«Travailler en Russie»: une étape vers le travail décent pour les travailleurs migrants

Selon le Rapport global 2011 du BIT sur les discriminations, les travailleurs migrants sont victimes de discriminations au quotidien. Alors que beaucoup d’entre eux étaient déjà menacés par toutes sortes d’abus, ils ont aussi été les premières victimes de la crise économique et financière, affirme le rapport. Reportage de BIT en ligne depuis la Fédération de Russie qui est, depuis les début des années 1990, le plus grand pays d’accueil, d’origine et de transit pour les travailleurs immigrés d’Europe de l’Est et d’Asie centrale.

Article | 16 mai 2011

MOSCOU (BIT en ligne) – Il était minuit quand le téléphone portable de Tursunoi Alimardonova sonna. Le numéro qui s’affichait lui était inconnu mais elle décida tout de même de répondre.

Un homme était au bout du fil. Il disait, presque en criant: «Douze personnes d’Ouzbékistan, du Tadjikistan et d’Azerbaïdjan! Ils prennent leurs passeports, ils menacent de les tuer! Aidez-nous s’il vous plaît!»

En travaillant pour le Syndicat des travailleurs migrants, Tursunoi a pris l’habitude de ces appels d’urgence. Elle a très vite découvert ce qui s’était passé: un groupe d’immigrés avait cru les fallacieuses promesses d’une recruteuse et était arrivé au Daghestan, dans le Sud de la Russie.

Dès leur arrivée, leurs papiers leur ont été confisqués et ils ont dû travailler dans une ferme, dans des conditions assimilables à l’esclavage. Ils vivaient en permanence sous la menace d’être dénoncés aux autorités et ne percevaient aucune rémunération pour leur travail.

Par miracle, l’un d’eux a réussi à envoyer un SMS à un parent … l’homme qui a appelé Tursunoi.

Elle a immédiatement alerté le ministère russe de l’Intérieur et les consulats de leurs trois pays d’origine. De ce fait, tous les migrants ont été secourus et le recruteur illégal a été arrêté.

Le Syndicat des travailleurs migrants1 est un partenaire du projet de l’OIT financé par l’Union européenne et intitulé Renforcer la protection des travailleurs migrants dans la Fédération de Russie et Améliorer l’impact des migrations sur le développement en Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie. Le projet vise à garantir que les travailleurs qui émigrent vers la Russie et leurs pays d’origine reçoivent des informations sur les règles et procédures d’admission, connaissent leurs droits et puissent avoir accès aux syndicats.

Un manque d’information et de représentation

«Le facteur qui sous-tend l’exploitation et la discrimination des travailleurs migrants est le manque d’information en ce qui concerne leurs droits et les risques potentiels dans les pays de destination», explique Sandra Vermuijten, conseillère technique en chef du projet de l’OIT.

Selon le Rapport global du BIT, cela se traduit par de faibles rémunérations, un accès limité voire inexistant aux prestations de sécurité sociale, de lourds horaires de travail, des conditions de travail insalubres, des heures supplémentaires non payées, du harcèlement, entre autres. La récente crise économique, comme le souligne le rapport, n’a fait qu’aggraver des conditions de travail déjà misérables et réduire les possibilités d’emploi et de migration.

De plus, dans de nombreux pays, y compris la Fédération de Russie, les actes de violence et les attitudes xénophobes ont augmenté. Le rapport avertit que la méconnaissance par les immigrés de leurs droits et des moyens légaux de réparation en cas de discrimination fait souvent obstacle à toute tentative d’élimination des discriminations.

«En Russie, les migrants sont confrontés à des discriminations chaque jour, et les risques se multiplient quand des employeurs peu scrupuleux s’entendent avec des policiers corrompus. Un travailleur immigré isolé n’a pratiquement aucune chance de se défendre en cas de discrimination ou d’abus», explique Tursunoi. «Aujourd’hui, de plus en plus de migrants réalisent que les syndicats sont un moyen puissant de défendre leurs intérêts.»

Le Syndicat des travailleurs migrants met en œuvre ses programmes d’information et d’éducation dans le cadre du projet de l’OIT. Sa publication la plus récente est une série de brochures d’information parues sous le titre commun «Travailler en Russie». Ce qui fait la fierté du projet, c’est une brochure de la série réalisée sous forme de bande dessinée2.

La brochure présente les règles compliquées d’immigration et d’enregistrement d’une manière très simple et facile d’utilisation, elle est devenue immédiatement très populaire parmi les migrants.

«Il est important de noter que ces brochures ont été élaborées en collaboration avec le Service fédéral des migrations (SFM) de Russie et la FITUR (Fédération des syndicats indépendants de Russie). Le SFM a déjà distribué une grande partie de ces brochures dans ses bureaux à travers toute la Russie», précise Sandra Vermuijten.

«La Russie est confrontée à un défi démographique et économique en raison du déclin de sa population économiquement active. Les hausses de la productivité du travail ne suffisent pas à combler la perte de main-d’œuvre chaque année. Le pays a besoin de travailleurs immigrés. Cependant, nous devons nous assurer qu’ils pourront trouver un travail décent et qu’ils ne feront pas l’objet de discrimination. La bonne réponse ici suppose d’allier législation et sensibilisation et, avant tout, de donner une représentation aux immigrés par l’action volontaire des partenaires sociaux», conclut Sergeyus Glovackas, spécialiste principal des activités pour les travailleurs au sein de l’Equipe d’appui technique au travail décent et du Bureau de pays de l’OIT pour l’Europe orientale et l’Asie centrale.

1 Son intitulé intégral est «Syndicat des travailleurs migrants dans le bâtiment, les services communaux et secteurs connexes». Cette organisation non gouvernementale a pour but de protéger les droits des travailleurs migrants et d’informer les immigrés sur le travail légal en Russie. Elle n’est affiliée à aucune organisation syndicale mais elle a établi des relations avec la Fédération des syndicats indépendants de Russie et avec d’autres syndicats nationaux.

2 /public/russian/region/eurpro/moscow/info/publ/workingin_russia.pdf (en russe).