Interview

En vigueur depuis six mois, en préparation depuis huit ans : La Convention du travail maritime de l'OIT, 2006, vogue toutes voiles dehors

Entretien avec Cleopatra Doumbia-Henry, Directrice du Département des normes internationales du travail de l'OIT.

Article | 25 février 2014
Au cours des six mois qui ont suivi l’entrée en vigueur de l’historique Convention du travail maritime de l'OIT, 2006, l’impact de cette norme juridique internationale globale à travers le monde s’est accru. En février, 56 Etats membres de l’OIT avaient ratifié la convention représentant plus de 80 pour du tonnage brut mondial. Aujourd’hui, plus d'un million de marins et des milliers d’armateurs sont couverts par une norme internationale du travail unique et complète, pour cette industrie si essentielle au commerce international.

Cleopatra Doumbia-Henry, directrice du Département des normes internationales du travail de l'OIT, évalue l'état actuel de la convention et sa mise en œuvre et ce que cela signifie pour le droit du travail international et le commerce mondial.

ILO News : Quel est l'état actuel de la mise en œuvre de la MLC, 2006 ?

CDH : Aujourd’hui, nous ne fêtons pas un, mais deux évènements. Avec l’anniversaire de son entrée en vigueur il y a six mois pour les trente premiers pays qui l’ont ratifié, hier marquait également les huit ans de la convention, adoptée le 23 février 2006. Même à cette époque la MLC, 2006, a été qualifiée d’historique. Il est très rare qu'une telle convention de l'OIT, complète et novatrice, soit adoptée sans désaccord. Les huit dernières années ont été très chargées puisque l’OIT a suivi un plan stratégique quinquennal conçu pour assurer une large ratification combinée à une mise en œuvre efficace au niveau national en développant les capacités des Etats. Nous avons vu le nombre de ratification des pays représentant la majorité du tonnage brut mondial progresser à un rythme sans cesse croissant, ainsi qu’une forte augmentation de l’intérêt et du soutien international. La convergence des intérêts de la part des gouvernements, des armateurs et des gens de mer qui ont lancé la présente convention continue de conduire son succès. A mon avis, ce niveau de coopération est ce qui rend cette convention la plus innovante des conventions de l'OIT.

ILO News : Quels sont les étapes que vous avez vu depuis que la convention est entrée en vigueur le 20 Août 2013 ?

CDH : En plus des lignes directrices que l'OIT a adopté entre 2006 et 2013 pour expliquer la convention et sa mise en œuvre dans le cadre de l'inspection des navires par l'État du pavillon et l’Etat du port, les examens médicaux et les conseils en ce qui concerne les dispositions types de mise en œuvre juridique, une réunion tripartite d’experts a récemment adopté des lignes directrices novatrices pour la formation des cuisiniers de navire, couvrant tous les domaines, de la formation jusqu’à la responsabilité des cuisiniers de navires dans la manipulation des aliments et la fourniture de la nourriture gratuitement aux gens de mer ainsi que les normes minimales en ce qui concerne la qualité et la quantité de la nourriture et de l’eau potable à bord des navires. En outre, les organisations internationales représentatives des gens de mers et des armateurs, la Fédération internationale des travailleurs du transport (ITF) et la Fédération internationale des armateurs (ISF) respectivement, ont élaboré leur propres directives concernant la mise en œuvre de la MLC, 2006, et ce que cela signifie pour les gens de mer et les armateurs. Les réseaux sociaux ont également vu le jour, offrant un partage instantané des informations sur des questions liées à la convention. Et bien entendu, les inspections sont en cours et des mesures sont prises dans de nombreux ports pour s’assurer que les dispositions de la MLC, 2006, sont respectées et que des mesures sont alors prises à bord des navires pour résoudre les problèmes.

ILO News : Quelles autres mesures ont été prises dans le cadre du processus de mise en œuvre, à la fois avant et après l'entrée en vigueur de la convention ?

CDH : En prévision de l’importante augmentation de la charge de travail en matière d'inspection et de certification d’environ 40.000 navires, le BIT a littéralement créé un "bataillon" d'inspecteurs formés principalement à l'Académie du travail maritime au Centre international de formation de Turin. Le BIT a également aidé les Etats membres à renforcer leur capacité afin d’effectuer les travaux juridiques nécessaires et a créé un site internet consacré à la MLC, 2006, avec de nombreux outils et ressources, y compris une base de données pour divers rapports nationaux et autres informations qui doivent être transmis au Directeur général du Bureau. Des activités ont également été réalisées dans le secteur maritime en matière d’assurance pour répondre à certains besoins clés en vertu de la MLC, 2006.

ILO News : Quelle a été l’ampleur des ratifications et restent-ils des lacunes qui devraient être comblées ?

CDH : En effet, alors que nous pouvons saluer la rapidité et l’étendue des ratifications, il existe encore quelques disparités régionales. Il serait bon de voir davantage de ratifications de la région de l'Asie, une des régions en forte croissance économique et une source importante de la main d’œuvre maritime mondiale. Les pays de l’Union européenne qui n’ont pas encore ratifié la convention le feront bientôt, principalement en raison des instruments juridiques adoptés à la suite des initiatives entreprises par les partenaires sociaux de l’UE. Les autres régions et zones où il serait important de voir plus de ratifications sont les pays du Moyen-Orient, les pays de la région de l'océan Indien et il existe également d’importantes lacunes à l'heure actuelle en Amérique latine.

ILO News : A votre avis, quel est l’impact de la convention sur le commerce mondial ?

CDH : La Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement de 2013 a décrit le transport maritime comme « l’épine dorsale du commerce international et de l’économie mondiale ». La revue maritime du CNUCED a indiqué en 2013 que près de 80 pour cent du commerce mondial en volume et plus de 70 pour cent du commerce mondial en valeur sont transportés par mer et traités par les ports du monde entier. Le rapport indique que l’un des développements juridiques les plus importants a été l’entrée en vigueur de la MLC, 2006, pas seulement comme une norme juridique pour les gens de mer et les armateurs, mais pour le bon fonctionnement de l'économie mondiale. Les gens de mer continuent de faire tourner l’économie. Qui plus est, il souligne également l'impact considérable des gens de mer et des armateurs sur les marchandises que nous prenons pour acquis dans notre vie quotidienne, de l'énergie à la nourriture. Bien qu’elle ne soit pas souvent décrite comme faisant partie du commerce mondial, je dois également noter l’impact économique croissant de l’industrie de la croisière et de la plaisance commerciale. Ces secteurs de l’industrie maritime dépendent aussi et emploient un grand nombre de marins dans le monde.

ILO News : Avez-vous vu des problèmes dans la mise en œuvre de la Convention ?

CDH : Nous aurions pu nous attendre à une ou deux années d’incertitude et de confusion, particulièrement en relation avec les inspections de l’Etat du pavillon et les contrôles de l’Etat du port, dues aux nouveautés instaurées par le régime de la MLC, 2006. Cependant, une grande partie des problèmes a été résolu et les situations ont été éclaircies avec une remarquable efficacité dans de nombreux cas. Ceci est dû au fait qu'un grand effort a été fait pour s'assurer que les acteurs les plus importants dans le secteur ont été bien informé de ce que la convention traite et ne traite pas.

ILO News : Quel est le rôle du BIT dans la mise en œuvre de la convention ?

CDH : Le rôle principal du BIT en ce qui concerne la mise en œuvre commencera lors de la réception des rapports nationaux qui doivent être soumis au Bureau en vertu de l’article 22 de la Constitution de l’OIT un an après l’entrée en vigueur de la convention pour chaque pays. Ces rapports seront examinés par les organes de contrôle de l’Organisation.

ILO News : En Avril, la première réunion de la commission tripartite spéciale créée en vertu de la MLC, 2006, aura lieu. Quel en sera l’ordre du jour et pourquoi est-ce si important?

CDH : Cette importante commission, la commission tripartite spéciale, a un rôle important à jouer. Elle doit s’assurer que le code de la MLC, 2006, - la partie qui contient les dispositions les plus techniques -, reste à jour et en accord avec les besoins du secteur maritime. Elle se réunira du 7 au 11 avril 2014 pour examiner deux propositions d’amendements – soit des modifications du code de la MLC, 2006. Ce sont des amendements pour traiter plus clairement la responsabilité des armateurs en ce qui concerne l’indemnisation en cas de décès, dommages corporels et abandon des gens de mer. Ces questions ont été largement débattues pendant une décennie par un groupe de travail tripartite de l'OIT et de l’OMI. Cette première réunion de la commission tripartite spéciale soulignera une des dispositions novatrices de la MLC, 2006, qui lui permet d’être facilement mise à jour pour répondre aux besoins changeants des gens de mer et de l’industrie du transport maritime. Cette flexibilité et cette adaptabilité est unique dans le système normatif de l’OIT, et je crois que c’est l’une des grandes forces de la MLC, 2006.

ILO News : Qu'est-ce que cela signifie dans le contexte plus large des mécanismes de contrôle de l'OIT pour les normes du travail ?

CDH : Je crois qu'à bien des égards la MLC, 2006, peut servir de ce que je vais appeler un «projet pilote global » pour explorer des approches novatrices pour mettre en œuvre le concept de travail décent pour les travailleurs et les employeurs transnationaux. Si nous pouvons tous nous mettre d'accord par le dialogue tripartite et la coopération internationale sur une norme qui crée de l'emploi décent et des conditions d’égalité dans un secteur aussi complexe que le secteur maritime, nous devrions être en mesure de le faire à peu près dans n’importe quel secteur. Ayant consacré une vie entière de travail aux normes du travail, je ne peux qu’espérer que ce dialogue entre les gouvernements, les employeurs et les travailleurs et les autres acteurs suscitera des initiatives similaires dans d’autres secteurs ou de manière plus générale.