Les syndicats en ligne atteignent la maturité

Beaucoup de personnes se demandent si elles sont payées correctement pour le travail qu'elles font, mais ne savent pas où trouver la réponse. Il existe aujourd'hui sur l'Internet des sites consacrés au monde du travail qui peuvent répondre à ce type de questions. L'écrivain Andrew Bibby examine l'utilité des autoroutes de l'information pour les travailleurs et les employeurs à la recherche de renseignements concrets.

LONDRES - Normalement, la négociation collective est un mécanisme pratique pour fixer les grilles de salaires, même si c'est parfois de façon un peu sommaire. Mais comment cela se passe-t-il dans le cas des travailleurs - et ils sont nombreux de par le monde - qui ne relèvent d'aucune convention collective ?

Le syndicat suisse, //syndikat, apporte une réponse originale à cette question en mettant la puissance de l'Internet au service de l'entraide collective.

//syndikat est un syndicat en ligne qui met en relation les professionnels du très individualiste secteur de l'informatique en invitant ses adhérents et membres potentiels à comparer eux-mêmes leur salaire avec le salaire moyen en vigueur dans leur profession, à l'aide d'un logiciel de "vérification des salaires" installé sur son site. Le service est gratuit, le principe étant, comme pour tout logiciel en libre essai, que les usagers donnent un montant de leur choix.

La base de données est alimentée par les informations personnelles qu'y versent les usagers. Par conséquent, plus ceux-ci sont nombreux, plus le vérificateur de salaires est utile. Le //syndikat estime qu'avec les 4 500 profils salariaux d'ores et déjà déposés dans la banque de données (ce qui représente 6,5% des travailleurs de l'informatique de Suisse allemande), celle-ci est statistiquement représentative.

Une idée qui se propage à travers le monde

Des syndicats autrichiens et néerlandais ont testé des idées semblables à celles de //syndikat, et Union Network International (UNI) est en train de mettre en place un vérificateur des salaires du secteur de l'informatique à l'échelle européenne.

"Nous voulons en finir avec l'opacité des salaires", explique Gerhard Rhode, de l'UNI. "Nous pensons que ce sera un service très utile pour des professionnels de l'informatique, salariés ou indépendants, qui sont de plus en plus mobiles."

Le vérificateur de salaires est un exemple des services que les syndicats peuvent offrir à leurs membres en tirant un meilleur parti des nouvelles technologies. Qu'il s'agisse du site très élaboré de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) ou de la multitude de petits sites de branches syndicales, la présence du mouvement syndical sur l'Internet est désormais bien établie. Les auteurs d'une étude réalisée en avril 2001 pour la London School of Economics ont dénombré plus de 2 600 sites syndicaux et encore admettaient-ils être probablement en deçà du chiffre exact.

Cependant, comme pour les entreprises, un site Web ne vaut pas toujours le temps et l'argent consacrés à sa conception: tout dépend de la façon dont il est utilisé. C'est pourquoi e-tradeunions.org a vu le jour. Il s'agit d'un site destiné à favoriser l'échange d'information et l'entraide au sein d'un réseau d'une soixantaine de webmestres de syndicats du monde entier, qui, comme il se doit, ne peuvent se consulter que dans le cyberespace.

Comme le montrent des initiatives telles que celle de e-tradeunions.org, les syndicats utilisent désormais une foule de moyens imaginatifs pour mettre les nouvelles technologies au service de leurs membres. Beaucoup proposent des systèmes d'information interactifs et des programmes de formation en ligne sur leurs sites. Par exemple, le syndicat suédois SIF offre à ses membres, entre autres services, un programme d'orientation professionnelle dénommé KarriärCoach. Autre exemple: le syndicat français CFDT-Cadres est sur le point de lancer un programme de gestion du stress en ligne. Le syndicat des télécoms du Royaume-Uni, Connect, a un service de recrutement consultable sur le Web, dénommé Opus2, et le gigantesque syndicat allemand, ver.di, met à la disposition des télétravailleurs une banque d'information en ligne via son service OnForTe.

Sur le fond, pourtant, les syndicats se demandent si les nouvelles technologies ne risquent pas de modifier l'essence même du syndicalisme. Compte tenu de la baisse du taux de syndicalisation enregistrée dans de nombreux pays depuis quelques années, ils sont très conscients de la nécessité de recruter de nouveaux membres, ne serait-ce que pour remplacer ceux qui prennent leur retraite ou cessent de travailler. Et ils savent aussi qu'ils doivent tenir compte de l'essor des nouveaux secteurs (celui de l'informatique, par exemple) et des formes de travail engendrées par les nouvelles technologies, telles que le travail dans les centres d'appel, le télétravail et le travail "atypique" comme le travail en autonomie.

Plusieurs observateurs parmi lesquels les universitaires américains, Richard Freeman et Joel Rogers, pensent que les syndicats pourraient "se muer" progressivement en des organisations d'un type nouveau, qui travailleraient aussi bien avec des individus travaillant dans des entreprises non syndiquées qu'avec leur base traditionnelle. Ils évoquent la possibilité que les syndicats s'attirent des sympathisants via l'Internet et que, de ce fait, la notion de syndicalisation s'élargisse et devienne plus "floue".

L'évolution des syndicats qui opèrent sur le Web et les quasi-syndicats du secteur des technologies de l'information, tels que le //syndikat en Suisse, donnera une idée, bien qu'à une moindre échelle, de la forme que pourraient prendre ces sortes de cybersyndicats. Aux Etats-Unis, un nouveau groupe, ORTech, s'est créé cette année en Oregon, sur le modèle de WashTech, la "Voix des travailleurs du numérique" à Seattle et Washington. WashTech, tout comme un troisième groupe qui opère sur le Web, Alliance@IBM, est affilié au Syndicat des travailleurs des communications des Etats-Unis (Communications Workers of America), mais les deux groupes se définissent plus volontiers comme des organisations au service des cadres. En Australie, l'Alliance des travailleurs de l'informatique (IT Workers Alliance) s'inscrit dans la même tendance. Et en Inde, les forums des professionnels des technologies de l'information, qui ont vu le jour à Bangalore et Hyderabad, attirent toujours plus de jeunes informaticiens de haut niveau. Ils ont récemment ouvert des antennes à Chennai et Mumbai.

Le Sommet mondial sur la société de l'information se déroulera en deux phases, ce qui est inhabituel. La première phase aura lieu à Genève au mois de décembre et la seconde à Tunis en novembre 2005.

Ce sommet, organisé sous les auspices de l'ONU et placé sous la direction de l'Union internationale des télécommunications (UIT), doit aboutir à un plan d'action international pour l'ère de l'information, décrite comme "une véritable révolution, peut-être la plus importante de l'histoire de l'humanité".

Les employeurs s'expriment principalement par l'intermédiaire du Groupe de coordination des interlocuteurs commerciaux (CCBI), qui est présidé par la Chambre de commerce internationale. Les questions soulevées sont, entre autres, celles du courrier électronique non sollicité, de la confidentialité et de la sécurité, des droits de propriété intellectuelle, de la gestion de l'Internet et de la neutralité technologique.

Le CCBI estime que la conception des technologies de l'information et des télécommunications doit rester la responsabilité du secteur privé et des marchés; il enjoint aux participants de faire preuve de pragmatisme et de sens des réalités. Il préconise le maintien du statu quo en ce qui concerne l'attribution des noms de domaines de l'Internet, tâche actuellement assumée par l'organisation indépendante privée, ICANN, et qui, selon lui, ne devrait pas être confiée à un organisme public international.

Les syndicats, quant à eux, sont extrêmement déçus du peu d'attention portée aux conséquences de la société de l'information dans le monde du travail. Aidan White, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes, qui coordonne la contribution des syndicats au sommet, considère que les préoccupations des syndicats ont été étouffées.

Néanmoins, au cours des deux années qui s'écouleront avant l'aboutissement du sommet à Tunis, employeurs et syndicats auront amplement le temps de faire valoir leurs vues.