10ème Congrès de l’Organisation de l’Unité Syndicale Africaine: Discours de Dan Cunniah, Directeur d'ACTRAV

Discours de Dan Cunniah, Directeur du Bureau des activités pour les travailleurs (ACTRAV) à l’occasion du 10ème Congrès de l’Organisation de l’Unité Syndicale Africaine (OUSA), Alger, 1-7 décembre 2012.

Déclaration | Geneva | 5 décembre 2012

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Chers amis, frères et sœurs congressistes,

Mon cher Camarade et ami Hassan,

Je voudrais tout d’abord remercier personnellement et très chaleureusement mon frère Hassan Sunmonu et les membres du Secrétariat Exécutif de l’OUSA dont mon frère Demba Diop pour l’invitation qui m’a été adressée à venir assister au 10ème Congrès de l’Organisation de l’Unité Syndicale Africaine. Je remercie également mon frère Majid Sidi Saïd, Secrétaire général de l’UGTA, qui accueille ce congrès panafricain sur le sol algérien.

Cela m’honore et, au nom du Directeur général du BIT, M. Guy Ryder, je vous adresse toutes mes salutations et remerciements.

C’est donc avec un très grand plaisir que je prends la parole pour m’adresser à cette auguste Assemblée composée d’illustres personnalités amies du monde syndical et de camarades, amis, frères et sœurs que je connais depuis de longues années et avec lesquels je partage les mêmes convictions et idéaux de solidarité et de justice sociale.

Monsieur le Secrétaire général, chers congressistes,

Votre congrès porte sur le thème du « Panafricanisme et du développement et de la transformation (ou mutation) économique de l’Afrique ».

Ce congrès arrive à un moment crucial de l’avenir de l’Afrique, dans un contexte de crise mondiale exceptionnelle qui plus est dans les domaines économiques et sociaux.

Il arrive aussi au lendemain de la 12ème réunion régionale de l’OIT pour l’Afrique, où les mandants tripartites ont fait part « de leur profonde inquiétude devant le fait que le continent africain, malgré une croissance économique sensible, reste frappé par des crises comme un chômage des jeunes en augmentation, une pauvreté persistante, des inégalités croissantes, une économie informelle considérable et le travail précaire » mais ont aussi ouvert de larges perspectives pour une meilleure prise en charge de leurs destins par les africains.

En effet après une période de croissance de 5,6% entre 2002 et 2008 (source Rapport Economique sur l’Afrique 2012 de la CEA) freinée par la crise mondiale, l’Afrique a repris son essor avec des prévisions de plus de 6% pour l’année 2013.

Mais permettez-moi de citer ici les propos en anglais du Directeur Général du BIT, M. Guy Ryder s’adressant au Président de la Banque Africaine de Développement, M. Donal Kaberuka, à l’occasion de l’invitation que lui a faite l’Association des Fonctionnaires Africains du BIT, le 22 novembre dernier de venir parler de « La croissance économique et les perspectives de l’emploi : Défis pour l’Afrique à l’ère de la crise mondiale »:

« At the same time, you have pointed out that one feature of the African landscape is strong economic growth coexisting side by side with great poverty and distressing exclusion – and that this is not, anywhere, an ingredient for sustainability. Nor, let me add, from an ILO perspective, of social justice.”

Le mandat de l’Organisation Internationale du Travail retrouve ici toute sa dimension : Promouvoir la justice sociale.

L’Afrique est donc devenue un nouveau pôle de croissance mondiale et à ce titre elle doit impérativement faire face à des défis importants pour améliorer les conditions de vie et de travail de sa population.

Le mouvement syndical a son rôle à jouer face à cette situation en relevant à mon avis cinq défis fondamentaux.

D’abord, le mouvement syndical africain doit exiger des modèles de croissance économique inclusifs et porteurs d’emplois durables. Sous l’influence des Institutions de Bretton Woods, nos gouvernements poursuivent des politiques de croissance sans perspective d’emplois. Nous devons nous battre pour faire de l’emploi décent une préoccupation centrale de nos modèles de croissance.

Les objectifs des Banques centrales d’Afrique ne devraient plus se limiter à la baisse de l’inflation, mais ils doivent aussi cibler l’emploi et plus particulièrement l’emploi des jeunes africains. Une croissance centrée sur l’emploi doit aller de pair avec un modèle de croissance inclusif. Cela suppose que les organisations syndicales de travailleurs doivent combattre l’inégalité sur le continent. Après l’Amérique Latine, l’Afrique est le continent où l’inégalité est la plus forte.

Deux principales raisons font que les taux de croissance élevés ne contribuent pas à la réduction de la pauvreté en Afrique :

  • La première est que cette croissance économique ne crée pas d’emplois ;
  • La deuxième est que nous avons des sociétés inégales.

L’inégalité ne favorise pas la réduction de la pauvreté. Les économies sans inégalités réalisent davantage de performances que celles où il y a de l’inégalité. Nous devons nous battre pour l’égalité comme une protection sociale adéquate pour tous les africains. Nous battre aussi pour une éducation de base libre, gratuite et obligatoire des enfants, pour des salaires décents, des salaires égaux pour un travail de valeur égale pour les hommes et les femmes.

Toutes ces mesures garantiront à n’en point douter des sociétés plus égales et par conséquent de hauts niveaux de croissance et de développement.

Le deuxième défi pour les syndicats est de se battre pour que les Etats deviennent véritablement des Etats de développement.

L’Afrique a besoin d’Etats de développement qui interviennent de manière efficiente pour assurer un développement économique allant de pair avec un développement social. La plupart des pays considérés aujourd’hui comme des économies émergentes, ont des Etats de développement, à l’instar des Etats membres du BRICS. Alors, arrêtons de suivre les idées archaïques du Consensus de Washington pour un Etat minimaliste.

Ce qui est plus important, ce n’est pas si l’Etat intervient dans l’économie ou pas mais c’est la qualité de l’intervention de l’Etat. Les Etats africains doivent intervenir effectivement et de manière efficiente sur le marché. Ces Etats doivent s’attaquer à de nombreuses contraintes - infrastructures obsolètes, espace économique fragmenté, faibles capacités de production, financements de l’investissement limités et coûts de transactions élevés - qui entravent l’expansion commerciale de l’Afrique. Nous avons besoin d’Etats qui planifient, qui sont démocratiques, qui combattent la corruption, qui respectent les règles du jeu et les normes internationales du travail. Les organisations syndicales de travailleurs ont un rôle fondamental à jouer pour la construction de tels Etats.

Le défi suivant, le troisième auquel le mouvement syndical africain doit faire face est celui de la lutte pour les droits des travailleurs et du dialogue social effectif. Les travailleurs en Afrique comme partout dans le monde, qu’ils soient de l’économie formelle ou informelle, que ce soit des hommes ou des femmes, des villes ou du monde rural, ont des droits que les gouvernements et les employeurs se doivent de respecter. Que les gouvernements et les employeurs respectent les droits des travailleurs et ce respect des droits des travailleurs doit aller de pair avec la mise en place d’institutions de dialogue social effectives et fonctionnelles. Il n’y a pas de véritable dialogue social sans le respect de la liberté syndicale.

Le quatrième défi pour le mouvement syndical, c’est celui de tenir haut et vivant le flambeau du Panafricanisme. Hier le panafricanisme était essentiellement politique pour assurer la décolonisation de l’Afrique.

Aujourd’hui, le défi est à la fois politique et économique. Nous nous devons d’accélérer l’intégration politique du continent. Cela est fondamental pour des raisons politiques mais aussi économiques. Nous devons créer un marché intra-africain pour garantir à nos entreprises des économies d’échelle pour se développer et créer des emplois et des richesses. Le commerce intra-africain ne représente que 10% des échanges du continent, un pourcentage bien inférieur à celui que l’on observe dans les autres régions. Le Panafricanisme d’aujourd’hui, c’est beaucoup plus un défi économique et commercial.

Monsieur le Secrétaire général, chers amis,

Nous ne pouvons atteindre tous ces objectifs si nous n’avons pas des organisations syndicales fortes, unies et indépendantes en Afrique. C’est le cinquième et dernier défi pour le mouvement syndical africain aujourd’hui. Nous devons travailler vers davantage d’unité ou à la rigueur vers l’unité d’action. Nous devons mettre fin à la prolifération et à la division syndicale. Nous devons travailler à augmenter le nombre des adhérents des organisations syndicales autant dans l’économie formelle qu’informelle par des campagnes d’adhésion, moderniser nos stratégies de plaidoyer et de négociation collective, nous mobiliser autour des préoccupations de nos membres. Mais encore plus, nous devons nous mobiliser et mener des campagnes en faveur des plus pauvres et des démunis et qui ne sont pas forcément les membres des syndicats ; ils sont faibles et vulnérables mais leurs causes sont justes, nous devons donc les défendre.

Chères sœurs, chers frères, nous faisons face à plusieurs défis en Afrique. Lentement mais sûrement, nous sommes en train de les relever. Hier, on parlait encore de l’Afrique comme d’un « continent sans espoir ». Aujourd’hui, c’est le Continent qui émerge ou le nouveau pôle de croissance mondiale.

Nous avons pour mission d’accélérer la renaissance de notre continent. Le combat panafricain de nos anciens doit continuer. Notre génération ne doit pas laisser tomber ses enfants. C’est plus que jamais le moment de nous unir et de renforcer notre voix pour assurer le développement de notre cher et bien-aimé continent.

Nous sommes au BIT pour vous apporter notre soutien en nous appuyant sur l’Agenda du Travail Décent et le leadership éclairé de notre nouveau Directeur général, Guy Ryder, le premier syndicaliste à être élu à la tête de notre Organisation.

Vive la solidarité syndicale ! Vive le Panafricanisme ! Vive la solidarité syndicale internationale !

Je vous remercie de votre bien aimable attention.