Les jeunes à Maputo sont durement confrontés
aux difficultés, voire impossibilités, d’accéder à un
emploi formel et décent. Aussi, la majorité d’entre
eux s’orientent vers le marché du travail informel qui domine
très nettement l’économie mozambicaine. S’insérer économiquement,
renvoie à la problématique de l’inclusion sociale.
Elle constitue, pour la plupart des jeunes de plus en plus nombreux chaque
année à entrer sur le marché du travail, un véritable
parcours du combattant où les défis à relever sont
ceux d’obtenir des moyens de subsistance, de tenter de se procurer
un accès à un niveau d’éducation le plus élevé possible
et de s’inclure au sein de réseaux sociaux familiaux, d’amis
et de connaissances.
L’économie Mozambicaine est en croissance mais celle-ci
est inégalement répartie, les activités favorisant
cette croissance se concentrant essentiellement dans la zone sud du pays
et plus spécifiquement à Maputo. Cependant, 83 pour cent
de la population active du pays travaille dans le secteur primaire. Les
analystes prévoient, à court terme, une forte croissance économique
des secteurs secondaire et tertiaire. Cette tendance ne se traduit malheureusement
pas par un nombre important de créations d’emplois. Le secteur
informel, quant à lui, qui réunit 95 pour cent de la population
active du pays, croît et sa force de travail augmente chaque année.
Cette croissance du secteur informel a été largement renforcée
par le taux élevé des pertes d’emplois liées
aux récentes privatisations des grandes entreprises et à la
réorganisation de la main d’œuvre. Une législation
rigide et des procédures administratives souvent contraignantes,
associées au manque de ressources financières, limitent
considérablement l’initiative privée formelle et
son développement. Dans ce contexte, le Mozambique est confronté au
défi de l’emploi des jeunes, caractérisé par
l´arrivée chaque année, sur le marché du travail
de quelques 300 000 nouveaux jeunes. Conscient de ce défi, le
gouvernement poursuit donc ses efforts, notamment dans le domaine de
la formation et de la promotion de l’emploi des jeunes. Le Secteur
privé, la société civile et les différents
partenaires internationaux, se doivent de conjuguer leurs efforts avec
ceux du Gouvernement.
Les résultats de cette étude, outre la recherche documentaire
(desk study), reposent sur une enquête quantitative auprès
de 544 jeunes, hommes et femmes, âgés de 15 à 29
ans vivants à Maputo, associée à une autre enquête
qualitative auprès de 69 représentants des différents
acteurs économiques, institutionnels et sociaux concernés
par cette problématique.
Que constate cette étude ?
En premier lieu, elle vérifie que « plus on est pauvre
et moins on a de chances de s’en sortir », de s’insérer économiquement,
avec une certaine sécurité, dés lors que la recherche
de revenus réguliers se présente comme une injonction pour
garantir ses moyens de (sur)vivre. Par ailleurs, les jeunes issus des
milieux défavorisés entrent tard à l’école,
n’apprennent pas suffisamment (ce qui n’est pas nécessairement
de leur faute), la quitte rapidement et se trouvent sur le marché de
l’emploi avec un bagage éducatif et professionnel somme
tout limité. Pour beaucoup, le salut vient alors de l’économie
informelle. Est-ce une fatalité ? Doit-elle constituer un avenir
pour ces jeunes? Des éléments de réponse s’imposent.
Le second constat, en toute logique, repose sur le levier qu’exerce
l’institution scolaire, notamment publique, pour favoriser l’insertion
socio-économique des jeunes mozambicains. Toutefois, moins le
bagage scolaire des jeunes est important et plus leur avenir socio-économique
est compromis. Bien débuter dans la vie c’est donc acquérir
rapidement et durablement les informations, les outils (savoir écrire,
compter) et les mécanismes d’apprentissage nécessaires
pour bâtir son avenir. Or, il semble que l’éducation
nationale remplie peu ce rôle de par les difficultés financières,
humaines et de management inhérent à ce secteur d’activité.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que le monde
bouge. Aujourd’hui, demain, les jeunes mozambicains auront, comme
partout ailleurs, besoin de maîtriser plus de connaissances et
davantage de savoirs et de savoir-faire pour parvenir à construire
leur avenir et du coup celui de leur pays. Conscient de son rôle,
le ministère de l’éducation et de la culture a entrepris
de relever ce défit malgré un certain nombre de difficultés
qu’il lui appartient de résoudre avec l’appui, notamment,
de la communauté internationale.
Autre constat : passé ce cap scolaire, le faible niveau de formation
professionnelle (souvent onéreuse) de la majorité des jeunes
interrogés constitue également un obstacle pour aller de
l’avant. Cet apprentissage pratique devrait pourtant représenter
la phase initiale d’accessibilité à la compétence
professionnelle. Pas assez d’établissements pour la formation
professionnelle, faible niveau scolaire des élèves à leur
arrivée, moyens financiers et matériels limités,
méthodologie d’apprentissage déconnectée du
monde économique, coût de formation élevé pour
un grand nombre d’élèves, non reconnu comme un niveau
d’éducation, marché de l’emploi tendu… la
liste des questions à traiter est longue.
Mais il ne suffit pas d’être issu d’un milieu social
moins défavorisé, d’être détendeur d’une
bonne éducation de base complétée d’une formation
professionnelle adéquate pour, apparemment, parvenir à s’insérer économiquement
sans difficultés excessives. Il s’avère également
essentiel de posséder un riche réseau social, constitué de
parents proches ou éloignés, d’amis d’une même
ethnie ou provenance géographique -mais pas nécessairement-,
de personnes avec qui, pour une raison ou une autre, vous entretenez
une relation de dettes et de devoirs mutuels, de connaissances diverses.
Bref, pour trouver un emploi, dans les secteurs formel et informel, votre
savoir et savoir-faire ne doivent pas être que matériels,
techniques mais aussi relationnels. La vigueur de cette quatrième
constatation nous a quelque peu surpris. Tous niveaux sociaux confondus,
67,7 pour cent (voir fin du chapitre 3 pour les méthodes de recherche
pour l’ensemble de jeunes - 70,4 pour cent parmi les travailleurs)
des jeunes interrogés confirment que la mobilisation de leur « capital
social » constitue le premier moyen pour rechercher et trouver
un emploi. C’est donc l’établissement d´un réseau
de relations, la connaissance de l’environnement social et la maîtrise
des différents maillages qui le sous-tend qui permettra également
aux jeunes de trouver plus ou moins rapidement un emploi d’autant
plus stable et décent que ses relations sociales seront maîtrisées.
Dans ce contexte, ne pas être un orphelin social est aussi capital
que de posséder de réels atouts éducatifs et/ou
professionnels.
On peut raisonnablement constater que les difficiles accès à la
formation et au marché du travail, sont pour beaucoup de jeunes
des conséquences de problèmes plus profonds d´inégalités
en terme de moyens économiques mais aussi sociaux. Pour la grande
majorité des jeunes urbains pauvres, la seule possibilité en
terme d´accession sociale, réside dans le travail, quel
qu´il soit, quitte à s'enfermer dans la sphère de
l´économie informelle (très peu de jeunes arrivent à en
sortir).
La dernière constatation que nous soulignons a trait à une
réalité de l’économie Mozambicaine. L'économie
informelle ou celle semi-informelle (les vendeurs de rue, le personnel
de nombreux restaurants, magasins, etc.) constitue la ressource majoritaire
pour trouver un emploi, même si celui-ci est considéré comme
temporaire pour la majorité des interviewés, car sans sécurité pour
l’avenir. De fait, 40,8 pour cent des jeunes de notre échantillon,
toutes catégories sociales confondues, exercent une activité économique
sans avoir le moindre contrat de travail. Ils sont 88,4 pour cent lorsqu’ils
ne possèdent aucun bagage scolaire ou un minimum jusqu’à la
fin du cycle primaire. Il serait cependant trop simple (voir simpliste)
de rejeter sur cette économie informelle toute la fragilité de
la jeunesse mozambicaine en ce qui concerne son parcours d’insertion.
Si cette économie est sans aucun doute socialement inégalitaire
(elle s’adresse majoritairement aux plus pauvres), souvent irrespectueuse
des normes du travail et présentant les déficits de travail
décent les plus importants, productrice parfois d’une exploitation
humaine indigne, elle offre toutefois un réservoir de travail
pour les 2.6 millions de jeunes qui ont entre 15 et 24 ans. Ce point
est crucial. On peut en effet constater que Maputo souffre peu de turbulence
sociale, notamment de la part des jeunes qui pourraient avoir de fortes
raisons de démontrer leur mécontentement. L’une des
hypothèses avancées serait que l’économie
(semi) informelle joue un rôle de soupape de sécurité sociale
et politique qui, contribue à empêcher que Maputo, comme
beaucoup d´autres grandes métropoles africaines, n’explose
socialement. Il nous semble donc que toute politique en faveur de la
promotion de l’emploi, qui plus est décent, ne peut pas
faire l’économie d’une réflexion sur ce sujet.
Si les acteurs de l’économie (semi) informelle pouvaient
devenir des partenaires des politiques en faveur de l’emploi, le
Mozambique ferait peut être un pas important dans ce domaine.
Au regard de ces considérations, cette étude a souhaité suggérer
plusieurs propositions d’actions dont certaines semblent intéressantes à mettre
en avant:
En premier lieu, rien d’original à ce stade, il semble évident
que le renforcement de la lutte contre la pauvreté économique
et sociale représente l’orientation politique majeure préalable,
sur laquelle doit reposer toute politique plus spécifique en faveur
de l’insertion de la jeunesse. Dans ce cadre, l’amélioration
du système éducation semble une nécessité de
première importance. Le projet PIREP, comme le PARPA II, ayant
fait le même constat, traitent déjà de cette question.
Une seconde proposition du rapport insiste sur la nécessité de
redéfinir, pour la requalifier, toute la chaîne de l’acquisition
des compétences professionnelles qui passe de toute évidence
par l’amélioration des formations techniques. Dans ce domaine,
la mobilisation semble importante. Le gouvernement a érigé cette
problématique comme prioritaire et bon nombre de bailleurs ont
répondu présents dont, entre autres, la Banque Mondiale
et la GTZ, pour soutenir le projet PIREP et les réformes institutionnelles
en cours. Si cette démarche nous semble essentielle, le rapport
suggère cependant dans ce domaine d’intégrer, sous
certaines conditions, les acteurs de l’économie informelle
dans le processus de la formation professionnelle. Le constat est simple
: d’un côté, l’économie informelle représente
le lieu de travail de la grande majorité de la PEA. De l’autre,
l’ensemble des mesures pour améliorer la formation professionnelle
des jeunes ne suffira hélas pas à répondre, à court
et moyen terme, à l’énorme attente des jeunes face
au marché du travail. D’où la proposition suivante
: les prestations proposées par les centres de formation professionnelle
pourraient s’agencer autour de deux volets : un premier, orienté vers
la pratique d’une durée de plusieurs semaines, en entreprise,
un second, plus théorique et plus court, dans les centres de formation.
Ces derniers seraient ainsi connectés directement avec les opérateurs économiques,
tout en limitant leurs coûts de fonctionnement, notamment en ce
qui concerne les équipements. Un diplôme national de formation
en alternance pourrait ainsi être créé. L’ensemble
de la démarche serait encadré par un partenariat contractualisé entre
l’État qui garantie les règles ; les opérateurs économiques
formels et informels qui accueillent les jeunes pour une réelle
formation dans des conditions à définir ; les jeunes eux-mêmes
qui s’engagent dans la durée et par rapport à des
objectifs à atteindre et certains opérateurs de la société civile
qui joueraient un rôle d’accompagnateurs des jeunes en formation.
Cette démarche, associée à l’analyse de la
réalité du marché du travail, conduit à une
troisième suggestion qui nous semble pertinente. Le rapport propose
de favoriser la structuration, non pas de l’économie informelle —ce
serait en soit un sujet d’étude—, mais de la représentativité des
opérateurs économiques de ce secteur. Il s’agit de
faire en sorte qu’émerge un ou des interlocuteurs avec qui
l’ensemble de la société pourrait engager un dialogue
et donc un partenariat au bénéfice de tous et notamment
de l’insertion socio-économique des jeunes dans des conditions
décentes. Cette proposition repose donc sur l’hypothèse
suivante : moins cette économie informelle sera ignorée,
par certains, plus il sera facile aux différents partenaires institutionnels
d’engager avec elle une collaboration permettant un processus de
normalisation des conditions de travail de ceux qu’elle est appelée à employer
quoi qu’il arrive. A terme, le travail décent doit aussi
pourvoir représenter une réalité au sein de l’économie
informelle et aussi dans celle formelle où le travail décent
est loin d'être une réalité.
Dans ce sens, l’OIT défend le droit au travail comme droit
fondamental et est aujourd’hui le principal organisme multilatéral
de référence de ceux et celles qui cherchent à étendre
et universaliser le droit humain au travail. Comme tout droit, celui
du travail ne tombe pas du ciel, c’est une conquête, commune
et individuelle. La relation au travail définissant la qualité de
l’inclusion sociale. Même dans les diversités du travail
informel et précaire, du chômage, de la misère du
salaire minimum, il s’agit pour la plupart des jeunes de Maputo
de lutter au quotidien pour tenter d´améliorer leur avenir
et celui de leurs proches.
Les politiques publiques pour la jeunesse, notamment celles concernant
l’emploi, se doivent d´être des instruments de gouvernance
démocratique servant de mécanisme d’inclusion, de
cohésion et de paix sociale. Aussi, les identités des jeunes
sont variées et comportent divers clivages, c’est pourquoi,
il est plus que jamais indispensable que les différents acteurs
du marché du travail veuillent et sachent mieux comprendre et
prendre en compte ces diversités. Ceci en encourageant et en permettant
davantage de dialogue et d’échange entre tous. Sur un marché du
travail aride et inégal où résonnent les mots chômage,
sous-emploi et emploi informel, heureusement, apparaissent des options
comme l’économie solidaire, le mouvement associatif et l’entreprenariat.
Les jeunes impliqués recherchent des issues à la question
de leur insertion qui certainement ne sera pas résolu uniquement
par des solutions ponctuelles du gouvernement (ex : Programme National
Intégré (PNI), Medidas de Emprego), qui doivent, elles-mêmes, être
renforcées et suivies.
Dans l’optique d’appuyer la politique de l’emploi
des jeunes, cette étude est une invitation à la réflexion
et à l’action. Elle apporte sa contribution au débat
sur la situation préoccupante de l'insertion des jeunes sur le
marché du travail mozambicain. Autour des résultats de
l'étude, un séminaire sera organisé à Maputo
en avril 2006 afin de définir des pistes d'actions communes entre
les acteurs gouvernementaux et sociaux.
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