Promouvoir les entreprises durables: le travail sûr est bon pour les affaires
«Les entreprises durables ne peuvent se permettre de supporter des blessures et des maladies au travail qui non seulement interrompent l’activité mais peuvent aussi avoir de graves conséquences en termes d’économie et d’image.» Onze entreprises de la région de Leningrad dans le Nord-Ouest de la Russie ont eu l’occasion de vérifier cette déclaration qui figure dans un rapport du BIT pour la Conférence internationale du Travail dans leur pratique quotidienne. Reportage d’Olga Bogdanova depuis le Nord-Ouest de la Russie.
SAINT PETERSBOURG, Fédération de Russie (BIT en ligne) – «Je n’en ferai pas un secret: pratiquement tous les membres de notre groupe étaient sceptiques au début», déclare Gennady, ingénieur en chef de la sécurité d’une fabrique de pâte à papier. «En effet, je travaille dans cette entreprise depuis près de 15 ans et je pensais bien la connaître, notamment pour ce qui concerne la sécurité professionnelle.» «Que peuvent-ils bien m’apprendre?, me demandais-je…»
Gennady travaille pour l’une des onze usines pilotes sélectionnées dans le cadre du projet de l’OIT financé par la Finlande pour améliorer les systèmes de sécurité et de santé au travail (SST) dans le Nord-Ouest de la Russie. Les entreprises ont testé une nouvelle méthodologie de l’OIT pour recenser et évaluer les coûts économiques des accidents du travail.
Gennady et les autres participants ont vite réalisé que leur scepticisme vis-à-vis du projet était une erreur. La nouvelle méthodologie des coûts des accidents, développée en Finlande, au Canada et au Royaume-Uni, a été adaptée par le projet de l’OIT au contexte spécifique de la Russie.
Grâce à la nouvelle méthodologie, les experts russes en SST ont réalisé que le coût réel des accidents était dans certains cas 4 à 5 fois plus élevés que ce qu’ils pensaient.
«Nous avions toujours pensé le coût des accidents en termes d’équipements endommagés et de frais médicaux pour les salariés blessés. Nous n’avions jamais envisagé les coûts indirects relatifs à l’arrêt de la production, aux frais d’enquête, aux mesures additionnelles prises pour prévenir des accidents similaires à l’avenir, etc. De plus, les entreprises qui ont un taux élevé d’accidents du travail paient des primes plus lourdes au Fonds d’assurance sociale. Quand nous avons additionné toutes nos pertes, ce fut un véritable choc», précise Gennady.
Le groupe pilote a appliqué la nouvelle méthodologie à 58 accidents du travail révélant des coûts énormes de 700 000 roubles (28 000 dollars) dans 33 cas.
Les participants au projet ont approfondi leurs toutes nouvelles connaissances dans une série d’ateliers organisés en coopération avec le Comité régional pour le travail et la protection sociale de Saint-Pétersbourg. Calculatrices en main, ils ont appris qu’il leur en coûterait 4 à 5 fois moins de prévenir les accidents du travail plutôt que d’en payer les conséquences.
«Qui plus est, de bonnes conditions de travail améliorent la productivité», explique Wiking Husberg, spécialiste principal des questions de sécurité et de santé au travail au Bureau de l’OIT à Moscou.
Par ailleurs, le projet a publié une brochure intitulée «Diminuer les risques –Réduire les coûts» qui présente la nouvelle méthodologie d’une manière très simple et peut servir de guide au niveau de l’entreprise.
Les 11 entreprises pilotes mettent maintenant en place le système de gestion OIT-OSH 2001 qui est fondé sur une approche systématique de la sécurité et de la santé au travail.
«Ce projet a un très bon impact politique et pratique à tous les niveaux – des entreprises aux décideurs», déclare M. Husberg. «Cela montre clairement que l’approche systématique de l’OIT des questions de sécurité et de santé au travail peut être efficacement appliquée à la situation concrète de la Russie. Nous espérons que l’expérience du Nord-Ouest sera dupliquée dans d’autres régions de Russie et même dans des pays voisins, comme le Kazakhstan et l’Arménie qui ont déjà fait part de leur intérêt», a-t-il conclu.
Le besoin d’améliorer radicalement la sécurité et la santé au travail en Russie est dorénavant reconnu au sommet du gouvernement. Au cours d’une récente réunion avec des hommes d’affaires, le Vice-premier ministre russe Dmitry Medvedev a cité des chiffres alarmants. «Chaque année, 190 000 personnes meurent dans notre pays du fait de conditions de travail dangereuses. En 2006, un tiers des décès en Russie concernait des personnes actives sur le plan économique – 4,5 fois plus que dans l’UE. Tout cela mine le potentiel économique du pays», dit-il.
Ce point de vue est partagé par la Commission des entreprises durables de la Conférence internationale du Travail (Note 1). Dans ses conclusions relatives à la promotion des entreprises durables, la Commission affirme que protéger la sécurité et la santé des travailleurs sur leur lieu de travail est un aspect capital de la promotion du développement des entreprises durables.
Les conclusions des discussions récentes de la Commission reconnaissent cependant que la santé et la sécurité au travail ne sont que l’un des multiples facteurs dont l’importance relative peut varier selon les différents stades de développement et les divers contextes culturels et socio-économiques.
«Parmi les autres facteurs au niveau de l’entreprise, se trouvent le dialogue social et de bonnes relations de travail, de fortes pratiques de développement des ressources humaines, les conditions de travail, la productivité, les salaires et le partage des bénéfices, la responsabilité sociale de l’entreprise et la gouvernance d’entreprise. En outre, un certain nombre d’autres facteurs contribuent à façonner un environnement favorable. Paix et stabilité politique, bonne gouvernance et règne du droit, dialogue social, respect des droits de l’homme et des normes internationales du travail, culture d’entreprise, politiques économiques fortes, concurrence loyale, accès aux services financiers, infrastructures physiques et technologiques, éducation et formation, et viabilité environnementale sont autant de facteurs généralement considérés comme essentiels pour la promotion des entreprises durables», affirme Michael Henriques, directeur du Département de la création d’emplois et du développement de l’entreprise du BIT.
Quant aux entreprises elles-mêmes, leur position a sans doute été le mieux exprimée par le directeur d’une des entreprises pilotes: «Nous ne sommes pas suffisamment riches pour gaspiller notre argent dans des accidents, nous devrions davantage investir dans la prévention».
Note 1 – La promotion d’entreprises durables, Rapport VI, Conférence internationale du Travail, 96e session, 2007, Genève. ISBN 978-92-2-218143-8.