Migrants et traite des personnes

La mésaventure d’un migrant ivoirien en Libye

Abidjan (Nouvelles de l’OIT) – Gnadou Gnapo est un migrant ivoirien qui est revenu au pays en 2017.

Actualité | 19 septembre 2021
Agé de 37 ans, il quitte la Côte d’Ivoire en 2015 pour se lancer à l’aventure. Il pose d’abord ses valises en Tunisie où il trouve du travail dans le bâtiment et les travaux publics. Tout va bien jusqu’au moment où son entreprise lui propose de partir dans sa filiale en Libye. Une fois là-bas, il tombe dans les mains de trafiquants d’êtres humains.
Maltraitance, prison, désert, le calvaire commence pour Gnadou Gnapo qui voit son rêve s’arrêter là. Revenu au pays, il tente aujourd’hui de reconstruire sa vie.
Gnadou Gnapo ou le rêve brisé d’un migrant retourné au pays, témoignage !
OIT : Qu’est-ce qui vous a poussé à partir en Libye?
Gnadou Gnapo : C’est le manque d’opportunités locales et l’envie d’obtenir une vie meilleure. Mais la Libye, c’est vraiment une expérience que je ne vais jamais oublier.

OIT
: Racontez-nous votre vie là-bas. A quoi ressemblait-elle ?
GG : La Libye est un pays où l’état n’existe presque pas. Je le dis parce qu’on était dans une jungle où il n’était pas facile de circuler. Il y avait des personnes armées partout. Je vivais de prison en prison, avec toutes les difficultés que cela emporte. Vraiment, je ne conseillerais à personne de s’y aventurer.
OIT : Comment arriviez-vous à joindre les deux bouts dans ce pays où vous ne connaissiez personne ?
GG : J’ai d’abord transité par la Tunisie et ensuite je suis arrivé en Libye où il y avait un projet de construction de bâtiments dans une ville assez paisible appelée Zohara. J’y suis donc allé pour gagner ma vie.
Mais une fois arrivé, j’ai rencontré d’énormes difficultés puisque j’ai été kidnappé par un groupe d’individus surnommés « Asma boys » qui m’ont fait prisonnier. Ils me déplaçaient d’une prison à une autre selon leur volonté. J’ai vécu ainsi jusqu’à ce que l’état de Côte d’Ivoire et l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) me facilitent la tâche pour rentrer au pays.
OIT : Quel a été le déclic, pour que vous décidiez de rentrer ?
GG : Je suis rentré au pays après toutes les difficultés passées en Libye. Ce n’était vraiment pas évident de revenir au pays sans avoir des séquelles physiques ou psychologiques. Je considère que j’ai eu de la chance car beaucoup de travailleurs sont morts et d’autres sont revenus avec des membres amputés. Je n’ai pas eu le choix. Le retour s’est imposé à moi.
OIT : Vous disiez tout-à-l ’heure que vous avez été fait prisonnier ! Comment était cette vie de bagnard en Libye ?
GG : J’ai été pris sur le chantier dans lequel je travaillais par un groupe de trafiquants humains. J’ai vraiment broyé du noir et traversé des nuits blanches. Je suis tombé gravement malade. Je n’arrivais même plus à marcher. Nos geôliers parfois demandaient des rançons à nos parents, au risque de nous livrer à des trafiquants d’organes humains. Certains de mes codétenus sont morts.
Cette prison comptait plus de 4000 détenus. Beaucoup sont morts puisque nous vivions dans des conditions très déplorables. On dormait debout. On faisait nos besoins sur place. Chaque jour on comptait par dizaines les morts…
OIT : (Ses yeux subitement deviennent humides de larmes. Puis il reprend ses esprits). Vous pleurez ?
GG : Oui ! Je me souviens de cette vie de calvaire vécu en Libye. Je pense que c’est Dieu qui m’a sauvé. Car je n’avais pas plus de mérite que ceux qui sont morts. On ne mangeait pratiquement pas. Ce n’était pas facile…
OIT : Comment avez-vous réussi à sortir de cette prison ?
GG : Nous avions organisé un jour une tentative d’évasion. Plusieurs sont morts dans cette opération réprimée dans le sang. Mais moi j’ai eu de la chance et je me suis retrouvé dans le désert.
OIT : Dans le désert ?
GG : Oui dans le désert. J’ai réussi à m’échapper.
OIT : Finalement vous décidez de rentrer au pays.
GG : Oui ! Je me suis rendu compte que je n’étais pas bien informé pour ce voyage. En Tunisie je voulais faire une formation. N’étant pas en règle il me fallait alors trouver de l’argent pour rentrer au pays. Ce qui n’était pas chose facile. Je vais me retrouver alors dans l’enfer en Libye en quête de travail. J’ai eu l’opportunité offerte par l’OIM pour rentrer au pays et je l’ai saisie.
Gnadou Gnapo au cours de son témoignage

OIT : Aujourd’hui vous êtes en Côte d’Ivoire, quelle pourrait être votre message aux candidats au départ ?
GG : Partager mon histoire, c’est permettre aux autres de comprendre la réalité de l’autre côté. Pour organiser un voyage, il faut prendre la peine de bien se renseigner. La meilleure manière de partir à l’aventure est de se rendre dans les ambassades pour avoir la bonne information et bien se préparer. Migrer oui, mais de la bonne manière avec tous les papiers et toutes les informations pour ne pas faire un saut dans l’inconnu comme moi. Je ne déconseille pas ceux qui piaffent d’impatience d’aller à l’aventure chercher le bonheur, mais je leur dis de savoir partir et de la bonne manière.
OIT : Et la bonne manière c’est quoi ?
GG : C’est aller d’abord dans les ambassades pour avoir tous les papiers de voyage.
OIT : Quelle est votre nouvelle vie depuis votre retour au pays ?
GG : Depuis mon retour j’essaie tant bien que mal de m’insérer dans le tissu social à travers les concours et autres. Actuellement il n’y a rien à l’horizon mais je reste optimiste pour l’avenir. Car vivre, c’est lutter comme dit le sage. Aujourd’hui, ça ne va pas mais demain ça ira mieux. Je suis optimiste et positif. Je suis soutenu par ma famille et cela me rend heureux.
OIT : Merci, Gnadou Gnapo, pour votre témoignage.
GG : C’est moi qui vous remercie.