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Dans les plantations mexicaines, le COVID-19 met en lumière la nécessité d’un recrutement équitable

A la frontière entre le Mexique et le Guatemala, les fermiers et les travailleurs ont recours depuis longtemps à la migration de main d’œuvre transfrontalière, même si cette pratique ouvre souvent la voie à l’exploitation et à la maltraitance. En cette période de COVID-19, cela amplifie également les risques en matière de santé et de sécurité. A présent, un projet de l’OIT effectue un travail auprès des associations locales afin de promouvoir des pratiques de recrutement plus équitables et plus sûres.

Editorial | 17 août 2020
Georgina Vazquez de los Reyes, Chargée nationale de programme, Bureau de pays de l’OIT pour le Mexique
Luis López*, propriétaire d’une finca, une plantation de café dans l’Etat mexicain du Chiapas, est inquiet. Comme la plupart des planteurs de café à la frontière sud, il a recours à des ouvriers venus du Guatemala, recrutés et employés pour la plupart de manière informelle, pour récolter et préparer pour l’exportation le café de haute qualité qu’il produit. Mais, cette année, la crise du COVID-19 a entraîné la fermeture de la frontière. Il craint donc de ne pas être en mesure de récolter sa production en septembre.

Pendant ce temps, dans la ville frontalière guatémaltèque de Huehuetenango, Manuel Rosales * attend avec inquiétude d’être contacté par les recruteurs informels (enganchadores) pour savoir s’il pourra passer au Mexique pour être embauché de manière informelle comme travailleur agricole saisonnier et quand il pourra partir. Avec ses collègues, il craint que les restrictions mises en place en raison de la pandémie puissent les empêcher d’aller travailler, qu’elles entraînent une dégradation des conditions de travail ou encore une baisse des salaires.

Cette forme de migration informelle et saisonnière est une particularité des zones frontalières, ce qui complique les choses quand il s’agit d’assurer la régulation et la bonne application des bonnes pratiques en matière de recrutement. En effet, le recrutement informel est courant dans le secteur agricole de la région. Il a lieu par l’intermédiaire de réseaux informels, à travers la famille, des relations ou encore des enganchadores.

La carence en matière d’information sur le recrutement dans le secteur formel, la nature saisonnière du travail, les difficultés en ce qui concerne le recrutement transfrontalier et les formalités à accomplir pour employer légalement des ouvriers font que les travailleurs migrants et les employeurs ont tendance à opter pour l’illégalité. Dans certains cas, ce sont parfois les enganchadores qui assurent eux-mêmes l’encadrement des ouvriers ainsi que le paiement des salaires. Cependant, ce système rend plus difficile la prévention des cas d’exploitation et de maltraitance.

De plus, les pratiques informelles ne garantissent aucune protection et elles sont difficiles à réguler. La situation peut s’avérer encore plus difficile pour les femmes migrantes, celles et ceux dont le visa est lié à un employeur spécifique ou encore au visa de leur conjoint(e), ou encore pour les travailleurs migrants issus des peuples autochtones qui, dans certains cas, ne maîtrisent pas l’espagnol.

Le recrutement équitable s’avère d’autant plus crucial qu’avec la pandémie de COVID-19, les ouvriers agricoles sont considérés comme des travailleurs essentiels. Il est donc particulièrement important de s’assurer de leur santé et de leur sécurité aussi bien au moment de leur recrutement, de leur transport, sur leur lieu de travail et dans les hébergements fournis par l’employeur.

© ILO

S’attaquer aux difficultés

Afin de relever ces défis et de promouvoir des pratiques de recrutement équitable dans les chaînes d’approvisionnement agricoles, le projet de l’OIT REFRAME, financé par l’UE, travaille aux côtés d’associations agricoles mexicaines comme les associations de producteurs de bananes et de café de la région de Soconusco, dans le sud du Chiapas, l’Alliance internationale des producteurs visant à promouvoir une industrie socialement responsable (AHIFORES)1 , ainsi qu’avec l’organisation de la société civile Verité.

Selon Yunyuney Martínez, gestionnaire principal d’AHIFORES, les membres de l’Alliance sont de plus en plus nombreux à vouloir évoluer vers un système de recrutement plus régulé afin de pouvoir maîtriser le recrutement et le suivi de leur personnel.

“Nous considérons le recrutement équitable comme étant le « premier maillon de la chaîne » permettant de créer un écosystème intégral de main d’œuvre qui soit juste et fructueux », explique Yunyuney Martinez. « En raison de la crise du COVID-19, nous avons vu apparaître des inquiétudes aussi bien au sein des travailleurs qu’au sein des employeurs en ce qui concerne la saison qui arrive, que ce soit pour disposer de la main d’œuvre nécessaire qu’en matière de conditions de travail sûres et saines. C’est pourquoi nous nous sommes engagés à fournir tous les outils nécessaires afin d’assurer que notre secteur puisse continuer à fonctionner et même qu’il puisse servir d’exemple en ces temps de crise ».

Aller vers des améliorations

L’OIT et l’AHIFORES ont ainsi développé ensemble un certain nombre d’outils et de normes, conformes aux normes internationales du travail et aux Principes Généraux et directives opérationnelles concernant le recrutement équitable, afin de venir en aide aux membres de l’Alliance pour adopter des pratiques de recrutement équitable.

Parmi les outils mis à disposition, on peut citer le Guide du recrutement équitable dans le secteur de l’agriculture qui a pour but d’aider les membres de l’Alliance à obtenir la certification de l’AHIFORES ou encore la réalisation d’une étude rapide afin d’évaluer l’évolution des besoins du secteur pendant la crise du COVID-19.

L’OIT travaille également avec l’agence CIERTO (spécialisée dans le recrutement équitable des ouvriers agricoles) pour créer un guide pratique de recrutement de travailleurs agricoles essentiels pendant la crise.

par Georgina Vazquez de los Reyes, Chargée nationale de programme, Bureau de pays de l’OIT pour le Mexique


* nom d’emprunt visant à préserver l’anonymat.
1 L’AHIFORES est une association agricole sans but lucratif œuvrant en faveur de la promotion des bonnes pratiques et de la responsabilité sociale au sein des exportateurs agricoles au Mexique. Les membres de l’AHIFORES représentent 80 pour cent des exportateurs agricoles mexicains.