Les travailleurs domestiques américains trouvent leur voix

La concrétisation du travail décent pour les travailleurs domestiques dépend au final de leur capacité à s’organiser et à engager une action collective. Une législation d’avant-garde concernant les droits des travailleurs domestiques est sur le point d’être adoptée dans l’Etat de New York. Si la loi est votée, elle sera l’apogée d’une décennie de militantisme de terrain soutenu par les centrales syndicales américaines AFL-CIO et pourraient ouvrir la voie à des législations similaires dans d’autres Etats. Reportage d’un journaliste californien, Gary Humphreys.

NEW YORK – Selon le recensement américain, il y aurait plus de deux millions de personnes employées comme domestiques aux Etats-Unis – un chiffre qui est probablement largement sous-estimé. Surchargés de travail, sous-payés et, jusque très récemment, isolés, les travailleurs domestiques n’ont même pas le droit de se syndiquer et se raccrochent aux fédérations syndicales pour voir leurs maigres droits défendus.

Le sort des travailleurs domestiques qui s’occupent des malades et des personnes âgées est particulièrement préoccupant. Selon un récent rapport de l’Alliance des retraités américains, de l’Association américaine pour les personnes handicapées, des fédérations syndicales AFL-CIO et de «Change to win», près de la moitié des employés de maison travaillent à plein temps tout au long de l’année. Ils sont deux fois plus enclins que les autres travailleurs à recevoir des bons d’alimentation et à manquer d’une assurance santé, alors même qu’un sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté.

Selon l’Union internationale des employés des services (UIES), une organisation syndicale de premier plan, 90 pour cent des prestataires de soins à domicile sont des femmes et le quart d’entre elles est à la tête d’un foyer avec enfants. «Ces personnes accomplissent des tâches essentielles qui permettent aux autres de sortir pour gagner leur vie», explique Priscilla Gonzalez, directrice de Domestic Workers United (DWU – travailleurs domestiques unis), une organisation de terrain basée à New York, «et pourtant elles se voient refuser un salaire.»

La dernière fois que le droit américain a été modifié pour étendre la protection aux travailleurs domestiques, c’était en 1974 avec la loi sur les normes du travail équitables (FLSA en anglais), mais les «personnes de compagnie» pour personnes âgées ou handicapées ont été écartées («exemptées» dans la rédaction de ce document) – leur emploi étant jugé trop occasionnel et informel pour bénéficier d’une protection juridique. Depuis 1974, le monde a changé; ce sont à la fois le nombre des employés de maison et celui des services qu’ils délivrent qui ont augmenté, mais la loi n’a pas connu le même essor.

La dernière remise en cause de ladite «exemption» des travailleurs domestiques de la FLSA remonte à 2007, quand la Cour suprême a statué que les prestataires de soins à domicile n’étaient pas éligibles à la protection des heures supplémentaires et du salaire minimum qui s’étend aux autres. L’exemption des travailleurs domestiques n’est que l’une des nombreuses exclusions de ce type. Comme cela a déjà été mentionné, les travailleurs domestiques aux Etats-Unis n’ont pas le droit de s’organiser dans le cadre de la loi sur les relations de travail au niveau national (NLRA). Ils ne bénéficient d’aucune protection dans le cadre de la loi sur la sécurité et la santé au travail (OSHA) et ne sont pas protégés en vertu des lois sur les droits civils.

Mais les choses commencent à changer. Après des années de travail de terrain et de plaidoyer, en particulier de la part de petits groupes tels que le DWU, l’abandon de cette exemption est de nouveau à l’ordre du jour politique. L’été dernier, quinze sénateurs américains ont envoyé une lettre ouverte à la ministre du Travail, Hilda Solis, exigeant la révocation de l’exemption, et plaidant en faveur d’un salaire minimum national et de l’extension des dispositions fédérales en matière d’heures supplémentaires aux travailleurs domestiques. Mme Solis, elle-même fille d’un travailleur domestique immigré, a soutenu l’idée de l’abolition de l’exemption, y faisant référence comme à une «lacune» qui devrait être comblée.

Tout le monde se demande quand cela va se passer, mais les travailleurs domestiques n’auront peut-être pas à attendre que le Congrès se réunisse pour modifier la loi parce que le changement pourrait intervenir Etat par Etat, en commençant par New York où une charte des droits des travailleurs domestiques devrait être votée par le Sénat de l’Etat le mois prochain. Si elle est votée, cette législation conférera aux femmes de ménage, aux nounous et au personnel soignant les mêmes droits que ceux dont jouit la majorité de la main-d’œuvre américaine, à savoir: une majoration de 50 pour cent pour toute heure travaillée au-delà de quarante heures par semaine; un jour de congé par semaine de sept jours; un certain nombre de jours de congés payés, de jours fériés et de jours de maladie; la notification préalable du licenciement ou le versement d’une indemnité en lieu et place de la notification. Cette loi va aussi doter les travailleurs domestiques de la capacité de poursuivre leurs employeurs lorsque ces dispositions ne seront pas respectées. La loi a été débattue pendant plus de six ans de législature et a déjà été votée par l’Assemblée de l’Etat. Le gouverneur de l’Etat a promis de signer la loi dès qu’elle serait sur son bureau.

«Les travailleurs domestiques seront ainsi sur un pied d’égalité avec tous les autres», constate Mme Gonzalez de DWU, l’une des militantes qui se sont battues pour le changement depuis de nombreuses années. «Les nouvelles lois vont aussi envoyer à la main-d’œuvre un message fort de reconnaissance et de protection en vertu de la loi.» Certains travailleurs domestiques ont déjà reçu le message. «La charte des droits va mettre un terme à des décennies d’exploitation», déclare Patricia François, une nounou qui a passé six ans et demi à veiller sur la fille d’un riche couple de Manhattan jusqu’à son licenciement en décembre 2008 après une altercation (Mme François se plaint que son employeur lui a donné un coup de poing au visage, une plainte que conteste son employeur). Pour Mme François, l’importance de la loi va bien au-delà des droits spécifiques qu’elle énonce. «Elle va nous rendre la dignité et le respect», conclut-elle.

L’impact de la loi ne va pas se limiter à New York. Andrea Cristina Mercado, organisatrice en chef de Mujeres Unidas y Activas (MUA), un groupe de militantes basé à San Francisco/Oakland, affirme que grâce à la campagne de New York, MUA a décidé de faire campagne en faveur d’une charte des droits en Californie. «Cette année, nous allons déposer une résolution de soutien aux travailleurs domestiques au niveau de l’Etat et nous espérons que cela nous aidera à créer un mouvement pour la campagne législative de 2011», dit-elle. La dernière fois que des groupes comme MUA ont essayé d’effectuer un changement en Californie, c’était en janvier 2006, quand ils ont réussi à obtenir ce qu’on a appelé la «loi des nounous» déposée à l’Assemblée de Californie.

La loi avait été votée par l’Assemblée et le Sénat, mais elle a ensuite fait l’objet d’un veto du gouverneur de Californie. Cette fois, Mme Mercado pense que les choses se passeront différemment. «En 2006, nous n’étions concentrés que sur les droits relatifs aux heures supplémentaires et aux amendes pour les employeurs qui commettent des abus», dit-elle. «Cette fois-ci, nous allons adopter la même approche qu’à New York et nous nous battrons pour une charte des droits générale, une plateforme inspirante qui motive les gens.»

Ce n’est pas seulement la façon de faire campagne qui a changé. La grande différence entre 2006 et aujourd’hui, c’est que les mouvements de base des travailleurs domestiques aux Etats-Unis se sont organisés. Les travailleurs domestiques peuvent être interdits de former un syndicat, mais rien ne peut empêcher les coopératives ou les associations de se réunir pour échanger des informations et élaborer une stratégie. C’est exactement ce qu’elles ont fait, à partir de juin 2007, quand un petit groupe de travailleurs domestiques s’est constitué lors d’un rassemblement national des travailleurs domestiques à Atlanta, en Géorgie. Le dernier jour du rassemblement, les participants ont pris la décision de créer une alliance nationale des travailleurs domestiques (NDWA) pour donner aux travailleurs domestiques les moyens de s’exprimer et pour attirer l’attention sur leur sort. «Il y avait toutes ces campagnes et initiatives locales qui avaient lieu, mais nous voulions créer une entité cohérente – et ne pas avoir à réinventer la roue à chaque fois», explique la principale animatrice de la NDWA, Jill Shenker.

L’idée qui sous-tend la NDWA est que les travailleurs domestiques d’un Etat peuvent tirer les enseignements de leurs collègues d’un autre Etat; la Charte des droits des travailleurs domestiques est la première indication de la puissance que recèle cette approche. «La coalition californienne s’est inspirée de ce que ses sœurs ont obtenu à New York», indique Mme Shenker, mentionnant qu’une loi globale appelée Charte des droits des travailleurs domestiques de Californie (CDWBR) a déjà été rédigée. La NDWA a également donné aux participants le sens du lien et bien sûr de l’émancipation. Nous ne sommes pas seulement sur le point de rafistoler le code du travail, ajoute Mme Shenker. «Ce que nous essayons de faire, c’est de construire un mouvement social.»

Ce mouvement social prend de l’ampleur. Fondée par 13 organisations, la NDWA en comprend aujourd’hui plus de 30 et ce n’est qu’une question de temps avant que d’autres Etats, à savoir le Colorado, l’Illinois, l’Iowa, le Maryland, le New Hampshire, l’Oregon, Rhode Island et Washington ne s’emparent de cette idée de charte des droits. «Nous sommes vraiment très satisfaits de ce qui se prépare, constate Mme Gonzalez de la DWU. Tout le monde regarde ce qui se passe en Albany.» Bientôt, les regards se tourneront vers la Californie.

L’organisation des travailleurs domestiques à l’échelle planétaire: le travail décent en action

Dans différentes régions du monde, les travailleurs domestiques s’efforcent d’exercer leurs droits grâce à l’action collective.

Au Brésil, la première organisation de travailleurs domestiques a été constituée en 1936 à Sao Paolo et, depuis 1988, l’article 7 de la Constitution consacre le droit de s’organiser collectivement.

En Uruguay, la création d’un nouveau conseil tripartite pour la négociation des salaires composé du gouvernement, des représentants d’employeurs et de travailleurs a également consolidé les organisations représentant les travailleurs domestiques et leurs employeurs. La ligue uruguayenne des maîtresses de maison, qui fut originellement créée pour revaloriser le travail domestique non rémunéré, a accepté de représenter les employeurs au sein du conseil des salaires, alors que la Confédération syndicale nationale a accepté que la Confédération nationale des travailleurs domestiques, pas encore enregistrée comme syndicat, négocie en son nom.

Fondée à Bogota, en Colombie, le 30 mars 1988, qui est aujourd’hui célébré comme la Journée des travailleurs domestiques dans une grande partie de la région, la Confédération des travailleurs domestiques d’Amérique latine et des Caraïbes (CONLACTRAHO) regroupe des organisations membres de 13 pays, plus le Canada, ainsi qu’une organisation de travailleurs migrants en Europe. La plupart des membres ont été des travailleurs domestiques pendant 15 à 20 ans qui se battent pour promouvoir une réforme de la loi et parvenir à une égalité des droits dans les Etats membres.

En Inde, peu après l’accès à l’indépendance en 1947, les associations de travailleurs domestiques ont aussi fait pression pour obtenir des améliorations de leurs conditions de travail. Sauf pour l’établissement d’un registre de police des domestiques, les tentatives de réforme législative ont toutes échoué et, en 1977, la Cour suprême a décidé que les travailleurs domestiques appartenaient à une catégorie des travailleurs qui ne pourrait pas être reconnue comme «une main-d’œuvre organisée».

En Namibie, les travailleurs domestiques se sont organisés, même pendant la période coloniale quand l’affiliation à un syndicat était proscrite.

Une étude du BIT de 1994 a relevé que le Syndicat namibien du personnel domestique (NDWU) avait recruté environ un tiers des 12000 travailleurs domestiques du pays.

En dépit des obstacles auxquels sont confrontés les travailleurs migrants, le Syndicat des travailleurs domestiques d’Asie (ADWU) est opérationnel à Hong Kong, Chine, où les travailleurs domestiques jouissent, depuis sa création en 1988, de certaines libertés syndicales. Au Sri Lanka, le Congrès national des travailleurs (NWC) a signé un accord de coopération avec les syndicats des pays d’accueil et s’efforce d’informer les travailleurs domestiques, avant leur départ, des droits qu’ils auront dans ces pays, alors que les syndicats des pays d’accueil leur apportent un soutien.