Rêves brisés, potentiel perdu: les coûts du travail domestique des enfants

Elles sont la face cachée du travail des enfants. En Amérique latine, près de deux millions de fillettes sont des travailleuses domestiques. A l'instar des millions d'autres enfants qui travaillent en dehors de la maison familiale - souvent dans des conditions abusives et relevant de l'exploitation - elles forment un groupe très important; elles sont cachées derrière des portes closes, ne peuvent aller à l'école et voient leur enfance sacrifiée. Cette année, la Journée mondiale contre le travail des enfants met l'accent sur les souffrances des enfants et leurs espoirs pour l'avenir.

Article | 9 juin 2004

GENÈVE - "Moi, je voulais étudier, avoir une carrière, devenir une actrice célèbre de feuilletons télévisés", dit une jeune colombienne de 17 ans, Leidy. Mais son rêve s'est brisé net lorsqu'elle a été contrainte de travailler, à l'âge de 10 ans à peine, chez une personne tierce pour aider sa mère malade. Un an plus tard, elle quittait l'école.

En Amérique du Sud et dans les Caraïbes ( *), près de deux millions de fillettes connaissent le même sort que Leidy. L'OIT considère que les enfants qui travaillent comme domestiques sont aujourd'hui le groupe le plus vulnérable des enfants qui travaillent dans le monde. De plus, les conditions dans lesquelles ils travaillent -souvent pendant de longues heures derrière les portes closes de maisons privées - compliquent encore davantage les efforts déployés pour les protéger des abus ou de l'exploitation.

"Ces enfants on un accès limité à l'école et sont privés de jeux. Avec des salaires ridicules, voire inexistants, et des droits juridiques et une protection encore plus insuffisants, ils sont hautement vulnérables et presque totalement ignorés", peut on lire dans la brochure publiée par l'OIT sur les enfants domestiques, Les enfants invisibles ( *).

Cette année, la Journée mondiale de lutte contre le travail des enfants est consacrée à la situation des jeunes travailleurs domestiques, ces "enfants invisibles".

"Dans de nombreux pays, les enfants employés comme nounous, servantes, cuisinières, femmes de ménage, aux travaux de jardinage et, d'une manière générale, les aides domestiques, sont monnaie courante", rappelle l'OIT dans un nouveau rapport sur ce thème qui sera publié la veille de la célébration de la Journée mondiale, " Coup de main ou vie brisée? Comprendre le travail domestique des enfants pour mieux intervenir".

Selon le Programme focal sur le travail des enfants (IPEC) ( *), de l'OIT, l'on dénombre plus de 200 millions d'enfants âgés entre 5 et 17 ans qui travaillent dans le monde. Parmi eux, le nombre de jeunes filles de moins de 16 ans employées comme domestiques est plus important que dans n'importe quel autre type d'emploi.

Selon la définition de l'IPEC, "le travail domestique des enfants se réfère à toutes situations où les enfants sont engagés pour accomplir des tâches domestiques au foyer d'une tierce personne ou d'un employeur à des fins d'exploitation". Lorsque cette exploitation comprend également le trafic, l'esclavage ou d'autres formes de travail forcé, ou un travail dangereux et nuisible à la santé physique ou morale de l'enfant, elle est considérée comme une des pires formes de travail des enfants.

L'exploitation peut prendre toutes sortes de formes. Les enfants peuvent être exploités économiquement et contraints de travailler de longues heures sans repos, ou être exploités parce qu'ils n'ont pas de protection juridique et qu'ils travaillent dans des conditions pénibles et dangereuses. Les enfants sont aussi exploités parce qu'ils n'ont pas le droit de s'amuser et qu'ils n'ont pas de droit à la santé, à l'éducation, à la protection contre les abus sexuels ou le harcèlement, ni même le droit de recevoir la visite de leur famille. Certains enfants sont également victimes d'abus verbaux, physiques, affectifs, voire dans certains cas, sexuels.

Les projets IPEC/OIT aident les pays à atteindre l'objectif visant à prévenir et à abolir le travail domestique des enfants sur deux fronts: au niveau politique, en incitant les pays à ratifier et à mettre en œuvre les conventions internationales pertinentes, et au niveau national, régional ou local, en contribuant à l'élaboration d'une législation protectrice. Au niveau social, les activités visent à aider directement les enfants qui travaillent comme domestiques tout en luttant contre l'invisibilité du phénomène par des campagnes de sensibilisation en vue de mobiliser les secteurs clefs de la société.

L'histoire de Leidy a été recueillie dans le cadre d'un projet réalisé par l'IPEC depuis trois ans au Brésil, en Colombie, au Paraguay et au Pérou, avec le soutien financier du département américain du Travail et la participation, dans ces quatre pays, d'organismes gouvernementaux et d'organisations de la société civile.

En Colombie, où, selon les données disponibles, plus de 300 000 enfants seraient employés domestiques, une enquête a révélé que 77 pour cent d'entre eux ont commencé à travailler avant l'âge de 14 ans. Tous les enfants interrogés, garçons et filles, gagnent un salaire inférieur au salaire minimum colombien; 63 pour cent des jeunes filles de plus de 14 ans ont quitté l'école.

Leidy, qui a un enfant, a désormais un but dans la vie: "J'ai travaillé toute ma vie, et même si, comme dit ma mère, le travail n'a jamais déshonoré personne, j'espère que mon fils n'aura pas à travailler autant que moi. Je veux qu'il grandisse avec une autre mentalité et qu'il ait un emploi lorsqu'il sera adulte."


*Pour davantage d'informations, vous pouvez consulter les sites suivants:

  • Programme focal sur le travail des enfants (IPEC), www.ilo.org/ipec;
  • "Les enfants invisibles", www.ilo.org/public/english/standards/ipec/themes/education/download/edu_teachersbrichure_0504_eng.pdf
  • Prevención y Erradicación del Trabajo Infantil Doméstico en Hogares de Terceros en Sudamérica: www.oit.org.pe/ipec/tid/contenido.php?sec=18&niv=1
  • L'histoire de Leidy figure dans la publication "Trapitos al sol", disponible sur: www.oit.org.pe/ipec/tid/main.php?sec=44&niv=2&docCode=246&accion=presenta&lanCode=2