Histoire de l'OIT

Le 100e anniversaire de l’OIT, célébré cette année, est une opportunité idéale pour revenir sur les nombreux événements décisifs qui ont jalonné l’histoire de l’Organisation. L’OIT a joué un rôle aux principaux carrefours de l’histoire récente – la Grande dépression, la décolonisation, la création de Solidarność en Pologne, la victoire sur l’apartheid en Afrique du Sud – et aujourd’hui dans l’instauration d’un cadre éthique et productif pour une mondialisation équitable. L’OIT fut créée en 1919, sous l’égide du Traité de Versailles qui mettait fin à la Première Guerre mondiale, incarnant la conviction qu’une paix universelle et durable ne pouvait se bâtir que sur la base de la justice sociale.

La Constitution de l'OIT fut rédigée début 1919 par la Commission du Travail, présidée par Samuel Gompers, directeur de la Fédération américaine du travail (AFL) aux Etats-Unis. Elle était formée des représentants de neuf pays: Belgique, Cuba, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Pologne, Royaume-Uni et Tchécoslovaquie.


Les membres de la Commission de la législation internationale du travail à la Conférence de paix de Paris. Samuel Gompers est au premier rang, troisième à partir de la gauche.

Le processus a abouti à une organisation tripartite, la seule de son espèce, rassemblant des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs dans ses organes exécutifs.

A l’origine de la création de l’OIT se trouvent des considérations d’ordre sécuritaire, humanitaire, politique et économique. Les fondateurs de l’OIT ont mesuré l’importance de la justice sociale pour assurer la paix alors que les travailleurs étaient exploités dans les nations industrielles de l’époque. Avec la prise de conscience de l’interdépendance économique du monde est apparue la nécessité de coopérer pour offrir des conditions de travail similaires aux travailleurs des pays en concurrence pour les mêmes marchés.

Illustrant ces idées, le Préambule de la Constitution de l’OIT affirme:

  • Attendu qu’une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale;
  • Attendu qu’il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger; et attendu qu’il est urgent d’améliorer ces conditions;
  • Attendu aussi que la non-adoption par une nation quelconque d’un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d’améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays

Les domaines d’amélioration listés dans le Préambule sont toujours d’actualité, notamment la réglementation de la durée du travail et du recrutement de main-d’œuvre, la prévention du chômage et la garantie d’un salaire assurant un niveau de vie convenable, la protection sociale des travailleurs, des enfants, des personnes âgées et des femmes. La Préambule reconnaît aussi un certain nombre de principes fondamentaux, par exemple l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale et la liberté syndicale, et rappelle, entre autres choses, l’importance de l’enseignement technique et professionnel.

Les premières années

L’OIT a emménagé à Genève à l’été 1920 avec, à sa tête, le Français Albert Thomas comme premier Directeur. Neuf conventions internationales du travail et dix recommandations furent adoptées en moins de deux ans. Ces normes couvraient différents thèmes, dont:


1920, le Sous-directeur Harold Butler et le Directeur du BIT Albert Thomas profitent d’un moment de répit devant le premier bâtiment du BIT, la Châtelaine (Pregny). Ce bâtiment abrite aujourd’hui le siège du Comité international de la Croix-Rouge.

Une Commission d'experts a été créée en 1926 pour vérifier l’application des normes de l’OIT. La Commission, qui existe toujours, est composée de juristes indépendants, chargés d’examiner les rapports des gouvernements et de présenter chaque année à la Conférence leur propre rapport sur l’application des conventions et des recommandations de l’OIT.

Le Britannique Harold Butler, qui a succédé à Albert Thomas au poste de Directeur en 1932, fut très vite confronté à la Grande dépression et au chômage massif qu’elle engendra. Réalisant que la gestion des questions liées au travail exigeait aussi une coopération internationale, les Etats-Unis devinrent un Etat Membre de l’OIT en 1934 tout en restant en dehors de la Société des Nations.


Des membres du personnel du BIT dans un port au Portugal. Ils embarquèrent sur ce navire vers les Etats-Unis pour se rendre au Canada.

L'Américain John Winant, a pris ses fonctions de Directeur de l’OIT en 1939, alors que la seconde Guerre mondiale était imminente. Il a temporairement déménagé le siège de l’OIT à Montréal, au Canada, en mai 1940 pour des raisons de sécurité.

Le Morrice Hall, Université Mc Gill, où l’OIT avait installé son siège temporaire de 1940 à 1948.

Son successeur, l'Irlandais Edward Phelan, avait participé à la rédaction de la Constitution de 1919 et joué un rôle éminent, une fois encore, pendant la Conférence internationale du Travail à Philadelphie en pleine Seconde Guerre mondiale.

17 mai 1944, Edward J. Phelan signe la Déclaration de Philadelphie à la Maison Blanche en présence (de gauche à droite) du Président Franklin D. Roosevelt, de Cordell Hull (Secrétaire d’Etat américain), Walter Nash (Président de la 26e session de la CIT), Frances Perkins (Ministre du Travail des Etats-Unis) et de Lindsay Rogers (Sous-directeur général de l’OIT), Washington DC.


Les délégués des gouvernements, des employeurs et des travailleurs de 41 pays ont adopté la Déclaration of Philadelphiequi fut annexée à la Constitution de l’OIT. La Déclaration constitue toujours la Charte des buts et objectifs de l’OIT. Elle énonce les grands principes d’action de l’OIT après la fin de la Seconde Guerre mondiale: ils affirment notamment que «le travail n’est pas une marchandise» et que «tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales».

Vers l'universel

En 1946, l’OIT devint une institution spécialisée du tout nouveau système des Nations Unies.

Décembre 1946, signature de l’accord des Nations Unies aux termes duquel l’OIT devint la première institution spécialisée des Nations Unies. A gauche, Edward Phelan, Directeur général de l’OIT, et à droite Trygve Lie, Secrétaire général des Nations Unies.

L'Americain David Morse fut Directeur général de 1948 à 1970, période pendant laquelle le nombre d’Etats Membres a doublé et l’Organisation pris son caractère universel. Les pays industrialisés devinrent minoritaires par rapport aux pays en développement, le budget fut multiplié par cinq et le nombre de fonctionnaires par quatre.

L’OIT a créé l’Institut international d’Etudes sociales, basé à Genève, en 1960 et le Centre international de formation à Turin en 1965. L’Organisation a remporté le prix Nobel de la paix pour son cinquantième anniversaire en 1969.

Sous le mandat du Britannique Wilfred Jenks, Directeur général de 1970 à 1973, l’OIT continua d’œuvrer au développement des normes et des mécanismes permettant de contrôler leur application, en particulier la promotion de la liberté syndicale et du droit d’organisation.

10 octobre 1969, le Directeur général de l’OIT, David A. Morse, reçoit le prix Nobel de la paix en 1969 au nom de l’OIT des mains d’Aase Llonaes, Présidente du Comité Nobel du parlement norvégien, dans la salle des fêtes de l’Université d’Oslo.

Son successeur, Francis Blanchard a développé la coopération technique de l’OIT avec les pays en développement. L’OIT a joué un rôle majeur dans l’émancipation de la Pologne en apportant son plein soutien à la légitimité du syndicat Solidarność, en application de la convention n° 87 sur la liberté syndicale que la Pologne avait ratifiée en 1957.

Juin 1981, 67e session de la CIT, M. Lech Walesa, président du syndicat polonais Solidarność (représentant des travailleurs, Pologne), archives historiques de l’OIT..

Le Belge Michel Hansenne lui a succédé en 1989. Prenant la direction de l’OIT à la fin de la Guerre froide, il a rappelé combien il était important de placer la justice sociale au cœur des politiques économiques et sociales internationales. Il a également orienté l’OIT vers la décentralisation de ses activités et de ses ressources, loin de son siège genevois.

En mars 1999, le Chilien Juan Somavia devint Directeur général. Il a souligné l’importance de faire du travail décent un objectif stratégique à l’échelle internationale et de promouvoir une mondialisation équitable. Il a aussi rappelé que le travail était un instrument de lutte contre la pauvreté et mis en exergue le rôle de l’OIT dans la réalisation des Objectifs de développement du Millénaire, y compris la réduction de moitié de la pauvreté d’ici à 2015.

Sous la direction de M. Somavia, l’OIT a créé la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation qui a publié un important rapport en réponse aux besoins des peuples confrontés au changement sans précédent de leurs sociétés du fait de la mondialisation.

En mai 2012, le Britannique, Guy Ryder fut élu dixième Directeur général de l’OIT. Il a été réélu pour un second mandat de cinq ans en novembre 2016. M. Ryder a affirmé que l’avenir du travail n’était pas prédéterminé: le travail décent pour tous est possible mais les sociétés doivent le faire advenir. C’est précisément au nom de cet impératif que l’OIT a créé la Commission mondiale sur l'avenir du travail dans le cadre de son initiative pour célébrer son centenaire en 2019.