Ramasseurs de coquillages ou informaticiens: La CIT examinera la situation des travailleurs migrants

En février 2004, 20 Chinois se sont noyés sur la côte nord-ouest de l'Angleterre alors qu'ils ramassaient des coques. Ces travailleurs étaient des immigrés clandestins employés par une bande organisée. Leur mort a attiré l'attention sur la précarité de l'existence de nombreux migrants, sur l'exploitation dont ils font l'objet et sur la nécessité de réglementer les migrations dans le monde. Certes, des migrants réussissent à obtenir un emploi dans la haute technologie ou d'autres professions spécialisées mais beaucoup sont exploités et travaillent sans la protection de la loi. La Conférence internationale du Travail se penchera sur la question et réfléchira aux moyens que l'OIT et ses Etats Membres peuvent mettre en œuvre pour y remédier.

Depuis dix ans, le nombre des migrants a augmenté d'environ six millions par an pour atteindre un effectif total de 175 millions. Selon le rapport intitulé Une approche équitable pour les travailleurs migrants dans une économie mondialisée (Note 1), qui sera présenté à la conférence, s'ils se réunissaient, tous les migrants du monde formeraient le cinquième "pays" le plus peuplé du monde.

Près de la moitié des réfugiés et des migrants recensés de par le monde, soit 86 millions d'adultes, exerçent un emploi ou une autre activité rémunérée. Les auteurs du rapport ajoutent qu'il faut s'attendre, dans les décennies à venir, à une augmentation considérable du nombre de personnes qui passeront les frontières à la recherche de travail ou de sécurité, parce que la mondialisation n'a créé ni emplois ni débouchés.

La Conférence envisagera des solutions telles que l'adoption d'une démarche coordonnée pour réguler les migrations de travailleurs à l'ère de la mondialisation. Il s'agirait, d'une part, de prendre des mesures et de créer des structures permettant de mieux organiser ces migrations et, d'autre part, de garantir une meilleure protection des travailleurs grâce à une réglementation adéquate. La participation des ministres du Travail des 177 Etats Membres de l'OIT ainsi que des dirigeants d'organisations d'employeurs et de travailleurs, fera de ce débat celui qui se tiendra au plus haut niveau et qui sera le plus représentatif de ces dix dernières années sur le sujet des migrations internationales.

Un tel débat vient à point nommé puisque l'intensification des déplacements transfrontaliers de travailleurs est désormais au centre des préoccupations de la communauté internationale. Du fait de l'accroissement des disparités économiques et démographiques entre les Etats, ces mouvements transnationaux apparaissent comme une "conséquence naturelle" de la mondialisation. Dans leurs récents rapports, la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation et la Commission sur la sécurité humaine ont placé la question des migrations en tête de leurs recommandations pour un programme d'action mondial. En 2003, deux initiatives indépendantes, la Déclaration de la Haye sur l'avenir de la politique des réfugiés et des migrations, adoptée par la Société internationale pour le développement, et l'"Initiative de Berne", qui émane du gouvernement suisse, ont réclamé l'instauration d'une coopération en vue d'une gestion humanitaire des migrations. Une Commission mondiale sur les migrations a été créée en 2004, et en 2006, le dialogue de haut niveau de l'Assemblée générale des Nations Unies sera consacré à la question des migrations et du développement.

L'enjeu pour la communauté mondiale est de gérer les migrations de manière à en faire une force au service de la croissance et du développement, en évitant les mouvements clandestins et les risques qu'ils comportent pour les institutions établies et le respect des normes du travail. Depuis l'abandon, vers le milieu des années soixante-dix, de la gestion bilatérale des migrations, diverses tentatives ont été faites pour forger un consensus mondial sur les règles et les principes qui devraient régir les migrations, mais sans grand succès.

On trouve aujourd'hui chez les travailleurs migrants toute une palette de qualifications mais les flux migratoires restent majoritairement composés de travailleurs qui émigrent pour occuper des emplois non qualifiés dans des segments délaissés par les ressortissants nationaux. Toutefois, la proportion de travailleurs migrants dans ces segments varie suivant les régions, en particulier dans les pays de l'OCDE, où l'on constate une élévation du niveau de qualification de la main-d'œuvre étrangère. En outre, les politiques de l'emploi et de l'immigration déterminent la répartition des travailleurs migrants par secteur économique; ainsi, ils sont plus nombreux dans l'agriculture aux Etats-Unis qu'en Europe occidentale.

Les migrations internationales constituent un phénomène complexe qui pose des questions difficiles aux décideurs. Pourtant, la conclusion du rapport ne laisse planer aucun doute: l'immigration a surtout des effets bénéfiques sur l'économie des pays de destination dont elle rajeunit la population et stimule la croissance sans causer d'inflation. Comme les migrations internationales de travailleurs iront probablement en s'intensifiant, elles doivent être correctement régulées pour que tous - pays d'origine, pays de destination et migrants - en tirent avantage.

Le rôle des migrants dans l'économie mondiale

Dans son rapport intitulé "Une approche équitable pour les travailleurs migrants dans une économie mondialisée", le BIT souligne les aspects suivants:

  • Les effets économiques de l'immigration sur les pays d'accueil sont principalement bénéfiques, parce que les nouveaux arrivants rajeunissent la population et stimulent la croissance sans causer d'inflation.
  • Dans les pays d'origine, l'émigration de personnes qualifiées occasionne une "fuite des cerveaux". Près de 400 000 scientifiques et ingénieurs de pays en développement travaillent dans le secteur de la recherche-développement des pays industrialisés. Les médecins formés en Jamaïque et au Ghana sont plus nombreux à l'étranger que dans leur pays.
  • Les migrants envoient chaque année un énorme volume de fonds dans leurs pays - près de 80 milliards de dollars des Etats-Unis en 2002. Selon la Banque mondiale, ces transferts représentent la deuxième source de financement extérieur des pays en développement.
  • Les femmes constituent 49 pour cent des migrants du monde entier. Elles ont de plus en tendance à émigrer seule, en tant que soutien de famille.

Entre 10 et 15 pour cent des migrants sont en situation irrégulière, et pas seulement dans les pays développés. "L'ampleur des flux de travailleurs en situation irrégulière indique à l'évidence que la demande de travailleurs migrants déclarés n'est pas proportionnée à l'offre."


Note 1 - "Une approche équitable pour les travailleurs migrants dans une économie mondialisée", Bureau international du Travail, Genève. ISBN 92-2-213043-X.