Dixième Réunion régionale en Afrique

Travail décent pour le développement en Afrique: des signes d'espoir.

Article | 17 novembre 2003

La moitié de la population du continent africain, soit plus de 300 millions de personnes, vit dans une extrême pauvreté avec l'équivalent d'un dollar ou moins par jour, un niveau de dénuement et un fossé entre riches et pauvres sans égal dans le monde. Les options stratégiques à prendre pour réduire cette pauvreté et combler le fossé par un programme de développement fondé sur la création d'emplois seront au centre des délibérations de la Xe Conférence régionale africaine de l'Organisation internationale du Travail (OIT), qui se tiendra du 2 au 5 décembre à Addis-Abeba. Quels sont les problèmes-clés auxquels l'Afrique est aujourd'hui confrontée et que peut-il être fait pour les résoudre?

Traduire dans les faits le principe du travail décent agite l'Afrique actuelle. Le continent porte un énorme fardeau de pauvreté et doit se battre contre les barrières imposées par un système injuste découlant des pratiques économiques internationales, tout en relevant l'immense défi posé par la création d'emplois et la réduction de la pauvreté.

Des signes d'espoir existent pourtant.Les pays africains sont engagés dans un nouveau processus dynamique de développement fondé sur leurs propres efforts, déployés collectivement. Les projets d'inspiration communautaire sont en voie d'améliorer la qualification de la main-d'œuvre, de donner naissance à de petites entreprises, d'étendre la microassurance et la microfinance, d'éliminer le travail des enfants et de mettre un terme aux diverses formes de la discrimination, y compris celle entre hommes et femmes. Le nombre de ratifications des huit conventions fondamentales de l'OIT est remarquablement élevé. Et dans le secteur de la manufacture, par exemple, on relève un recul des pratiques discriminatoires qui tenaient les femmes à l'écart des lieux de travail.

«Les mandants tripartites de l'OIT en Afrique se réunissent alors que les nations du continent mettent en place des institutions qui devraient enclencher un processus dynamique de développement basé sur leurs efforts collectifs» déclare le Directeur général du BIT Juan Somavia dans un rapport préparé pour ces assises et intitulé «Travail décent au service du développement de l'Afrique» 1.«Nous devons nous assurer, ajoute-t-il, qu'un pas décisif est fait dans la lutte que mène l'Afrique pour prendre en main sa destinée, exploiter pleinement son potentiel humain et ses ressources naturelles et échapper au piège d'une pauvreté débilitante qui touche une large partie de la population.»


Le lancement de l'Union africaine (UA) en 2002 et le «Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique» (NEPAD) en 2001 s'inscrivent dans cette nouvelle dynamique. Le rapport du BIT relève que la décision des chefs d'Etat et de gouvernement de l'UA, tenue en juillet à Maputo, de tenir un Sommet extraordinaire sur l'emploi et la réduction de la pauvreté en Afrique, en 2004, au Burkina Faso, porte en elle l'espoir d'associer les nouvelles initiatives régionales à l'expérience quotidienne des travailleurs du continent.

Employeurs, travailleurs et ministres du Travail africains, qui se retrouveront à Addis-Abeba pour la Xe Conférence régionale, connaissent mieux que quiconque les défis que représente l'œuvre à accomplir pour offrir à tous, hommes et femmes, un travail productif et un revenu décent. A quelle situation font-ils face aujourd'hui?

Tirer parti du rapport du Directeur général «S'affranchir de la pauvreté par le travail»

Le rapport du Directeur général «S'affranchir de la pauvreté par le travail» se fonde sur trois points essentiels:

•  Le pauvre ne crée pas la pauvreté. Celle-ci résulte d'erreurs structurelles et de systèmes économiques et sociaux inefficaces. Elle est le produit de réponses politiques inadéquates, d'un manque total d'imagination politique et d'un soutien international insuffisant.

•  La pauvreté coûte cher. Elle freine la croissance, alimente l'instabilité et empêche les pays pauvres de progresser sur la voie d'un développement durable.

•  Il existe une autre face de la pauvreté. Ceux qui vivent dans des conditions matérielles précaires témoignent d'énormes réserves de courage, d'ingéniosité, d'endurance et d'un sens de l'entraide mutuelle pour assurer leur survie. Faire face à la pauvreté met en évidence le capital de résistance et de créativité de l'esprit humain. Sous maints aspects, les travailleurs pauvres sont les meilleurs entrepreneurs.

Eradiquer la pauvreté est le défi social majeur auquel nous faisons face aujourd'hui, mais c'est aussi la meilleure occasion à saisir au plan économique. Employeurs, travailleurs, ministres du Travail et responsables d'entités communautaires ont une conscience aigüe de l'ampleur de la tâche à entreprendre pour assurer à tous, hommes et femmes, un travail productif et un niveau de vie décent.

Image de la pauvreté dans l'Afrique d'aujourd'hui

Contrastant avec la situation dans d'autres parties du monde, le niveau de la pauvreté en Afrique est élevé et s'accroît. Près de la moitié de la population du continent, soit quelque 300 millions de personnes, vit avec un dollar ou moins par jour. Le pourcentage de gens pauvres dans l'Afrique subsaharienne est près du double de la moyenne mondiale, qui est de l'ordre de 24 pour cent. Dans la partie nord de l'Afrique, 2,8 pour cent de la population, environ 6 millions de personnes, ne disposent même pas de ce minimum quotidien (un dollar ou moins).

Le chômage dans le secteur formel est en augmentation: de 13,7 pour cent en 2000 à 14,4 pour cent en 2002. Ce secteur s'est révélé impuissant, pendant une longue période, à créer des emplois durables, et le problème va prendre une nouvelle ampleur compte tenu du fait que la main-d'œuvre régionale devrait doubler dans les 25 prochaines années, alors qu'elle représente aujourd'hui 34 pour cent de la population. L'Afrique subsaharienne est la deuxième région au monde pour la rapidité de croissance de sa main-d'œuvre (2,6 pour cent par an en moyenne). Cet état de fait donne un relief particulier aux problèmes posés par la sécurité au travail pour les bas salaires, les mauvaises conditions de travail et autres questions de cet ordre.

Le rapport du BIT souligne que «le chômage est un sérieux problème dans la plupart des pays africains» et ajoute: «Il y a également lieu de relever, et cela est tout aussi inquiétant sinon plus, les conséquences du sous-emploi que sont la faible productivité et l'insuffisance des revenus. La pauvreté dans la plupart des communautés du continent résulte moins du chômage que de l'impossibilité de retirer du travail des revenus décents. Cela est particulièrement le cas dans l'économie informelle, le secteur agricole et les économies rurales.»

Le rapport souligne également que l'on ne peut mésestimer l'intérêt qu'il y a à développer une activité productive dans les zones rurales et met en garde contre la propension à négliger l'emploi rural et les initiatives du marché du travail et à se concentrer, exclusivement et à la hâte, sur les seules activités urbaines.

La pauvreté rurale frappe particulièrement femmes et jeunes filles, qui sont en majorité employées dans le secteur agricole. Même si, à l'évidence, les femmes sont une large composante de la force de travail dans l'Afrique subsaharienne – de fait, plus importante que la moyenne mondiale – la main-d'œuvre féminine est fréquemment la moins bien payée, la moins qualifiée et la plus exposée à la précarité de l'emploi. Qui plus est, en dépit de la part accrue prise par les femmes dans les emplois salariés du secteur non-agricole au sud du Sahara – 18,9 pour cent en 1990 contre 28,6 pour cent en 2001– (ces taux sont plus bas dans le nord de l'Afrique), la discrimination fort enracinée à leur égard reste un frein à la croissance et au développement. Dans l'ensemble de la région, les hommes occupaient, jusqu'à récemment, plus de 80 pour cent des emplois.

Le chômage des jeunes est une autre source de préoccupation. Il est très élevé, atteignant près de 80 pour cent des chômeurs dans certains pays ; pour les jeunes femmes, le chômage persiste à un niveau supérieur partout. Dans les pays qui disposent de statistiques, on estime que seuls 5 à 10 pour cent de ceux qui arrivent sur le marché du travail peuvent intégrer l'économie formelle, la majeure partie des nouveaux emplois étant générée par l'économie informelle. Au total, près de 55 pour cent de la population africaine ont moins de 18 ans.

L'épidémie de SIDA est sans nul doute l'un des plus sérieux problèmes auxquels sont confrontés, aujourd'hui, ceux qui, en Afrique, conçoivent les politiques à suivre. Dans certains pays, la masse de main-d'œuvre accuse un inquiétant déclin. En Afrique du Sud, le taux de la main-d'œuvre masculine est tombé de 79,1 pour cent en 1995 à 63,3 pour cent en 2002. Au Lesotho, il a passé de 85,2 pour cent en 1995 à 69,2 pour cent en 1997, et au Botswana de 83,5 pour cent en 1995 à 60,1 pour cent en 1999. Si ces tendances se prolongent et s'accentuent, les chances de voir diminuer la pauvreté s'amenuisent considérablement.

A la recherche de solutions

Réduire de moitié la pauvreté dans le monde d'ici à 2015, comme le prévoient les Objectifs de développement du Millénaire, suppose que les économies africaines croissent de 7 pour cent par an, près du double du taux actuel. Selon la Commission économique de l'ONU pour l'Afrique, le taux de croissance devrait passer de 3,2 pour cent en 2002 à environ 4,2 pour cent en 2003. Il sera cependant très difficile, exception faite d'une poignée de pays, de réduire le chômage déclaré, le sous-emploi et la pauvreté sans une amélioration sensible des perspectives de croissance.

«Même si la pauvreté a de nombreuses facettes, c'est la difficulté à percevoir un revenu qui est, essentiellement, à l'origine de la misère d'un foyer et de l'inégalité», indique le rapport du BIT, qui relève que des millions d'Africains sont «pris au piège de la pauvreté», dépensant jusqu'à 70 pour cent de leurs revenus pour s'assurer les produits de première nécessité, c'est-à-dire la nourriture.

En réponse, certaines décisions politiques récentes, comme la création de l'Union africaine et le NEPAD, auxquels s'ajoutent certaines initiatives mondiales, ont pavé la voie à une réorientation des stratégies de développement, mettant un accent particulier sur l'emploi productif et le travail décent.

«Ensemble, nous devons amplifier le soutien à notre prémisse de base qui fait du travail décent une issue à la pauvreté, souligne le rapport du BIT. Dans le courant de l'an prochain, l'OIT et ses composantes tripartites auront l'occasion d'aider à la préparation du Sommet extraordinaire des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union africaine sur l'emploi et la réduction de la pauvreté.»

«Les partenaires sociaux africains et les gouvernements devront faire de l'emploi un thème prioritaire de leur ordre du jour sur le développement, ajoute le rapport. Dans la lutte contre la pauvreté, ils devront prendre un engagement à long terme pour favoriser les initiatives communes à tous les niveaux tendant à accroître la productivité. Il faudra poser les fondations d'une œuvre associant le travail décent aux stratégies imaginées pour réduire la pauvreté, et c'est là une tâche urgente. Au titre des priorités figurent l'employabilité, l'esprit d'entreprise, l'égalité des chances et la création d'emplois, et cela peut être réalisé par le biais de consultations participatives sur l'élaboration des politiques de développement national.»

Des progrès sur quatre principaux objectifs permettront de rompre le cycle de la pauvreté:

•  Mettre fin à la discrimination et à l'exclusion sociale qui marginalisent des millions de familles africaines et paralysent le développement économique.

•  Accroître la productivité et gagner en puissance de travail dans les exploitations agricoles et les petites entreprises, qui sont au cœur du système de production en Afrique.

•  S'unir pour obtenir un meilleur traitement pour le continent dans le système commercial et financier mondial.

•  Renforcer les mécanismes de dialogue social, de représentation et de responsabilité sur les lieux de travail, au niveau national et dans les structures naissantes de coopération régionale pour le développement.

«L'emploi est au cœur du mandat de l'OIT, indique M. Somavia. Dans toutes les économies, le marché du travail reste le premier point d'accès pour s'assurer un revenu. L'emploi sous la forme de postes de travail, plus nombreux et offrant de bonnes conditions, c'est-à-dire le travail décent, devra être partie intégrante de toute stratégie de développement en Afrique.»


1 «Le travail décent au service du développement de l'Afrique», Xe Réunion régionale africaine, Addis-Abeba, décembre 2003, Rapport du Directeur général, ISBN 92-2-214841-X.