Le travail forcé au Brésil: 120 ans après l'abolition de l'esclavage, le combat continue

Le 13 mai 1888, le Brésil fut la dernière nation de l’hémisphère occidental à abolir formellement l’esclavage. Cent vingt ans plus tard, on estime que 25 à 40 000 travailleurs sont encore victimes de conditions proches de l’esclavage dans ce pays d’Amérique du Sud. Le problème est particulièrement grave dans les Etats agricoles du Nord où, en raison de la pauvreté endémique et de distances interminables, il est très difficile de détecter les violations. Cependant, grâce aux conseils de l’OIT et à l’aide des employeurs, le gouvernement brésilien prend progressivement le contrôle de la situation. Reportage de BIT en ligne depuis le Brésil.

Article | 13 mai 2008

MARANHAO (BIT en ligne) – Natanael Pereira Laurentino, un travailleur agricole âgé de 29 ans de l’Etat de Maranhão, dans le Nord du Brésil, était sans emploi et vivait avec son père lorsqu’un jour il a entendu à la radio une offre d’emploi pour l’Etat voisin de Piaui.

Lassé d’être un fardeau financier pour son père, il a posé sa candidature pour le poste et a été engagé. Quelques jours plus tard, il a pris place à bord d’un bus en compagnie d’autres travailleurs qui espéraient trouver un emploi décent à leur arrivée.

«Les problèmes ont aussitôt commencé. Il nous a fallu trois jours pour arriver à la propriété qui se trouvait à une centaine de kilomètres de la ville la plus proche. Nous n’avions presque rien à manger et avons dû dormir sur l’autoroute», se souvient Natanael.

Dès qu’ils furent arrivés, les patrons ont ramassé leurs cartes de travail (un document qu’au Brésil tout travailleur doit présenter quand il commence un nouvel emploi) et ont apposé le tampon «annulé» dessus.

Natanael a été chargé de nettoyer des parcelles avec une tronçonneuse et sans équipement de protection d’aucune sorte. Quand il a demandé sa paie, il lui a été répondu «plus tard».

L’histoire de Natanael n’est pas unique. Entre 25 et 40 000 travailleurs pauvres seraient encore victimes du travail forcé ou de la traite au Brésil. Les Etats agricoles du Nord, tels que Piaui, Maranhão, Para et le Mato Grosso, sont ceux qui posent le plus de problèmes.

Après deux mois de travail harassant, et non payé, Natanael et deux autres collègues ont tout simplement arrêté de travailler. L’homme qui les avait embauchés – qui est connu au Brésil comme le «gato», c’est-à-dire le chat, en raison de la curieuse manière dont il se déplace – les a emmenés dans la ville la plus proche et leur a dit d’attendre pendant qu’il allait chercher leur argent. Ils n’ont jamais revu le «chat».

Natanael figure parmi les plus chanceux. D’autres travailleurs n’ont jamais eu l’occasion de partir ou, s’ils l’ont fait, ils sont parfois tombés entre les mains d’autres «chats», sans argent et démunis qu’ils étaient, à des centaines de kilomètres de chez eux.

Le Brésil a pris ce problème très au sérieux et d’autres pays d’Amérique latine tels que la Bolivie, le Pérou et le Paraguay ont suivi son exemple, bien déterminés à mettre fin à ce fléau.

Le gouvernement a mis en place un Groupe spécial d’inspection mobile (Grupo Especial de Fiscalização Móvil) qui se compose d’inspecteurs du travail, de policiers fédéraux et de procureurs du droit du travail. Au cours des 14 années écoulées, le Groupe a sauvé environ 30 000 travailleurs de conditions d’exploitation par le travail.

En reconnaissance des efforts déployés par le Brésil, et dans le but de garantir les conventions no 29 et no 105 et la Déclaration de l’OIT sur les principes et les droits fondamentaux au travail, le BIT et le gouvernement brésilien ont lancé en 2002 un projet de coopération technique intitulé «Combattre le travail forcé au Brésil».

Le projet soutient les efforts nationaux, y compris les équipes d’inspection mobile du gouvernement; il est de même à l’origine d’activités de sensibilisation et de prévention. Il s’attaque aussi à une autre question cruciale: que faire de ces travailleurs une fois libérés.

Dans cette perspective, l’une des initiatives les plus réussies fut l’Instituto Carvao Cidadao ou Institut du charbon des citoyens (ICC), créé par 14 entreprises pour superviser les producteurs de charbon dans le Nord du Brésil et pour éliminer le travail forcé dans l’industrie de l’acier.

L’ICC, avec le soutien de l’OIT et de l’Agence de coopération technique allemande GTZ, a mené un programme pour réhabiliter les travailleurs rescapés. Il leur offre tout d’abord une formation professionnelle et leur trouve ensuite un emploi.

L’année dernière, Natanael ainsi que 104 autres rescapés ont rejoint l’ICC et se sont vus offrir des emplois chez des fabricants d’acier dans les Etats de Para et de Maranhão, bien que pour des raisons personnelles Natanael ait finalement décidé de tenter sa chance dans un autre Etat.

L’idée n’est pas seulement d’éliminer le travail forcé dans les secteurs où il est présent mais de l’éradiquer dans l’ensemble des chaînes de production.

En ce sens, toujours avec l’assistance de l’OIT, les autorités brésiliennes ont lancé un Pacte national contre le travail forcé, auquel près de 200 entreprises publiques et privées ont déjà adhéré depuis 2005.

Le Pacte les a obligées à retirer de leurs chaînes de production tous les produits issus du travail forcé. Une part significative du PNB du Brésil est engagée dans cette lutte, maintenant que Petrobrás, Vale do Rio Doce, Pão de Açúcar, parmi d’autres géants industriels brésiliens ont signé ce pacte.

Tous les six mois, le ministère du Travail publie également une «liste noire» avec le nom des sociétés et des employeurs qui ont été compromis dans le travail forcé. En 2003, les victimes qui avaient échappé au travail forcé recevaient automatiquement trois mois d’indemnités chômage, et à partir de décembre 2005 ceux qui ont des enfants sont également éligibles aux allocations du programme «Tous les enfants à l’école» (Bolsa familia).

«Le défi est aujourd’hui de mettre en place un système de surveillance du Pacte national. Cela apportera davantage de transparence et favorisera une meilleure articulation avec l’action des employeurs contre le travail forcé», a déclaré Andrea Bolzon, Directeur du projet de l’OIT de lutte contre le travail forcé au Brésil.

La loi qui a aboli l’esclavage au Brésil il y a 120 ans, surnommée la «Loi d’or», ne comptait que deux articles. Le premier prohibait toute forme d’esclavage, le second disposait que toute disposition prise en sens contraire était illégale.

La concision de la loi avait un objectif: aucune condition préalable n’est posée à la libération des esclaves. En dépit d’importants efforts consentis par le gouvernement brésilien, 120 ans plus tard, certaines personnes n’ont toujours pas obtenu leur liberté.

Le travail forcé est un problème mondial qui touche pratiquement tous les pays du monde. Il peut revêtir diverses formes, y compris la servitude pour dette, la traite et d’autres formes modernes d’esclavage. Aujourd’hui, au moins 12,3 millions de personnes sont victimes du travail forcé. La plupart de ces victimes sont des personnes frappées par la pauvreté en Afrique, en Asie et en Amérique latine dont la vulnérabilité est exploitée par d’autres pour faire du profit. Cependant, plus de 350 000 hommes et femmes travaillent aussi sous la contrainte dans les pays industrialisés, victimes d’exploitation économique ou sexuelle. Avec de la volonté politique, le travail forcé peut être éradiqué. Pour y parvenir, l’OIT promeut une Alliance mondiale avec des agences partenaires qui mettent leurs efforts en commun pour balayer de la surface de la terre tout travail forcé d’ici à 2015. Une avancée significative dans cette direction a été réalisée lors du récent Forum des Nations Unies contre la traite humaine à Vienne; les organisations de travailleurs et d’employeurs y figuraient parmi les 1 200 représentants de haut niveau venus du monde entier qui ont trouvé un accord sur la nécessité d’intensifier l’action internationale contre la traite et le travail forcé.