La sécurité sociale face à la crise

La crise économique et financière qui a débuté en 2007 a provoqué deux années de turbulences dans le monde de la finance, précipitant la chute de nombreuses institutions financières et mettant en difficulté les gouvernements. Comme l’on pouvait s’y attendre avec une crise d’une telle ampleur, les systèmes de sécurité sociale ont également été touchés et les caisses de sécurité sociale en ont souffert. Une bonne partie de ces systèmes ont connu une brutale contraction de leurs réserves en 2008, affectant leur viabilité à long terme. Néanmoins, les systèmes de sécurité sociale ont passé le test avec succès en amortissant l’impact de la crise. Le défi pour la sécurité sociale est maintenant de continuer à faire face au chômage grandissant et au fardeau de l’endettement futur. Ian Orton, qui travaille pour l’Observatoire social international de l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS), examine l’impact de la crise sur la sécurité sociale.

La crise a mis en évidence la place centrale et les forces des systèmes de sécurité sociale tout comme leurs faiblesses. L’aggravation du chômage a nui aux recettes de cotisations et augmenté les dépenses du fait de la hausse des demandes de prestations. Pourtant, de nombreux gouvernements se sont emparés des systèmes de sécurité sociale comme d’un outil politique vital pour contrecarrer les répercussions sociales et économiques de la crise; ils agissent comme des stabilisateurs automatiques anticycliques.

L’impact de la crise sur le financement de la sécurité sociale

A plus long terme, la crise pourrait conduire à une réévaluation du rôle et de la portée de nombreux systèmes nationaux de sécurité sociale. A plus court terme, cependant, le défi auquel sont confrontés de nombreux systèmes est celui du maintien de l’équilibre financier. Une étude récente de l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS)1 traitant des conséquences de la crise sur les caisses de la sécurité sociale a révélé que de nombreuses caisses, en particulier dans les pays industrialisés, avaient enregistré un retour sur investissement négatif.

De nombreux systèmes de retraite nationaux ont subi de sévères pertes de la valeur de leur portefeuille d’actifs. Par exemple, les retours négatifs endurés par les pays industrialisés en 2008 varient de -29,5 à

-3,2 pour cent. Mais toutes les caisses n’ont pas souffert au même degré. Dans certains pays (voir figure 1), les stratégies d’investissement financier se sont révélées moins risquées et moins volatiles. Cela est particulièrement vrai pour les stratégies axées sur des titres domestiques, à revenu fixe, bien qu’ils aient potentiellement un rendement plus faible. Certains pays en développement ont plutôt bien résisté, avec un rendement de 7,46 pour cent pour le Mexique et de

9,4 pour cent pour la Thaïlande en 2008. De plus, les données récentes sur la performance des fonds de pension semblent montrer que dans les pays industrialisés certains fonds ont commencé à se rétablir, enregistrant des résultats positifs au 2e trimestre 2009.

La sécurité sociale est confrontée à d’autres défis financiers à court ou moyen terme. Des taux de chômage en hausse, des cotisations réduites, un afflux de nouvelles demandes de prestations ont déjà mis et continuent à mettre les systèmes de sécurité sociale à rude épreuve, en particulier avec le chômage qui continue d’augmenter.2 Ainsi, la hausse des prestations monétaires, l’introduction de nouvelles prestations, le gel ou l’allègement des cotisations sociales pour les entreprises, toutes choses qui peuvent être considérées comme des mécanismes utiles pour stimuler les dépenses de consommation et soutenir l’activité économique, peuvent aussi déséquilibrer les finances des programmes de sécurité sociale.

Ces mesures, qui font partie de plus vastes plans de relance, vont représenter un fardeau financier durable pour la sécurité sociale. Le risque, c’est l’aggravation des déficits avec pour conséquence des capacités limitées de verser des prestations décentes dans les années à venir. A moyen terme, il existe aussi un fort risque de récession prolongée du marché du travail. Cette hypothèse est tout à fait vraisemblable puisque, selon l’Institut international d’études sociales, l’expérience des crises précédentes a montré que les marchés du travail ont tendance à récupérer seulement quatre ou cinq ans après le début de la reprise économique.3 Ce scénario signifie que les problèmes vont perdurer sur le marché du travail; il permet de réaffirmer une fois de plus la pertinence de la sécurité sociale pour compenser les défaillances du marché du travail. Si l’on ajoute le fardeau supplémentaire du vieillissement démographique, tous ces facteurs sont autant de problèmes que devra surmonter la sécurité sociale.

Contrecarrer la crise par une gestion active des caisses 4

L’institution danoise en charge des retraites, Arbejdsmarkedets Tillægspension [ATP], s’est montrée particulièrement experte dans l’art de limiter ses pertes financières grâce à une gestion active de son portefeuille. Très tôt dans la crise, elle a reconnu la nécessité d’être proactif, en recourant à un usage ciblé des instruments financiers et surtout en réorientant une large part de ses liquidités de valeurs étrangères vers des valeurs danoises. Par conséquent, l’ATP a enduré des pertes de -3,2 pour cent sur ses placements au cours de l’année 2008. Comparée à ses pairs, qui ont bien plus mal résisté, ce fut une perte relativement modeste.5

Lors du séminaire de 2009 de l’AISS sur la crise 6, l’ATP a décrit les principaux ingrédients de son approche couronnée de succès. Il s’agit de:

  • la couverture des risques non compensés par la détention d’obligations dans des portefeuilles séparés;
  • la gestion active de portefeuille avec une réallocation agressive et une diversification des portefeuilles d’investissement;
  • l’exécution appropriée de scénarios à haut risque pour tester la vulnérabilité de son système de façon à anticiper l’impact de la crise et donc à limiter les pertes potentielles.

Que cette approche puisse être dupliquée ailleurs dépendra des règles et des capacités de gouvernance. Il va de soi que ce qui fonctionne en un lieu ou un temps spécifique peut ne pas marcher ailleurs.

Néanmoins, le brusque effondrement des valeurs boursières dans les pays industrialisés – en moyenne une chute de 23 pour cent en 2008 – et la baisse spectaculaire et délibérée des taux d’intérêt ont accru l’insécurité financière des retraités d’aujourd’hui et de demain qui espéraient pouvoir compter pour une bonne part de leur revenu de remplacement sur des plans d’épargne retraite privés. En réaction, les régimes publics de retraite sont maintenant sollicités pour répondre à la pression politique en faveur de prestations plus élevées, alors que pour eux aussi les enjeux financiers engendrés par la crise et le vieillissement de la population sont colossaux.

Améliorer la conception du modèle de sécurité sociale

La crise actuelle a éprouvé les finances de nombreux régimes de sécurité sociale. Cependant, elle a nourri la réflexion et ouvert des pistes pour améliorer la conception du système de sécurité sociale. La crise a ainsi:

  • révélé la fragilité des systèmes de retraite dépendant totalement des marchés financiers;
  • souligné la nécessité de partager équitablement les risques entre les individus et l’Etat, et entre régimes par répartition et systèmes entièrement financés par capitalisation;
  • poussé à la réflexion sur ce qui constitue une stratégie d’investissement appropriée;
  • réitéré le besoin d’une régulation adéquate et efficace, d’une supervision et de politiques d’investissement.

Le rôle de la sécurité sociale dans les plans de relance nationaux

Bien que la crise ait affaibli la position financière de nombreux programmes de sécurité sociale, elle a également souligné leur rôle essentiel, aussi bien comme mécanisme de remplacement du revenu que comme outil politique contribuant à contrer le ralentissement économique. En plus des efforts déployés pour stimuler la demande et soutenir la création d’emplois, les décideurs politiques reconnaissent que les systèmes de sécurité sociale représentent un moyen puissant d’améliorer le revenu des individus et des familles. Contrairement aux investissements à grande échelle dans les infrastructures publiques, qui peuvent prendre du temps à planifier et à mettre en œuvre, le versement de prestations monétaires peut intervenir sans délai. C’est utile pour les groupes bénéficiaires qui sont susceptibles d’avoir d’importants besoins de consommation courante, immédiats et durables.

Regarder vers l’avenir

Ces dernières semaines, de nombreux commentateurs ont évoqué un infléchissement du ralentissement économique parce la récession prenait fin dans certains pays. Cependant, avec l’augmentation du chômage dans de nombreux pays, les conséquences humaines demeurent inchangées et soulignent la pertinence accrue des institutions de sécurité sociale dans la gestion de crise. En fait, plusieurs leçons importantes peuvent déjà être tirées quant au rôle potentiel de la sécurité sociale à cet égard:

  • La sécurité sociale a démontré qu’elle était une composante importante de la stratégie de sortie de crise en revitalisant l’économie grâce à la stimulation de la demande et au soutien à la cohésion sociale.
  • Les réponses politiques de la sécurité sociale doivent s’accompagner de politiques actives du marché du travail qui ne dénaturent pas les rendements ni ne créent une dépendance à long terme vis-à-vis des prestations de sécurité sociale.
  • Les pertes financières enregistrées par les régimes publics de sécurité sociale ont affaibli leur capacité financière à affronter de nouveaux défis, exposant potentiellement les gouvernements à de nouveaux risques financiers.
  • Les stratégies de sécurité sociale ne doivent pas perdre de vue la perspective à long terme qui garantit la viabilité financière des engagements de la sécurité sociale.
  • La crise illustre le fait que les pays qui disposent d’une situation budgétaire solide ont été, naturellement, mieux aptes à alimenter la relance financière, y compris des initiatives d’assistance sociale financées par l’impôt.

Alors que la crise a posé de nombreux problèmes aux systèmes de sécurité sociale, elle leur a aussi offert de nouvelles possibilités. Cela illustre le fait que la sécurité sociale n’est pas seulement un mécanisme de réponse d’urgence, mais qu’elle est un rouage essentiel du bon fonctionnement de la société. La crise a mis en avant les faiblesses des systèmes de sécurité sociale, mais elle a promu la valeur de la sécurité sociale en tant que solidarité sociale. Finalement, il faudrait peut-être garder à l’esprit que, sans les plans de relance des gouvernements et la sécurité sociale, la crise, qui menaçait d’être plus grave que la Grande dépression, aurait pu avoir des conséquences bien plus catastrophiques.

1 Somavia: “L’emploi doit être au rendez-vous de la reprise”, Le Figaro, 17 sept., 2009. www.lefigaro.fr/economie/2009/09/17/04001-20090917ARTFIG00008-juan-somavia-l-emploi-doit-etre-au-rendez-vous-de-la-reprise-.php

2 Enquête de l’AISS: La sécurité sociale face à la crise financière, AISS, 2009. http://www.issa.int/

fre/News-Events/News/ISSA-Survey-Social-security-responses-to-the-financial-crisis

3 Lutter contre la crise financière et économique par le travail décent, Institut international d’études sociales, BIT, 2009. /public/french/bureau/inst/download/tackling_f.pdf

4 Groupe ATP, 2008. Rapport annuel 2008.

http://loke.datagraf.dk/atp_rapporter/admin/local/pregenerated_reports/report_atp2008_uk_1237371651.pdf

5 Ce résultat ne comprend pas le résultat des activités de couverture de l’ATP – des activités qui n’ont pas pour but d’être rentables à long terme, mais servent à protéger les obligations à court et moyen terme. Si les activités de couverture étaient incluses, l’ATP aurait un taux de rendement de 17,8 pour cent.

6 Séminaire sur la sécurité sociale en temps de crise: impact, enjeux et réponses, Genève. AISS, 2009.

http://www.issa.int/fre/News-Events/Events/Seminar-on-Social-Security-in-Times-of-Crisis-Impact-Challenges-and-Responses