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
Les conséquences de ces émissions sont évaluées périodiquement par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) (voir encadré, p. 30). Le GIEC établit l’état des connaissances scientifiques en s’appuyant sur les apports de quelque 2 500 scientifiques du monde entier. Les derniers rapports publiés en 2007 confirment les observations antérieures, à savoir: une augmentation générale des températures, la modification des régimes et du volume des précipitations, l’élévation du niveau de la mer et la variation de la fréquence et de l’intensité de phénomènes climatiques extrêmes. Ces évolutions du climat ont un impact sur l’économie, mais aussi sur les différents schémas de peuplement et le mode d’habitat, ainsi que sur les conditions de vie et de travail des individus. Pour en atténuer les effets, les pays, les entreprises et les individus vont devoir s’adapter.
L’adaptation n’est toutefois possible que dans une certaine mesure et ne concerne que les symptômes et non la cause du problème. C’est en grande partie parce qu’il y a un important décalage dans le temps entre l’émission de gaz à effet de serre (GES) et l’observation d’un changement climatique que si peu a été fait jusqu’à présent pour réduire nos émissions. Comme le montre le graphique ci-dessous, il aura fallu des dizaines d’années avant que les émissions ne se traduisent en un réchauffement significatif de la planète. De même, il aura fallu plus d’un siècle pour enregistrer une augmentation du niveau des mers, résultant dans un premier temps du réchauffement des océans, puis de la fonte des glaces des pôles.
Il résulte de ce décalage dans le temps deux conséquences majeures. D’une part, les changements climatiques d’envergure sont une réalité à laquelle nous sommes, dès à présent, tous confrontés, et ce, même si l’on arrivait à stopper du jour au lendemain toutes nos émissions. D’autre part, pour maintenir le réchauffement de la planète à des niveaux où les changements climatiques ne se renforcent pas les uns les autres dans une spirale incontrôlable, les émissions doivent être réduites de façon significative dans ces dix à vingt prochaines années. Pour éviter que les changements climatiques ne deviennent parfaitement incontrôlables, les seuils à ne pas dépasser d’ici à 2050 sont: une augmentation de la température atmosphérique moyenne du globe de 2 °C et une concentration en CO2 de 550 ppm. Pour ne pas dépasser ces seuils critiques, nous devons réduire considérablement nos émissions. Jusqu’à 60 à 80 pour cent d’ici à 2050 dans les pays industrialisés où les émissions par habitant sont le plus élevées. Un certain nombre de pays européens, ainsi que l’Etat de Californie, aux Etats-Unis, ont fixé ses seuils en tant qu’objectifs juridiquement contraignants.
Il n’en demeure pas moins que ces objectifs seront difficiles à atteindre. Le Dr Socolow, scientifique de la Massachussetts Institute of Technologie (MIT), reconnaît que le maintien des émissions de CO2 à des niveaux considérés comme «non dangereux» implique qu’on limite nos émissions à une tonne par personne et par jour. Or, tel est, aux Etats-Unis, le niveau d’émission atteint par habitant par le simple usage de la voiture. En ce qui concerne les pays en développement, si les émissions par habitant y sont relativement faibles, celles-ci tendent à augmenter rapidement. En utilisant les technologies et les combustibles classiques, la croissance économique des pays en développement produit, pour chaque dollar de valeur ajoutée, des émissions de CO2 supérieures de près de 50 % à celles des pays industrialisés. A ce rythme, la croissance sera responsable de plus des deux tiers de l’augmentation des émissions. Devançant les Etats-Unis, la Chine est devenue, pour la première fois en 2006, le premier émetteur de GES.
Les changements climatiques auront d’importantes répercussions sur les structures économiques, les schémas de peuplement et le mode d’habitat, ainsi que les modes de vie et l’emploi. Ces répercussions résulteront notamment (voir encadrés pages 6-8):
● du changement climatique lui-même, qui a déjà commencé à causer d’importants préjudices;
● de l’adaptation à ces changements climatiques pour limiter les préjudices; et
● de l’atténuation des émissions pour éviter d’en arriver à une situation «incontrôlable», pour reprendre le terme du professeur Holdren de l’Université de Harvard.
Les répercussions des changements climatiques sur les moyens de subsistance des individus varieront en fonction de leur lieu d’habitation, ainsi que du secteur économique et du groupe social auxquels ils appartiennent.
«Dommages» – Les répercussions sociales du changement climatique
Contrairement à l’idée reçue, les principales répercussions du changement climatique en matière sociale au cours des prochaines décennies ne viendront ni de la lente et régulière augmentation de la moyenne annuelle des températures, ni des modifications des précipitations ou de la montée du niveau des mers, mais davantage du caractère de plus en plus imprédictible du climat. De cette irrégularité climatique résulteront la plupart des dommages causés. Les événements climatiques extrêmes, en particulier les inondations et les orages violents, risquent de devenir plus fréquents.
Le GIEC (2007) s’inquiète du manque de connaissances sur les répercussions du changement climatique sur l’emploi et les moyens de subsistance. L’agriculture et le tourisme, secteurs les plus tributaires du climat, sont aussi visiblement les plus touchés par son changement. Cela n’augure rien de bon pour l’emploi et les moyens de subsistance. En effet, si au niveau mondial la part de l’agriculture dans l’emploi n’a cessé de diminuer pendant ces dernières décennies au profit du secteur des services, passé pour la première fois devant le secteur agricole en matière d’emploi, il n’en demeure pas moins que l’agriculture, en tant que secteur homogène, reste le principal employeur.
Des conditions climatiques extrêmes peuvent causer des dégâts considérables et durables. Le violent orage qui s’est abattu, en juin dernier, sur la mégapole pakistanaise Karachi a causé la mort de près de 200 personnes, principalement dans les zones pauvres et densément peuplées, aux constructions précaires. Les dommages causés aux infrastructures, comme les routes et lignes à haute tension, peuvent perturber l’économie et réduire les sources de revenus. Dans des pays en développement, comme au Ghana ou en Ouganda, la sécheresse persistante a réduit l’accès à l’énergie hydraulique, provoquant des coupures de courant très fréquentes et perturbant le mode de vie et le développement économique dans la région. D’après certains pronostics, les conditions climatiques extrêmes pourraient s’accompagner du déplacement de quelque 50 millions de personnes dans le monde ces prochaines années. Le manque d’accès aux systèmes de protection sociale est l’une des raisons qui conduit les victimes de catastrophes naturelles, n’ayant souvent d’autre choix, à émigrer.
Le tourisme a été l’un des secteurs les plus créateurs d’emplois ces dernières décennies, y compris dans les pays en voie de développement. Les conséquences de l’ouragan Katrina illustrent à quel point les catastrophes naturelles peuvent affecter ce secteur. La Nouvelle-Orléans a perdu près de 40 000 emplois et la moitié de sa population et, deux ans après la catastrophe, de nombreux hôtels sont toujours en ruine.
Les femmes sont d’autant plus affectées par ces bouleversements climatiques que leur présence dans l’agriculture, l’industrie agro-alimentaire et des secteurs comme le tourisme est importante et que leur rôle au sein des familles est central. L’eau est vraisemblablement en passe de devenir une denrée de plus en plus rare et convoitée. Cette perspective pourrait avoir comme effet d’alourdir encore davantage le travail des femmes. Les maladies infectieuses comme le paludisme risquent de s’étendre et d’affecter la main-d’œuvre disponible, ainsi que la productivité des travailleurs. Dans de telles circonstances, il est à prévoir que les soins apportés aux familles, qui incombent en général aux femmes, augmentent.
Avec sa multitude de pauvres et de personnes vulnérables et sa faible capacité d’adaptation, l’Afrique est la région du monde la plus affectée par le changement climatique. Et pourtant, elle y a peu contribué et n’est pas prête de le faire pour le moment. En Ouganda, où le café est l’une des principales ressources d’exportations et l’un des principaux employeurs du pays, une augmentation de 2 °C de la température moyenne ferait disparaître les zones propices à la culture du café, qui figurent sur la carte ci-dessus. Un tel scénario pourrait devenir réalité dans une cinquantaine d’années, impliquant une restructuration massive de l’économie.
Le rapport du GIEC souligne un aspect important dont il est peu question dans les médias, à savoir que les répercussions sociales du changement climatique dépendront davantage des modèles d’économies et de société que des changements des systèmes naturels eux-mêmes, du moins à court et à moyen terme. La plupart de ces répercussions peuvent être évitées ou amorties, à condition que les politiques et les mesures d’adaptation au changement climatique intègrent les conséquences prévisibles en matière d’emploi et de revenus.
«Limiter les dommages» – Agir contre le réchauffement climatique
De tous temps, les individus, les communautés et les pays se sont adaptés à l’évolution de leurs conditions de vie, ce qu’ils continueront à faire face au changement climatique qui se profile. Que ce soit dans l’urgence ou de façon préventive, le monde a déjà commencé son adaptation aux nouvelles conditions climatiques. La construction d’infrastructures, comme les barrages côtiers et les digues, figurent parmi les principales mesures d’aménagement préventives. La collecte et la gestion des eaux sont aussi appelées à occuper une place de plus en plus centrale. L’introduction de techniques à forte intensité de main-d’œuvre dans les programmes de travaux publics devrait permettre de créer un nombre élevé d’emplois. Et les revenus versés dans le cadre de ces grands travaux pourraient contribuer à financer l’aménagement des emplois et des petites entreprises locales pour les adapter aux nouvelles conditions climatiques.
L’industrie du tourisme, par exemple, sera confrontée au changement des saisons. Les bateaux de croisière éviteront de s’aventurer dans les Caraïbes pendant une saison des ouragans prolongée. Il se peut que le bassin de la Méditerranée devienne trop chaud pendant les mois d’été. Auquel cas les touristes pourraient préférer y passer les saisons plus fraîches de l’automne et du printemps. De façon générale, l’affluence dans les hôtels, les restaurants, les transports et autres hauts lieux touristiques promet d’évoluer considérablement. Les stations de ski seront particulièrement touchées. Celles situées en faible altitude n’auront plus suffisamment de neige et devront proposer de nouvelles activités à leur clientèle.
De leur côté, les agriculteurs sont amenés à modifier leurs modes de production et à basculer parfois vers des cultures totalement nouvelles. Jusqu’à présent, la plupart des évolutions enregistrées dans ce secteur ont concerné les techniques utilisées, comme la sélection et l’arrosage des graines, ou la viabilité économique des cultures alternatives. Il faut par ailleurs s’attendre à d’importants changements en ce qui concerne les possibilités d’emploi et de revenus. D’après une récente étude publiée par la FAO, la mangue semblerait être, d’un point de vue tant agronomique qu’économique, une alternative au riz dans une région semi-aride comme le Bangladesh. Les perspectives en matière d’emploi sont, toutefois, moins prometteuses. La mangue nécessite, en effet, beaucoup moins de main-d’œuvre que le riz et la demande de main-d’œuvre dans ce secteur se concentre essentiellement sur deux courtes périodes de l’année. Voilà qui est peu encourageant pour le tiers des foyers de la région embauchés comme ouvriers agricoles. Le gouvernement doit-il favoriser le passage vers la culture de la mangue? Dans ce cas, que fera-t-il pour aider les travailleurs agricoles sans terre?
A travers cet exemple, on comprend que, pour être réellement efficaces, une politique et un programme d’aménagement aux nouvelles conditions climatiques impliquent une analyse plus approfondie du problème et des solutions envisageables. Les «zones dangereuses», c’est-à-dire les régions, les secteurs et les populations qui risquent d’être les plus touchés, doivent être identifiées avec davantage de précision. Ce type d’analyse, jusque-là négligé, commence à être pris au sérieux. Ainsi, le prochain rapport mondial sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) étudiera les liens entre les changements climatiques, l’adaptation et la pauvreté.
L’information disponible et la prise de conscience dans les industries et les régions les plus exposées restent très insuffisantes.
Y compris en Europe, où une récente étude prouve le manque général de préparation du continent, dont elle a été incapable de chiffrer les conséquences d’une adaptation aux changements climatiques en matière d’emploi. Il va falloir redoubler d’efforts pour être en mesure de planifier ces changements et de permettre ainsi aux employeurs, aux travailleurs et aux gouvernements d’anticiper et d’atténuer le choc de ses transitions.
Régulation des émissions – Des emplois verts dans des économies propres
Le monde ne peut se limiter à faire face au changement climatique uniquement en s’adaptant. Les émissions de gaz à effet de serre doivent être réduites de façon drastique. Dès à présent, un certain nombre d’initiatives ont été prises dans ce sens. Parmi les principaux défis à relever, il s’agit d’une part de rompre le lien existant entre la croissance économique et les émissions de gaz; et de s’engager, d’autre part, grâce à une amélioration du rendement énergétique et de l’exploitation des matières premières, dans des économies sobres en carbone. D’après le rapport sur le changement climatique de l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale, Nicolas Stern, il est techniquement possible de réduire les émissions de GES. D’ailleurs, comme l’affirme également ce rapport, le coût de la régulation des émissions à des niveaux «non dangereux» est relativement modeste et très largement inférieur à celui que représenterait à terme l’inaction.
Le GIEC a identifié, secteur par secteur, les options techniques et commerciales permettant de réduire les émissions. Les principales économies d’énergie attendues, aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en voie de développement, viendront d’une amélioration du rendement énergétique dans le secteur de la construction. Celle-ci passe en particulier par une meilleure isolation thermique des bâtiments qui doit permettre de limiter le besoin en chauffage et en climatisation. Cette solution représente de 20 à 30 pour cent du total des réductions d’émissions possibles. Pour favoriser l’émergence d’une économie à faible émission de carbone, il faut non seulement diversifier les sources d’énergie et utiliser des technologies plus efficaces, mais aussi réduire la part des biens et des services gros consommateurs d’énergie, tel que le fer et l’acier, l’aluminium, le ciment, la pâte à papier ou encore les transports.
Bien qu’a priori peu coûteuse, l’introduction de changements dans nos modes de production et de consommation devrait avoir un impact très profond. Des craintes ont, néanmoins, été soulevées selon lesquelles ce processus pourrait entraîner des suppressions d’emplois et compromettre les perspectives de croissance des pays en voie de développement. Comme en témoigne une étude publiée en début d’année par la Confédération européenne des syndicats, ces craintes sont infondées. L’étude suggère, en effet, que le marché du travail sera certes confronté à un processus de transition majeur, mais qu’au final le bilan en matière d’emploi sera positif. Ainsi, les perspectives de créations d’emplois compenseront largement les risques de pertes. L’étude souligne, d’autre part, que la plupart des restructurations en matière d’emploi auront lieu à l’intérieur même de chaque secteur, et non entre les différents secteurs. Par exemple, dans le secteur des transports, les moyens de transport collectifs seront favorisés au détriment des moyens de transports individuels, comme la voiture. Ainsi, le relatif déclin de l’industrie automobile se verra largement compensé par la création d’emplois dans la construction d’équipements et le service des transports publics. Des recherches menées par l’Apollo Alliance des Etats-Unis confirment ces hypothèses.
L’adoption de mesures facilement réalisables
Les progrès réalisés en matière de changement climatique dépendront en grande partie de notre capacité à répondre aux inquiétudes concernant l’évolution du marché du travail, la réduction de la pauvreté et le développement. Il s’agit là de l’un des principaux obstacles auquel les politiques nationales et les négociations internationales en matière de changement climatique se sont jusqu’à présent vues confrontées. Ce spectre du chômage et de la pauvreté guettera vraisemblablement les prochaines discussions sur le régime post-Kyoto prévues pour cette année; discussions qui se tiendront sous l’égide de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (UNFCC). Des emplois à la fois «verts» et décents favoriseront une croissance économique durable et permettront de sortir les gens de la pauvreté. C’est grâce à ce type d’emplois que l’on peut espérer faire évoluer positivement le lien qui existe entre le changement climatique et le développement.
Des emplois décents, combinant une forte productivité de la main-d’œuvre avec une réelle efficacité économique et de faibles émissions en GES, contribueront à garantir de bonnes conditions de vie et niveaux de revenus, tout en ayant des effets positifs sur la croissance et le climat. De tels «emplois verts» existent déjà et certains d’entre eux rencontrent un véritable succès (voir encadré). On les retrouve notamment dans les secteurs comme: les énergies renouvelables, les services d’amélioration du rendement énergétique et d’équipement manufacturier, le transport de masse, la gestion de la croissance urbaine, la récupération des friches industrielles et le recyclage. Ces secteurs d’activité sont loin d’être marginaux. En Allemagne, on compte déjà 1,6 million d’emplois verts, soit davantage que l’important secteur automobile du pays.
Heureusement, beaucoup de ces emplois relèvent de programmes facilement réalisables. Ils concernent des technologies existantes, rentables et fortement génératrices d’emplois. C’est le cas notamment de la mise aux normes des bâtiments pour la réduction des émissions, comme en témoigne une initiative menée récemment en Allemagne pour améliorer l’isolation de 265 000 appartements. L’initiative l’Alliance pour l’environnement et le travail, regroupant des syndicats d’employeurs et de travailleurs, le gouvernement et des organisations de défense de l’environnement, a généré 190 000 emplois, tout en permettant d’économiser 2 millions de tonnes d’émissions de CO2 et de réduire les factures de chauffage. Le bénéfice combiné de la baisse du chômage, de la réduction des factures d’énergie et des majeures rentrées fiscales a été estimé à 4 milliards de dollars, le tout avec un investissement initial du gouvernement de seulement 1,8 milliard de dollars. L’expérience a été reconduite et renforcée avec un investissement pour la période 2006-2009 de 8 milliards de dollars.
Les politiques gouvernementales et de partenariat public/privé sont parfois indispensables pour surmonter certains obstacles, comme le fait par exemple que le prix des énergies fossiles ne prenne pas en compte le coût environnemental qu’elles représentent. Des investissements publics en matière technologique et des aides ont permis de rétablir un peu l’équilibre en faveur des énergies renouvelables. Grâce aux cent milliards de dollars investis dans ce secteur en 2006, les énergies renouvelables ont cessé d’être assimilées à des technologies marginales.
Les politiques gouvernementales ont aussi permis de montrer à quel point la lutte contre le changement climatique pouvait être source de développement. Le programme brésilien biodiesel a, par exemple, été clairement conçu pour être accessible à une grande partie des petits producteurs pauvres du pays. De même, des investissements et des efforts concertés sont souvent nécessaires pour garantir le transfert de technologies et le développement de nouvelles qualifications requises, notamment dans les petites entreprises. En l’absence de telles mesures, les conséquences sur l’emploi pourraient être limitées, et nous assisterions sans doute à une majeure concentration des richesses, au lieu que celles-ci ne soient largement distribuées.
Le changement climatique et les transitions du marché du travail – le rôle central du dialogue social
Le monde ne peut se permettre d’investir l’énorme quantité de ressources requises pour combattre le réchauffement climatique sans prendre en compte le problème de l’emploi et de la pauvreté au niveau mondial. De tels investissements seraient non seulement coûteux, mais aussi insoutenables du point de vue social. De meilleures solutions sont envisageables.
L’action sur le changement climatique, le développement économique et social et l’emploi ne doivent pas forcément entrer en concurrence. Les investissements pour freiner les changements climatiques constituent une manne d’emploi considérable pour les 1,4 million de travailleurs pauvres des pays en voie de développement, mais aussi pour les dizaines de millions de personnes au chômage des pays industrialisés. S’il est clair que la réduction des émissions peut contribuer à une croissance où tout le monde est gagnant et où les bénéfices en termes d’emplois et de réduction de la pauvreté sont partagés, nous sommes convaincus que nous pouvons et devons montrer qu’il en ira de même en ce qui concerne les mesures d’adaptation.
Toutefois, pour réussir une croissance large et inclusive et une transition juste, qui bénéficient aux milliards de travailleurs, aux petits producteurs agricoles et aux petites entreprises qui en ont le plus besoin, il faudra de la volonté. Pour y parvenir, il faudra prendre des mesures et des politiques décisives en matière d’énergie, d’industrialisation et de changement climatique, qui prennent expressément en compte les emplois verts en tant qu’objectifs et outils de développement.
Ces politiques et programmes seront d’autant plus efficaces qu’ils auront été conçus et mis en place avec la participation active des personnes directement concernées par ces changements, qu’il s’agisse d’employeurs, de travailleurs ou d’agriculteurs, et ce, aussi bien au niveau national, qu’au niveau local, jusque dans chaque ferme et atelier. Ces politiques peuvent contribuer à créer rapidement un nombre important d’emplois verts et à aider les travailleurs dont les emplois sont incompatibles avec la protection du climat à évoluer vers d’autres emplois et sources de revenus. L’implication des partenaires sociaux dans l’allocation des crédits pour le charbon en Espagne montre à quel point le dialogue social peut être utilisé pour gérer les changements climatiques. La meilleure façon d’aborder ce défi est la recherche d’un consensus tripartite. Celui-ci doit permettre d’orienter les transitions qui s’imposent aussi bien dans les secteurs en pleine croissance, que dans les secteurs et les emplois en recul.
L’OIT s’associe avec le PNUE et d’autres organisations et partenaires des Nations Unies pour contribuer à mettre à profit toutes les possibilités d’emplois verts et faire ainsi en sorte que la transition du marché du travail résultant du changement climatique soit réussie. Dans son rapport sur le travail décent et le développement durable présenté à la Conférence internationale du Travail, le Directeur général du BIT, Juan Somavia, a appelé de ses vœux à la mise en place d’un programme majeur du BIT sur la question. Cette initiative aborde le changement climatique comme l’une des trois priorités du système des Nations Unies établie par le Secrétaire général Ban Ki-Moon. Le programme du BIT aidera à améliorer le niveau des connaissances et à combler ainsi certaines lacunes, de même qu’il contribuera à formuler des politiques et à assister les pays membres dans le cadre des Programmes de travail décent par pays.