La Déclaration de l’OIT sur les entreprises multinationales au centre d’un dialogue transnational au sein du Conseil du Travail et du Dialogue Social de l’UEMOA

Le Conseil du Travail et du Dialogue Social (CTDS) de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) est la première institution de dialogue social sous-régionale à débattre de la promotion de la Déclaration sur les EMN et à adopter des recommandations spécifiques à l’égard des Etats membres et des partenaires sociaux pour l’application de ces principes.


Dr Birane Thiam, Secrétaire Administratif Permanent du Conseil du Travail et du Dialogue Social de l’UEMOA à un atelier de sensibilisation sur la Déclaration sur les EMN pour le Bénin et le Togo

L’Afrique de l’Ouest est la région du continent africain qui, avec l’Afrique du nord, attire actuellement le plus d’investissements directs étrangers (IDE). Cet afflux de capitaux engendre de nombreuses réflexions au sein de Union économique et monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et de ses Etats membres, afin encourager des investissements qui contribuent aux priorités de développement durable et du travail décent de la sous-région. Le Conseil du Travail et du Dialogue Social (CTDS) de l’UEMOA s’est tourné vers l’Organisation internationale du Travail (OIT) et a reconnu l’importance et la pertinence des recommandations contenues dans la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale (Déclaration sur les EMN) pour un développement économique inclusif et le travail décent pour tous.

Le Conseil du Travail et du Dialogue social (CTDS) est un organe consultatif de l’UEMOA. Créé par Acte Additionnel n°002/2019/CM/UEMOA du 17 mars 2009, le CTDS est composé de 72 membres représentants les gouvernements, les employeurs, les travailleurs et la société civile. Il poursuit les trois missions suivantes : (1) examiner et apprécier toute question susceptible d’avoir un impact social dans l’Union ; (2) renforcer les mécanismes de consultation, de concertation tripartite au sein de l’Union et (3) consolider le processus et les structures de dialogue social dans les pays membres. Son rôle est de formuler des avis, d’émettre des recommandations et des propositions à son initiative ou à l’initiative de la Commission de l’UEMOA, du Conseil des Ministres et des partenaires sociaux.

La Côte d'Ivoire et le Sénégal (deux des huit États membres de l'UEMOA) ont fait œuvre de pionniers en matière d’appropriation de la Déclaration sur les EMN. Ils ont été les premiers pays africains à désigner des points focaux nationaux pour sa promotion, démontrant ainsi leur volonté à mettre en œuvre ses principes.

Le Sénégal marquait déjà l’histoire en août 2017 en créant la première Commission tripartite de promotion de la Déclaration au sein de son Haut Conseil du Dialogue Social, répondant de ce fait à l’appel de la Déclaration d’Abidjan sur le renforcement du rôle et de l’impact des institutions nationales de dialogue social pour une gouvernance économique et sociale plus efficace et juste, adoptée par onze institutions de dialogue social de l’Afrique de l’Ouest et du Centre.

La Déclaration sur les EMN définit les principes destinés aux entreprises multinationales et nationales, aux gouvernements des pays d'origine et des pays d'accueil, ainsi qu'aux organisations d'employeurs et de travailleurs pour la réalisation du travail décent pour tous. La Côte d’Ivoire et le Sénégal ont pu sensibiliser plus de 500 représentants de l’Etat, d’organisations d’employeurs et de travailleurs, et d’entreprises dans le cadre du projet « Entreprises et travail décent : promotion et application de la Déclaration sur les EMN » financé par le gouvernement français.

Afin de partager l’expérience de la Côte d’Ivoire et du Sénégal avec les six autres Etats membres de l’UEMOA, le Conseil du Travail et du Dialogue Social (CTDS) a invité le Bureau international du Travail (BIT) à présenter la Déclaration sur les EMN et à discuter de son application dans la sous-région lors de sa 9e Assemblée générale en décembre 2018 à Ouagadougou au Burkina Faso. Le CDTS, conformément à ses missions, a alors décidé de dédier la 5e réunion de sa Commission Dialogue Social à une réflexion sur la Déclaration sur les EMN au sein de l’UEMOA et à la préparation d’un avis. L’objectif était de mieux s’approprier la Déclaration, de réfléchir sur les possibilités de mieux la faire connaitre dans les pays membres de l’Union et de formuler un projet de résolution sur cet instrument pertinent à soumettre à l’appréciation des membres du Conseil.

En mars 2019, les 16 membres de la Commission Dialogue Social du CTDS présidée par le Sénégal ont pu bénéficier de l’appui du BIT afin d’approfondir leurs connaissances de la Déclaration sur les EMN, de clarifier les rôles et les responsabilités des différents acteurs impliqués dans la promotion de pratiques d’entreprises responsables et durables et d’initier une réflexion sur les stratégies à renforcer ou à mettre en place en matière de responsabilité sociale des entreprises, tant au niveau de l’UEMOA qu’au niveau national. Suite à cette réflexion, un projet d’avis a été élaboré par la Commission et un plan d’actions a été élaboré pour la promotion de la Déclaration dans les Etats membre de l’UEMOA.

Le 17 octobre 2019, lors de la 10e Assemblée générale du CTDS, les membres ont discuté des délibérations de la Commission Dialogue Social et ont adopté l’Avis No 009/2019 sur la promotion de la responsabilité sociale des entreprises et de la Déclaration sur les entreprises multinationales et la politique sociale au sein des pays membres de l’UEMOA.

L’Avis formule des recommandations à l’attention des Etats membres de l’UEMOA, de la Commission et des partenaires sociaux (organisations d’employeurs et de travailleurs) et traite des mesures à adopter afin de contribuer activement à la promotion du travail décent, accompagner le processus d’intégration communautaire et améliorer la gouvernance sociale pour ce qui a trait aux opérations des entreprises multinationales et à leurs investissements. L’avis recommande notamment aux Etats membres:
  • d’intégrer les principes de la Déclaration sur les EMN dans les politiques, programmes et accords d’investissements,
  • de renforcer les capacités techniques et opérationnelles des inspecteurs du travail, des partenaires sociaux, des organes de dialogue social et autres acteurs concernés sur la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) et sur la Déclaration sur les EMN,
  • d’élaborer et mettre en œuvre une politique nationale sur la RSE qui tienne compte des principes de la Déclaration sur les EMN,
  • de tenir compte des principes de la Déclaration sur les EMN afin de mobiliser les entreprises pour la réalisation des Programmes Pays pour le Travail Décent (PPTD),
  • d’élaborer un plan national de promotion des principes de la Déclaration sur les EMN,
  • d’encourager la production d’un bilan dans les entreprises disposant d’un certain seuil d’effectif tenant compte des principes de la Déclaration sur les entreprises multinationales.
De plus, les gouvernements des Etats membres de l’UEMOA sont encouragés à désigner des points focaux nationaux sur une base tripartite en relation avec les organisations d’employeurs et de travailleurs et à créer des plateformes de dialogue social tripartite élargi pour permettre aux mandants tripartites et aux entreprises multinationales d’examiner les possibilités offertes et d’identifier les problèmes posés par les activités des entreprises dans le contexte national. La Commission de l’UEMOA est encouragée à adopter une stratégie communautaire en matière de RSE en s’inspirant fortement des principes de la Déclaration de l’OIT sur les entreprises multinationales. Il est également recommandé aux partenaires sociaux de tenir en compte les principes de la Déclaration sur les EMN lors des conclusions de conventions collectives et d’accords d’établissement.

Suite à la requête du CTDS de l’UEMOA pour un appui technique continue et dans le cadre d’un partenariat, le BIT s’est attelé à soutenir les efforts de promotion de la Déclaration sur les EMN menés par l’UEMOA. Ce partenariat a permis au CTDS d’organiser des ateliers de sensibilisation tripartite pour le Bénin et le Togo (10-12 septembre 2019) et avec le Haut Conseil du Dialogue Social du Burkina Faso (8-10 Octobre 2019) avec l’appui technique et financier du BIT. Des demandes d’appui techniques supplémentaires ont été reçu d’autres pays membres de l’UEMOA et feront l’objet d’ateliers de sensibilisation et de renforcement de capacités en 2020.

Le BIT a analysé et documenté les expériences de différents pays dans le domaine du dialogue social tripartite, des entreprises multinationales et des investissements directs étrangers (IDE) dans une étude qui contient de nombreuses conclusions intéressantes sur les domaines dans lesquels les institutions nationales de dialogue social pourraient potentiellement s'engager ainsi que les opportunités et obstacles à leur implication.

L’expérience de l’UEMOA et le rôle joué par les partenaires sociaux a été partagée avec d’autres organisations régionales africaines ainsi qu’avec celles d’autres régions. Pour l’Afrique, ce développement permet également de contribuer de façon active, et à travers le dialogue social, à une transformation structurelle de l’économie et la réalisation du travail décent pour tous, objectifs contenus dans la Vision 2063 de l’Union africaine.

Dans la Déclaration d’Abidjan « Vers plus de justice sociale : façonner l’avenir du travail en Afrique » adoptée le 6 décembre 2019 à la suite de la 14e Réunion régionale africaine de l’OIT, les Etats africains s’engagent d’ailleurs à « continuer de promouvoir la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale, en mettant résolument l’accent sur l’appui des mandants tripartites. » La Déclaration d’Abidjan demande également le renforcement des synergies entre l’OIT et les institutions africaines, à savoir la Commission de l’Union Africaine, les communautés économiques régionales et les trois centres d’administration du travail qui jouent un rôle de soutien dans la mise en œuvre des domaines prioritaires de l'Agenda africain du travail décent, un aspect déterminant à prendre en compte dans la poursuite des actions visant à promouvoir la Déclaration sur les EMN.