Eduquer pour prévenir le VIH/sida sur le lieu de travail dans le nord de la Russie

A Mourmansk, ville du nord de la Russie, un homme sur 100 et une femme sur 200, dans la tranche des 20-29 ans, sont séropositifs. A l'heure actuelle, 1 385 personnes sont inscrites au Centre régional de prévention et de lutte contre le sida. En décembre 2004, l'Organisation internationale du Travail et le ministère du Travail des Etats-Unis ont lancé un programme de formation à la prévention du VIH/sida dans le monde du travail.

MOURMANSK - Olga Bogdanova, du Bureau régional de l'OIT à Moscou, s'est entretenue avec Vladimir Kostrov, Secrétaire exécutif de la Commission interministérielle de lutte contre la toxicomanie et le commerce de substances illicites, Viktor Zubov, Directeur général adjoint de la compagnie portuaire de Mourmansk, Yurii Savakov, Directeur adjoint du Conseil syndical de la région de Mourmansk, et Stanislas Zenov, coordinateur régional du projet.

1) Quels sont les programmes de lutte contre le VIH/sida actuellement mis en œuvre dans la région de Mourmansk?

Vladimir Kostrov:
Il y a le programme du Centre régional de prévention et de lutte contre le sida et aussi le Programme SOS, qui consiste en une série de mesures prises pour lutter contre la toxicomanie chez les jeunes et qui existe depuis 1978. Par la suite, la région s'est dotée d'un programme séparé qui centralise le financement de toutes les activités relatives au VIH/sida. En ce qui concerne le projet de l'OIT, je ne le comparerai même pas à nos propres programmes. C'est un projet qui vise à prévenir la maladie sur le lieu de travail ainsi que la stigmatisation et la discrimination dont font l'objet les personnes contaminées par le VIH. L'initiative de l'OIT est d'une importance capitale et arrive à point nommé. Il est certain que les futurs programmes locaux et régionaux tiendront compte des résultats de ce projet et s'en inspireront largement.

2) Existe-t-il déjà dans la région une expérience de collaboration avec les entreprises dans le domaine de la prévention du VIH?

Vladimir Kostrov:
Bien sûr. Le Centre de prévention et de lutte contre le sida de Mourmansk collaborait régulièrement avec les entreprises du secteur de la pêche à l'époque où le VIH a commencé à sévir chez les marins. A la fin des années 1990, les programmes ont été ciblés sur les toxicomanes, et la question de la prévention dans le monde du travail est quasiment tombée dans l'oubli.

3) Le projet de formation à la prévention du VIH/sida sur le lieu de travail a-t-il des chances d'être plus efficace que les programmes déjà mis en œuvre dans la région?

Vladimir Kostrov:
Ce sont deux types de programmes totalement différents, qui ne sont donc pas comparables. Les anciens programmes reposaient sur une approche classique et plutôt conservatrice. Le projet de l'OIT, lui, reflète l'état actuel des connaissances et fait appel aux méthodes les plus modernes. Nous préparons en ce moment une enquête pour évaluer le niveau d'information des salariés des entreprises concernées. Les résultats de cette enquête seront examinés par un conseil consultatif régional. Puis, avec des experts de l'OIT, nous mettrons au point des brochures d'information et des affiches, et déciderons des aspects sur lesquels insister lors de réunions et de débats avec les salariés.

4) Votre entreprise, qui pèse lourd non seulement dans l'économie régionale mais aussi dans l'économie nationale, participe au projet de formation à la prévention du VIH/sida dans le monde du travail. Quelle est l'ampleur du problème dans votre port commercial?

Viktor Zubov:
Les autorités portuaires ne considèrent pas le VIH comme un problème urgent. Cela vous étonne? Voyez-vous, le nombre de séropositifs parmi nous est si bas que nous n'avons aucune raison de considérer cette épidémie comme un problème. A vrai dire, je crois que nous n'avons pas un seul cas de contamination par le VIH/sida.

5) Mais alors, pourquoi participez-vous au projet?

Viktor Zubov:
Nous ne voulons pas que le VIH/sida frappe un jour à notre porte. Nous tenons à ce que nos salariés soient informés. Nous avons ici d'excellents travailleurs, dont la vie et la santé ont pour nous beaucoup de prix; et puis, il y a la nouvelle génération, très prometteuse.

6) Avez-vous un règlement concernant l'infection par le VIH/sida?

Viktor Zubov:
Non. Nous avons décidé de ne pas exiger que les membres de notre personnel soient examinés par une commission médicale ni qu'ils se soumettent à des tests de dépistage. Nous ne leur demandons pas non plus une attestation de non-séropositivité lors de l'embauche. Nous voulons que ceux qui ont contracté le VIH se sentent à l'aise ici car ce sont des personnes comme tout le monde, confrontées à une situation difficile.

7) M. Savakov, partagez-vous le point de vue de M. Zubov?

Yurii Savakov:
En ce qui nous concerne, il est tout à fait évident que les travailleurs malades sont souvent exposés à diverses formes de discrimination, tant de la part de la direction de l'entreprise que de leurs collègues. Officiellement, nous n'avons été saisis d'aucune plainte, mais moi je sais que des travailleurs séropositifs ont été contraints de démissionner "de leur propre chef". Il ne s'agit, certes, que de cas isolés mais ils existent, et cela me préoccupe énormément. Il y a déjà plusieurs années que les syndicats s'inquiètent de la rapidité à laquelle l'épidémie se propage.

8) Face au sida, quelle devrait être la politique d'une entreprise en matière de ressources humaines?

Yurii Savakov:
Il faut interdire tout dépistage obligatoire et encourager le dépistage volontaire. Si l'on apprenait qu'un travailleur était touché par le VIH/sida, il faudrait que chacun l'aide. Il ne devrait pas y avoir la moindre discrimination.

9) Pourquoi l'OIT, qui aurait pu rester dans la région de Moscou, est-elle venue aussi dans votre région du nord?

Stanislav Zenov:
D'après ce que je sais, les représentants de l'OIT consultent les partenaires sociaux avant de sélectionner telle ou telle région pour y réaliser un projet-pilote. Dans la Fédération de Russie, la région de Mourmansk a montré qu'elle appliquait bien l'esprit et la lettre du partenariat social. Je pense que cet aspect a pesé sur la décision.

10) Quelles difficultés avez-vous déjà été rencontrées?

Stanislav Zenov:
Pratiquement aucune, ce qui est assez surprenant. Je craignais que les employeurs ne soient plus sceptiques à propos du projet, mais mes craintes étaient heureusement injustifiées. J'ai été frappé de constater que l'initiative de l'OIT était accueillie avec enthousiasme tant par la direction que par les syndicalistes. Le conseil consultatif régional a été constitué et il est opérationnel. Un groupe d'experts travaille avec le comité consultatif. La prochaine grande étape consistera à mener des enquêtes dans les entreprises participantes, ce qui permettra de savoir à quel point les travailleurs sont informés sur les problèmes liés à la propagation du VIH.

11) Quels résultats espérez-vous?

Stanislav Zenov:
Une fois connus les résultats des enquêtes, nous pourrons nous atteler à un travail concret dans les entreprises pilotes. Le plus important, c'est l'information. Lorsque les gens connaissent les dangers, ils sont protégés.

L'épidémie de VIH/sida en Russie

Dans le monde entier, plus de 42 millions de personnes vivent déjà avec le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Au moins 26 millions d'entre elles sont des travailleurs âgés de 15 à 45 ans, c'est-à-dire des personnes qui sont dans la force de l'âge et dont la capacité de travail est au plus haut niveau.

La Russie est l'un des pays dans lesquels l'épidémie de VIH/sida se propage le plus rapidement: le nombre de personnes infectées y a été multiplié par 40 entre 1997 et 2003. Selon certains experts, ce nombre est supérieur à 860 000, ce qui équivaut à la population entière de la région de Mourmansk. Des études récentes de la Banque mondiale montrent que si la maladie continue de se propager au rythme actuel, et si 10 pour cent de la population adulte du pays deviennent séropositifs d'ici à 2010, le PIB de la Russie chutera de 10,5 pour cent d'ici à 2020.