Entretien

Points saillants de l'entrevue avec M. Jean Louis Bancel à la 106ème CIT

M. Jean Louis Bancel, récemment élu président de Cooperatives Europe, a participé à la 106ème Conférence internationale du Travail, en qualité de représentant de l'Alliance Coopérative Internationale. ILO/COOP s’est entretenu avec Jean Louis, qui est également président du groupe Crédit coopératif, banque coopérative en France, et président de Coop de France. Les points saillants de cet entretien, qui vont de la relation entre les coopératives et l'économie sociale aux mutations du monde du travail sont présentés ci-dessous.

Actualité | 21 juin 2017
Jean Louis Bancel avec la photo d' Albert Thomas à l’OIT, Genève
En Europe, le processus de dialogue et de participation entre les coopératives et les acteurs de l'économie sociale et solidaire a connu un long cheminement avant qu’un consensus ne se dégage. En France, par exemple, il existe depuis les années 70 un comité national de liaison des activités des mutuelles et des coopératives.

Au début, les membres du mouvement coopératif en Europe craignaient qu’un rapprochement avec d'autres acteurs de l'économie sociale et solidaire n’entraîne une dilution des valeurs et principes coopératifs. Un processus de dialogue continu leur a permis de se concentrer davantage sur leurs similitudes que sur leurs différences.

Les valeurs et les principes coopératifs offrent à cet égard un cadre de référence majeur. Il existe une convergence entre les coopératives et d'autres entités économiques sociales et solidaires, telles les associations mutuelles, quant aux valeurs coopératives telles l'auto-assistance, la responsabilité personnelle, l'équité, l'égalité et la solidarité.

Par ailleurs, s’agissant des principes coopératifs, il existe probablement une convergence entre les coopératives et les entreprises économiques sociales et solidaires à l’égard du principe 7 (engagement envers la communauté). Cela dit, la plupart des autres entreprises d'économie sociale et solidaire ne respectent pas intégralement les sept principes coopératifs; c’est notamment le cas des principes 1 (adhésion volontaire et ouverte), 2 (vote démocratique), 3 (participation économique des membres) et 4 (autonomie et indépendance).

Il faut évidemment accepter le changement, et prendre acte des nouvelles formes de coopératives. Lorsque sont apparues des coopératives offrant des services à des non-membres (p. ex. les coopératives sociales italiennes), certains acteurs du milieu ont exprimé des réticences car elles ne correspondaient pas aux règles prédéfinies à cet égard, à savoir que les coopératives ne devraient servir que leurs membres. Mais elles ont finalement été reconnues et offrent un excellent exemple du principe d’engagement envers la communauté.

Il existe toutefois des principes intangibles. Par exemple, il convient de se montrer prudent face au rôle d’entrepreneuriat social revendiqué par les fondations établies par les sociétés du classement Fortune 500. Il faut soigneusement délimiter les périmètres respectifs de la responsabilité sociale de l'entreprise et de l'entrepreneuriat social, et préserver cette distinction.

Les coopératives sont des «entreprises», mais pas seulement. Culturellement et socialement, elles font partie intégrante du patrimoine immatériel humain, et constituent un moyen spécifique que l’humanité se donne pour construire un «monde meilleur». C'est pourquoi, sur proposition de l'Allemagne, l'UNESCO les a inscrites en 2016 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel.

Jean Louis Bancel et l'équipe de COOP de l’OIT
Il faut continuer à reconnaître la diversité des différents types d'entreprises coopératives. En tant que président de Cooperatives Europe, je prévois resserrer les liens avec les membres, afin de m'assurer qu’ils comprennent la valeur de l'ACI, l'organisation faîtière des coopératives au niveau mondial. J'espère obtenir, ou réaffirmer, la reconnaissance des entreprises coopératives comme partie intégrante du modèle économique européen.

Le centenaire de l'OIT est une bonne occasion de réfléchir à la pertinence des règles de l'institution dans un monde du travail en mutation. Le mouvement coopératif souhaite ardemment participer à cette évolution et aux adaptations qu’elle suppose. Dans ce contexte, je crois que l'esprit de la Déclaration de Philadelphie devrait non seulement être maintenu, mais aussi réaffirmé.

Par exemple, 75 pour cent des organisations de producteurs participant au mouvement Fair Trade International sont des petites coopératives de producteurs. Les principes du commerce équitable intègrent les quatre aspects des principes et droits fondamentaux au travail. On assiste actuellement à l’émergence croissante d’espaces et de valeurs liés à l'utilisation et à l'accès gratuits des biens communs, et la structure néo-classique de propriété est remise en cause. Parce qu’elles appartiennent à leurs membres et bénéficient de structures de gouvernance démocratique, les coopératives peuvent facilement s’approprier et mettre en œuvre ces nouvelles idées.

Je crois que l'Europe reste un vivier fertile de valeurs et de principes coopératifs. C'est aussi une source d'idéaux liés au travail décent. Je pense que les coopératives pourraient mieux coordonner leur action dans la réalisation des objectifs de développement durable en général, et l’ODD 8 en particulier, dans le cadre de l'avenir du travail. Au sein de Cooperatives Europe, et du mouvement coopératif mondial en général, nous sommes prêts à relever ce défi et à participer concrètement aux engagements liés au travail décent pris lors des deux dernières réunions du Sommet international des coopératives.