Journée mondiale contre le travail des enfants, 12 juin 2011

Du travail des enfants à leur défense, ou comment Rodel a réussi à quitter la mine

Plus de la moitié (53 pour cent) des 215 millions d’enfants qui travaillent dans le monde exerce une activité dangereuse. Si leur nombre augmente parmi les enfants les plus grands, âgés de 15 à 17 ans, des progrès ont été enregistrés chez les plus jeunes, les 5-14 ans, selon le dernier rapport du BIT sur le travail des enfants «Les enfants dans les travaux dangereux». Certains ont réussi à sortir du sombre tunnel d’une mine ou d’autres lieux de travail dangereux, comme en témoigne l’exemple de Rodel des Philippines.

Article | 26 mai 2011

MANILLE (BIT en ligne) – Alors que l’année scolaire s’achève et que des millions d’enfants des Philippines attendent avec impatience leurs congés d’été, des centaines de milliers d’autres ne partiront pas en vacances – les enfants qui travaillent. Ces enfants – généralement originaires de zones rurales – n’ont d’autre choix que de continuer à travailler pour gagner leur vie et aider leur famille, même si leur lieu de travail est dangereux.

Rodel Morcozo a été l’un d’entre eux. Chaque jour, Rodel devait courber le dos pour porter une lourde batée en bois remplie de sable et d’or. Sa peau était tannée par le soleil alors que ses petites mains étaient trempées d’une eau boueuse, chargée de mercure. Il devait travailler de 8 à 12 heures par jour pour gagner au mieux 1 à 2 dollars, à chercher de l’or ou à vendre des cigarettes et des bonbons sur le site d’une petite exploitation minière.

«J’étais si fatigué, si faible, parce que je devais travailler la nuit et aller à l’école le lendemain matin. A un certain moment, j’ai dû travailler à plein temps parce que mes parents n’avaient plus les moyens de m’envoyer à l’école», se rappelle Rodel.

Un jour, alors âgé de 10 ans, le jeune garçon a fait une chute de plus de 30 mètres de haut parce que son père avait fait sauter de la dynamite dans le tunnel. «J’aurais dû courir pour sortir, mais c’était trop sombre», se remémore Rodel qui travaillait dans les mines de Bicol, dans la province des Camarines Nord, l’une des régions les plus déshéritées des Philippines. «Je me suis senti si mal. J’ai alors réalisé que je n’aimais pas ce que je faisais. Je voulais juste retourner à l’école.»

Selon des estimations de l’ONU, un cinquième de l’or mondial est extrait de mines comme celle-là. Elles produisent aussi des pierres précieuses pour nos bijoux et des minéraux rares pour nos téléphones mobiles. Elles sont généralement isolées et clandestines mais souvent très bien organisées. Avec le doublement du prix de l’or sur les marchés mondiaux ces dernières années, la prospection de l’or est devenue encore plus attractive pour les plus pauvres et particulièrement dangereuse.

Sans surprise, un pourcentage non négligeable des travailleurs qui sont attirés vers ces mines d’or, de pierres précieuses et de minéraux ou vers ces carrières sont des enfants – des filles comme des garçons.

Mais les temps changent

Cependant, comme le montre le nouveau rapport du BIT sur le travail dangereux des enfants, les temps changent et bien des choses peuvent être faites pour lutter contre ces travaux dangereux.

Rodel, qui a 25 ans à présent, est à nouveau un bon exemple. Par l’intermédiaire du BIT, il a obtenu une bourse scolaire de la sénatrice Loren Legarda qui l’a aidé à terminer ses études.

«La bourse m’a donné l’occasion de quitter ce sombre tunnel», a expliqué Rodel au cours d’une conférence de presse organisée par le BIT en avril dernier à Manille. Maintenant, je vois se concrétiser mon rêve de trouver un emploi décent et d’aider les autres enfants à sortir du travail des enfants».

Rodel est devenu un défenseur des enfants lors d’un camp d’été pour les jeunes organisé par le BIT il y a dix ans. «Mon objectif numéro un, c’est de mettre un terme au travail des enfants aux Philippines. J’ai rejoint la première Marche mondiale contre le travail des enfants jamais organisée. J’ai défilé dans les rues en portant une banderole ‘Travaillons ensemble contre le travail des enfants’», explique Rodel.

Aujourd’hui, il travaille aux côtés de la sénatrice Legarda à Manille, mais il retourne régulièrement dans sa ville natale pour manifester contre le travail des enfants. Il envoie aussi ses jeunes frères et sœurs à l’école pour les tenir éloignés du travail des enfants.

«Si nous autorisons les enfants à travailler, ils resteront dans l’ignorance. Si l’on ne donne pas aux enfants qui travaillent une chance de retourner à l’école, alors rien ne se passera dans ce pays parce qu’ils sont l’avenir de notre nation», affirme Rodel.

«Au moins 2,4 millions d’enfants philippins endurent ce que Rodel a connu il y a 15 ans», déplore Lawrence Jeff Johnson, Directeur du Bureau de pays de l’OIT pour les Philippines, citant des données d’avril 2010 sur les enfants qui travaillent, issues de l’enquête sur la main-d’œuvre philippine.

Plus de 18 000 enfants, la plupart âgés de 10 à 14 ans, travaillent dans les mines et les carrières des Philippines, selon les données du bureau national de statistiques. Le taux de décrochage scolaire des élèves du primaire continue d’augmenter – de 5,99 pour cent en moyenne en 2007-08 à 6,28 pour cent pour 2009-10.

Les principales raisons qui poussent les enfants à abandonner l’école sont la perte d’intérêt pour l’éducation et le manque d’argent dans la famille pour financer leur scolarité. «Les familles pauvres n’ont d’autre choix que d’envoyer travailler leurs enfants pour survivre. Les enfants qui cumulent travail et école finissent par décrocher parce que leur travail empiète sur leur apprentissage. Les enfants qui ont des difficultés d’accès à l’éducation travaillent le plus souvent pour satisfaire les besoins les plus élémentaires de leur famille et du fait de l’absence d’alternative satisfaisante», explique M. Johnson.

M. Johnson et d’autres soulignent aussi que la crise économique mondiale a eu des répercussions sur les efforts déployés à l’échelle mondiale pour réduire la pauvreté, augmentant l’emploi vulnérable.

«La cause profonde est toujours la pauvreté», précise Lourdes Trasmonte, Sous-secrétaire pour les normes du travail et la protection sociale au ministère du Travail et de l’Emploi aux Philippines (DOLE en anglais). «Les enfants sont envoyés au travail parce que c’est le seul atout dont dispose la famille.»

Avec l’appui de DOLE par l’intermédiaire du programme philippin contre le travail des enfants, le Programme international du BIT pour l’abolition du travail des enfants (IPEC) s’emploie à retirer les enfants des travaux dangereux en offrant à leurs parents l’occasion de gagner leur vie et de soutenir les autres membres de la famille grâce à des sources alternatives de revenus.

«Si les parents ont du travail et qu’ils ont accès à des services sociaux, les enfants peuvent être retirés du travail des enfants», ajoute Lourdes Trasmonte.

Selon le nouveau rapport du BIT sur le travail dangereux, si l’on ne se focalise que sur la libération d’un jeune enfant d’une situation de travail abusive ou sur la protection d’un jeune travailleur des risques qu’il encourt au travail, on adopte une stratégie à courte vue.

«En envisageant le travail des enfants dans le contexte plus large du cycle de vie, il est évident que les stratégies de lutte contre le travail des enfants doivent être très étroitement liées aux efforts déployés aux deux extrémités de l’enfance: d’un côté, il faut donner aux jeunes enfants un bon départ dans la vie et, à l’autre bout, offrir aux enfants plus âgés et à leurs parents une chance d’obtenir un travail décent», conclut la Directrice de l’IPEC, Constance Thomas.