Assurance sociale

Un outil intelligent pour prévenir le travail en servitude

Un jeune couple et leur nouveau-né sont les premiers bénéficiaires d’un système national d’assurance santé qui s’étend dorénavant aux migrants travaillant dans les briqueteries et menacés par le servage dans l’Etat indien d’Andhra Pradesh.

Reportage | 3 mai 2013
Ramesh et Sunita Satnami
ANDHRA PRADESH (OIT Info) – Sunita Satnami était enceinte de sept mois quand elle et son mari, Ramesh Satnami, sont arrivés dans l’Etat indien d’Andhra Pradesh pour travailler dans une briqueterie.

Les débouchés professionnels étant limités dans leur région d’origine, ils ont quitté leur village de l’Etat voisin d’Odisha après avoir obtenu de leur employeur une avance sur salaires de 39 000 roupies (710 dollars).

Ce prêt pouvait les enfermer dans un cycle de servitude pour dettes auquel il pourrait être difficile d’échapper.

Nous sommes très pauvres et j’étais persuadée que mon fils et moi allions mourir.»
Quand le travail a commencé, les médecins ont dit à Sunita Satnami qu’elle aurait besoin d’une césarienne – qui aurait pu leur coûter 50 000 roupies (910 $). Mais au lieu d’être obligés d’emprunter encore plus d’argent pour régler les frais d’hospitalisation, ils ont pu utiliser une «carte à puce» d’assurance santé pour payer la facture, grâce à un accord entre Etats, conclu avec le concours de l’Organisation internationale du Travail (OIT). La carte à puce est fournie par le ministère du travail dans le cadre du système national d'assurance santé "RSBY".*

«Nous sommes très pauvres et j’étais persuadée que mon fils et moi allions mourir. C’est un montant énorme. Heureusement que le gouvernement nous a donné la carte», raconte Sunita Satnami.

Bébé Rahul est arrivé sain et sauf. C’était la première fois que la carte à puce était utilisée par des travailleurs immigrés dans l’Andhra Pradesh pour accéder à des services de soins de santé primaires.


Le servage «moderne»


Le servage traditionnel – où des familles entières de paysans étaient socialement et économiquement dépendantes de leurs propriétaires au fil des générations – a été officiellement prohibé par la loi en Inde en 1976.

Toutefois, le système a évolué vers une forme de «servage moderne» à court terme, basé sur des transactions financières et touchant le plus souvent des travailleurs migrants pauvres effectuant des travaux saisonniers, à l’instar des Satnami.

Pendant la saison de repos, les travailleurs touchent des avances salariales de leurs employeurs qui leur permettent d’acquitter leurs factures. Quand la saison des pluies prend fin et que les briqueteries rouvrent, ils partent travailler dans les briqueteries pour rembourser leur dette, dans l’espoir qu’il leur restera un peu d’argent sur leur maigre salaire.

Les travailleurs sont une proie facile pour les exploiteurs: ils touchent une rémunération inférieure au salaire minimum, vivent et travaillent dans de mauvaises conditions et sont souvent victimes de violences. Parfois, ils sont encore endettés quand le travail se termine et qu’ils rentrent chez eux. Comme ils ont besoin de financer leurs soins médicaux, les frais de scolarité et leurs dépenses quotidiennes, ils se retrouvent piégés dans le cycle infernal de l’endettement.

Facteur aggravant leur vulnérabilité, les travailleurs migrants asservis comme les Satnami ont généralement du mal à accéder aux services de santé et d’aide sociale de base dans les Etats dans lesquels ils séjournent temporairement. Ils ne savent souvent pas à quels services ils ont droit, ni où s’adresser pour trouver de quoi les payer.

Vidéo- La lutte contre la servitude pour dette au Tamil Nadu

Dans l'état du Tamil Nadu en Inde, des milliers de personnes qui manquent désespérément d'argent reçoivent des avances pour travailler dans les nombreuses briqueteries de la région. Ce système fonctionnait assez bien autrefois pour les employeurs et les travailleurs, mais de nombreux travailleurs risquent de tomber dans la « servitude pour dette » car ils ne sont pas autorisés à quitter leur lieu de travail tant qu'ils n'ont pas remboursé complètement leur avance. La situation est en train de changer car l'OIT coopère avec le gouvernement et les employeurs et montre aux travailleurs comment reprendre le contrôle de leurs vies.


 


Une approche préventive


Le manque de protection sociale et la nécessité d’accéder au financement figurent parmi les principaux problèmes auxquels s’attèle le projet «Réduire la vulnérabilité face au servage en Inde grâce à la promotion du travail décent» – une initiative conjointe entre l’OIT et le ministère du Travail et de l’Emploi.

En adoptant une approche préventive, le but du projet est de faire évoluer les conditions qui perpétuent des situations assimilables au servage en favorisant le travail décent et en supprimant des éléments susceptibles d’instaurer un lien de servitude et de coercition entre employeur et travailleurs. Cela passe aussi par des mécanismes de coordination entre les différents Etats en faveur des travailleurs migrants, notamment pour l’amélioration de leurs lieux de travail, l’organisation et la syndicalisation des travailleurs, et leur affiliation à des dispositifs de sécurité sociale.

Dans ce cas, les Satnami ont bénéficié d’un protocole d’entente passé entre les Etats d’Andhra Pradesh et d’Odisha et le ministère du Travail et de l’Emploi, avec l’aide de l’OIT. Le système d’assurance santé avec carte à puce (désigné localement par le sigle RSBY) permet aux travailleurs migrants d’accéder à des services sans avoir à débourser d’espèces. Ils doivent seulement verser 30 roupies (0,54 $) pour obtenir la carte.

«Le dialogue social est une dimension essentielle de ce projet», affirme Tine Staermose, Directrice de l’Equipe d’appui technique au travail décent de l’OIT pour l’Asie du Sud.

Nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement et les partenaires sociaux pour améliorer les conditions de vie et de travail des employés.»
«Nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement et les partenaires sociaux pour améliorer les conditions de vie et de travail des employés. Le modèle est viable parce qu’il utilise les ressources disponibles localement pour briser le cycle de la servitude pour dettes, qu’il promeut les droits des travailleurs et leur donne accès à des systèmes et des services sociaux. Les résultats positifs enregistrés dans l’Andhra Pradesh et l’Odisha ont encouragé quatre nouveaux Etats à proposer et signer des protocoles similaires.»

Anil Swarup, Directeur général pour l’aide sociale aux travailleurs, souligne que le Protocole établit une feuille de route précise pour réduire la vulnérabilité des travailleurs à la servitude pour dettes.

«Le gouvernement reconnaît clairement la nécessité de s’attaquer au fléau de la servitude pour dettes et modifie actuellement ses structures institutionnelles afin de soutenir le changement en cours et de dupliquer ce module dans d’autres régions du pays. Les résultats ont jusqu’à présent été extrêmement encourageants.»

Sunita et Ramesh Satnami disent qu’ils ne veulent pas que Rahul travaille dans une briqueterie. Ils rêvent de l’envoyer dans une bonne école et espèrent qu’il pourra devenir fonctionnaire.

* Rashtriya Swasthya Bima Yojana (RSBY) permet à un maximum de 5 membres d'une même famille de bénéficier du tiers payant pour les traitements médicaux. Le système a été spécialement étendu pour les travailleurs migrants des briqueteries dans l'Andhra Pradesh.