La route de la guérison: La gestion individualisée gagne du terrain comme outil de réintégration au travail

Alors que les systèmes de santé sont de plus en plus sous pression et que les prestations d’invalidité continuent d’augmenter, un nombre grandissant d’employeurs, de gouvernements et d’assureurs cherchent des moyens pour ramener vers le travail les employés victimes de maladie ou d’accident.

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ses 34 Etats Membres dépensent en moyenne 1,2% de leur PIB pour les seules prestations d’invalidité et 2% si l’on inclut les prestations maladie. Dans certains pays, le coût n’atteint pas moins de 5%, soit près de deux fois et demie le coût des allocations chômage.

Dans un pari tenté pour inverser la tendance, nombreux sont ceux qui se tournent vers la gestion au cas par cas, une approche qui a pour but d’aider à la réintégration des employés avec des solutions sur mesure.

«Les gains sont multiples», affirme Bernd Treichel, expert auprès de l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS) basée à Genève. «L’employeur est gagnant parce qu’il minimise les coûts d’indemnisation du travailleur, l’employé y gagne parce qu’il reprend son travail, et la sécurité sociale aussi parce qu’elle n’a plus à verser des pensions d’invalidité à long terme. Quant à la société, elle continue de bénéficier d’une offre de main-d’œuvre qualifiée.»

La gestion individualisée, qui consiste essentiellement en un guichet unique pour coordonner les divers services et orienter la personne vers la solution la mieux adaptée à ses besoins, est utilisée dans divers cadres, y compris le traitement psychiatrique, la gestion des accidents du travail et la prise en charge des personnes âgées, et en milieu de travail.

Dans un contexte de réintégration professionnelle, un gestionnaire de cas va généralement aider la personne malade ou blessée à se frayer un chemin à travers le maquis des services sociaux et de santé; il va se coordonner avec la direction et les médecins en vue d’aider l’employé à reprendre son travail ou, si nécessaire, à trouver un poste mieux adapté, dès que son état le permettra.

Les programmes de retour au travail sont rentables

De nombreux employeurs estiment que les programmes de retour au travail sont rentables.

La ville suisse de Zurich, par exemple, a enregistré des économies substantielles depuis qu’elle a mis en place un projet pilote de gestion individualisée du travail en 2006. A ce jour, le programme a coûté 13,58 millions de francs suisses et a permis d’économiser 19,33 millions de francs suisses, soit un gain net de 5,75 millions en faveur de l’administration de la ville.

La ville a formellement adopté le programme cette année et emploie maintenant 22 gestionnaires de cas dans le but affiché de réduire les jours d’incapacité tout en augmentant la satisfaction au travail parmi ses 25 000 employés.

«Le projet a parfaitement fonctionné, il a été bien accepté par les employés», déclare Ursula Hess, porte-parole du département des ressources humaines de l’administration municipale.

Depuis son lancement en 2006, le nombre d’employés touchant une pension d’invalidité a reculé de 151 en 2006 à 105 en 2009. L’an dernier, 121 employés de la ville bénéficiaient d’une pension d’invalidité, partielle ou entière. Au cours des huit premiers mois de 2011, 888 employés au total ont participé au programme de gestion individualisée, notamment 401 dont le cas est maintenant résolu. Parmi eux, 62% ont repris le travail et 10,6% perçoivent une pension d’invalidité.

«Nous avons été favorables à ce programme dès le début ... et nous avons obtenu un accueil encourageant de nos membres qui l’ont utilisé», indique Canan Taktak, du Syndicat des services publics (SSP) de Suisse.

Un élément crucial pour le syndicat est qu’il appartient à l’employé à titre individuel de décider s’il veut participer au programme. «Nous sommes très sceptiques à l’égard de ce type de programmes quand ils sont obligatoires et font pression sur les employés dans le seul but de réduire les coûts», ajoute M. Taktak.

Plusieurs entreprises suisses de premier plan, y compris la compagnie nationale des Chemins de fer fédéraux (CFF), ont adopté des programmes similaires; certaines ont recours à des gestionnaires de cas en interne et d’autres sous-traitent à des sociétés privées. Les cas concernent aussi bien des professeurs se plaignant d’un stress aigu que des conducteurs de locomotive dont la vue se détériore, ou encore de travailleurs souffrant de mal de dos.

Les services d’aptitude au travail

D’autres gouvernements européens s’intéressent aussi à la gestion individualisée ou à des solutions comparables afin de gérer les absences de longue durée pour raisons médicales.

Au Royaume-Uni, le gouvernement a octroyé des financements à 11 projets de «Services d’aptitude au travail» dans différentes régions, y compris l’Ecosse. Les services de gestion individualisée apportent un «soutien à l’intervention précoce, parce que les faits montrent que le travail est généralement bon pour la santé et que le retour au travail au moment opportun fait partie de la convalescence», comme l’affirme le gouvernement britannique sur sa page Web «Santé, travail et bien-être» (Health, Work and Wellbeing).

L’an dernier, 190 millions de journées de travail ont été perdues pour absentéisme au Royaume-Uni, coûtant aux employeurs un total de 17 milliards de livres sterling, selon une enquête menée par la Confédération de l’industrie britannique et le groupe pharmaceutique Pfizer.

Les absences de longue durée représentent près d’un tiers du temps perdu pour cause de maladie. Dans le secteur public, la proportion est même plus élevée, les absences de longue durée pour maladie causant près de la moitié des journées perdues, selon la même enquête.

«L’absence de longue durée est un vrai problème et les coûts associés à ces longues périodes de maladie sont élevés, surtout dans le secteur public», précise le Dr Berkeley Phillips, Directeur médical pour le Royaume-Uni de Pfizer. «De nombreuses personnes ayant des affections de longue durée veulent travailler et apporter leur contribution à la société, mais plus elles restent longtemps sans travailler, plus leur réintégration sur le lieu de travail devient difficile.»

Les problèmes de santé mentale sont la toute première cause d’absence de longue durée, suivis par les troubles musculo-squelettiques, le mal de dos et le traitement du cancer, selon un rapport britannique.

Les approches du retour au travail géré au cas par cas suscitent l’intérêt croissant des agences nationales de sécurité sociale. «Les systèmes de sécurité sociale ont mis davantage l’accent sur les concepts de prévention, d’intervention précoce, de réadaptation et de remise au travail», a déclaré le Secrétaire général de l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS), Hans-Horst Konkolewsky, lors d’une conférence régionale à Stockholm plus tôt cette année.

Il a cité en particulier «les approches politiques proactives et préventives qui traitent de manière holistique les enjeux, traditionnels ou nouveaux, du marché du travail; il ne s’agit pas seulement de répondre au nombre élevé de demandes de prestations maladie et invalidité, mais aussi d’améliorer les taux d’employabilité parmi les bénéficiaires».

L’OCDE considère aussi ces approches comme de potentielles stratégies gagnant-gagnant. «Encourager les gens à revenir au travail … les aide à éviter l’exclusion et à disposer de revenus plus élevés tout en améliorant les perspectives d’une offre de main-d’œuvre plus efficace et de meilleurs résultats économiques à long terme.»

Reportage de Patrick Moser, journaliste en poste à Genève.