Assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale
Eviter le piège d’une croissance faible
Discours prononcé par Guy Ryder, Directeur général de l'OIT, devant le Comité monétaire et financier international
Résumé
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La menace d’un enlisement de l’économie mondiale dans le piège de la croissance lente est à prendre au sérieux
1. On observe un ralentissement de la croissance de l’économie mondiale en 2014, et même les prévisions faisant état d’une légère amélioration en 2015 sont entachées d’incertitude. La politique monétaire accommodante menée par plusieurs pays a permis d’injecter des liquidités dans l’économie mondiale, mais a échoué à stimuler l’investissement privé dans l’économie réelle, malgré des taux d’intérêt très bas. En revanche, la spéculation a repris de plus belle sur les marchés, et nombre d’entreprises ont opté pour l’accumulation de trésorerie. La plupart des pays maintiennent une politique budgétaire rigoureuse, sans parvenir pour autant à abaisser le niveau de la dette publique en raison de la diminution des recettes fiscales imputable au recul de la consommation et à la baisse des revenus de la grande majorité de la population active.2. La demande de main-d’œuvre est faible, et l’embauche ne parvient pas à suivre le rythme de croissance de la population active mondiale. L’augmentation du chômage et la baisse des taux d’activité consécutives à la crise financière mondiale persistent dans de nombreux pays. Si croissance de l’emploi il y a, elle est due, de plus en plus, à la progression du travail indépendant. Dans de nombreux pays en développement, l’essentiel des emplois relèvent de l’économie informelle et n’ont qu’une fonction de subsistance.
3. La croissance des salaires réels est languissante dans la plupart des pays pour l’ensemble de la population, à l’exception des plus fortunés. De ce fait, la consommation des ménages, qui est la principale composante de l’économie mondiale et qui pourrait être le moteur de la croissance mondiale, est en berne.
4. Il existe une corrélation étroite entre la croissance économique et le nombre et la qualité des emplois. La léthargie des marchés du travail étouffe la croissance, ce qui a pour effet de ralentir encore davantage la progression de l’emploi et des salaires. Cette spirale dangereuse risque de faire basculer l’économie mondiale dans le piège de la croissance faible, phénomène que certains économistes désignent par le terme « stagnation séculaire ».
5. Si l’on constate un recul sensible de la pauvreté extrême depuis l’année 2000, il reste encore énormément d’obstacles à surmonter pour être en mesure d’infléchir la trajectoire du développement mondial vers l’objectif de la durabilité économique, sociale et environnementale. La mise en place d’un nouveau cadre pour une croissance inclusive fondée sur le plein emploi productif et le travail décent est l’une des grandes priorités de la lutte qui doit être relancée dans le monde entier pour éradiquer la pauvreté extrême et réduire les inégalités. Il importe au plus haut point de rétablir une relation positive entre la croissance et l’emploi pour éviter le piège d’une croissance lente et assurer à moyen terme une croissance vigoureuse, durable et équilibrée.
Aggravation de la pénurie d’emplois
6. D’une manière générale, la pénurie d’emplois provoquée par la crise financière de 2008 continue de s’aggraver. On a pu chiffrer ce déficit à 62 millions d’emplois en 2013. D’ici à 2018 – sur la base des prévisions de croissance du FMI à compter d’octobre 2013 –, nous estimons que quelque 40 millions d’emplois nets seront créés chaque année, alors que le nombre des nouveaux arrivants sur le marché du travail devrait s’élever à 42,6 millions par an. Sachant que la croissance enregistrée en 2014 est inférieure au taux prévu, le déficit d’emplois devrait donc encore se creuser (Voir Tendances mondiales de l'emploi 2014: Vers une reprise sans emplois?, OIT).7. En 2013, on estime que 375 millions de travailleurs (soit 11,9 pour cent de l’emploi total) ont disposé de moins de 1,25 dollar E.-U. par jour pour vivre et que 839 millions de travailleurs (26,7 pour cent de l’emploi total) ont dû assurer leur subsistance avec 2 dollars E.-U. par jour ou moins. Ces chiffres sont certes sensiblement inférieurs à ceux du début des années 2000, mais la crise et la reprise inégale ont donné un coup de frein à la réduction du nombre de travailleurs pauvres. En 2013, le nombre de travailleurs vivant dans une pauvreté extrême n’a diminué que de 2,7 pour cent au niveau mondial, l’un des plus bas pourcentages de ces dernières années, si l’on excepte l’année qui a suivi l’éclatement de la crise.
Stagnation des salaires réels
8. Cette forte pénurie d’emplois coïncide avec une détérioration de la qualité des emplois dans de nombreux pays. Globalement, la crise a fait chuter le taux de croissance des salaires moyens réels dans une fourchette comprise entre 1 et 2 pour cent environ. Cette croissance modeste a été essentiellement le fait des économies émergentes, en particulier la Chine, alors que, dans les économies avancées, le taux de croissance des salaires fluctue autour de zéro depuis l’année 2008, certains pays ayant même enregistré un taux de croissance négatif. Les inégalités de salaires et de revenus ont continué de se creuser dans de nombreux pays, bien que certaines améliorations aient été constatées à cet égard dans quelques économies émergentes (Voir Rapport mondial sur les salaires 2014/15, à paraître, OIT).9. La baisse de la part du revenu imputable au travail, que l’on a pu observer dans nombre de grandes économies au cours des dernières décennies, s’est poursuivie. Cette évolution est révélatrice de l’écart qui ne cesse de se creuser entre la croissance des salaires et celle de la productivité du travail dans de nombreux pays, en particulier aux Etats-Unis et en Allemagne. L’accroissement de la part des bénéfices dans le revenu n’a nullement eu pour effet de doper les investissements: la part de ces derniers dans le revenu national régresse en effet dans de nombreux pays et, dans les économies avancées, elle est passée sous le seuil des 20 pour cent du PIB, alors qu’elle dépassait les 25 pour cent dans les années 1990.
Des mesures correctives qui pourraient compromettre un peu plus les perspectives de reprise
10. Dans ce contexte de croissance languissante, les économistes de l’OMC ont ramené à 3,1 pour cent leur prévision de croissance du commerce mondial pour l’année 2014 (initialement établie à 4,7 pour cent au mois d’avril) et ont également opéré une révision à la baisse pour l’année 2015 – de 5,3 pour cent à 4 pour cent. Dans un tel contexte, les efforts déployés par les pays pour accroître leurs exportations en réduisant le coût unitaire du travail risquent de déclencher un engrenage de réductions salariales. La baisse des salaires observée dans certains pays européens accroît fortement le risque de déflation dans la zone euro.11. Une protection sociale défaillante est un puissant facteur de persistance de la pauvreté, d’insécurité économique, d’aggravation des inégalités et de raréfaction des investissements dans les ressources humaines; elle contribue également à l’affaiblissement de la demande globale. Certes, plusieurs économies émergentes ont réalisé d’importantes avancées en ce qui concerne tant l’extension de la couverture que l’amélioration de la qualité des systèmes de protection sociale, mais les mesures d’assainissement et d’ajustement budgétaires prises par de nombreux pays ont par ailleurs fragilisé ces systèmes (Voir Rapport mondial sur la protection sociale 2014/15, OIT).
Une action coordonnée est nécessaire pour relancer la demande globale au niveau mondial
12. Il faudra prendre des initiatives majeures pour conjurer le piège d’une faible croissance persistante. Un tel scénario, outre qu’il pourrait être fortement préjudiciable sur le plan économique, pourrait également avoir de lourdes conséquences sur le plan politique: en effet, le fait de décevoir les attentes de ceux qui aspirent au travail décent et à l’amélioration de leur niveau de vie fraie la voie à l’extrémisme politique et au nationalisme le plus étroit. Le système multilatéral dans lequel le FMI joue un rôle capital a été mis sur pied pour parer à ces possibles dérives moyennant l’instauration et le maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu réel et le développement des ressources productives de tous les Etats Membres, objectifs premiers de la politique économique. (Voir l'article 1 (ii) des Statuts du FMI)13. L’objectif prioritaire doit être de relancer la demande globale à l’échelon mondial, et la voie à suivre doit être tracée par les économies les plus avancées du G20. Tous les pays sont confrontés à des difficultés spécifiques, mais il importe que tous révisent leurs politiques actuelles en vue de stimuler la consommation des ménages et d’inciter ainsi les entreprises à investir. L’OIT souscrit pleinement à la conclusion du chapitre 3 de l’édition 2014 des Perspectives de l’économie mondiale, selon laquelle « l’accroissement de l’investissement public dans l’infrastructure augmente la production à court et à long termes, surtout pendant les périodes de ralentissement économique et lorsque l’investissement est efficient. » La relance de l’investissement dans les infrastructures devrait par ailleurs viser la réduction des émissions de carbone.
14. Parallèlement aux mesures budgétaires, financières et monétaires axées sur la croissance, les pays devront renforcer leurs politiques sociales et de l’emploi par le biais de l’offre et de la demande, ce qui suppose de multiples interventions:
- œuvrer à la mise en place de systèmes efficaces en matière de fixation du salaire minimum et de négociation collective;
- renforcer et étendre les systèmes de protection sociale;
- anticiper l’évolution des besoins de compétences et faire le nécessaire pour répondre à ces besoins en mettant en place des systèmes performants d’information sur le marché du travail, indispensables pour faciliter les décisions touchant aux carrières et aux formations;
- assurer l’acquisition de bonnes compétences de base, qui permettent de continuer à apprendre et à se former tout au long de la vie professionnelle;
- adapter la réglementation du marché du travail de manière à faciliter la mobilité sur le lieu de travail et d’un lieu de travail à l’autre, en offrant notamment un soutien efficace aux chômeurs et aux autres groupes vulnérables grâce au renforcement des services de recherche d’emploi et des systèmes de protection sociale;
- lutter contre la discrimination entre hommes et femmes, l’objectif étant d’accroître le taux d’activité de ces dernières;
- accorder un degré de priorité élevé aux programmes en faveur de l’emploi et de la formation des jeunes;
- promouvoir la participation des groupes sous-représentés au marché du travail formel;
- Favoriser l’innovation et l’entrepreneuriat, en accordant une importance toute particulière aux petites et moyennes entreprises.