Le VIH/sida et le monde du travail

Questions et réponses sur le projet de recommandation sur le VIH/sida et le monde du travail

La Conférence internationale du Travail de cette année accueillera la seconde et dernière discussion sur l’élaboration d’une norme du travail sur le VIH/sida et le monde du travail. Si elle est adoptée, la recommandation sera le premier instrument international des droits de l’homme sur le sida au travail. BIT en ligne s’est entretenu avec la directrice de l’OIT/sida, le Dr Sophia Kisting au sujet de cette recommandation.

Article | 2 juin 2010

BIT en ligne: C’est la «seconde discussion» sur le projet de nouvelle norme internationale. Pourquoi faut-il deux discussions?

Sophia Kisting: Quand le Conseil d’administration du BIT a décidé en 2007 d’inscrire le débat sur une nouvelle norme internationale sur le VIH/sida et le monde du travail à l’ordre du jour de la CIT de 2009, il a demandé que cela se fasse selon la procédure de la double-discussion. La procédure d’action normative de l’OIT exige que tous les projets de recommandation et de convention fassent l’objet de délibérations pendant deux ans. La première phase de discussion aborde la question sous un angle général et la seconde travaille sur le texte effectivement proposé. Cette période de deux ans permet d’accorder suffisamment de temps aux gouvernements et aux organisations d’employeurs et de travailleurs qui constituent l’OIT pour prendre des engagements et dialoguer.

BIT en ligne: Existe-t-il une quelconque différence entre le texte discuté l’an dernier et le projet de cette année?

Sophia Kisting: Les réunions qui ont eu lieu l’an dernier et le dialogue qui s’en est suivi ont permis d’affiner le texte. Si ses objectifs demeurent inchangés, il est maintenant beaucoup plus court et plus concis. Plus de 300 amendements au texte ont été discutés à la Conférence de l’an dernier mais, grâce au processus de dialogue, nos mandants sont parvenus à un consensus sur la plupart des thèmes. Bien sûr, il est toujours possible de soumettre de nouveaux amendements pendant la discussion de cette année avant qu’une décision d’adoption ne soit prise.

BIT en ligne: L’OIT dispose déjà d’un Recueil de directives pratiques sur le VIH/sida et le lieu de travail. En quoi une recommandation serait-elle différente? Aura-t-elle autant de poids qu’une convention?

Sophia Kisting: Le Recueil de directives pratiques adopté en 2001 est un ensemble de principes qui a bénéficié d’un grand nombre de soutiens parmi les Etats Membres de l’OIT, ainsi que de la part des agences de l’ONU et de nombreuses organisations, aussi bien à l’intérieur qu’en dehors du système onusien. Personne ne songe à changer le Recueil mais nous nous sommes rendu compte qu’il peut y avoir une application partielle de ses dix principes et qu’une nouvelle recommandation permettrait de renforcer le Recueil et d’harmoniser davantage nos programmes sur les lieux de travail. Si elle est adoptée, cette recommandation sera le premier instrument international des droits de l’homme explicitement consacré au VIH/sida.

La recommandation est l’une des deux catégories de normes du travail que l’OIT peut adopter. Elle se distingue de la convention en ce qu’elle n’exige pas de ratification; aux termes de l’Article 19 de la Constitution de l’OIT, une recommandation doit quand même être communiquée aux parlements nationaux pour que soit débattue son application au moyen de politiques et de législations nationales. Pour l’OIT, cet engagement des gouvernements et des organisations de travailleurs et d’employeurs dans l’élaboration de politiques nationales tripartites sur le VIH/sida en milieu de travail est le principal résultat escompté de la nouvelle recommandation.

BIT en ligne: Comment l’application de la recommandation sera-t-elle suivie et quel sera le rôle des organes de contrôle de l’OIT qui scrutent régulièrement le respect des conventions de l’OIT?

Sophia Kisting: Dans ce cas, il n’y a pas la même obligation de rendre périodiquement compte qu’avec une convention ratifiée. Cependant, la Conférence internationale du Travail peut décider de prendre une résolution pour discuter d’un mécanisme de suivi si la recommandation est adoptée.

Le Bureau de l’OIT dispose d’autres possibilités pour élaborer, avec nos mandants tripartites, un plan de travail pour mettre en vigueur la recommandation. C’est une voie que le Bureau est susceptible d’emprunter, qu’une résolution ait été prise ou non, et nous pensons pouvoir disposer d’un plan qui offrira un cadre propice au contrôle et au suivi nécessaires.

BIT en ligne: Si elle est adoptée, comment une telle recommandation contribuera-t-elle à la réalisation de l’objectif de l’ONU d’accès universel au traitement, à la prévention, au soutien et à la prise en charge du VIH/sida?

Sophia Kisting: La pandémie mondiale continue d’évoluer et de planer au-dessus de nous. Dans certaines régions, c’est déjà une profonde tragédie humaine, dans d’autres régions, c’est une crise naissante et, ailleurs encore, là où la prévalence est faible, les nouvelles contaminations progressent lentement. Les débats sur la recommandation ont déjà focalisé l’attention sur la façon dont le lieu de travail et le monde du travail peuvent être davantage mis à contribution pour prévenir le VIH et sur le fait que d’avoir un emploi peut vraiment contribuer à réduire la propagation et la vulnérabilité au VIH. C’est encore plus vrai en période de crise économique et sociale: les lieux de travail offrent de bons points d’entrée pour des programmes de prévention durable ciblés et rentables. Nous avons maintenant l’occasion avec ce projet de recommandation de donner plus de visibilité au VIH/sida et au monde du travail, de nouer des partenariats plus solides et de renforcer les engagements vis-à-vis de l’objectif de l’ONU.

L’OIT travaille déjà en collaboration avec neuf autres agences de l’ONU comme coparrainants de l’ONUSIDA; à travers cette recommandation, nous pouvons renforcer nos partenariats pour étendre la portée de la prévention et l’accès au traitement, à la prise en charge et au soutien. Une agence seule ne serait pas en mesure de le faire. Si nous collaborons efficacement, en incluant les réseaux de personnes vivant avec le VIH, nous pouvons nous mobiliser en urgence pour prévenir les naissances d’enfants porteurs du VIH, pour éviter la contamination nouvelle d’hommes et de femmes, et pour protéger les travailleurs des secteurs particulièrement exposés. Le projet de recommandation a le potentiel de faire bouger les choses.

BIT en ligne: Nous savons que les personnes séropositives sont fréquemment l’objet de pratiques discriminatoires et de violations des droits de l’homme. Quelle sera l’influence de la recommandation sur leur vie?

Sophia Kisting: L’une des principales raisons qui ont poussé le Conseil d’administration à proposer une nouvelle recommandation, c’est que nos mandants voulaient trouver le moyen de faire face à la stigmatisation et à la discrimination. A ce jour, ces attitudes sont toujours synonymes de suppressions d’emplois, de difficultés d’accès à l’embauche; elles engendrent la peur et le recours tardif au test de dépistage VIH qui est potentiellement fatal. Grâce à un instrument international des droits de l’homme tel que ce projet de recommandation, nous pouvons nous attaquer en toute confiance à la stigmatisation et la discrimination, garantir que chacun aura accès à des conseils et à un dépistage volontaire, et pourra bénéficier d’un traitement dans des délais raisonnables; ainsi, nous pourrons sauver des entreprises et, au final, des vies.