Questions-réponses

L’importance de la coopération Sud-Sud

Rebeca Grynspan évoque la coopération Sud-Sud et l’avenir du travail dans le contexte de la deuxième Conférence de haut niveau des Nations Unies sur la coopération Sud-Sud (BAPA+40), qui se tient à Buenos Aires du 20 au 22 mars prochains.

Communiqué de presse | 18 mars 2019
Rebeca Grynspan est secrétaire générale du Secrétariat général ibéro-américain (SEGIB) et membre de la Commission mondiale de l’OIT sur l’avenir du travail

Dans le cadre du Programme 2030, quels sont le point de vue et le rôle du SEGIB dans la dynamique de la coopération Sud-Sud?

La Conférence BAPA+40 est un moment historique, qui permettra de rendre compte des changements importants observés au cours des 40 dernières années dans la dynamique de la coopération pour le développement. Ce sera aussi l’occasion de tirer parti de l’expérience d’un grand nombre d’économies émergentes qui se sont positionnées comme des acteurs influents dans plusieurs domaines de coopération essentiels. De l’échange d’expériences au renforcement des capacités, en passant par le transfert de technologies et connaissances et la mise en place de réseaux d’échanges, la coopération Sud-Sud a pris une telle ampleur qu’elle se manifeste jusque dans les données relatives aux transactions économiques internationales. Ces forces dynamiques ont révélé un large éventail d’acteurs nouveaux, qui ont acquis une influence internationale et, partant, des responsabilités mondiales, accompagnées de nouveaux défis excitants.

La coopération Sud-Sud joue un rôle central dans le cadre du Programme 2030, car elle repose sur la même philosophie de développement: une philosophie fondée sur l’action collective et la solidarité entre alliés. Grâce à la coopération, nous pouvons unir et systématiser nos efforts pour réaliser les objectifs de développement durable (ODD), et tirer ainsi parti de synergies nous permettant de réaliser chaque ODD de manière méthodique. Notre façon de travailler reflète aussi la philosophie du Programme 2030, fondée sur des méthodes de travail solidaires, horizontales, de pair à pair, reposant sur le principe selon lequel aucun pays n’est à ce point riche qu’il n’a rien à apprendre et aucun pays n’est à ce point pauvre qu’il ne peut donner de leçons.

L’une des caractéristiques les plus précieuses et les plus spécifiques de la coopération ibéro-américaine est son dynamisme et sa vocation à tirer des enseignements de sa propre expérience. Entre 2006 et 2015, nos pays ont pris part à quelque 7335 programmes, projets et actions de coopération Sud-Sud, 80 pour cent d’entre eux étant menés de manière bilatérale, 13 pour cent dans le cadre d’une coopération triangulaire, et un nombre restreint, mais significatif, au niveau régional.

Le Secrétariat général ibéro-américain (SEGIB) a tiré parti de ces données considérables pour établir un rapport annuel sur la coopération Sud-Sud dans la région. Ce rapport, unique en son genre, est publié chaque année depuis dix ans. Tous les pays de la région ibéro-américaine contribuent à l’élaboration de ce rapport, partageant leurs expériences via une plate-forme en ligne que nous avons créée et qui est elle aussi unique au monde. Ces rapports nous ont permis d’analyser l’incidence de la coopération, d’améliorer notre efficacité, et d’offrir un éventail toujours plus large de solutions adaptées aux enjeux propres à chaque pays. Nos rapports sur la coopération Sud-Sud sont le meilleur exemple de ce que l’on peut réaliser lorsqu’on travaille avec engagement, sérieux et enthousiasme. Nous sommes donc très heureux d’être ici: nous avons beaucoup à enseigner et à apprendre!

Quelle est votre vision de l’avenir du travail et des perspectives pour les jeunes femmes et les jeunes hommes du Sud ? Quel est le rôle de la coopération Sud-Sud pour stimuler cette réflexion ?

L’un des thèmes importants qui seront débattus dans le cadre de l’événement organisé par l’OIT et le Centre Sud est l’avenir du travail et les jeunes. Le 22 janvier, nous avons présenté le rapport final de la Commission mondiale de l’OIT sur l’avenir du travail, dans lequel nous proposons un programme centré sur l’humain, élément essentiel d’une transition réussie vers l’avenir du travail, et fondé sur l’investissement dans les compétences des travailleurs, la modernisation des institutions du travail et la promotion du travail décent et durable. L’accent est mis principalement sur les jeunes, qui seront les protagonistes de demain, mais qui sont aujourd’hui durement touchés par le sous-emploi et de l’informalité.

Nous partons de l’hypothèse que la technologie permet de renforcer les moyens d’action de ceux qui y ont accès, autrement dit, les personnes formées à son utilisation. C’est pourquoi l’investissement dans nos jeunes se fera principalement dans l’éducation et l’enseignement des compétences nécessaires pour accéder aux emplois de qualité de demain. Une éducation qui fait appel à des outils de pointe, y compris l’apprentissage hybride en ligne et hors ligne, qui bénéficie de catalyseurs modernes tels que la ludification, et qui offre des compétences non techniques – aptitude à diriger, à communiquer, à travailler en équipe, à trouver des solutions innovantes pour résoudre les problèmes –, qui nous apprennent non seulement à apprendre, mais aussi comment apprendre.

L’espace ibéro-américain a beaucoup à apporter dans ce domaine. L’un des résultats les plus pertinents de l’expérience Erasmus en Europe est que les jeunes ayant suivi ce programme de mobilité étudiante auront plus de chances de trouver un emploi et qu’ils bénéficieront de salaires plus élevés. C’est la raison pour laquelle le SEGIB met actuellement au point un programme similaire, Campus Iberoamerica, qui permettra à nos étudiants de se déplacer et de traverser l’Atlantique, en quête de ces expériences enrichissantes, idéales pour promouvoir les compétences non techniques.

Les politiques élaborées dans le nouvel écosystème éducatif proposé par la Commission mondiale sur l’avenir du travail seront profondément enrichies par la coopération Sud-Sud. C’est un domaine dans lequel nous devons faire preuve d’inventivité et de créativité, et chercher à trouver des instruments et des outils différents qui soient efficaces aussi bien sur le plan économique que pédagogique. Un domaine où il vaut mieux travailler ensemble, en échangeant nos idées et nos expériences dans la perspective de la coopération Sud-Sud, et en systématisant nos efforts dans l’élaboration de rapports qui nous permettent de trouver les meilleures solutions et de les adapter au contexte de chaque pays.

Enfin, nous devons inscrire la question de l’avenir du travail dans les programmes politiques et législatifs de notre région, et nous devons le faire ensemble. Nous devons créer des droits et réactualiser les droits existants, en particulier le droit universel à la formation tout au long de la vie, le droit à la protection sociale en période de transition professionnelle, et le droit à une garantie universelle de travail décent, qui intègre les réalisations du siècle dernier – salaires dignes, sécurité et santé au travail, équilibre entre vie professionnelle et vie privée, horaires de travail raisonnables –, et les adapte au nouveau contexte du travail, caractérisé par davantage d’emplois autonomes et moins d’emplois à vie. Cela garantirait un travail décent à tous les travailleurs, quels que soient leur statut dans l’emploi et la durée de l’emploi.

Mme Grynspan a été membre de la Commission mondiale de l’OIT sur l’avenir du travail, qui a publié son rapport le 22 janvier 2019. Elle est secrétaire général du Secrétariat général ibéro-américain (SEGIB), une institution multilatérale internationale réunissant des pays hispanophones et lusophones d’Amérique latine, ainsi que l’Espagne, Andorre et le Portugal. Figure de proue reconnue de la promotion du développement humain, elle a beaucoup aidé à attirer l’attention du monde, et plus précisément de l’Amérique latine, sur des sujets essentiels comme la réduction des inégalités et de la pauvreté, l’égalité hommes-femmes et la coopération Sud-Sud en tant qu’instruments de développement et de réalisation des objectifs de développement durable. Mme Grynspan présentera les résultats du rapport sur l’avenir du travail dans une perspective de coopération Sud-Sud et triangulaire, sans perdre du vue les enjeux auxquels sont confrontés les jeunes.