Questions/réponses

Les inégalités d’accès aux services de santé en Europe

L’objectif d’une couverture de santé universelle occupe une place de choix sur l’agenda des pays de l’Europe au sens large, pourtant les plus vulnérables n’ont souvent pas accès aux services de santé, selon le Dr Xenia Scheil-Adlung, Coordinatrice de la politique de santé au sein du Département de la sécurité sociale du BIT. BIT en ligne s’est entretenu avec le Dr Scheil-Adlung qui vient de publier une étude consacrée à la situation dans la région qui regroupe l’Union européenne, la Communauté des Etats indépendants et l’Europe centrale et de l’Est.

Article | 6 octobre 2011

Qui sont les personnes vulnérables auxquelles vous faites référence?

Xenia Scheil-Adlung: Il s’agit essentiellement de personnes vivant dans la pauvreté, surtout les femmes en milieu rural, les Roms et les Sintis, ainsi que les personnes âgées. Les politiques n’ont pas suffisamment pris en compte les besoins de ces catégories qui sont confrontées à de graves lacunes en matière d’accès aux soins de santé en raison des déficits de protection sociale.

Vous écrivez que les carences de la couverture légale de santé figurent parmi les facteurs aggravant les inégalités. Que voulez-vous dire?

Xenia Scheil-Adlung: Les critères d’éligibilité à la protection sociale, y compris la protection de la maternité, incluent souvent les contrats de travail à plein temps ou la résidence. Les femmes, les Roms et les immigrés, qui rencontrent souvent des difficultés pour accéder au marché du travail, sont particulièrement désavantagés. En Bulgarie, par exemple, 46 pour cent des Roms n’ont aucune assurance maladie parce qu’ils ne remplissent pas les critères. En Grande-Bretagne, environ 47 pour cent de l’ensemble des migrants ne sont pas couverts par la sécurité sociale standard qui est fondée sur l’emploi.

Vous faites également allusion à des carences dans la protection financière. De quoi s’agit-il?

Xenia Scheil-Adlung: L’absence de protection financière contre les sommes non prises en charge peut considérablement limiter la possibilité d’accéder aux soins pour ces catégories fragiles. En Géorgie, par exemple, les frais qui restent à la charge des patients ne représentent pas moins de 74,7 pour cent du total des dépenses de santé. De telles inégalités dans la protection financière peuvent conduire à des dépenses de santé catastrophiques – des restes à charge qui dépasse 40 pour cent du revenu d’un ménage. En Europe, ces effets sont surtout observés chez les familles monoparentales dirigées par une femme, en cas d’accouchement difficile, et chez les personnes âgées.

Il existe probablement de nettes différences d’un pays à l’autre?

Xenia Scheil-Adlung: Oui et, dans de nombreux cas, il existe aussi des disparités géographiques au sein d’un pays donné. Dans la région, la présence de médecins en exercice varie de 459 pour 100 000 habitants en Autriche à 216 en Pologne. Les dépenses annuelles consacrées à la protection de la maternité varient de 31 109 dollars par bébé en Norvège à 24 dollars en Arménie. On constate aussi une démarcation claire entre villes et campagnes. En France, par exemple, on trouve 458 médecins pour 100 000 citadins contre seulement 122 pour 100 000 ruraux.

Ces disparités dans l’accès aux soins de santé persistent donc dans l’ensemble de la région, y compris dans les pays riches?

Xenia Scheil-Adlung: En effet. Même dans des pays comme l’Allemagne il existe des inégalités. Certaines zones rurales souffrent d’une pénurie dramatique de médecins, alors qu’ils sont nombreux dans des villes comme Munich ou Francfort. Les lacunes dans l’accès aux soins de santé peuvent aussi résulter de la portée limitée des prestations. En Belgique, au Danemark, en Grèce et au Portugal par exemple, les soins dentaires sont souvent exclus des forfaits de remboursement. L’exclusion de ces prestations se traduit par un reste à charge élevé et entrave l’accès effectif aux soins.

Que faut-il faire pour résoudre ces problèmes?

Xenia Scheil-Adlung: On doit tout d’abord comprendre que ces inégalités trouvent leur origine aussi bien dans des problèmes liés aux déficits de protection sociale qui doivent être comblés que dans l’environnement général où vivent ces catégories de population, à savoir la pauvreté, les difficultés d’accès à l’emploi et les failles de la couverture de sécurité sociale, par exemple dans le cas des personnes âgées, des chômeurs, de ceux qui ont un faible revenu ou qui n’en ont pas. Ainsi, la résolution de ces problèmes exige que l’on adopte une approche globale centrée sur l’extension de la couverture et l’accès réel aux soins de santé et que l’on s’attaque aux inégalités socioéconomiques en garantissant un ensemble minimum de droits sociaux pour tous – c’est l’approche du socle de protection sociale.

Addressing inequities in access to health care for vulnerable groups in countries of the European region (Faire face aux inégalités d’accès aux soins de santé pour les catégories vulnérables dans les pays de la région européenne), par Xenia Scheil-Adlung et Catharina Kuhl, Bureau international du Travail, Genève, 2011.