"Être domestique au Liban": protéger les droits des travailleurs domestiques immigrés

Poussés par l'extrême pauvreté qui règne dans leur pays, des milliers de travailleuses immigrées se rendent chaque année dans les pays arabes afin de gagner suffisamment d'argent pour entretenir leur famille. Ce qu'elles y trouvent est parfois bien différent de ce qu'elles espéraient. , un film réalisé par Carol Mansour et financé par Caritas Suède, l'Ambassade des Pays-Bas à Beyrouth et l'OIT, décrit le pari que prennent ces femmes quand elles décident de quitter leur famille pour aller travailler au Liban.

Article | 13 avril 2006

BEYROUTH, Liban (BIT en ligne) - Depuis 1973, plus de 100 000 femmes ont migré des pays pauvres pour venir travailler derrière les portes closes des maisons de leurs employeurs libanais. Certaines ont réalisé leur rêve; d'autres vivent sous la contrainte, financière et psychologique.

Certaines employées de maison, comme Nirosha, ont d'honnêtes patrons qui les traitent dignement, leur payant leur dû. Dans ces cas-là, les travailleuses domestiques migrantes parviennent à économiser de l'argent et à rentrer chez elles. "Madame va me manquer", dit Nirosha, "Madame m'a tout donné".

D'autres, comme Vimala, une femme sri-lankaise dont le film dresse le portrait en sanglots, sont victimes de violence. "Quand ils ont commencé à me couper les cheveux, je les ai suppliés: frappez-moi encore mais ne coupez pas mes cheveux", raconte-t-elle.

Les employées de maison tels que Vimala et Nirosha ont fui l'extrême pauvreté que connaissent les nombreux Sri-Lankais vivant dans de petits villages à des centaines de kilomètres de la capitale Colombo. "Les villages dont nous sommes originaires sont pauvres, ils n'ont ni eau courante, ni électricité", explique une Sri-Lankaise dans le film.

Comme dans de nombreux autres pays, ces femmes ne sont pas protégées par la législation locale en vigueur. Elles font souvent l'objet de mauvais traitements comme le non- paiement de leur salaire et, dans certains cas, d'abus psychiques, physiques ou sexuels.

"Les journaux libanais attirent souvent l'attention du public sur le sort des domestiques abusées par leurs employeurs. Les médias peuvent jouer un rôle important dans la sensibilisation au droit des travailleurs à des conditions de travail décentes", commente Simel Esim, spécialiste des questions de genre au Bureau régional de l'OIT pour les pays arabes à Beyrouth.

Au cours de ces dernières années, l'OIT a plaidé pour que les droits des travailleurs domestiques immigrés soient reconnus par les gouvernements de la région.

"La promotion des normes internationales du travail qui protègent les droits des travailleurs est une question clé du point de vue de l'OIT. Cette protection fait souvent défaut pour les travailleurs immigrés à travers la région et, dans les pays où les normes du travail ont été adoptées, ces travailleurs demeurent tout simplement dans l'ignorance de leurs droits", explique Simel Esim.

Selon Simel Esim, "il est vital d'avoir les médias de notre côté lorsque nous faisons la promotion des droits des travailleurs et particulièrement ceux des migrants. Malheureusement, les médias renforcent souvent le scepticisme social à l'égard des travailleurs étrangers, ce qui rend notre travail somme toute plus difficile. Nous consacrons donc une part importante de nos efforts à donner aux médias la capacité de traiter et intégrer les dimensions de droit et de genre dans les questions relatives au travail".

Les pays arabes ont accueilli de nombreuses vagues de main-d'oeuvre immigrée d'Asie de l'Est et du Sud-Est, mais aussi d'Afrique, au cours des trente dernières années. La majorité des femmes immigrées aboutissent dans la domesticité. Les agences de placement sont souvent le premier point de contact pour les travailleurs migrants qui cherchent un emploi.

"L'un de nos objectifs est de rendre ces agences plus sensibles aux droits des travailleurs et de les intégrer à nos discussions sur les changements possibles dans les politiques nationales du travail", déclare Simel Esim.

Suite à la demande du ministère libanais du Travail et en coopération avec lui, ainsi qu'avec le Haut Commissariat aux droits de l'homme, le Programme des Nations Unies pour le développement et le Centre de migrants de Caritas Liban, l'OIT a récemment organisé un atelier national de sensibilisation à la situation des femmes immigrées employées de maison et identifié les éventuelles mesures à prendre pour parer aux difficultés qu'elles rencontrent. La recommandation clé formulée à l'issue de cet atelier vise notamment à introduire un contrat de travail standardisé pour tous les employés de maison qui pourrait être promu par les agences de placement à travers le pays et à offrir aux travailleurs domestiques immigrés des livrets qui les informent sur leurs droits en tant que travailleurs.

Suite à ces recommandations, le ministère libanais du Travail a promulgué un décret qui établit un comité d'organisation national de haut niveau pour réviser le droit du travail local, élaborer un contrat unifié pour les employés de maison et produire un "livret des droits et des responsabilités" pour cette catégorie de personnel d'ici fin mai 2006. Le comité va également produire un plan d'action biennal en juin ou juillet 2006.

"Lorsque l'émission de contrats de travail standardisés par les agences de placement sera devenue une pratique courante pour tous les travailleurs immigrés, et une fois que ces contrats seront enregistrés dans des bases de données nationales, les autorités concernées seront beaucoup mieux outillées pour instruire les plaintes et jouer les médiateurs entre employés et employeurs", explique l'expert du BIT.

La hausse du nombre de femmes immigrées employées de maison dans la région peut être corrélée avec le nombre croissant de femmes arabes accédant à une formation supérieure tout en ayant moins d'enfants qu'auparavant. Une question clé étudiée par le secteur de la recherche du BIT est d'évaluer l'impact précis du travail des domestiques immigrées sur la participation des femmes arabes au marché du travail.

Selon Simel Esim, "le fait que très peu de travailleuses sont organisées et que la région est un très grand réservoir de travailleuses immigrées nous met face à une tâche dantesque lorsque nous cherchons des moyens de créer de meilleures conditions de travail".

"A travers les histoires de travailleuses sri-lankaises employées de maison, le film met en exergue le besoin d'élaborer des politiques nationales et internationales pour protéger les droits des travailleurs migrants et de leur famille au Liban et dans l'ensemble du monde arabe", conclut-elle.