Les vertus des fonds d’investissement parrainés par les travailleurs : Plus d’emplois, plus d’argent, plus de sécurité

L’économie de la province canadienne du Québec était plongée, il y a 20 ans, dans une profonde récession, sous l’effet conjugué d’une crise économique internationale et de relations tendues entre le gouvernement provincial et le monde du travail.

Article | 22 septembre 2003

GENEVE (Nouvelles du BIT) - L’économie de la province canadienne du Québec était plongée, il y a 20 ans, dans une profonde récession, sous l’effet conjugué d’une crise économique internationale et de relations tendues entre le gouvernement provincial et le monde du travail.

Le chômage avait atteint le chiffre de 15,5 pour cent et les taux d’intérêts avaient grimpé jusqu’à 20 pour cent. La pénurie d’argent dans les petites et moyennes entreprises (PME) avait entraîné nombre de faillites et de licenciements.

Mais les crises sont souvent génératrices de nouvelles idées. La Fédération syndicale du Québec a relevé le défi, proposant, au cours d’un sommet économique de la province, en 1982, la création d’un «Fonds de solidarité» pour aider la communauté provinciale du travail à jeter les bases d’une économie saine et stable, et localement contrôlée.

Depuis, le Fonds de solidarité du Québec a joué un rôle déterminant dans le rétablissement économique de la province. Plan de retraite volontaire avec des avoirs de quelque 4,6 milliards de dollars canadiens, le Fonds possède des actions dans près de 1900 petites et moyennes entreprises, qui, au cours des deux dernières années, ont permis la création de 100.000 emplois.

Le travailleur à l’aide de son égal

La caractéristique unique de ce Fonds est que ses 536.000 actionnaires, soit 14 pour cent de la population active, sont des travailleurs.

«Avec plus de 500.000 actionnaires aujourd’hui, le Fonds de solidarité a généré une nouvelle race d’investisseurs, a déclaré Bernd Balkenhol, chef du Programme Finance et Solidarité du BIT. Avec d’autres fonds d’investissement similaires qui existent au Canada, le Fonds de solidarité du Québec revêt, à de nombreux titres, un intérêt certain pour notre Organisation.»

Le Fonds investit dans des entreprises qui tentent de combiner profit et solidarité, en recrutant par exemple des jeunes ou des personnes handicapées. Quatre principes directeurs guident son action: création et permanence de l’emploi dans les PME, participation des travailleurs au développement économique, investissements stratégiques pour stimuler l’économie et encouragement des travailleurs à l’épargne pour leur retraite.

En 1983, le gouvernement du Québec a contribué à faciliter le fonctionnement du Fonds en adoptant une loi officialisant l’existence d’un Fonds d’investissement parrainé par les travailleurs et prévoyant un dégrèvement d’impôt pour tous ceux qui y investissent.

Dès le départ, le Fonds a été considéré, dans la province, comme un instrument de développement et comme une formule vouée au succès pour les actionnaires, les PME et le gouvernement local.

Le taux d’investissement dans le Fonds québécois a grimpé de manière spectaculaire en 1985 quand le gouvernement fédéral a accordé aux personnes investissant dans ce type de fonds un allègement fiscal supplémentaire de 20 pour cent, en même temps qu’il a accepté que l’investissement réalisé soit pris en compte dans les plans d’épargne-retraite. Les retours sur actions sont en moyenne supérieurs à 6 pour cent, quasi-équivalents à ceux des fonds d’investissement conventionnels.

Dans la foulée de ces mesures, divers fonds ont vu le jour, financés et gérés par le monde du travail: le Fonds de solidarité lancé par la Confédération des syndicats nationaux, le «Working Opportunities Fund» créé par certains syndicats de Colombie britannique, le «Crocus Investment Fund», mis sur pied, en 1992, par le mouvement syndical du Manitoba. Avec plus de 10.000 emplois créés, maintenus ou sauvés, celui-ci se place en tête pour la création d’emplois par dollar investi dans l’entreprise nationale du capital-risque. Entre 1983 et 1998, plus de 20 fonds d’investissement ont vu le jour au Canada, mais le Fonds de solidarité du Québec reste encore le plus important du pays.

Les fonds d’investissement ont également eu pour effet de donner un pouvoir accru aux syndicats dans la mesure où ils ont hissé le niveau de l’emploi et donner un nouvel élan à la négociation collective. Il est évident que dans l’optique syndicale, plus le niveau d’emploi est haut, plus le pouvoir de négociation des centrales ouvrières est fort. Par ailleurs, une économie locale prospère valorise les entreprises à demeure, réduit les dépenses sociales du gouvernement et a un indéniable effet d’attraction sur les affaires.

Si l’investissement dans ces fonds n’équivaut pas à un système de sécurité sociale, pas plus qu’il ne représente une formule de substitution à un plan de retraite, il offre aux travailleurs un certain nombre de possibilités nouvelles en liaison avec leurs projets de retraite. Les salariés ont également l’occasion d’acquérir connaissance et expérience dans le secteur des services financiers. La plupart des syndicats canadiens ont des départements éducatifs, qui organisent une variété de cours et programmes allant des problèmes syndicaux de base aux investissements et plans de retraite.

Le contrôle démocratique de l’économie est l’un des autres objectifs majeurs de ces fonds. Avant d’investir, certains d’entre eux procèderont à un large audit social pour se faire une opinion de la qualité des relations sociales et des questions touchant à la santé, à la sécurité et à l’environnement. Ces fonds confortent aussi les petites entreprises en proie à des problèmes de financement.

L’un des autres traits notables de ces fonds d’investissement est leur volonté d’amener le salarié à participer à la direction de l’entreprise. Le «Crocus Investment Fund» s’assure qu’au moins la moitié de ses investissements soit consacré à la promotion, directe ou indirecte, du salarié à la gestion et à la direction des affaires. Aujourd’hui, un quart des employés des firmes émargeant au portefeuille de Crocus figurent, sous une forme ou une autre, dans un plan d’accession à la co-propriété. L’un des objectifs du Fonds est de faire en sorte que les salariés se retrouvent en position de passer accord pour racheter les parts de Crocus dans l’entreprise.

En réponse à la demande croissante d’informations sur les facteurs qui expliquent la réussite des fonds d’investissement parrainés par les travailleurs, le Programme Finance et Solidarité du BIT fera de nouvelles évaluations et engagera d’autres consultations dans les années à venir.