Nordea, une société européenne "Societas europeae", un nom ancien pour un concept nouveau

Après des années de réflexion et de débat, le projet de l'Union européenne visant à permettre à des entreprises multinationales se constituer en "sociétés européennes" est sur le point de se concrétiser. En effet, le règlement correspondant et une directive connexe sur l'implication des travailleurs, qui ont été adoptés en octobre 2001, devaient entrer en vigueur trois ans plus tard. Ainsi, à partir du mois d'octobre 2004, commencera une toute nouvelle expérience de gouvernement d'entreprise: les sociétés pourront exercer leurs activités dans toute l'Union en appliquant un jeu unique de règles et un système unifié de gestion et de publication de l'information financière.

LONDRES - Le nom est en latin mais le concept est nouveau. Une "Societas europeae" ou "SE", peut être constituée par la fusion de sociétés situées dans au moins deux Etats membres, par la constitution d'un holding ou d'une filiale commune ou par la transformation d'une société existante constituée conformément au droit interne d'un Etat membre.

En 2001, l'adoption du règlement sur le statut de la SE a été saluée par les Européens convaincus, désireux de renforcer l'efficacité des activités transfrontalières de l'Union. Restait à savoir si elle serait utile et si les entreprises franchiraient le pas.

L'annonce par la banque scandinave, Nordea, qu'elle opterait pour le statut de SE, présente donc un intérêt qui ne se limite pas à la région. Résultat de la récente fusion de banques suédoises, finlandaises, danoises et norvégiennes, la future SE a fait connaître en juin 2003 son intention de réunir ces quatre groupes bancaires en une structure unique. Nordea espère avoir terminé sa transformation en SE d'ici à la fin de l'année prochaine.

Elle considérait que sa structure juridique actuelle, régie par la législation de quatre pays, était indûment complexe. "Ce changement se traduira par un fonctionnement plus efficace, une diminution des sur le plan opérationnel et une plus grande rentabilité", a déclaré Lars Nordström, directeur exécutif du groupe Nordea, en annonçant la décision.

La transformation de Nordea en SE pose des questions passionnantes aux syndicats qui la considèrent comme un test pour de futures SE. La directive de l'UE sur l'implication des travailleurs dans les SE prévoit, à l'intention des syndicats et de la direction, des procédures détaillées et complexes pour les négociations relatives à la participation et à la consultation des travailleurs. Ces procédures sont très différentes de celles, désormais bien rôdées, qui régissent la création des comités d'entreprise européens. Par exemple, les sociétés qui envisagent de se constituer en SE doivent, de leur propre chef, engager des négociations avec les syndicats en instituant un "groupe spécial de négociation" La direction et les syndicats de Nordea sont probablement les premiers en Europe à mettre ces procédures à l'épreuve.

La concertation sociale est déjà bien établie au sein du groupe Nordea. Depuis 2001, un comité d'entreprise collectif, composé de représentants des quatre directions et de huit syndicats, se réunit quatre fois par ans. Il a pour mandat d'améliorer les résultats de la banque en favorisant le dialogue entre représentants patronaux et syndicaux, de manière à créer un climat de travail propice à la productivité. En outre, une série de commissions consultatives mises en place pour chaque zone d'activité, œuvrent également au niveau transnational.

A l'heure actuelle, conformément au droit scandinave, les représentants syndicaux siègent au conseil d'administration de la banque. Or dans le cadre de la nouvelle structure juridique, à cause d'une bizarrerie de la législation suédoise, la représentation des syndicats au conseil ne serait pas nécessairement exigée. Bien entendu, ceux-ci tiennent à ce que les dispositions prévues pour Nordea SE ne leur soient pas moins favorables que le régime existant (condition stipulée dans la directive européenne).

Les syndicats savent aussi que la création d'une SE soulève des questions qui remettent en cause leur organisation sur une base purement nationale. Les quatre principaux syndicats de Nordea sont les syndicats nationaux du secteur financier des quatre pays concernés (Finansforbundet pour la Norvège, la Suède et le Danemark et Fackforbundet Suora pour la Finlande), qui coopèrent déjà étroitement par le truchement d'une organisation faîtière qui regroupe les syndicats nordiques de la finance (nordiska Fiansanställdat Union - NFU). Il existe également un conseil des syndicats de Nordea, au sein duquel sont représentés les syndicats du groupe.

Néanmoins, la négociation collective demeure une activité de portée essentiellement nationale. Par exemple, bien que les commissions consultatives de Nordea aient un certain pouvoir de négociation, les questions concernant les salaires et les primes, les contrats et d'autres aspects qui sont régis par des conventions collectives nationales, relèvent de la responsabilité des négociateurs de chaque pays.

Cette situation pourra-t-elle perdurer lorsque Nordea sera une société européenne? Selon Jan-Erik Lindström, secrétaire général de la NFU, le but est de faire en sorte que les syndicats coopèrent efficacement les uns avec les autres. "Ils souhaitent fonctionner de plus en plus comme un seul et même syndicat, s'exprimer d'une seule voix."

Mais la manière d'y parvenir ne fait pas encore l'unanimité. Dans un rapport quelque peu provocateur, intitulé Une seule entreprise, un seul syndicat, un groupe de travail intersyndical a passé en revue plusieurs options. L'une d'elle consisterait à créer, pour Nordea, un syndicat multinational indépendant. Cette solution est actuellement considérée comme une possibilité à long terme. Pour l'heure, l'objectif est de mettre en place des modalités d'organisation qui permettent aux syndicats existants d'unifier leur action, de créer "un seul syndicat" dans la pratique sinon en droit. En outre, les nouvelles structures syndicales devront s'adapter aux activités de Nordea à l'extérieur de la Scandinavie et notamment en Pologne (où les salariés syndiqués sont une minorité) et dans les Etats baltes.

Pour Niklas Bruun, professeur de droit social européen dans des établissements suédois et finlandais, la constitution de Nordea en SE doit être surveillée de près. "Il s'agit ni plus ni moins d'un cadre institutionnel totalement nouveau", dit-il. "Le cas de Nordea est une première. C'est un immense acteur sur les marchés nordiques, c'est la banque nordique et son impact est énorme. Cela explique l'importance et la signification de sa transformation."

L'accord sur l'actuel comité d'entreprise de Nordea confère à celui-ci les attributions suivantes:

  • Examiner le rapport trimestriel du groupe
  • Informer les zones d'activité ainsi que le département du personnel et les autres services des projets à long terme et de leurs éventuelles répercussions sur la structure organisationnelle, les exigences en matière de compétences et toute autre conséquence pour les salariés.
  • Collaborer dans d'autres domaines que les deux parties décident d'inscrire à l'ordre du jour.