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Que peut nous enseigner le passé pour l’avenir du travail?

Dans le cadre du débat sur l’avenir du travail, l’historienne de l’OIT, Dorothea Hoehtker, nous dit ce que nous pouvons apprendre de l’étude du passé.

Actualité | 13 février 2018
© emilydickinsonridesabmx
Pour réfléchir à l’avenir du travail, le passé constitue un bon point de départ. Il ne nous fournit pas nécessairement des réponses catégoriques mais il permet de replacer l’évolution actuelle dans un contexte plus large. Notre évaluation du présent et notre pronostic pour l’avenir sont influencés par notre compréhension du passé. Elle nous permet d’anticiper l’impact du changement sur les individus et les sociétés. Elle nous rappelle qu’en dépit de toutes les prévisions savamment calculées, le cours de l’histoire peut changer et être façonné par les cadres que nous élaborons pour orienter notre action, ainsi que par nos politiques.

Par exemple, la première révolution industrielle a abouti à la mécanisation des filatures et des métiers à tisser dans de vastes usines, fonctionnant à l’énergie hydraulique ou à la vapeur. Avant cela, les ménages travaillant dans le secteur textile filaient et tissaient pour la production marchande. A mesure que la productivité et le niveau de vie de la population générale augmentaient, ce fut aussi le cas pour l’emploi des femmes et des enfants dans les usines, souvent dans des conditions difficiles. L’arrivée de l’éclairage électrique a permis de travailler après la tombée de la nuit. Cela a conduit à l’adoption de nouvelles politiques, comme celles concernant la durée maximale du travail et le travail de nuit des femmes.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’encadrement progressif des conditions de travail par le biais de lois, de politiques et d’actions de la part des partenaires sociaux, s’est traduit par l’institutionnalisation de la forme plus avancée du travail salarié, la «relation de travail normale».* L’emploi classique – qui comprend habituellement un travail à plein temps, un lieu de travail physique et une relation entre employeur et employé définie par un contrat – est depuis devenu un modèle et forme la base du «travail décent» qui est au cœur du mandat de l’Organisation internationale du Travail (OIT).

Les formes d’emploi atypiques se sont multipliées dans les pays développés et le travail dans l’économie informelle continue de faire obstacle au travail décent dans les pays en développement. Pour le moment, ces formes de travail semblent devoir garder une place importante dans l'avenir.

La leçon que nous pouvons en tirer, c’est que le progrès social et économique ne vont pas toujours main dans la main. Toutes les avancées obtenues par le passé furent le résultat d’une volonté politique, et de la capacité à définir des politiques fondées sur une perspective de justice sociale.

Tout au long de son histoire quasi-centenaire, l’OIT a été au cœur de ce progrès social. Pendant l’entre-deux-guerres, dans cette période de mécanisation accrue de la production et de rationalisation du travail, Albert Thomas, le premier directeur du BIT, a souligné que ces changements ne pouvaient être stoppés mais qu’ils devaient être maîtrisés pour éviter des difficultés aux travailleurs et le risque de conflits sociaux. «Le facteur humain doit toujours rester au premier plan», a déclaré Albert Thomas à la Conférence internationale du Travail de 1931. C’est aujourd’hui encore la position de l’OIT.

Dans les années 1950 et 1960, les nouvelles technologies ont déclenché un débat beaucoup plus vaste. Dans de nombreux pays le déplacement des emplois est devenu désormais le principal sujet de préoccupation.  L’anxiété autour du travail est généralisée. Mais l’OIT, ses mandants et la plupart des économistes restaient optimistes, affirmant que les expériences passées ont montré, que l’innovation technologique détruit des emplois mais qu’elle en crée aussi de nouveaux. Ce processus de changement, qui s’accélère, exige un renouvellement des politiques, comme la protection sociale que nous utilisons pour façonner un avenir empreint de justice sociale.

Prédire l’avenir est évidemment une affaire délicate – pensez au Président d’IBM, Thomas Watson, qui affirmait en 1943 qu’il «existait peut-être un marché mondial pour cinq ordinateurs». Mais nous pouvons chercher des indices dans l’histoire. Si nous ne pouvons pas présumer que le passé se répétera, nous devons nous demander ce que nous pouvons en apprendre pour garantir que l’avenir du travail se caractérisera par une croissance économique durable et le progrès social.



* «La relation de travail normale a été définie comme un emploi à plein temps, stable, salarié et socialement protégé… dont les conditions minimales (durée du travail, rémunération, avantages sociaux) sont fixées à un niveau minimum par une convention collective ou par le droit du travail et/ou le droit de la sécurité sociale.» (Bosch 1996, 165 et OIT 2016, 10-14)