La sécurité sociale pour tous: un pari mondial

Dans le monde, seule une personne sur cinq bénéficie d'une couverture sociale adéquate. Face à cette inquiétante réalité, l'OIT a lancé une campagne mondiale pour encourager et aider les Etats membres à étendre la sécurité sociale à l'ensemble de leurs citoyens. La Campagne mondiale sur la sécurité sociale et la couverture pour tous reflète la volonté commune des gouvernements, des employeurs et des travailleurs de tenir le pari. Dans l'article qui suit, Travail présente cette nouvelle campagne.

GENÈVE - L'Organisation des Nations Unies considère la sécurité sociale comme un droit fondamental de l'homme. Mais dans la réalité, très peu de personnes jouissent de ce droit.

Selon l'OIT, 80% de la population mondiale ne bénéficient pas de prestations de sécurité sociale suffisantes (voir la définition ci-dessous). Plus de la moitié de la population mondiale n'a aucune protection. En Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, moins de 10% des habitants sont couverts, et encore ne s'agit-il que d'une couverture extrêmement rudimentaire.

Il y a deux ans, la Conférence internationale du Travail (CIT) a préparé la voie à une action soutenue de l'OIT dans ce domaine en demandant que soit organisée une vaste campagne en faveur de l'élargissement de la couverture sociale. En juin dernier, durant la 91e session de la CIT, le Directeur général du BIT, Juan Somavia, a déclaré ouverte la Campagne mondiale sur la sécurité sociale et la couverture pour tous, en la présence de M. Eui-Yong Chung, nouveau Président du Conseil d'administration, et de MM. Leroy Trotman et Funes de Rioja, nouveaux Vice-présidents.

"La sécurité sociale préserve la sécurité et la dignité humaines, l'équité et la justice sociale, tout en favorisant l'autonomisation, la participation à la vie politique et la démocratie", a déclaré M. Somavia. "Des régimes efficaces de sécurité sociale concourent à améliorer les performances de l'économie et à établir un avantage comparatif sur les marchés mondiaux. Nous avons la volonté, et maintenant nous devons trouver les moyens d'offrir à un plus grand nombre de personnes les prestations sociales qui sont nécessaires pour survivre et prospérer."

La campagne est l'expression du consensus qui s'est dégagé parmi les gouvernements, les employeurs et les travailleurs du monde entier pour étendre la couverture sociale à la totalité des travailleurs, et en particulier à ceux de l'économie informelle, et pour sensibiliser l'opinion mondiale au rôle de la sécurité sociale dans le développement économique et social. Elle a pour but de favoriser l'émergence d'un large partenariat entre organisations internationales, pays donateurs, institutions de sécurité sociale et organisations de la société civile.

Elle reprend les principes et stratégies définis par la CIT, à savoir qu'il n'existe pas un seul bon modèle de sécurité sociale et qu'il convient de donner la priorité absolue à la conception de politiques et d'initiatives propres à faire bénéficier de la sécurité sociale ceux qui ne sont pas couverts par les régimes existants. En outre, la sécurité sociale devrait reposer sur le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes. Enfin, chaque pays devrait définir une stratégie nationale qui les conduise vers la sécurité sociale pour tous.

En règle générale, les personnes qui n'ont pas de couverture sociale se retrouvent plutôt dans l'économie informelle des pays en développement que dans le secteur structuré. Et même dans les pays en développement à forte croissance économique, un nombre croissant de travailleurs - très souvent des femmes - ont des emplois précaires (occasionnels, à domicile ou indépendants) qui ne donnent pas droit à la sécurité sociale.

Extension de la couverture sociale et égalité hommes-femmes

En 2001, la Conférence internationale du Travail a souligné que la sécurité sociale devrait reposer sur le principe de l'égalité entre hommes et femmes et favoriser le respect de ce principe. Cela suppose non seulement l'égalité de traitement des hommes et des femmes se trouvant dans des situations identiques ou similaires, mais aussi des mesures qui garantissent des résultats équitables pour les femmes. La société tire grand bénéfice des soins que les femmes en particulier dispensent, sans être rémunérées, aux membres de leur famille - enfants, personnes âgées, handicapés. Mais, par la suite, ces femmes sont souvent pénalisées au regard de la sécurité sociale, pour la simple raison qu'elles ont travaillé à la maison et non sur le marché du travail. La Conférence a également attiré l'attention sur le fait que des mesures facilitant l'accès des femmes à l'emploi leur permettraient de bénéficier d'une protection sociale à titre personnel et non en tant que personnes à charge.

Il est extrêmement difficile de vivre et même de travailler dans de telles conditions. Les plus démunis voient leur maigre pouvoir d'achat s'amenuiser encore du fait de leur marginalisation et de l'absence de soutien, surtout lorsque l'âge, la maladie ou le handicap les empêchent de travailler.

On pensait autrefois qu'une grande partie des travailleurs des pays en développement finiraient par obtenir un emploi dans le secteur structuré, où ils auraient droit à la sécurité sociale. Or l'essor de l'emploi informel a entraîné la stagnation, voire le déclin, des taux de couverture. Les catégories les plus vulnérables hors marché du travail sont les personnes handicapées et les personnes âgées qui n'ont pas d'appui familial et qui n'ont pu économiser en vue de leur retraite.

Les responsables de la campagne constatent que ces dernières années, certains pays à revenus intermédiaires ont réussi à élargir leurs régimes de sécurité sociale. Par exemple, le Costa Rica est parvenu à offrir une couverture totale en matière de santé en alliant l'assurance maladie et la gratuité des services de santé publique. Le régime national de retraite de l'Inde, financé à l'aide de ressources du gouvernement central et des Etats, couvre un quart des personnes âgées du pays - soit environ 50% des retraités en situation de pauvreté. Et au Brésil, les prestations d'assistance sociale préservent quatorze millions de personnes de l'extrême pauvreté.

M. Chung a fait observer que le nouveau régime de sécurité sociale mis en place dans son pays, la République de Corée, avait permis à celui-ci de surmonter sans trop de difficultés les conséquences de la crise financière asiatique de la fin des années quatre-vingt-dix. Il a mentionné en particulier un nouveau programme d'assurance chômage, qui a aidé le pays à faire face au quadruplement du taux de chômage.

"Notre exemple montre que la sécurité sociale n'est ni un luxe ni une charge pour le gouvernement", a-t-il affirmé. "Au contraire, elle favorise la productivité et la cohésion sociale et elle sert de lubrifiant pour l'économie dans les périodes de crise ou de grand changement. A l'ère de la mondialisation, cela est indispensable pour garantir un développement économique et social durable."

La campagne mondiale a pour but d'aider les pays à revenus intermédiaires à poursuivre leur progression et les pays les moins avancés à déterminer quels types de régime leur permettront le mieux d'étendre la couverture sociale. Elle s'appuiera sur les mandants tripartites de l'OIT ainsi que sur d'autres organisations pour aider les pays à concevoir des régimes de sécurité sociale - et le cas échéant à les développer - par le biais de l'expérimentation et du dialogue social.

En effet, l'un des volets de la campagne consiste à tester des idées nouvelles et à évaluer l'action entreprise par les Etats membres pour mettre la sécurité sociale à la portée du plus grand nombre. En outre, l'OIT met à profit sa longue expérience de promotion du dialogue social et de la concertation tripartite pour résoudre les problèmes particuliers que pose l'extension de la sécurité sociale dans les pays où la couverture est faible et où le taux d'activité dans l'économie informelle est important. Projets à venir:

  • Une initiative concernant trois pays - Honduras, Mali et Sri Lanka -, où l'OIT appuiera une démarche fondée sur le dialogue social entre gouvernement et associations de travailleurs et d'employeurs, pour élaborer des plans de réforme de la sécurité sociale en vue d'élargir la couverture sociale.
  • Un projet qui s'adresse aux pays africains lusophones - Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Mozambique et Sao Tome et principe - conçu pour aider ces pays à repérer précisément les catégories de population exclues des régimes nationaux de sécurité sociale et rechercher des moyens de remédier à cette situation.
  • Une étude des programmes de sécurité sociale de type communautaire mis en place dans les pays en développement, afin de concevoir des moyens de les soutenir et de les aider à se développer ainsi que d'envisager leur intégration dans des régimes de portée nationale. Ce projet, exécuté par le Programme STEP du BIT, vise les populations démunies et marginalisées de l'économie informelle ainsi que les travailleurs pauvres de l'économie formelle, couverts par un système de sécurité sociale qui ne répond pas à leurs besoins.
  • Un projet réalisé en coopération avec l'Organisation panaméricaine de la santé (PAHO), qui vise à déterminer les causes du déclin de la couverture des soins de santé dans les pays d'Amérique latine et des Caraïbes, et à y remédier. Dans ces pays, environ 140 millions de personnes n'ont pas accès aux services de santé.

Sécurité sociale: Une définition

La sécurité sociale est la protection qu'une société offre aux personnes et aux ménages pour garantir l'accès aux soins de santé et la sécurité du revenu, surtout en cas de vieillesse, de maladie, d'invalidité, d'accident du travail, de maternité ou de disparition du soutien de famille.