Coopératives et réfugiés

Comment les coopératives peuvent offrir du travail décent aux réfugiés

Du 8 au 10 novembre, une conférence internationale a eu lieu en Turquie pour discuter, entre autres, de la façon dont les coopératives peuvent venir en aide au nombre grandissant de réfugiés et de migrants dans le monde d’aujourd’hui. OIT Info s’est entretenu avec Simel Esim, cheffe de l’Unité des coopératives de l’OIT.

Actualité | 9 novembre 2015
1) Le nombre de réfugiés a atteint des niveaux record dans le monde entier. Quel rôle les coopératives peuvent-elles jouer pour aider les réfugiés à faire face à la situation?

Les derniers chiffres du HCR montrent une hausse spectaculaire du nombre de réfugiés dans le monde, pour atteindre 13 millions en 2014, dont la moitié en Asie. Ce chiffre n’inclut pas les 5 millions de Palestiniens qui sont réfugiés depuis plusieurs décennies au Moyen-Orient. Aujourd’hui, la Turquie à elle seule accueillerait plus de 2,2 millions de réfugiés syriens.

Les coopératives sont utilisées à bon escient par les réfugiés et les communautés d’accueil aux différents stades d’intervention, du début de la crise jusqu’à l’intégration dans le pays d’accueil. Elles commencent par apporter une assistance directe aux réfugiés en leur fournissant des biens et services de première nécessité. Des coopératives peuvent être mises en place spécifiquement pour les réfugiés ou ces derniers peuvent rejoindre des coopératives opérant déjà dans les secteurs en croissance de l’économie du pays d’accueil.

Nous avons ainsi vu des femmes réfugiés créer des coopératives financières et artisanales dans les pays hôtes avec l’appui des agences locales et internationales. Dans plusieurs pays d’accueil, les coopératives se sont mobilisées pour soutenir les réfugiés. Lors d’un récent événement ici à l’OIT, on a signalé que des coopératives sociales italiennes fournissaient des services à 18 000 réfugiés, demandeurs d’asile et migrants, à travers des projets dans 220 centres d’accueil et 170 structures d'hébergement spécifiques.

2) Quelle est la valeur ajoutée des coopératives dans l’aide aux réfugiés?

Les coopératives sont des entreprises basées sur l’entraide et le soutien mutuel. La caractéristique majeure d’une coopérative, c’est que les personnes unissent leurs efforts plutôt que d’essayer d’agir seules. Il existe une multitude de coopératives présentes dans les services, le marketing, la finance, la défense des intérêts des travailleurs ou des consommateurs. Les coopératives créent des emplois, favorisent le travail indépendant et l’accès à une large gamme de services abordables, y compris l’épargne, le crédit, les envois de fonds, la garde d’enfants, la formation, les soins de santé et bien d’autres. Et dernière chose, mais pas des moindres, les membres des coopératives partagent un sentiment d’appropriation.

Dans une situation de crise, les gouvernements des pays hôtes sont souvent débordés. C’est pourquoi nous avons besoin de solutions qui s’appuient sur les communautés locales. Créer une coopérative ne sera pas une panacée permettant de résoudre tous les problèmes, mais ce peut être une contribution significative pour aider les réfugiés à échapper à la pauvreté et à trouver du travail, tout en distribuant équitablement les ressources.

Les camps de réfugiés et les services qui y sont dispensés peuvent être gérés de manière coopérative, avec des réfugiés qui sont membres et prennent les décisions. Les réfugiés et les communautés d’accueil doivent être informés des avantages des coopératives en matière d’économies d’échelle, de propriété et de contrôle pour les membres et de la cohésion qu’apportent les associations de réfugiés au sein des communautés. Des agences comme le Conseil danois des réfugiés ont promu la création d’une coopérative de producteurs dans des pays comme l’Ouganda. A travers son initiative Achats au service du progrès, le Programme alimentaire mondial a procuré des denrées de base pour l’assistance alimentaire d’urgence aux réfugiés par l’intermédiaire de coopératives de producteurs dans une vingtaine de pays.

3) Pouvez-vous nous donner quelques exemples de coopératives qui se sont engagées dans la récente crise de réfugiés?

En Allemagne, qui est le pays membre de l’UE qui accueille le plus grand nombre de réfugiés syriens, le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de 132 pour cent par rapport à l’année dernière. Dans un certain nombre de villes allemandes comme Gelsenkirchen, des coopératives de logement ont commencé à réserver de grands appartements pour des familles réfugiées et à les louer sciemment aux réfugiés syriens pour les aider à s’intégrer et à bénéficier du système d’aide sociale.

Autre exemple, sur près d’un million de réfugiés syriens au Liban, 200 000 se sont installés dans la région d’Akkar dans le Nord du pays, doublant ainsi la population d’une des régions les plus pauvres du Liban. Ici, le secteur agricole constitue une source majeure de revenue, employant un quart des travailleurs. Le PNUD et l’OIT ont soutenu la création et le développement de la coopérative Serres et pépinières, qui traite, fait pousser et vend des semences à un prix abordable dans la région. La coopérative bénéficie à 200 fermiers libanais et réfugiés syriens.

4) Les coopératives peuvent-elles aussi être utiles quad les réfugiés rentrent chez eux pour reconstruire leur pays?

Dans de nombreux pays, comme la Bosnie-Herzégovine, le Timor-Leste, El Salvador, le Guatemala, le Liban, l'ex-République yougoslave de Macédoine, le Mozambique, le Rwanda, le Sri Lanka et le Népal, les coopératives ont joué un rôle fondamental dans la reconstruction post-conflit en créant des emplois pour les minorités rapatriées et les anciens combattants, en reconstruisant des entreprises et des logements, en donnant aux réfugiés et aux personnes déplacées accès aux marchés, et en facilitant la réconciliation et la consolidation de la paix.

Au Sri Lanka, le Conseil mondial des coopératives de crédit (WOCCU) a travaillé avec des coopératives financières sri-lankaises pour élargir l’accès au financement pour les personnes vivant dans les zones rurales et affectées par les conflits. La Société des coopératives de développement des femmes du Sri Lanka, un réseau de plus de 120 entités appartenant à des femmes et gérées par elles, a bénéficié de ce soutien, sous la forme de prêts et d’assurances de groupe ou de services de santé et d’éducation.

Au Sri Lanka toujours, le projet de l’OIT d’autonomisation locale via le développement économique (LEED) est venu en aide aux victimes de 26 ans de guerre civile au Sri Lanka par l’intermédiaire des coopératives: les pêcheurs qui avaient perdu leur bateau ont repris la mer, les fermiers apprennent à obtenir de meilleurs rendements et les veuves de guerre gèrent des entreprises.


Conférence de recherche sur les coopératives et le monde du travail

L’Alliance internationale des coopératives (l’Alliance) et l’OIT organisent conjointement une Conférence internationale de recherche sur les coopératives et le monde du travail à Antalya, en Turquie, du 8 au 10 novembre 2015. Plus d’une centaine de chercheurs du monde entier vont discuter de la manière dont les coopératives peuvent contribuer à la création du travail décent. L’événement couvrira une multitude de sujets, tels que les coopératives et la législation du travail, les coopératives de travailleurs et les relations syndicales, l’égalité entre hommes et femmes et l’émancipation des femmes, l’innovation et la durabilité dans les entreprises coopératives.