Commerce international et droits des travailleurs: Le Directeur général du BIT préconise l'adoption de règles universelles

GENÈVE (Nouvelles du BIT) - S'adressant une nouvelle fois à la question du commerce international et de la protection des droits des travailleurs, le Directeur général du Bureau international du Travail invite instamment les 174 Etats membres de l'Organisation à envisager des mesures radicales pour garantir que la libéralisation des échanges n'entrave pas le "progrès social".

Communiqué de presse | 23 avril 1997

GENÈVE (Nouvelles du BIT) - S'adressant une nouvelle fois à la question du commerce international et de la protection des droits des travailleurs, le Directeur général du Bureau international du Travail invite instamment les 174 Etats membres de l'Organisation à envisager des mesures radicales pour garantir que la libéralisation des échanges n'entrave pas le "progrès social".

Affirmant que le progrès social est "indispensable à la consolidation du système commercial multilatéral", M. Michel Hansenne estime que la mondialisation de l'économie peut constituer "un facteur probablement sans équivalent de progrès et de paix, à condition qu'elle ne soit laissée à elle-même".

Dans un important texte de politique générale adressé à la Conférence internationale du Travail, il avertit que "libéralisation du commerce international et progrès social doivent aller de pair" et qu'il faut des "preuves tangibles que les promesses dont celle-ci est porteuse ne sont pas vaines ou illusoires".

Répondant aux craintes que "l'emballement de la mondialisation, l'obsession de la compétitivité et l'évacuation des valeurs" n'aient des conséquences négatives sur le plan social, le rapport ( Note1 ) du Directeur général préconise une revitalisation du système de normes internationales du travail, qui comporte:

  • Un respect universel des droits fondamentaux de l'homme au travail, tels qu'ils sont définis dans les sept conventions fondamentales de l'OIT: liberté syndicale et négociation collective (N os 87 et 98), travail forcé (N os 29 et 105), non-discrimination (N os 100 et 111), âge minimum (N o 138);

Une "Déclaration" solennelle - qui devrait être adoptée en 1998 - destinée à compléter la Constitution de l'OIT en renforçant les mécanismes de contrôle de façon à promouvoir ces principes et à en surveiller l'application à l'échelle de la planète.

En outre, le Directeur général propose que le BIT publie régulièrement des rapports sur les efforts réalisés par chaque pays pour veiller à ce que la croissance économique résultant de la libéralisation des échanges engendre un véritable progrès social et qu'il établisse, sur une base volontaire, un système global de "labels sociaux" garantissant que les biens vendus sur le marché international soient produits dans des conditions humaines.

Dans une seconde partie, plus technique, le rapport contient des propositions qui sont de nature à renforcer la pertinence et l'efficacité des futures normes de l'OIT par un choix plus judicieux des sujets devant faire l'objet d'une législation internationale, l'adoption d'un mécanisme global d'évaluation et un recours systématique à l'ensemble des moyens d'action prévus dans la Constitution de l'OIT.

Des règles universelles

Les tentatives visant à établir un lien direct entre le commerce international et les droits fondamentaux des travailleurs par le biais de sanctions - la fameuse "clause sociale" - ont d'abord été marquées par des accusations réciproques de dumping social et de protectionnisme déguisé. Bien qu'il ait parfois semblé bloqué, le débat mené à ce sujet dans différentes instances internationales et notamment à l'OIT, a finalement abouti à un consensus sur deux aspects interdépendants:

  • Les avantages que tirent les pays en développement de leurs niveaux de salaires et de protection sociale comparativement moins élevés sont légitimes dans la mesure où ils favorisent le développement et ne sont pas maintenus artificiellement pour des raisons de stratégie commerciale;

Pour que la mondialisation remplisse ses promesses, il faut convenir de critères sociaux applicables aux travailleurs de tous les pays, quel que soit leur niveau de développement; si, dans ce domaine, les pays ne jouent pas franc-jeu, les actions unilatérales (conflits commerciaux, boycottage à la consommation, accusations de toutes sortes) se multiplieront, créant l'incertitude et affaiblissant le soutien politique nécessaire à la libéralisation, ce qui provoquera un regain de protectionnisme.

En d'autres termes, pour que ce processus de libéralisation des échanges et d'amélioration des conditions de vie et de travail se développe, il faut que les droits fondamentaux de l'homme au travail soient universellement respectés.

Une campagne mondiale encourageant les Etats qui ne l'ont pas encore fait à ratifier les sept conventions fondamentales de l'OIT a permis d'obtenir 29 nouvelles ratifications depuis mars 1995, amenant le total à 815. Ce chiffre serait de 1218 si les 174 Etats membres de l'OIT ratifiaient toutes ces conventions.

M. Hansenne estime que l'étape suivante serait de considérer que l'affiliation à l'Organisation suppose implicitement le respect des principes énoncés dans ces conventions et d'adopter à cet effet une "Déclaration" solennelle qui aurait force obligatoire pour tous les Etats membres, même en l'absence de ratification des conventions pertinentes.

Tel est déjà le cas pour les conventions et les principes relatifs à la liberté syndicale. Au mois de novembre prochain, le Conseil d'administration du BIT devra décider si cela peut servir de référence ou s'il convient de mettre sur pied d'autres mécanismes de contrôle.

Evaluation du progrès social

M. Hansenne souligne le fait que chaque pays devrait en outre se conformer au principe selon lequel "l'ensemble des travailleurs d'un pays, et pas seulement ceux qui travaillent pour le marché mondial, devraivent pouvoir profiter de manière équitable des fruits de la mondialisation". Selon lui, cet objectif n'est pas utopique et, concrètement, "toute méthode pour y parvenir devrait logiquement se concrétiser par des consultations entre les partenaires sociaux quant à l'utilisation des fruits de la mondialisation et à la répartition de ses coûts".

Il propose que la situation soit régulièrement évaluée dans le cadre de rapports que réaliserait le BIT sur le progrès social - ou l'absence d'un tel progrès - dans les Etats membres et qui seraient suivis de débats tripartites permettant à tout un chacun d'apprécier les efforts accomplis dans tel ou tel pays pour veiller à ce que le progrès économique résultant de la libéralisation des échanges se traduise par un véritable progrès social.

Sans la transparence et le dialogue, la mondialisation pourrait bien être considérée non pas comme une promesse mais comme une menace. Et en pareil cas, "le phénomène risque pourtant de continuer à être largement perçu dans l'opinion comme exprimant la tendance inévitable au nivellement par le bas de la rémunération du travail pour des travaux de (faible) qualification identique sur un marché où les marchandises et les capitaux peuvent circuler librement".

Un label social global

M. Hansenne fait observer que "le progrès social n'est plus seulement l'affaire des Etats; il sera de plus en plus l'affaire d'autres acteurs, et en particulier des entreprises de production et de distribution et des consommateurs". Il mentionne à cet égard la prise de conscience par un nombre croissant d'entreprises multinationales des répercussions sociales et environnementales de leurs activités - pour ne pas parler de leur image - et par les consommateurs des pays développés des conséquences de leurs choix.

Ces préoccupations convergentes se traduisent par une prolifération de chartes, de codes et de labels de toutes sortes attestant le respect de certains critères par le fabricant ou le distributeur. Ce type d'actions a parfois facilité la réalisation d'objectifs sociaux.

M. Hansenne met toutefois en garde contre le fait que "les labels peuvent comporter selon leur origine ou les moyens auxquels ils font appel des risques d'arbitraire, de sélectivité ou de manipulations". Par exemple, s'ils ne sont appliqués qu'aux secteurs d'exportation, les travailleurs qui produisent pour le marché intérieur se trouvent délaissés. Leur utilisation incorrecte ou sélective risque de provoquer des actions de boycottage qui entraînent des pertes d'emplois et non une amélioration des méthodes de production dans les branches visées.

M. Hansenne est d'avis qu'il serait préférable de décerner un "label social global" aux pays qui respectent dans tous les domaines les droits et les principes fondamentaux du travail et qui acceptent de se soumettre à des inspections internationales fiables et juridiquement autonomes. "Il serait parfaitement concevable cependant de prévoir un tel système d'inspection dans le cadre volontaire d'une Convention internationale du travail qui permettrait à chaque Etat de décider librement de faire bénéficier l'ensemble des produits fabriqués sur son territoire d'un label social global, à condition d'en accepter les obligations et de se soumettre à des exigences de vérification sur place." La ratification d'une telle convention serait attrayante non seulement pour des raisons morales mais aussi d'un point de vue strictement économique.

Les moteurs du changements

Dans son rapport, M. Hansenne évoque les nombreuses forces politiques et institutionnelles qui militent en faveur d'une amélioration de la situation sociale dans une économie de plus en plus interdépendante. Notant la similitude des troubles sociaux et des conflits du travail survenus en France et tout récemment en République de Corée, il constate que les difficultés posées par la mondialisation ne se limitent pas à une région donnée.

Selon un rapport ( Note2 ) publié au mois de novembre 1996 par le BIT, près d'un milliard de personnes, soit environ 30 pour cent de la population active mondiale, sont actuellement au chômage ou sous-employées et les effectifs des "travailleurs pauvres" - c'est-à-dire de travailleurs très faiblement rémunérés - augmentent sans cesse. L'OIT estime que pour inverser cette tendance, la communauté internationale doit résolument s'engager à réaliser le plein emploi.

Le caractère général du problème prouve "combien il est important, dans le contexte de la mondialisation, de garantir le respect de certains droits fondamentaux qui permettent aux partenaires sociaux de revendiquer leur part légitime de la croissance économique qu'engendre la libéralisation des échanges". Il met également en évidence le fait que l'application des conventions fondamentales de l'OIT constitue le meilleur moyen de garantir le respect de ces droits.

Cette conception des choses est partagée par un nombre grandissant d'acteurs internationaux. Les chefs d'Etat qui ont participé au Sommet mondial pour le développement social (Copenhague, 1995) sont convenus de la nécessité de promouvoir activement le respect des conventions de l'OIT sur l'interdiction du travail forcé, y compris celui des enfants, la liberté syndicale et la négociation collective ainsi que le principe de la non-discrimination.

Le soutien le plus récent, et peut-être le plus significatif, en faveur des droits fondamentaux dans le contexte de la libéralisation des échanges a été manifesté lors de la Conférence ministérielle de l'OMC, tenue à Singapour. A cette occasion, les ministres, tout en soulignant que les avantages comparatifs des pays et en particulier des pays en développement à bas salaires ne devaient pas être remis en question, ont réaffirmé leur volonté de veiller à l'observation des normes fondamentales du travail internationalement admises et ont reconnu que "l'OIT est l'organe compétent pour établir ces normes et s'en occuper".

L'action normative de l'OIT à l'heure de la mondialisation - Rapport du Directeur général, Conférence internationale du Travail, 85 e session, 1997. Bureau international du Travail, Genève, ISBN 92-2-209882-X, 15 francs suisses. Pour obtenir ce rapport, s'adresser directement au service des publications du BIT, CH-1211 Genève 22 (tél.: +4122/729-7301; fax: +4122/799-8578), et aux Bureaux de l'OIT dans le monde.

Le rapport, un résumé analytique et le présent communiqué de presse sont sur Internet: .

Note1: L'action normative de l'OIT à l'heure de la mondialisation - Rapport du Directeur Général, Conférence internationale du Travail, 85 e session, 1997. Bureau international du Travail, Genève. ISBN 92-2-209882-X.

Note2: L'emploi dans le monde 1996/97: les politiques nationales à l'heure de la mondialisation. Bureau international du Travail, Genève. ISBN 92-2-210326-2.