Maternité au travail

Questions et réponses sur la maternité au travail

La protection de la maternité est une préoccupation majeure de l’OIT depuis sa création en 1919, quand la première Conférence internationale du Travail adopta la première convention (n° 3) sur la protection de la maternité. A l'occasion de la publication d'un nouvel ouvrage du BIT sur la situation de la protection de la maternité dans le monde, interview avec Manuela Tomei, directrice du Programme sur les conditions d’emploi et de travail du BIT, sur les avancées, les défis et l’impact des crises actuelles de l’économie et de l’emploi en matière de protection de la maternité.

Article | 23 juin 2010

BIT en ligne: Le BIT avait publié un bilan de la protection de la maternité en 1994; comment résumeriez-vous les progrès accomplis depuis lors?

Manuela Tomei: La protection de la maternité a connu de remarquables progrès au cours des quinze dernières années, de même que la reconnaissance de l’importance que revêt la protection de la maternité, aussi bien pour l’égalité entre hommes et femmes au travail que pour la santé des nouveau-nés (OMD 4 et 5). Nous avons noté que l’ensemble des 167 pays suivis par la nouvelle «base de données sur la législation sur les conditions de travail et d’emploi» disposent d’une législation sur la protection de la maternité. Soixante-trois Etats Membres de l’OIT ont adopté au moins l’une des trois conventions de l’OIT sur la protection de la maternité et 30 pour cent respectent pleinement les dispositions de la convention n° 183, la plus récente. Nous avons remarqué une évolution vers l’allongement des périodes de congé pour la naissance de l’enfant. Alors qu’en 1994 38 pour cent des pays offraient au moins 14 semaines de congé maternité, ce nombre a grimpé à 48 pour cent en 2009. Les deux régions qui abritent le plus grand nombre de pays ayant augmenté la durée du congé maternité ces quinze dernières années sont les économies industrialisées et l’Union européenne et le Moyen-Orient.

BIT en ligne: Le BIT affirme qu’une femme en congé maternité doit percevoir une rémunération égale au moins aux deux tiers de sa rémunération précédente. La législation nationale satisfait-elle à cette exigence?

Manuela Tomei: Dans ce domaine aussi nous avons enregistré des tendances positives. Sur 167 pays, 97 pour cent offrent une indemnisation financière pendant le congé maternité et 42 pour cent garantissent au moins deux tiers du revenu précédent pendant 14 semaines. Ce qui est plus important, c’est la façon dont les pays financent ces prestations. Nous constatons l’abandon du système reposant entièrement sur la responsabilité des employeurs. En 2009, la moitié des pays ont financé ces indemnisations grâce à leur seul système de sécurité sociale ou grâce à des fonds publics qui soulagent les employeurs. Une proportion de 17 pour cent reposait sur un financement mixte assuré par les employeurs et la sécurité sociale, avec un quart (26 pour cent) du paiement des pays encore couvert par les seuls employeurs, sans appui public ni sécurité sociale. Ces changements sont encourageants parce qu’ils reflètent un progrès vers les dispositions légales préconisées par la convention n° 183 de l’OIT.

BIT en ligne: Qu’en est-il de la protection de la santé et de l’emploi pour les travailleuses enceintes et les jeunes mères?

Manuela Tomei: La sauvegarde de la santé des travailleuses enceintes et de leurs bébés et la protection contre la discrimination à l’embauche en raison de la maternité sont parties intégrantes de la protection de la maternité. Presque tous les pays pour lesquels nous disposons d’informations protègent les femmes qui travaillent contre le licenciement en période de grossesse ou pendant leur congé maternité. De nombreux pays ont également adopté des mesures juridiques pour préserver les femmes enceintes ou allaitantes des risques liés au travail, y compris en exigeant qu’une évaluation des risques soit pratiquée ou que les substances toxiques soient identifiées et proscrites. Si un risque substantiel existe sur le lieu de travail, la législation exige souvent des employeurs qu’ils prennent des mesures pour atténuer ces risques en affectant la femme concernée à d’autres tâches ou en lui permettant d’anticiper son congé.

BIT en ligne: Existe-t-il des approches novatrices pour améliorer la conciliation entre travail et responsabilités familiales tout en protégeant la maternité?

Manuela Tomei: Les politiques et les approches concernant l’équilibre travail-vie familiale diffèrent considérablement d’un pays à l’autre. Nous avons constaté que les dispositions concernant le congé paternel se multiplient de par le monde, avec au moins 49 pays qui proposent des politiques de congé parental ou paternel que les pères peuvent utiliser au moment de la naissance de leur enfant. Ce modèle politique qui reconnaît l’implication du père est un pas important vers l’égalité entre les sexes. En Norvège par exemple, les parents peuvent profiter d’un «compte temps» qui leur permet de prendre un congé parental à temps partiel combiné avec un temps de travail allégé pendant une période de deux ans maximum. En Mongolie, les mères et les pères célibataires ont droit à un congé rémunéré jusqu’aux trois ans de l’enfant et à des arrêts supplémentaires pour garder l’enfant ou l’allaiter. Les équipements de garde d’enfants – financés par des fonds publics ou subventionnés – sont également cruciaux pour mener de front sa carrière et ses responsabilités familiales. Près d’un tiers des pays de la base de données prévoient des dispositions concernant les équipements pour la petite enfance dans leur législation, tandis que d’autres pays comme le Chili et la France ont mis en place des modalités innovantes de soutien financier aux lieux de travail, avec l’introduction d’allocations de garde d’enfant, de bons et de crédits d’impôt pour les parents qui travaillent, comme pour les employeurs.

BIT en ligne: Quels sont les prochains défis dans le domaine de la protection de la maternité?

Manuela Tomei: Cette revue est une étude de la législation sur la protection de la maternité à travers le monde; elle ne nous indique pas si ces dispositions légales sont aussi mises en pratique. Il existe, néanmoins, un certain nombre de domaines et de pays où la protection de la maternité a besoin d’être renforcée. Sa portée – que ce soit en droit ou en pratique – demeure problématique. Dans certains pays, les femmes qui travaillent dans l’agriculture, le travail domestique ou à temps partiel sont toujours explicitement exclues de la couverture juridique et des allocations financières liées à la maternité. Pourtant, nous avons récemment constaté une évolution positive. Par exemple, dans au moins 54 pays, les travailleurs domestiques bénéficient de la législation sur le congé de maternité, notamment au Guatemala, qui a récemment étendu les services de sécurité sociale tels que les soins maternels et infantiles à ces travailleurs.

BIT en ligne: Le Conseil européen a maintenant adopté une directive obligatoire qui stipule que les Etats membres de l’UE doivent accorder au moins 14 semaines de congé maternité aux femmes qui travaillent à leur compte ou dont les conjoints sont des travailleurs indépendants. Comment appréciez-vous cette décision dans le contexte de la revue du BIT?

Manuela Tomei: La nouvelle directive de l’UE est conforme à un certain nombre de résolutions adoptées par la Conférence internationale du Travail qui plaident en faveur de l’extension de la protection de la maternité à toutes les femmes actives, avec un accent particulier sur les groupes vulnérables comme les femmes qui exercent à leur propre compte. Dans plusieurs Etats Membres de l’OIT, y compris l’Espagne, la Finlande, la Libye, le Portugal et la Suède, les femmes auto-employeurs sont déjà incluses dans le champ des prestations de maternité. Ces extensions ont un impact très positif sur la santé et la productivité de ces travailleuses.

BIT en ligne: La crise économique mondiale actuelle a-t-elle eu un impact sur la protection de la maternité?

Manuela Tomei: Les faits sont contrastés. Des pays comme l’Afrique du Sud, l’Australie, Bahreïn, l’Espagne, le Guatemala, le Koweït, l’Inde, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Malaisie, le Pérou et le Rwanda ont étendu leurs systèmes d’allocation maternelle et paternelle, même pendant la crise. A l’inverse, un certain nombre d’autres pays ont suspendu leurs réformes politiques ou réduit les conditions d’indemnisation financière. En outre, en se fondant sur les données concernant les précédentes crises et des faits plus récents, la discrimination au travail fondée sur la maternité semble être un sujet particulièrement préoccupant. C’est clairement une menace pour la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement et du Pacte mondial pour l’emploi qui plaide pour de meilleurs systèmes de protection sociale et pour l’égalité entre hommes et femmes. L’action stratégique est cruciale pour faire de la protection de la maternité une réalité pour toutes les travailleuses.